Publié le 25 oct 2024Lecture 4 min
La difficile question du poids de l’innovation
Bruno GUERCI, Nancy
L’obésité, un des grands défis de santé publique du XXIe siècle, fait l’actualité, par ses liens étroits avec de nombreux risques cardiovasculaires comme l’hypertension, le diabète de type 2 et la dyslipidémie, mais aussi par les chiffres vertigineux de son épidémiologie.
Bien que reconnue comme une maladie chronique par l’OMS et nécessitant une prise en charge médicale, l’accès aux innovations thérapeutiques reste inégal et limité. Les traitements récents, tels que les agonistes du récepteur GLP-1, permettent une perte de poids durable et améliorent les paramètres métaboliques, réduisent les complications liées à l’obésité de manière indiscutable, mais leur coût élevé et l’absence actuelle de remboursement freinent leur prescription et utilisation par les patients. Nous pouvons craindre aussi que les futures thérapeutiques en développement pour le traitement de l’obésité associée ou non au diabète de type 2, comme les doubles ou triples agonistes hormonaux combinant alternativement GLP1, GIP, glucagon ou encore amyline et dont l’innovation mécanistique est unanimement reconnue par les experts du domaine, rencontrent à terme les mêmes obstacles à leur diffusion en pratique clinique.
Nous avons récemment atteint le chiffre alarmant du milliard de personnes vivant avec une obésité dans le monde, dont les répercussions à moyen et long terme sur le plan économique sont tout aussi inquiétantes. Malgré cela, les obstacles à l’accès aux traitements persistent, incluant barrières financières, réglementaires ou encore organisationnelles. En France, les médicaments innovants doivent passer par des évaluations complexes de la Haute Autorité de santé (HAS), mais même après approbation, leur remboursement reste limité, surtout pour les traitements jugés trop coûteux à court terme. Les critères actuels d’évaluation se concentrent souvent sur les effets immédiats, provenant d’études cliniques bien conduites et pertinentes mais dont les résultats sont jugés insuffisants en termes de preuves de bénéfices cliniques. La « simple » perte de poids ou la normalisation de troubles précoces de la tolérance au glucose, connues pour prédisposer pourtant ces patients à un diabète dans les années futures ne suffisent plus. Une approche du dossier « deux poids, deux mesures » par conséquent, qui ne prend pas assez en compte les bénéfices potentiels à long terme, comme la réduction des complications, de la mortalité et des coûts de santé, mais aussi par manque de données d’efficience thérapeutique difficiles à produire, coûteuses, ou tout simplement inexistantes. L’accès aux innovations varie également selon les régions, creusant des disparités territoriales. Les grandes villes, avec leurs centres spécialisés comme les CSO (Centre spécialisé de l’obésité), bénéficient d’un meilleur accès aux nouvelles thérapies, tandis que les zones rurales, moins bien dotées, sont laissées pour compte. De plus, la fragmentation du système de santé limite l’intégration des innovations dans les soins courants. Le risque est celui d’une médecine inégalitaire à laquelle seuls les plus aisés de nos compatriotes pourraient accéder, en d’autres termes s’offrir ces médicaments de l’obésité. Ce manque de coordination, ajouté à une formation insuffisante des professionnels de santé, complique la diffusion des traitements. Les médecins généralistes, en première ligne pour gérer l’obésité, manquent souvent d’information sur l’efficacité des nouveaux traitements.
Un autre frein majeur est la persistance des préjugés autour de l’obésité, souvent perçue comme un échec personnel. Cette stigmatisation décourage les patients d’entamer un traitement, aggravant leur état de santé. Pour surmonter ces obstacles, il est crucial d’améliorer l’intégration des innovations dans le parcours de soins, de former les professionnels de santé et de sensibiliser le public à la complexité de l’obésité. Une approche globale, associant nutrition, lutte contre la sédentarité, soutien psychologique et technologies connectées, est essentielle pour maximiser l’efficacité des traitements. La personnalisation des soins grâce à la médecine de précision pourrait également optimiser les résultats et réduire les coûts en ciblant les patients qui bénéficieront le plus de ces traitements. En résumé, l’accès équitable à l’innovation dans le traitement de l’obésité nécessite des efforts coordonnés entre les pouvoirs publics, les professionnels de santé et l’industrie pharmaceutique. Une vision à court terme de ce problème de santé publique n’a aucun sens au vu des répercussions médicales et sociétales à long terme. Une approche plus globale et responsable permettrait de garantir que les progrès thérapeutiques profitent au plus grand nombre, réduisant ainsi les disparités et l’impact de l’obésité sur la santé publique.
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