Nutrition
Publié le 06 jan 2025Lecture 11 min
Micronutriments et diabète : que dit la science ?
Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, Université de Strasbourg
Les compléments alimentaires (CA) connaissent un engouement certain aussi bien auprès des bien-portants que des sujets atteints de maladies diverses — dont les maladies métaboliques — à en juger par le nombre de produits disponibles en pharmacie, dans les rayons de parapharmacie ou sur la toile. Considérés comme des « denrées alimentaires ». Ces cocktails de micronutriments ont vocation à apporter sous une forme concentrée des nutriments non énergétiques pour corriger d’éventuelles (sub)carences secondaires à une alimentation insuffisante ou déséquilibrée. N’étant pas des médicaments, ils ne peuvent se prévaloir d’aucun effet thérapeutique. La liste des ingrédients contenus dans les compléments alimentaires (CA) et les allégations nutritionnelles et de santé sont strictement encadrées par la réglementation européenne. Les CA ont-ils une place dans la prévention ou le traitement du diabète ?
Quels micronutriments sont-ils à considérer dans le diabète ?
Même s’il est admis qu’une alimentation équilibrée et suffisante prémunit contre toute carence significative en micronutriments (vitamines, minéraux et autres oligo-éléments), il existe quelques arguments expérimentaux et théoriques suggérant qu’une complémentation pourrait s’avérer bénéfique à titre préventif ou comme auxiliaire thérapeutique dans un grand nombre de maladies. La forte implication des micronutriments dans la régulation des métabolismes a une résonance toute particulière dans le diabète. Le rationnel repose sur leur capacité théorique de limiter les méfaits du stress oxydant et de corriger les subcarences relatives des minéraux et vitamines participant peu ou prou au métabolisme glucosé.
Lutter contre le stress oxydant (SO)
Produites par le métabolisme aérobie, les espèces réactives de l’oxygène (ERO) altèrent les biomolécules et les organites cellulaires. Les ERO regroupent des radicaux libres oxygénés porteurs d’un électron célibataire très réactif (superoxyde, hydroxyle, oxygène singulet) et des espèces oxydantes non radicalaires toxiques (peroxyde d’hydrogène, acide hypochloreux, peroxynitrite). Une ligne de défense composée d’antioxydants enzymatiques (superoxyde dismutase zinc-dépendante SOD, glutathion-peroxydase séléno-dépendante, glutathion S transférase, catalase) ou non enzymatiques qui agissent en piégeant les radicaux libres (vitamine E ou alfatocophérol, vitamine C ou acide ascorbique et caroténoïde, sélénium, zinc) permet à l’organisme de maintenir les ERO à une concentration acceptable et retarder ainsi l’oxydation des substrats. Un déséquilibre du système dû à une production excessive d’ERO ou à une diminution de la performance des défenses anti-oxydantes, crée un SO qui favorise l’oxydation des constituants cellulaires avec production d’hydroxyperoxydes à partir des lipides et des protéines carbonylées ainsi qu’une altération des nucléotides et la formation des produits avancés de la glycosylation (AGE). La liaison des AGE à leurs récepteurs entraîne l’activation de la MAP-kinase (mitogen-activated protein kinase) et de facteurs de transcription comme le NFκB (nuclear factor κB) qui stimule en retour la production d’ERO. L’alimentation, soit par excès d’apport énergétique, soit par insuffisance de micronutriments impliqués dans le système antiradiculaire, est au premier rang des multiples facteurs régulant le SO. Une alimentation optimale possède un fort pouvoir oxydant lié à une faible densité énergétique et à une forte densité nutritionnelle avec un apport important en fruits et légumes(1).
Stress oxydant et métabolisme glucosé
L’hyperglycémie induit une production accrue d’ERO, comme l’ont montré de nombreuses données expérimentales. Une augmentation des marqueurs biologiques de l’état oxydatif est fréquente dans le diabète. L’oxydation du glucose, la glycation non enzymatique des protéines et l’oxydation des produits de dégradation des protéines glyquées abondent dans le pool des radicaux libres. En plus des dommages causés aux protéines cellulaires, aux lipides membranaires et aux acides nucléiques et l’accroissement des AGE, le SO participe également à l’activation de la voie du sorbitol impliquée dans diverses complications du diabète (cataracte, neuropathie périphérique).
L’hyperglycémie altère les mécanismes de défense antioxydants enzymatiques (diminution de l’activité SOD) et non enzymatiques. D’autres antioxydants intervenant de façon synergique pour lutter contre les radicaux libres seraient diminués dans le diabète, qu’ils soient organiques (acide lipoïque, caroténoïdes, coenzyme Q10, flavonoïdes), minéraux (cuivre, zinc, manganèse, sélénium) ou cofacteurs enzymatiques (acide folique, vitamines B1, B2, B6, B12). La conjonction d’un taux élevé de radicaux libres circulants et le déclin des mécanismes de défense antioxydants provoquent des altérations des organites cellulaires et des activités enzymatiques, ce qui favorise la peroxydation lipidique et l’insulinorésistance. L’altération du métabolisme glucidique (diabète, intolérance au glucose ou hyperglycémie modérée du syndrome métabolique) est associée à une augmentation des marqueurs de peroxydation, à une diminution des concentrations des vitamines anti-oxydantes et à une diminution de l’activité de la superoxyde dismutase (SOD). Actuellement il est admis que le SO est un facteur favorisant l’altération du métabolisme glucosé, l’installation du diabète, sa progression et ses complications (figure). C’est en se basant sur la constatation d’une augmentation des biomarqueurs du SO dans le diabète (acide thiobarbiturique TBAR), marqueur de la peroxydation lipidique, isoprostanes produits par l’attaque radiculaire de l’acide arachidonique, etc., qu’a été proposée une supplémentation micronutritionnelle anti-oxydante dans le diabète(2).
Figure 1. Conséquences théoriques d’une déplétion des minéraux et éléments traces sur l’insulinorésistance et le développement d’un diabète.
Anomalies des taux de minéraux dans le diabète
Les modifications des concentrations de divers oligo-éléments observées dans le sang total, l’urine et les cheveux des sujets diabétiques font s’interroger quant à leur rôle dans le métabolisme glucosé. Des taux réduits de chrome (Cr), zinc (Zn) et magnésium (Mg) (p < 0,001) et des taux plus élevés de Cu et Fe (p < 0,05) par rapport aux témoins ont été décrits(3).
Zinc
Le zinc est le cofacteur d’un grand nombre d’enzymes participant à la synthèse protéique, à l’expression des gènes et à la production et la neutralisation des ERO. Il est vital pour le stockage, la sécrétion et l’action de l’insuline. Il exerce un rôle protecteur des cellules β pancréatiques en cas d’agression immunitaire ou oxydative des cellules β. La riposte insulinique à une charge glucosée est d’ailleurs réduite lors d’une carence expérimentale en zinc et est associée à une diminution de la granulation des cellules . Un statut en zinc insuffisant pourrait contribuer au développement du diabète de type 1. L’hypozinguémie et la déplétion cellulaire en zinc sont cependant inconstantes, du fait d’une probable hyperabsorption intestinale compensatrice. Bien que les données soient contradictoires dans la littérature, une supplémentation en zinc pourrait à la fois améliorer la capacité antioxydante du sérum, protéger la cellule bêta et améliorer l’action périphérique de l’insuline(4).
Chrome
La diminution des taux de Cr observée inconstamment dans le DT2 serait une conséquence de la réponse métabolique au stress oxydatif. Le chrome est un élément trace impliqué dans la régulation du métabolisme glucidique ainsi qu’en atteste l’hyperglycémie avec hyperinsulinémie observée après une carence expérimentale en chrome. L’administration de picolinate de Cr augmente le nombre des récepteurs insuliniques et améliore leur phosphorylation chez le rat obèse insulinorésistant(5). Chez l’homme l’administration de picolinate de Cr a des effets inconstants. Dans quelques études la supplémentation en Cr a amélioré les niveaux de glycémie, d’insuline, de cholestérol et d’HbA1c des patients atteints de DT2 de manière dose-dépendante. Une revue narrative effectuée à partir de 20 essais contrôlés randomisés a montré que les objectifs (glycémie < 7,2 mmol/L, HbA1c < 7 %) n’étaient atteints que dans 5 essais sur 20 pour la glycémie et dans 1 seul essai pour la glycémie et l’HbA1c(6). Une revue systématique et une méta-analyse plus récente ont conclu à une réduction à la limite de la signification de la glycémie à jeun (différence moyenne pondérée -0,19 g/L), de l’HbA1c (-0,7 %), de l’insulinémie (-12 pmol/dL) et de la résistance à l’insuline évaluée par HOMAIR (-1,5)(7). Par ailleurs, une revue Cochrane des essais contrôlés de supplémentation en Cr chez l’adulte en surpoids ou obèse a révélé une diminution modeste du poids qui pourrait avoir un effet bénéfique sur le métabolisme glucosé(8). En l’état, il est admis que le Cr alimentaire (avec ou sans complémentation) agit comme un amplificateur physiologique de l’activité de l’insuline. Plusieurs compléments en picolinate de chrome sont disponibles comme « aide au maintien de la glycémie » à des doses a priori non toxiques.
Sélénium
Micronutriment indispensable de la synthèse des sélénoprotéines aux propriétés antioxydantes et cytoprotectrices, le sélénium alimentaire est corrélé à la prévalence du diabète. À l’inverse, l’administration de Se à des souris diabétiques a entraîné une amélioration modeste de la glycémie et une amélioration plus nette du profil lipidique(9).
Cobalt
Chez l’homme quelques études ont rapporté une diminution des concentrations sériques de cobalt dans le diabète. Expérimentalement, le chlorure de cobalt diminue la gluconéogenèse chez les rats diabétiques grâce à un effet hypoglycémiant, réduit la peroxydation lipidique et atténue le SO.
Calcium
Des études transversales ont suggéré que les sujets diabétiques présentaient des calcémies plus élevées que les sujets non diabétiques. Selon d’autres études, la diminution de la fonction des cellules β pourrait être liée à une régulation anormale du calcium secondaire au SO. Des métaanalyses d’études de cohorte anciennes ont montré que l’apport calcique alimentaire empêche le développement du DT2(10).
Magnésium
Cofacteur impliqué dans la cascade de l’insuline, il réduit les défenses cellulaires antioxydantes. Expérimentalement, la carence en magnésium aggrave la résistance à l’insuline alors que l’apport en magnésium réduit le risque de DT2 et de syndrome métabolique. Les études observationnelles comme ARIC n’ont pas mis en évidence de relation entre l’apport alimentaire en magnésium et le risque de diabète. Mais des effets bénéfiques ont été décrits après une supplémentation magnésienne(11).
Vitamine D et diabète : la part du vrai et de l’incertain
La « démocratisation » du dosage de la 25(OH) vitamine D plasmatique et le diagnostic probablement abusif de (sub)carences chez un grand nombre de sujets sur la foi de normes discutables a conduit à prescrire larga manu cette vitamine à la suite d’études observationnelles plaidant en faveur d’un rôle préventif dans les maladies cardiovasculaires et certaines formes de cancer, d’effets thérapeutiques préventifs et curatifs vis-à-vis du diabète sucré, d’une réduction du risque d’infection, d’une amélioration du tonus musculaire et même d’une réduction de la mortalité. La plupart des associations décrites dans les études observationnelles entre les maladies non transmissibles et une « carence en vitamine D » peuvent vraisemblablement s’expliquer par une causalité inverse(12). Par son processus de synthèse endogène et son action pléiotrope sur des récepteurs nucléaires ubiquitaires qui régulent une centaine de gènes, la vitamine D relève davantage d’un statut d’hormone stéroïdienne que de vitamine (les apports alimentaires couvrant à peine 20 % des besoins). La mise en évidence de récepteurs dans les cellules β du pancréas a incité à explorer les effets de la vitamine D sur l’insulinosécrétion. De fait, la 1,25(OH)2 vitamine D stimule l’insulinosécrétion(13). Par ailleurs, elle participerait à l’insulinosensibilité du tissu musculaire qui est également pourvu de récepteurs. Enfin, des effets immunomodulateurs ont été attribués à la vitamine D. Ces données déjà anciennes recueillies dans des conditions in vitro ou expérimentales ont conduit à échafauder des théories faisant de la vitamine D un partenaire important de la régulation du métabolisme glucosé et, pourquoi pas, un traitement préventif et curatif du DT2 et, par ses capacités immunomodulatrices, du diabète de type 1.
À ce jour, les essais contrôlés de supplémentation en vitamine D à une dose supérieure aux recommandations nutritionnelles pour la population (RNP) n’ont montré aucun bénéfice sur l’incidence du diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires, des cancers ou de la mortalité. La méta-analyse récente de 3 essais contrôlés portant sur la prévention du DT2 effectuée par Pittas, fervent partisan du rôle de la vitamine D dans la prévention du DT2, a montré que l’intervention réduisait le risque de diabète de 12 % (RR, 0,88 [IC95%, 0,77 à 0,99]) alors que la diminution n’était significative dans aucun des 3 essais. Lorsque le taux intra-essai moyen de 25- (OH)D était de 50 ng/mL ou plus, le risque de diabète diminuait de 76 % par rapport aux participants dont le taux moyen était compris entre 20 et 29 ng/mL, ce qui suggère que l’effet optimal se situe au-dessus du seuil de risque d’effet nocif (> 50 ng/L). Seul un traitement à très haute dose de vitamine D, exposant à un risque non négligeable, pourrait donc prévenir le diabète de DT2 chez certains patients(14). Dans un essai contrôlé précédent, mené par le même auteur chez des sujets à haut risque de développer un diabète sucré, la supplémentation quotidienne de 4 000 UI de vitamine D n’avait pas entraîné de diminution significative du risque de conversion en DT2(15). Dans une étude effectuée par le même groupe, l’administration de vitamine D à visée curative à la dose de 4 000 UI/j chez des sujets DT2 a entraîné une diminution ponctuelle de l’HbA1c qui a été interprétée par les auteurs eux-mêmes comme un effet lié au hasard(16). La carence en vitamine D a été associée au diabète de type 1 dans des études observationnelles, mais les preuves issues d’essais contrôlés randomisés font défaut. Dans une étude de randomisation mendélienne, les taux de vitamine D génétiquement diminués n’étaient pas associés de manière causale au diabète de type 1(17). Il est donc peu probable que les niveaux de 25OHD aient un effet notable sur le risque de diabète de type 1. Par ailleurs d’autres études ont confirmé que la supplémentation en vitamine D n’a pas d’effet préventif sur la survenue d’événements cardiovasculaires.
Autres vitamines : la plupart des vitamines B participent au métabolisme énergétique et glucidique (notamment la thiamine, vitamine B1) ou à la régulation de métabolites comme l’homocystéine (impliquée en pathologie cardiovasculaire) dont la régulation convoque à la fois les vitamines B6, B9 et B12. Cependant il n’y a pas de preuve de leur effet préventif ou thérapeutique dans le diabète et ses complications.
Complémentation et diabète : le verdict des études
Aucun micronutriment seul ou combiné dans un complément alimentaire ne peut prétendre prévenir ou traiter utilement le diabète et ses complications. Les études disponibles, in vitro, expérimentales ou observationnelles, ne permettent pas d’affirmer qu’une vitamine, des minéraux ou des extraits de plante apportent un bénéfice thérapeutique mesurable chez un sujet DT1 ou DT2 s’alimentant de façon suffisante et diversifiée (tableau). La lutte contre le stress oxydant repose sur un mode de vie optimal alliant l’activité physique régulière, l’alimentation à forte densité nutritionnelle et l’arrêt du tabac. La supplémentation en piégeurs de radicaux libres à des doses nutritionnelles (vitamines E, A et C, zinc, sélénium) et éventuellement en picolinate de chrome, pourrait être une proposition recevable en cas d’alimentation déséquilibrée et pourrait avoir un effet intéressant sur le développement des complications cardiovasculaires en agissant sur le profil lipidique(18).
Toutefois, l’utilisation de ces composés à des doses pharmacologiques ne peut être conseillée, du fait de l’absence de bénéfice démontré et des risques inhérents à ces molécules. Le chrome a une toxicité potentielle qui empêche son utilisation au-delà de quelques mois. Quant à la vitamine D, qui a des partisans de poids, elle n’a pas fait la preuve de son efficacité. À ce jour, en l’absence d’essais contrôlés de qualité démontrant l’intérêt des compléments alimentaires — fussent-ils fléchés « diabète » et vecteurs de chrome et/ou de zinc —, seul peut être recommandé un style alimentaire équilibré et diversifié qui dispense de toute complémentation, quelle que soit la tentation attisée par un marketing s’adossant à des données scientifiques parcellaires.
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