Publié le 07 jan 2025Lecture 11 min
Comment prendre en charge une anomalie de mobilité des doigts au cours du diabète ?
Sylvie PICARD*, Dimitar VASILEVSKI**, *Cabinet d’endocrinologie-diabétologie, Point médical, rond-point de la Nation, Dijon **Cabinet de chirurgie orthopédique, Point médical, rond-point de la Nation, Dijon
Nous avons déjà vu dans les articles précédents comment prendre en charge une douleur d’épaule et un syndrome du canal carpien chez une personne vivant avec un diabète (PVD). Nous abordons ici les anomalies de mobilité des doigts chez les PVD.
Importance du problème
Un trouble de la mobilité des doigts est toujours handicapant dans la vie quotidienne, professionnelle et pour les loisirs. Mais chez une PVD traitée par insuline cela peut aussi interférer avec la dextérité et/ou la force nécessaire à l’utilisation d’un stylo à insuline, au remplissage d’un réservoir de pompe ou à la mise en place d’un cathéter ou d’un capteur de glucose. Ces anomalies s’intègrent dans les troubles musculosquelettiques (TMS), particulièrement fréquents au cours du diabète de type 1 (DT1) et qui devraient être recherchés et pris en compte lors du choix d’un modèle de pompe à insuline ou de boucle fermée chez une personne vivant avec un DT1. Dans notre étude dijonnaise, les TMS touchent plus d’une personne sur deux après 20 ans de DT1(1) et ils sont alors multiples dans plus de la moitié des cas. L’étude SFDT1 en cours aidera à préciser la prévalence et les déterminants de ces TMS(2).
Une anomalie de mobilité des doigts chez une PVD peut avoir plusieurs origines :
– doigt à ressaut ;
– maladie de Dupuytren ;
– compression nerveuse avec atteinte motrice ;
– chéiroarthropathie diabétique ;
– pathologie inflammatoire associée (polyarthrite rhumatoïde, autre rhumatisme inflammatoire, etc.).
Nous allons voir comment les différencier cliniquement et la prise en charge à proposer.
Interrogatoire et examen clinique
Il s’agit d’une étape essentielle avec une particularité : souvent, la PVD ne rattache pas ces problèmes au diabète et ne pense même pas à nous en parler. Si nous mettons en évidence des difficultés de mobilité des doigts, il est essentiel d’en préciser la localisation, les douleurs associées et éventuellement un horaire ou des circonstances déclenchantes. Une raideur associée à des douleurs d’allure inflammatoire, à prédominance matinale éventuellement associées à une rougeur et un gonflement articulaire orienteront d’abord vers une polyarthrite rhumatoïde (PR), a fortiori dans un contexte autoimmun de DT1, ou éventuellement vers une autre pathologie inflammatoire (rhumatisme psoriasique, etc.). Des douleurs survenant lors de tentatives d’extension d’un ou plusieurs doigts, associées à une sensation de ressaut – reproductible à l’examen – orienteront vers des doigts à ressaut. En revanche, une flexion irréductible, mais spontanément indolore d’un ou plusieurs doigts, associée à la perception de nodules et/ou de cordes dans la paume de la main signent une maladie de Dupuytren. L’interrogatoire recherchera dans ce cas-là des antécédents de capsulite rétractile de l’épaule, très souvent associée. Cependant, le diagnostic de capsulite rétractile n’aura pas toujours été posé en tant que tel et il faudra rechercher des antécédents de « tendinite » d’épaule – touchant parfois successivement les deux épaules (dans presque la moitié des cas dans notre étude dijonnaise) : fréquemment, la PVD évoquera une « tendinite » qui a duré au moins 1 à 2 ans avec des examens normaux et qui aura éventuellement laissé une diminution plus ou moins importante de mobilité d’épaule.
L’examen clinique devra également rechercher des anomalies neurologiques (troubles de sensibilité, de force musculaire) pour ne pas méconnaître une compression nerveuse à l’origine d’une parésie au niveau du territoire du nerf médian (canal carpien) ou ulnaire (au poignet ou au coude).
Enfin, un diabète ancien et/ou avec un équilibre suboptimal associé à un aspect « cireux » de la main – rappelant ce qu’on voit dans les sclérodermies – devra faire évoquer une chéiroarthropathie diabétique.
Nous allons aborder les différentes pathologies successivement.
Doigts à ressaut
Il s’agit certainement de la cause la plus fréquente d’anomalie de mobilité des doigts au cours du diabète. Cette pathologie compressive des tendons fléchisseurs des doigts touche souvent plusieurs doigts de façon simultanée ou successive et est souvent bilatérale au cours du diabète. La cause est un épaississement des tendons fléchisseurs lié essentiellement à une accumulation de produits avancés de glycation (PAG) dans la gaine du tendon. En raison de cet épaississement, le tendon ne peut plus coulisser normalement sous les poulies – arches aponévrotiques qui guident le tendon lors de la flexion du doigt. La localisation la plus fréquente est la poulie A1 au niveau des articulations métacarpo-phalangiennes (MCP). Le frottement va provoquer une inflammation à l’origine d’un nodule qui va complètement bloquer le coulissement du tendon et sera à l’origine d’un blocage du doigt lors de tentatives d’extension. Ce blocage peut être réduit avec un ressaut douloureux. Au maximum, les doigts atteints peuvent être bloqués en flexion avec même une possibilité de déchirure tendineuse. L’examen clinique retrouve un nodule juste en dessous de la MCP, sur la paume de la main.
Le diagnostic est uniquement clinique, une échographie pouvant être utile pour éliminer un autre diagnostic et/ou rechercher une rupture tendineuse.
Le traitement dépend de la gêne du patient : abstention en cas d’absence de gêne, chirurgie sinon. Les infiltrations de cortisone ne fonctionnent pas, l’épaississement du tendon étant ici la conséquence d’une accumulation de PAG, insensibles à la cortisone ; une étude de 2006 (179 patients avec diabète, 287 doigts) avait ainsi retrouvé un taux de succès des infiltrations de seulement 9 % à 1 an : 1,3 % dans le groupe avec une HbA1c ≥ 8 %, 12,4 % dans le groupe avec une HbA1c < 8 %. De plus, une infiltration de corticoïdes induit un déséquilibre du diabète et risque de fragiliser le tendon, favorisant sa rupture et compliquant ainsi le geste chirurgical ultérieur.
Maladie de Dupuytren
Cette maladie, classiquement considérée comme héréditaire (autosomique dominante à pénétrance variable) de physiopathologie complexe, a été associée aux groupes HLA-DR3 et HLADR4 comme le DT1. Historiquement, elle se caractérise par des anomalies du collagène avec une prolifération de myofibroblastes qui ont la capacité de se contracter en fabriquant de l’actine et d’induire ainsi des rétractions tendineuses. Ce serait la sécrétion de TNF par les macrophages M2 et les cellules mastocytaires qui favoriserait la différenciation et l’activation des myofibroblastes via leur récepteur au TNF et la voie de signalisation Wnt.
Le plus souvent, il n’y a pas de facteur déclenchant, mais parfois un traumatisme ou une chirurgie du membre supérieur (main, poignet) sera suivi du développement rapide d’une maladie de Dupuytren (« flare reaction »).
Certains évoquent comme mécanisme une exagération du processus de cicatrisation, mais il semblerait aussi que l’œdème induit par le traumatisme et/ou la chirurgie puisse être à l’origine de phénomènes ischémiques qui pourraient jouer un rôle important dans l’apparition de la maladie de Dupuytren. D’où la nécessité de ne pas utiliser de garrot pneumatique lors d’une chirurgie de main ou poignet chez une PVD. En effet, 20 minutes d’ischémie suffisent à induire des lésions d’ischémie-reperfusion. Il est essentiel de bien discuter en amont de cet aspect avec le(s) chirurgien(s) orthopédique(s) prenant en charge vos patients.
Cliniquement, la maladie de Dupuytren se manifeste initialement par des nodules qui peuvent rester indéfiniment stables, mais qui peuvent aussi évoluer en formant des « cordes ». Ces cordes, en se rétractant, vont être à l’origine d’un flessum permanent des doigts atteints. L’évolution prend habituellement plusieurs mois ou années, mais peut être très rapide, notamment après un traumatisme et/ou une chirurgie du membre supérieur — « flare reaction » après libération de la poulie A1 d’un doigt à ressaut. Le 4e doigt et le 5e doigt sont les plus fréquemment atteints, mais la maladie peut atteindre tous les doigts, y compris le pouce. Contrairement à la capsulite rétractile de l’épaule, la maladie de Dupuytren n’est généralement pas douloureuse — sauf si on essaye de tirer sur les doigts atteints —, mais elle peut être très handicapante, notamment pour la manipulation d’une pompe, un changement de cathéter ou l’insertion d’un capteur de glucose.
La prise en charge est difficile avec des traitements souvent décevants. La maladie de Dupuytren étant une maladie du tissu conjonctif de la main, même les tissus apparemment sains sont atteints et un geste chirurgical est souvent suivi de récidive, voire d’aggravation en raison de l’œdème induit comme évoqué ci-dessus. Le taux de complications d’un geste chirurgical plus ou moins étendu (fasciectomie totale ou sélective) est élevé avec notamment un risque important de lésions nerveuses ou vasculaires. Il faut donc être peu interventionniste et réserver la chirurgie aux rétractions tendineuses secondaires empêchant de mettre la main à plat sur une table et générant un flessum articulaire de plus de 30 degrés. La seule exception qui amènerait à un geste en dehors d’une rétraction tendineuse handicapante serait la présence de douleurs liées à des racines nerveuses enserrées dans la fibrose. Des gestes plus simples (aponévrotomie à l’aiguille) ont moins de risque de complications, mais sont suivis de récidives dans presque 3 cas sur 4 et avec des résultats encore moins bons chez les sujets jeunes. Le traitement par injection locale de collagénase n’est plus disponible depuis 2019 (retrait de l’AMM européenne en raison de l’efficacité incertaine et du risque élevé de complications graves). La radiothérapie à faible dose s’est avérée utile lors de récidives précoces. En revanche, un essai de phase 2 b mené par l’université d’Oxford apparaît prometteur(3) : l’injection d’un anti-TNF (l’adalimumab en 4 injections à 3 mois d’intervalle) dans des nodules évolutifs, mais à un stade précoce a permis de réduire la taille et la dureté de nodules sans effet secondaire notable.
Notre rôle est donc ici, outre le diagnostic, d’informer les patients, souvent de freiner leur envie de résoudre le problème par une chirurgie et de les orienter vers un chirurgien connaissant bien les particularités des TMS au cours du diabète.
Compressions nerveuses
Le diagnostic de compression nerveuse n’est pas le plus fréquent – et de loin – devant une anomalie de mobilité des doigts, car cela implique un déficit moteur qui survient généralement à un stade tardif et est précédé de signes sensitifs évocateurs amenant heureusement à une prise en charge plus précoce.
Ainsi, une compression du nerf médian au niveau du canal carpien peut, à un stade tardif, entraîner une faiblesse de la pince pouce-index. L’amyotrophie du 1er espace intermétacarpien qui est associée, l’historique des troubles de sensibilité localisés aux trois premiers doigts t la présence d’un signe de Tinel et de Phalen à l’examen permettent un diagnostic aisé qui sera confirmé par l’EMG (voir article sur la prise en charge d’une suspicion de canal carpien publié en ligne le 22 décembre 2022). Le traitement ne peut être que chirurgical à ce stade avec en revanche souvent une persistance de symptômes en post-opératoire en raison de l’ancienneté de la compression nerveuse.
Une compression du nerf ulnaire, généralement au niveau du coude (mais parfois au niveau du poignet au canal de Guyon), va entraîner des troubles sensitifs au niveau du 5e doigt et de la face ulnaire du 4e doigt et une faiblesse de la pince polici-digitale avec un flessum de l’articulation interphalangienne du pouce pour compenser (signe du journal ou signe de Froment). À noter qu’il peut exister une griffe cubitale avec une flexion des interphalangiennes proximales (IPP) des deux derniers doigts. Le diagnostic différentiel avec les troubles de mobilité évoqués plus haut (doigts à ressaut, maladie de Dupuytren) peut être fait par la possibilité d’une extension passive des doigts (impossible dans la maladie de Dupuytren avec rétraction tendineuse) et par l’absence de douleur/ressaut lors des tentatives de mobilisation. Par ailleurs, il existe souvent en cas de paralysie ulnaire une extension des MCP, les fléchisseurs étant innervés par le nerf ulnaire alors que les extenseurs sont innervés par le nerf radial. Là aussi, l’EMG confirmera le diagnostic et permettra de localiser la compression (coude ou poignet). Le traitement consiste généralement en une libération du nerf ulnaire au coude (neurolyse ou transposition) ou au poignet.
Nous évoquerons pour mémoire les paralysies du nerf radial qui surviennent généralement dans un contexte spécifique (compression plus ou moins prolongée du nerf au niveau du bras lors du sommeil = « paralysie du samedi soir » ou « paralysie des fiancés », etc.) avec paralysie des extenseurs de la main et du poignet ainsi que des interosseux (qui permettent l’écartement des doigts). La récupération prend habituellement plusieurs mois avec de la kinésithérapie.
Autres causes d’anomalies de mobilité des doigts au cours du diabète
Il est important de rappeler la possibilité d’observer la présence d’une chéiroarthropathie diabétique (CAD) caractérisée par un flessum permanent et indolore des doigts (signe de la prière) avec un aspect cireux de la peau (comme dans la sclérodermie – mais ici le visage est respecté). Cette CAD résulte d’un épaississement des tissus conjonctifs secondaire à leur glycation, mais également à une ischémie liée à une microangiopathie des tissus cutanés. La CAD est souvent annonciatrice de complications musculosquelettiques (capsulite rétractile, maladie de Dupuytren), mais aussi de complications micro-angiopathiques (rétinopathie) et/ou macro-vasculaires. Elle peut s’accompagner d’un syndrome de Raynaud, voire d’infarctus pulpaires. Elle évolue en 3 stades : stade 1 = atteinte isolée d’un doigt (généralement au niveau de l’interphalangienne proximale = IPP) ; stade 2 = atteinte de 2 doigts ou plus (généralement le 4e doigt et le 5e doigt) ; stade 3 = atteinte des MCP et IPP de tous les doigts et souvent atteinte du poignet et/ou du coude. Le traitement consiste en de la kinésithérapie de mobilisation (et éventuellement des orthèses nocturnes) associée à un contrôle strict de l’équilibre du diabète.
Enfin, des signes inflammatoires avec un gonflement des MCP et/ou du poignet surtout le matin devront faire évoquer une PR : un bilan inflammatoire avec une CRP, mais aussi un dosage d’anticorps anti-peptide citrulliné et du facteur rhumatoïde doit être effectué. En cas de positivité ou de doute sur un autre rhumatisme inflammatoire, un avis rhumatologique doit être demandé.
CONCLUSION
• Nous avons vu que le diabète peut être source de troubles de mobilité des doigts, pathologie complexe et handicapante. Ces troubles sont souvent multiples chez un même individu. Notre étude dijonnaise suggère qu’une survenue plus précoce d’anomalies est associée à un risque plus élevé de TMS multiples et que la survenue de TMS pourrait être associée à un risque plus élevé de complications micro- ou macrovasculaires(1).
• Les TMS touchant la mobilité des doigts vont bien entendu perturber la vie quotidienne (écrire, conduire, cuisiner, manger, porter, etc.), les loisirs (sportifs ou artistiques), la vie professionnelle (travail de force, de précision, sur clavier, etc.), mais aussi les gestes nécessaires à la prise en charge du diabète : insérer un capteur de glucose, manipuler une pompe à insuline, changer un réservoir de pompe ou même faire une injection au stylo ou une glycémie capillaire. Il est essentiel pour nous de savoir reconnaître ces troubles, de faire un examen clinique simple, et si besoin, quelques examens complémentaires pour adresser ensuite la PVD au chirurgien orthopédique ou au rhumatologue.
• Mais il faut aussi savoir freiner les patients en cas de maladie de Dupuytren sans rétraction digitale. Il faut favoriser la chirurgie sans garrot en cas de chirurgie du membre supérieur et donc discuter en amont avec le chirurgien orthopédique. Il faut également bien connaître le maniement des différents matériels (pompes, capteurs) pour choisir avec la PVD le dispositif le plus adapté à sa situation et sensibiliser les fabricants de matériel à ces problèmes pour la conception des différents dispositifs.
• On peut espérer que l’étude SFDT1 en cours aide à cette sensibilisation, mais également permette de mieux connaître les déterminants de ces TMS.
Liens d’intérêts : les auteurs n’ont aucun lien d’intérêt concernant cet article. En dehors, SP est consultante ou rédactrice/ oratrice pour Abbott Diabetes Care, Air Liquide, Asdia, Dexcom, Insulet, Lilly, Medtronic, Novo Nordisk, Orkyn, Roche Diabetes Care, Sanofi, VitalAire ; DV a été orateur pour Lilly.
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