Thérapeutique
Publié le 23 mar 2018Lecture 10 min
La difficile prise en charge de certains patients diabétiques de type 2
Bernard BAUDUCEAU, Lyse BORDIER, Service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé
L’augmentation régulière du nombre de patients diabétiques rend compte du caractère quotidien des problèmes soulevés par leur prise en charge en médecine générale. La question du diabète de type 1, qui touche tout de même près de 200 000 malades, est plus spécifique et relève plus souvent des spécialistes. En revanche, les 3 millions de patients diabétiques de type 2 sont suivis dans plus de 90 % des cas par des médecins généralistes. L’étude Entred, déjà un peu ancienne mais actuellement en voie d’actualisation, a montré que près de la moitié des patients diabétiques de type 2 avaient une HbA1c supérieure à 7 % et n’étaient donc pas aux objectifs(1). Les raisons de ces résultats modestes tiennent aux difficultés de la prise en charge de ces si nombreux patients sans qu’il soit possible ni souhaitable de dissocier les causes imputables au malade, à sa maladie et au soignant. Alors, diabète difficile ou malade difficile ? Les réponses sont multiples et doivent être bien analysées de façon à apporter les solutions qui conviennent.
Les difficultés liées au diabète lui-même
Le diabète de type 2 comporte de multiples facettes et des complications spécifiques qui gênent sa prise en charge et expliquent les difficultés pour parvenir aux différents objectifs thérapeutiques.
Dégradation rapide de l’équilibre glycémique
Cette situation n’est pas très fréquente et peut provenir de plusieurs causes comme un épisode infectieux aigu, une affection intercurrente ou un traitement médicamenteux, et témoigne d’une diminution des réserves pancréatiques et d’une insulinopénie. C’est la raison pour laquelle la recherche d’une pathologie pancréatique, pancréatite chronique ou cancer, par la réalisation d’une imagerie, doit être déclenchée au moindre doute.
Diabète instable
La constatation d’épisodes d’hyper- et d’hypoglycémies sans raison évidente est le fait de patients diabétiques de type 1 ou plus rarement de malades diabétiques de type 2 recevant de l’insuline. La sécrétion résiduelle d’insuline est habituellement très faible, ce qui ne permet plus de compenser la majoration de la variabilité glycémique. La prise en charge est difficile et l’éducation thérapeutique doit s’attacher à vérifier les qualités de l’automesure glycémique et de la technique d’injection ainsi que des modalités de suivi des mesures hygiéno-diététiques. La recherche de lipodystrophies aux points d’injection doit être systématique car elles peuvent expliquer cette instabilité du fait du caractère aléatoire de la résorption de l’insuline. Le recours à un spécialiste est souvent nécessaire dans ce cas de figure et doit prendre en compte des perturbations de la personnalité du malade qui peuvent constituer la cause mais être aussi la conséquence de cette instabilité glycémique.
Nécessité d’une corticothérapie
L’introduction d’une corticothérapie n’est pas une situation exceptionnelle notamment chez les personnes âgées. Ce traitement, lorsqu’il est prolongé, peut altérer gravement l’équilibre glycémique des patients diabétiques de type 2. Le recours à l’insuline est alors fréquemment nécessaire au moins de façon temporaire.
Obésité massive et insulinorésistance
Les glycémies des malades diabétiques obèses sont fréquemment difficiles à équilibrer du fait d’une insulinorésistance amenant, sans succès, à majorer les doses d’insuline. Dans ces circonstances l’ajout un analogue du GLP-1 peut apporter une nette amélioration sur le niveau des glycémies en permettant de diminuer les doses d’insuline et en favorisant la perte de poids.
En cas d’obésité avec un IMC ³ 35 kg/m2, le recours à la chirurgie bariatrique mérite d’être envisagé sous réserve qu’elle soit réalisée par une équipe médico-chirurgicale expérimentée. Cette technique permet, en effet, d’améliorer nettement l’équilibre du diabète, d’obtenir une rémission de la maladie dans un nombre important des cas, qui varie selon la technique utilisée, tout en diminuant la mortalité liée à l’obésité et au diabète.
Complications du diabète
En pratique, ce sont les complications du diabète qui entraînent surtout d’importantes difficultés. En particulier, l’existence d’une insuffisance rénale nécessite une adaptation de la dose des antidiabétiques oraux lorsque le débit de filtration glomérulaire est compris entre 60 et 30 mL/min/1,73 m2 et l’arrêt de la quasi-totalité de ces médicaments, à l’exception de l’insuline en dessous de ce dernier seuil. Le recours à l’insuline est alors indispensable.
La seconde situation d’une grande fréquence est celle d’un patient à haut risque cardiovasculaire chez lequel le risque hypoglycémique est important et doit être maîtrisé. La mise sur le marché de nouvelles classes médicamenteuses, dont la sécurité cardiovasculaire est maintenant avérée, comme les gliptines, et même capables de diminuer l’incidence des événements cardiovasculaires, comme le liraglutide, est un progrès incontestable d’autant qu’ils n’entraînent pas d’hypoglycémies(2,3).
Ce fait a bien été pris en compte dans la nouvelle prise de position de la SFD(4).
Difficultés liées à la situation du patient
Le diabétique est avant tout un patient dans toute sa complexité si bien que de nombreux paramètres interviennent dans la qualité de son équilibre glycémique.
Mauvais suivi des mesures hygiéno-diététiques
Les mesures non médicamenteuses au cours du diabète sont celles, à quelques exceptions près, que l’ensemble de la population devrait observer. Malheureusement, le suivi régulier de ces mesures est difficile si bien que leur efficacité est souvent modeste et fréquemment sous-estimée. Pourtant, une diététique adaptée et le renforcement de l’activité physique constituent le préalable indispensable au traitement des patients diabétiques tout au long de l’évolution de la maladie. La base des recommandations repose sur le caractère équilibré de l’alimentation. La perte de quelques kilos est déjà bénéfique en cas de surpoids, permettant d’améliorer les niveaux glycémique et tensionnel.
Cependant, les mesures déraisonnables ou trop agressives ne peuvent être suivies plus de quelques semaines et aboutissent inévitablement à un rebond puis finalement à une prise de poids. Il est donc capital de définir des objectifs de perte de poids réalistes et individualisés. Cet objectif peut être obtenu en réduisant les apports énergétiques de 15 à 30 % en évitant les sucres rapides et en diminuant la consommation de matières grasses qui comportent une forte charge en calories chez les patients diabétiques en surpoids ou obèses.
La pratique régulière d’une activité physique chez tous les patients diabétiques est un témoin de bonne santé et un facteur d’amélioration de l’insulinorésistance. L’activité physique permet de maintenir la force musculaire, d’entretenir les réflexes et l’équilibre. Enfin, elle préserve l’autonomie et améliore la qualité de vie en proposant une activité de plaisir et en luttant contre la dépression, tout en concourant au bon contrôle glycémique. Ainsi, une baisse de 0,6 % de l’HbA1c peut être obtenue par trois entraînements hebdomadaires d’une durée d’une heure.
Afin de maintenir le suivi de ces mesures hygiéno-diététiques, il est nécessaire d’identifier les besoins, les souhaits et la motivation du patient, d’évaluer ses habitudes alimentaires et son niveau d’activité habituel, de le conseiller de façon adaptée et de l’encourager lors du suivi.
Troubles cognitifs
Le déclin cognitif et les démences sont particulièrement fréquents chez les patients diabétiques âgés en raison de l’amélioration de leur espérance de vie et du rôle de la maladie dans leur apparition. L’importance de ces troubles cognitifs est fréquemment sous-estimée si une recherche systématique n’est pas pratiquée grâce à l’utilisation des tests validés comme le MMSE (Mini Mental State Examination). La maladie d’Alzheimer est la cause la plus habituelle mais les démences vasculaires ne sont pas rares du fait des conséquences de l’atteinte macroangiopathique et de l’implication des hypoglycémies sévères. La présence de troubles cognitifs rend difficile la prise en charge du diabète, ce qui conduit à modifier les objectifs glycémiques et le traitement notamment l’insulinothérapie.
Opposition à l’insuline
L’instauration d’un traitement par insuline chez un patient diabétique de type 2 constitue un moment délicat qui est fréquemment retardé du fait de la réticence du patient mais aussi de l’inertie du médecin qui le suit régulièrement. Cette intensification du traitement est vécue comme un tournant évolutif dans la maladie, si bien qu’elle doit être annoncée et soigneusement préparée afin de faciliter son acceptation. En effet, l’insuline garde une très mauvaise image, comme l’ont montré de nombreuses enquêtes et notamment l’étude multi-nationale Dawn publiée en 2005(5). Toutefois, certains progrès ont été réalisés dans l’acceptation de l’insulinothérapie, probablement en raison de l’amélioration des matériels, de la maniabilité des nouvelles insulines basales et de l’appropriation de ce traitement par les soignants.
Précarité et isolement
Une bonne prise en charge du diabète nécessite des conditions de vie satisfaisantes. Les patients diabétiques sans domicile fixe ou en précarité souffrent particulièrement des carences alimentaires, des difficultés de la vie quotidienne et de l’accès aux soins.
Chez ces patients en grande difficulté, le diabète est souvent méconnu ou n’est plus traité si bien que de graves complications sont constatées dès la première consultation. Les plaies des pieds sont fréquentes en raison du manque d’hygiène et d’un chaussage défectueux, conduisant fréquemment à des amputations.
À la précarité matérielle s’ajoute un déficit affectif, émotionnel et psycho-social. L’isolement social et familial entraîne une grande fragilité qui retentit gravement sur l’état de santé, tout particulièrement chez les patients diabétiques. À ce fait s’ajoutent de fréquentes addictions et un refus des soins qui ne font qu’aggraver des situations déjà très difficiles.
Les conséquences de ces difficultés
Toutes ces difficultés expliquent que la prise en charge de ces patients s’avère complexe et qu’elle doit s’adapter à la présentation du diabète et à la situation du malade. Le risque majeur est celui d’une dégradation de l’observance et de l’inertie thérapeutique.
Mauvaise observance
La qualité de l’observance des mesures hygiéno-diététiques et des traitements est très médiocre dans toutes les maladies chroniques, surtout lorsqu’elles n’entraînent pas de symptômes comme le diabète de type 2. Le diabète ne fait donc pas exception à cette la règle, si bien que les différentes enquêtes chiffrent à près de 50 % la proportion des malades qui ont interrompu leur traitement au bout d’un an. Ce fait est particulièrement évident pour le suivi des mesures hygiéno-diététiques, dont chacun connaît la difficulté d’un suivi sur le long terme.
Inertie thérapeutique
La crainte des hypoglycémies, de la prise de poids, des effets secondaires des médicaments et l’opposition à l’insuline conduisent à un retard dans l’intensification du traitement. Cette inertie thérapeutique provient le plus souvent du malade lui-même mais également des médecins enclins à un certain fatalisme devant des patients qui adhèrent mal aux contraintes de la maladie. Ce type d’inertie doit être distingué du choix délibéré du soignant de ne pas intensifier un traitement en raison de la situation clinique ou sociale du malade.
Les solutions
Surmonter toutes ces difficultés n’est pas chose facile, surtout si le temps fait défaut, notamment en médecine générale. Des repères simples en termes d’objectifs et des moyens disponibles pour y parvenir doivent rester à l’esprit du praticien.
Bien connaître les objectifs qui doivent être individualisées
Les objectifs glycémiques ont été clairement définis par les différentes recommandations et notamment dans la prise de position de la SFD(4). Cependant, la prise en charge des patients diabétiques de type 2 ne doit pas se limiter à la normalisation de la glycémie mais nécessite également d’aboutir à des objectifs de pression artérielle, de niveau de LDL-cholestérol et à l’arrêt du tabac. L’étude STENO 2 montre bien le caractère spectaculaire de ces mesures qui permettent de diminuer les complications et la mortalité de plus de 50 % dans le groupe traité de façon intensive(6). L’Académie de médecine a rappelé ce fait pour ceux qui pouvaient encore en douter(7).
Éducation thérapeutique
L’éducation thérapeutique, impliquant toute l’équipe médicale et paramédicale, est indispensable afin de permettre idéalement l’autonomisation du patient. La HAS a précisé en 2014 dans son Guide du Parcours de Soins du diabète de type 2 de l’adulte, le rôle de chacun ainsi que les étapes nécessaires à la réussite de cette instauration thérapeutique(8).
Entretien motivationnel
Cette approche originale replace le malade au centre de la démarche de soin et permet ainsi d’améliorer la qualité de la prise en charge.
La technique de l’entretien motivationnel se développe et favorise les échanges entre le malade et le soignant. Elle fonctionne sous la forme de questions ouvertes, de renforcement positif ou de reformulation des déclarations du patient diabétique. Les encouragements sur des acquis, même minimes, permettent une progression dans les modifications du mode de vie.
Toutes ces démarches doivent aboutir à une décision médicale partagée qui doit permettre au patient d’améliorer son adhérence aux contraintes de la maladie et du traitement.
Les associations de malades
Les associations de malades jouent un rôle important dans le cadre de l’information des patients et dans l’amélioration de leurs droits auprès des pouvoirs publics. Il ne faut donc pas hésiter à conseiller aux malades de consulter le site l’Association Française des Diabétiques devenue la Fédération Française des Diabétiques et bien entendu d’adhérer à cette association.
Conclusion
Travailler en groupes multidisciplinaires
Pour pallier toutes ces difficultés et mettre en œuvre les solutions, la pratique médicale se heurte au mur du temps disponible.
En effet, outre les compétences requises, l’éducation thérapeutique nécessite un temps qui fait souvent défaut aux médecins généralistes qui suivent la très grande majorité des patients diabétiques de type 2.
C’est la raison pour laquelle un travail en groupe multidisciplinaire associant médecin généraliste, spécialistes, paramédicaux et assistante sociale permet d’améliorer la prise en charge des maladies chroniques et notamment du diabète.
Ce type de fonctionnement se développe après la mise en place de protocoles expérimentaux comme ESPREC (Équipe de soins de premier recours en suivi de cas complexes) ou Asalée (Action de santé libérale en équipe) qui visent à établir une coopération entre les différents intervenants pour améliorer la qualité des soins et le suivi des pathologies chroniques.
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