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Épidémiologie

Publié le 30 nov 2007Lecture 9 min

Le diabète de l’Africain

S. P. CHOUKEM, J.-F. GAUTIER, Hôpital Saint-Louis ; UMRS 872, Centre de recherche biomédicale des Cordeliers

En dehors des formes classiques de diabète sucré, une forme atypique de diabète appelée diabète de type 1B a été décrite chez les personnes d’origine africaine. Cet article répond à des questions essentielles que se posent les médecins à ce sujet.

Qu’appelle-t-on « diabète de l’Africain » ?   « Diabète de l’Africain » est une expression courante utilisée pour désigner le diabète de type 1B. Encore appelé diabète de type 2 cétosique (DT2C), le diabète de type 1B est un phénotype de diabète ayant une présentation clinique semblable à celle du diabète de type 1 à la découverte, mais avec une évolution ultérieure plutôt proche de celle du diabète de type 2 et caractérisée notamment par une forte probabilité de rémission prolongée sans insuline. C’est en 1987 que Winter et coll.1 publient la première description de cette présentation atypique de diabète chez des adolescents afro-américains. Cette forme décrite était caractérisée par une insulinodépendance au moment du diagnostic, qui disparaissait plusieurs mois à années plus tard, une absence d’auto-anticorps contre les îlots de Langerhans et un taux de C peptide intermédiaire entre celui d’un diabétique de type 1 et celui d’un sujet non diabétique. Depuis lors, plusieurs observations similaires ont été faites, majoritairement dans les populations africaines sub-sahariennes et afro-américaines, et plus récemment chez les Asiatiques et les Caucasiens. En réalité, depuis les années 1960 et 1970, des médecins avaient décrit des présentations atypiques de diabète dans des pays africains sub-sahariens notamment au Nigéria, qu’ils avaient appelé « diabète temporaire » ou « diabète rémittent ».   Quelle est sa présentation clinique ?   Le tableau clinique typique du DT2C a été bien décrit chez les sujets africains sub-sahariens et afro-américains. L’âge moyen au diagnostic varie de 35 à 46 ans dans la plupart des séries. Les antécédents familiaux de diabète de type 2 sont retrouvés chez au moins la moitié des patients. Il existe une nette prédominance masculine avec un sex ratio H/F variant de 1,5 à 3. Le début est marqué par une hyperglycémie majeure dépassant habituellement 30 mmol/l avec une cétose importante, voire une acidocétose, le tout dans un contexte de syndrome polyuro-polydipsique d’installation rapide en quelques jours à semaines sans facteur de décompensation. La recherche des anticorps retrouvés habituellement dans le diabète de type 1 est négative. Une amélioration rapide est obtenue par la mise à l’insuline ainsi que la correction des troubles hydro-électrolytiques. Ultérieurement, on observe de fréquentes hypoglycémies malgré la baisse progressive des doses d’insuline jusqu’à l’arrêt, signant l’entrée en rémission. Il s’agit d’une rémission prolongée à différencier de la lune de miel, plus brève, qu’on peut retrouver au début du diabète de type 1. Nous la définissons dans notre groupe comme le maintien d’un taux d’HbA1c ≤ 6,5 % pendant au moins 3 mois sous un antidiabétique oral ou sous régime seul. La durée moyenne de l’insulinothérapie avant la survenue de la rémission est d’environ 14 semaines, et on dispose actuellement d’un recul d’environ 10 ans sur l’histoire naturelle du DT2C. Ainsi, la rémission survient chez 50 à 75 % des patients, et la probabilité de faire des rechutes cétosiques est d’environ 90 % sur 10 ans. La survenue d’une rechute n’est cependant pas synonyme d’insulinorequérence définitive, car un patient peut avoir plusieurs rechutes cétosiques intercalées entre des rémissions.   Quelle est son importance épidémiologique ?   Ce type de diabète a été reconnu seulement récemment par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et l’ADA (Association américaine du diabète) dans la classification internationale de 1997. Il est donc difficile d’avoir des données épidémiologiques fiables, des études n’ayant pas été menées dans ce but. Cependant, le diabète de type 1B est certainement la forme atypique de diabète la plus fréquente en Afrique sub-saharienne, et on estime qu’il pourrait représenter 10 à 16 % des cas de diabètes dans cette partie du monde.   Quelle est sa physiopathologie ?   Des études menées dans les 10 dernières années ont permis de mieux comprendre ses manifestations. L’insulinosécrétion et la sensibilité à l’insuline ont été étudiées à différentes phases d’évolution de la maladie. Au moment du diagnostic, il existe une altération importante de l’insulinosécrétion qui est responsable du tableau clinique. Nous avons montré que la réponse insulinosécrétoire au glucagon est un bon marqueur prédictif de la survenue de la rémission. Quelques semaines à mois après la phase initiale, la survenue de la rémission est contemporaine d’une restauration au moins partielle de la capacité insulinosécrétoire insulaire, que ce soit en réponse au glucagon ou au glucose. Au long cours les patients qui sont en rémission ont une insulinosécrétion quasi superposable à celle des diabétiques de type 2 classiques, alors que ceux qui restent insulinorequérants sont intermédiaires entre type 1 et type 22. L’altération de la sensibilité à l’insuline ne joue pas un rôle déterminant dans le phénotype. L’insulinorésistance initiale en partie réversible, décrite dans les séries parisienne et américaine serait liée au déséquilibre métabolique et à la surcharge pondérale.     Bien qu’une plus grande fréquence du HLA DR3 et DR4 ait été décrite dans la cohorte new-yorkaise de 21 patients (65 % vs 30 % chez les témoins), nous n’avons pas retrouvé cette d’association dans notre cohorte, suggérant que les allèles HLA de classe II ne jouent pas un rôle majeur. La physiopathologie du DT2C se résume donc ainsi : - un déficit insulinosécrétoire au moment du diagnostic, qui s’améliore avec la correction de l’hyperglycémie, mais l’insulinosécrétion reste inférieure à celle des témoins normoglycémiques ; - une insulinosécrétion au long cours superposable à celle des diabétiques de type 2 classiques pour ceux qui sont en rémission, et intermédiaire entre celle d’un diabétique de type 1 et celle d’un diabétique de type 2 pour ceux qui restent insulinorequérants.   Quelle en est la cause ?   La cause exacte du DT2C n’est pas connue. La première hypothèse étiopathogénique évoquée a été celle de la glucotoxicité, cela d’autant plus que les patients concernés par le DT2C sont très souvent en situation sociale précaire et consulteraient tardivement, et/ou se réhydrateraient au cours du syndrome polyuro-polydipsique avec des boissons sucrées. La glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) est une enzyme ubiquitaire jouant un rôle clé dans la lutte contre le stress oxydant et qui pourrait être impliquée dans les phénomènes de glucotoxicité, car elle permet de régénérer la forme réduite du nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (NADPH), principal réducteur de l’organisme. Vingt pour cent de la population en Afrique sub-saharienne a un déficit en G6PD, lié à une mutation majeure du gène, appelée variant A-. Dans notre cohorte de patients, nous avons retrouvé une prévalence du déficit en G6PD de 42,3 %, comparativement à 16,9 % chez les DT2 classiques et 16,4 % chez les témoins normoglycémiques ; nous avons aussi noté une corrélation positive entre l’activité G6PD érythrocytaire et l’insulinosécrétion. Alors que le déficit était lié au variant A- chez les DT2 et les témoins, seulement la moitié des DT2C déficitaires avaient la mutation, suggérant qu’un facteur régulateur de ce gène pourrait intervenir3. D’autres facteurs génétiques impliqués dans le développement ou la fonction de la cellule bêta ont été étudiés. Une faible association a été rapportée avec le variant Gly574Ser du gène HNF-1α, mais nous ne l’avons pas retrouvé dans notre cohorte. Nous avons aussi identifié une mutation homozygote Arg133Trp du gène de PAX4 chez 4 patients DT2C (4 %), qui n’existait pas chez les DT2, suggérant que les variations de ce gène pourraient jouer un rôle mineur. En définitive une éventuelle cause génétique au DT2C reste à identifier.   Quels sont les principaux diagnostics différentiels ?   Le diagnostic différentiel doit être fait avec toutes les formes de diabète à révélation aiguë cétosique pouvant survenir chez l’adulte : – diabète de type 1 auto-immun survenant chez l’adulte jeune : la recherche des anticorps est positive ; – diabète de type 1 lent (LADA) : la recherche des anticorps anti-GAD est positive ; – décompensation cétosique d’un diabète de type 2 avec un facteur déclenchant évident tel qu’une infection, une corticothérapie ou toute autre affection intercurrente : la clinique et les investigations paracliniques permettent d’exclure le DT2C ; – diabète cortico-induit ; – diabète sur pancréatopathie : existence d’autres signes de pancréatopathie (examens d’imagerie évocateurs) ; – certains diabètes monogéniques qui touchent l’insulinosécrétion : MODY 3 (HNF-1α), diabète mitochondrial. De quel type de diabète s’agit-il ?   Du fait du tableau clinique mixte du DT2C, de nombreuses dénominations lui ont été attribuées : diabète de type 1.5, diabète atypique, diabète phasique, ou encore diabète Flatbush. L’ADA et l’OMS l’ont classé comme diabète de type 1 idiopathique ou diabète de type 1B et l’OMS a, en plus, distingué deux formes de diabète de type 1 idiopathique, l’une étant similaire au diabète de type 1 à l’exception de l’auto-immunité contre les cellules β, l’autre étant caractérisé par une insulinodépendance phasique. Les études publiées ont fourni des arguments montrant que ce phénotype est plutôt une forme de diabète de type 2, d’où des appels récents à une révision de la classification du diabète. L’appellation diabète de type 2 (à tendance) cétosique est actuellement la plus utilisée. En réalité, le phénotype peut être divisé en deux sous-groupes différents : – le premier qui représente la grande majorité, constitué de patients qui entrent en rémission et qui sont donc les véritables DT2C ; – le second chez des patients qui n’ont aucune tendance à la rémission et qui restent donc insulinorequérants, et qu’il convient d’appeler diabète de type 1 idiopathique. Les premiers ont tendance à être plus âgés et/ou plus obèses.    Comment le prendre en charge ?   La prise en charge du DT2C va varier en fonction de la phase de l’évolution clinique où se trouve le patient.   Au moment de la découverte ou des rechutes cétosiques Il faut instituer urgemment une insulinothérapie et assurer une correction des troubles hydroélectrolytiques, comme dans la prise en charge de toute urgence hyperglycémique. Comme dans toute cétose, une anamnèse, un examen clinique approfondi et un bilan paraclinique permettent d’exclure un facteur de décompensation et d’éliminer les principaux diagnostics différentiels, sans oublier une radiographie de l’abdomen sans préparation à la recherche de calcifications pancréatiques. La recherche d’autoanticorps contre les cellules bêta permet de faire le diagnostic différentiel avec un diabète de type 1 auto-immun ou un diabète de type LADA. La réalisation d’un test au glucagon à cette étape pourrait avoir un intérêt pronostique quant à la survenue d’une rémission. L’éducation doit être axée sur l’autosurveillance, l’autocontrôle, les risques élevés d’hypoglycémie, et les modalités de resucrage.   Dans les semaines qui suivent la sortie de l’hôpital Les consultations doivent être assez rapprochées pour ajuster progressivement les doses d’insuline. Nous pratiquons couramment l’ajustement par téléphone entre les consultations. L’adjonction de la metformine chez les patients en surpoids ou obèses peut avoir un intérêt. L’arrêt de l’insuline n’est à envisager que lorsque le taux d’HbA1c est < 6,5 %.   Pendant la rémission Le patient devrait être avisé des risques de rechute. Le traitement doit comporter les mesures hygiénodiététiques seules ou avec des antidiabétiques oraux. Il a été montré que le maintien des sulfamides pourrait diminuer le risque de rechute. L’évaluation des autres antidiabétiques oraux est en cours.   En conclusion   Le diabète de type 2 cétosique est décrit majoritairement chez des personnes d’origine africaine sub-saharienne, mais il existe aussi dans d’autres populations. Il est important de souligner que tous les diabétiques adultes noirs n’ont pas le « diabète de l’Africain ». Il s’agit de cas particuliers répondant à des critères rigoureux bien précis qui ont une incidence certaine sur la prise en charge. Sa particularité tient du fait qu’il rassemble en même temps des caractéristiques du diabète de type 1 et de type 2, et de la possibilité de rémissions prolongées. La fonction insulinosécrétoire des cellules bêta détermine les différentes phases de la maladie, et sa cause n’est pas encore connue. Au moment de la découverte et des rechutes cétosiques, sa prise en charge doit être celle d’un diabète de type 1, et au cours de la rémission celle d’un diabète de type 2 bien équilibré.

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