Publié le 31 jan 2012Lecture 6 min
Forum diabète 2011
M. DEKER
Au cours de ce rendez-vous annuel organisé par Merck Serono autour de l’éducation thérapeutique, Serge Tisseron (psychiatre, Paris) et Bernard Vialette (diabétologue, Marseille) se sont penchés sur l’empathie et les situations où le médecin se sent en échec dans l’éducation qu’il a pu donner à son patient.
Comment se construit l’empathie ?
Dans la relation qui unit le diabétique à son praticien, l’empathie, aptitude complexe qui véhicule la compréhension de l’autre, tient une place importante. Que savons-nous de l’empathie ?
Les recherches éthologiques ont montré qu’elle s’appuie chronologiquement sur une imitation motrice, puis émotionnelle, puis verbale. Vers l’âge de 2 ans, la reconnaissance par l’enfant de son apparence dans le miroir ouvre la voie à l’empathie altruiste. L’empathie cognitive peut se développer dès lors que le bébé commence à comprendre que les autres ont leurs propres états mentaux. Vers l’âge de 4 ans et demi, l’enfant comprend la différence entre son expérience du monde et celle des autres.
L’empathie doit être distinguée de la sympathie qui marque une tendance à adhérer aux émotions et aux valeurs de l’autre, de la compassion, qui met l’accent sur la souffrance et est inséparable de l’idée d’une victime dont on prend la défense, et de l’identification.
Serge Tisseron distingue trois étages à l’empathie : l’empathie directe, l’empathie réciproque (traiter l’autre comme soi-même) et l’empathie « extimisante ». L’extimité est un processus par lequel chacun montre des fragments de son intimité à des personnes choisies afin d’en faire connaître la valeur et de pouvoir se les réapproprier (figure).
Le monde moderne porte un certain nombre de menaces sur l’empathie. L’envahissement de notre quotidien par les médias numériques peut choquer l’intimité et provoquer un retrait émotionnel ; les nouvelles technologies modifient les conditions de l’empathie et peuvent ainsi créer l’impression d’être contrôlé par les autres, voire d’être considéré comme un objet. Dans le cadre socio-professionnel, tout ce qui augmente l’insécurité favorise une tendance à diminuer l’empathie à l’égard de ceux qui sont proches de nous.
Les dispositions personnelles influent aussi sur la capacité d’empathie. Ainsi, faire confiance à l’autre, c’est accepter le risque d’être manipulé ; à l’inverse, le désir d’emprise, donc de tout contrôler, s’oppose à l’empathie.
Dans la relation médecin-malade, le premier doit se garder de travestir son désir de compréhension de l’autre en compassion, au risque d’éprouver le sentiment de n’en faire jamais assez. Pour construire l’empathie avec un patient, il faut permettre à ce dernier de se créer un espace de sécurité, plutôt faire référence à une situation collective afin qu’il ait l’impression de ne pas être seul, et accepter de dire des banalités.
Toute relation est écartelée entre le désir d’emprise et le désir de réciprocité. L’empathie privilégie la réciprocité, renforce l’estime de soi et la confiance que les autres portent au thérapeute. C’est une construction mutuelle et réciproque.
Figure. Les 3 étages de l’empathie (S. Tisseron).
Quand le médecin se sent en échec
Le métier d’éducateur existe depuis longtemps en diabétologie. Ce terme est toutefois peu approprié car mal adapté à des sujets adultes et parce qu’il recouvre la passation d’un savoir et l’apprentissage de comportements. En effet, dans le métier de soignant, il s’agit de fournir au patient des connaissances et des savoir-faire, de le responsabiliser, de lui fournir une motivation, de le sécuriser, en conciliant la vie quotidienne avec les contraintes du traitement et en assurant le contrôle des risques (hypoglycémie, complications, etc.), et de lui permettre de réaliser ses désirs.
En pratique, cette éducation thérapeutique mal nommée a toutefois fait la preuve d’une efficacité, certes modeste, sur l’HbA1c, mais d’autant plus médiocre que le nombre de patients à en bénéficier est important, ce qui signifie que la pratique de routine donne de moins bons résultats que les études expérimentales, et que le temps passe. Les mots des patients traduisent ces échecs.
« Je ne sais pas »
Ces patients ont sans doute reçu des informations trop parcellaires, trop rapides ou, au contraire, beaucoup trop denses pour qu’ils les aient intégrées.
« Je ne sais plus »
À cet égard, il faut se souvenir que les connaissances ne perdurent pas aussi longtemps que l’on pourrait le croire et elles changent, en diabétologie comme ailleurs. Le savoir s’use si on ne l’utilise pas : tel ce patient diabétique de type 1 qui ne sait pas gérer au bout de 20 ans un épisode d’acidocétose, faute d’avoir été confronté à ce type d’événement, ce qui montre bien qu’il faut sans cesse revenir sur les messages éducatifs. De nouveaux risques apparaissent, certaines contraintes deviennent inutiles...
« Je ne sais pas mais je doute »
Le premier doute est celui de la médecine, et nous vivons dans une société où l’exemple prend le dessus sur la preuve, autrement dit la raison. La médecine vit sous l’impératif de dogmes, qui changent profondément d’une époque à l’autre. Le patient est confronté à des extrêmes : entre un message stigmatisant les complications du diabète et celui du médecin qui exhorte son patient à contrôler sa maladie pour éviter ces mêmes complications, il ne retiendra que le premier. Le discours médical fondé sur les preuves fournit un raisonnement probabiliste qu’il est difficile d’appliquer en pratique quotidienne, d’autant que le patient ne se sent pas concerné par un risque statistique. Confronté à une situation difficile, le malade ajourne sa décision. Il faut donc que le médecin délivre des messages simples, multiplie les exercices, laisse la possibilité d’un recours au soignant, profite des erreurs du malade pour les analyser afin qu’elles ne se reproduisent pas, ne les dramatise pas.
« Je sais mais je doute de moi »
Cette attitude conduit à simplifier les messages à l’extrême, à multiplier les investigations.
« Je sais bien mais à quoi bon ! »
Le médecin participe à ce fatalisme à chaque fois qu’il fait peur au malade, notamment quant aux complications. Pour pallier ce risque de fatalisme, il doit donner une image positive de la surveillance diabétologique. Chaque dépistage donne lieu à une action et à une éducation.
« Je sais bien mais j’ai d’autres priorités »
C’est typiquement le cas de l’adolescent, pour lequel se construire est la priorité, pas le diabète ; de la femme qui sous-optimise son traitement insulinique parce qu’elle refuse de grossir ; des personnes qui se surinvestissent dans le sport ou leur activité professionnelle et dénient leur diabète.
« Je sais bien mais j’ai d’autres temporalités »
L’éducation convient surtout à l’inquiet, à l’obsessionnel, qui est capable de se projeter dans le futur, alors que l’impatient, pour lequel c’est le temps présent qui compte, sera sourd au discours éducatif sur la prévention.
« Je sais bien mais quand même »
Le cas typique est celui du jeune diabétique qui ne fait pas ses injections d’insuline rapide au repas, tout en sachant qu’il devrait le faire. Cette attitude ressort de la pensée magique et traduit une fuite devant l’intolérable, ici le diabète. Durant tout le temps où le patient ne fait pas son injection, il « n’est pas » diabétique ; cette pensée magique, sorte de réinitialisation d’une crédulité infantile, de toute puissance de la volonté, est capable d’apaiser l’angoisse de l’intolérable. Dans ce genre de situation, l’appel à la raison est inefficace et culpabilisant. Le mieux est de procéder par empathie, avec patience, et de négocier avec le patient des objectifs plus faciles à atteindre qui permettront de le valoriser par la réussite, de multiplier les intervenants et de faire intervenir des pairs, tels les patients ressources.
Au final, les soignants devraient se poser ces deux questions : L’autonomisation des malades diabétiques que chacun souhaite ne ramène-t-elle pas le patient à sa maladie ? Être un bon malade est-ce une ambition souhaitable ?
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