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Diabète de type 2

Publié le 25 oct 2024Lecture 10 min

Le fardeau sanitaire, économique et humain du diabète de type 2

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg

Le fardeau des maladies non transmissibles pèse à présent davantage sur la santé publique des États et des territoires que les maladies infectieuses. Il s’agit de maladies chroniques souvent silencieuses dont l’évolution naturelle peut être infléchie en maîtrisant les facteurs de risque, en modifiant le mode de vie et en ayant recours aux traitements pharmacologiques. Véritable porte-drapeau des maladies chroniques, le diabète qui frappe sans distinction de pays, de tranche d’âge ou de sexe, est l’une des principales causes de décès et d’invalidité dans le monde. Dans la Global Burden of Disease (GBD) (encadré), seul le fardeau du diabète a progressé de façon nette en termes de mortalité et d’incapacité au cours des dernières décennies(1,2).

  Le fardeau du diabète dans le monde : un constat impressionnant, un futur inquiétant   La GBD fournit des estimations sur la prévalence et sur la mortalité liée au DT1 et au DT2, ainsi que sur les années de vie perdues, les années vécues avec un handicap et les années de vie ajustées sur l’incapacité (DALY) stratifiés par segments géographiques et démographiques. Autant de paramètres contribuant à définir le fardeau du diabète au niveau mondial et dans de nombreux pays. En 2021, environ 529 millions de personnes (IC95% : 500 à 564 millions) vivaient avec un diabète dans le monde, la prévalence mondiale standardisée selon l’âge étant de 6,1 %. Les taux les plus élevés ont été observés en Océanie (12,3 %, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (9,3 %). Le Qatar détient le record de la prévalence la plus élevée au monde chez les personnes âgées (76,1 %). À l’échelle mondiale, il y a eu 79,2 millions de DALY, dont 95,0 % des DALY liés au DT2 avec un taux global de 915,0/100 000 (figure 1). Figure 1. Taux de prévalence totale du diabète standardisés selon l’âge en 2021.   La prévalence totale du diabète est plus élevée chez les hommes que chez les femmes (6,5 % vs 5,8 %) avec d’importantes disparités géographiques. La prévalence mondiale du diabète a culminé à 24,4 % entre 75 et 79 ans, sachant que la prévalence totale du diabète dépasse 20 % dans chaque tranche d’âge entre 65 et 95 ans alors qu’elle est < 1 % avant 20 ans.   Facteurs de risque attribuables : l’IMC loin devant ! Le DT2 représente 96,0 % des cas de diabète et 95,4 % des DALY liées au diabète. L’ensemble des facteurs de risque attribuables regroupés en 6 catégories — environnementaux ou professionnels, tabagisme, consommation élevée d’alcool, IMC élevé, habitudes alimentaires à risque et faible activité physique — sont associés au DT2 alors que la température de l’air trop élevée ou trop basse est le seul facteur de risque associé au DT1. Globalement, 52,2 % des diabètes sont imputables à un IMC élevé. Cette contribution de l’IMC > 25 kg/m2 s’est accrue de près de 25 % au cours des trente dernières années. Les risques alimentaires (25,7 %), les risques environnementaux ou professionnels (19,6 %), le tabagisme (12,1 %) et une faible activité physique (7,4 %) complètent le contingent des facteurs de risque du DT2. La projection de ces données fait craindre qu’en 2050 plus de 1,3 milliard de personnes soient susceptibles d’être diabétiques et que le taux dépassera 10 % dans 89 pays. Ces estimations et la quantification de la part du fardeau du diabète attribuable à des facteurs de risque modifiables sont essentielles pour développer une stratégie de dépistage et de prévention. À l’échelle mondiale, il y a eu 79,2 millions de DALY, dont 95,0 % des DALY liés au DT2 avec un taux global de 915,0/100 000.   Le fardeau du diabète en France   La France n’est pas en reste dans la GBD bien qu’à un niveau plus modeste, comparable à la plupart des pays d’Europe occidentale. Le décompte des DALY était de 426 000 avec une variation de 90,3 % entre 1990 et 2020. En 2021, le taux standardisé selon l’âge était de 351/100 000 avec une progression de 25 % durant la période d’observation. La prévalence de tous les diabètes a progressé de façon inquiétante au cours des dernières décennies tant pour le DT1 que pour le DT2. Comme dans d’autres pays d’Europe occidentale et aux États-Unis, la prévalence globale estimée en 2022 reste relativement stable au cours de la dernière décennie, mais le nombre absolu de personnes atteintes de diabète a augmenté. Le décompte des DALY était de 426 000 avec une variation de 90,3 % entre 1990 et 2020 (tableau).   La prévalence des diabètes traités pharmacologiquement est de 5,3 % avec des disparités territoriales notables. La fréquence est plus élevée dans les Hauts-de-France et le Grand Est et plus encore dans les territoires ultramarins alors que l’Ouest et le Sud-Ouest sont relativement préservés (taux < 4 %). Dans plus de 90 % des cas, il s’agit d’un diabète de type 2. Par ailleurs, 1,2 % des sujets âgés de 18 à 74 ans avaient un diabète non traité pharmacologiquement et 1,7 % avait un diabète méconnu, dans l’étude Esteban (Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition) effectuée en 2014-2016 en Métropole(3). À l’exception d’une modeste diminution des hospitalisations pour AVC et plaies du pied, la prévalence des complications est restée stable depuis deux décennies. Après une forte progression, l’incidence de l’insuffisance rénale terminale, des infarctus transmuraux et des amputations des membres inférieurs semble marquer le pas après une forte progression, mais l’inégalité territoriale reste flagrante et pose le problème de la vulnérabilité aux déterminants et de l’inégalité de l’accès aux soins (figure 2). Figure 2. Disparité territoriale du taux d’amputation en France (données de Santé publique France GEODES 2020).   Diabète de type 1 Alors que l’incidence du DT2 — mais non la prévalence compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie — diminue modérément, celle du DT1 augmente d’environ 4 % par an chez l’enfant avec un taux d’incidence national de 19,5 pour 100 000 sur la période 2015-2017 contre 18,0 en 2013-2015. Là encore, des disparités régionales sont remarquables. Les taux d’incidence les plus élevés sont notés en Martinique, en Occitanie et en région PACA et les taux les plus faibles en Guyane, en Guadeloupe, à La Réunion, dans les Pays de la Loire, en Normandie et en Nouvelle-Aquitaine.   Le fardeau des complications ENTRED 3, lancé en 2019 par Santé publique France, 3e volet d’une étude effectuée successivement en 2001 et 2007 qui a décrit les caractéristiques de vie et de santé de 9 072 personnes (≥ 18 ans), traitées pharmacologiquement pour un diabète, tirées au sort à partir des bases de l’assurance maladie, complète ces données. Par rapport aux précédentes, cette nouvelle enquête ENTRED met en évidence un vieillissement de la population DT2 et une ancienneté du diabète en progression de 2 ans, probablement en lien avec l’augmentation de l’espérance de vie et la tendance à la baisse de l’incidence du DT2 observée dans d’autres études. Certains facteurs de risque restent à un niveau élevé dans le DT2 : surpoids et obésité (80 %), HTA traitée (77 %), dyslipidémie traitée (63 %), tabagisme (13 %) et HbA1c > 8 % (17 %). Le DT1 se singularise par une prévalence élevée du surpoids ou de l’obésité (50 %) ou du tabagisme (25 %) bien que le contexte socio-économique des sujets DT1 soit plus favorable que celui des sujets DT2. Sans surprise, les complications macrovasculaires étaient plus fréquemment auto-déclarées par les personnes DT2 que DT1 : complication coronarienne (18,6 vs 11,5 %), AVC (7,8 vs 3,3 %). En revanche, les complications microvasculaires étaient plus fréquentes dans le DT1 : perte de la vision d’un œil (3,7 vs 3,2 %) et mal perforant plantaire actif ou ancien (12,9 vs 6,7 %). Toutefois, les complications auto-déclarées coronariennes (-2,4 %) et podologiques (-3,4 %) sont à la baisse dans la population d’ENTRED 3(4).   Le fardeau financier En 2022, le fardeau économique du diabète aux États-Unis est de 412,9 milliards de dollars. Le coût des frais médicaux directs est de 306,6 milliards de dollars et de 106,3 milliards de dollars en coûts indirects. En moyenne, les personnes atteintes de diabète engagent des dépenses médicales annuelles de 19 736 dollars, dont environ 12 022 dollars sont attribuables au diabète. Les dépenses médicales des personnes diabétiques sont 2,6 fois supérieures à celles des sujets non-diabétiques. Toutefois, les médicaments hypoglycémiants ne constituent que 17 % du total des coûts médicaux directs attribuables au diabète. Les coûts indirects sont liés à l’incapacité professionnelle (28,3 milliards de dollars), à l’absentéisme (35,8 milliards de dollars) et aux décès prématurés (32,4 milliards). L’estimation de l’augmentation des coûts médicaux directs corrigés de l’inflation a été de 7 % par rapport à 2017 et de 35 % par rapport à 2012 en raison principalement de l’augmentation du nombre absolu de personnes diabétiques(5) (figure 3). Figure 3. Part attribuable au diabète en % des dépenses de santé dans différents domaines pathologiques et médecine générale aux États-Unis(5).   Données françaises En France, les données disponibles sont relativement anciennes et ne tiennent guère compte des nouvelles procédures d’administration de l’insuline ou de la plupart des molécules hypoglycémiantes récentes (agonistes retards des récepteurs du GLP-1). Dans une étude menée à partir de sources hétérogènes (analyse de 213 publications indexées et non indexées, données et rapports des gouvernements et des sociétés professionnelles, communications d’experts de l’Assistance publique de Paris) portant sur la période 2000-2010, le coût du diabète traité pharmacologiquement s’est élevé à 17,7 milliards d’euros, dont environ 2,5 milliards d’euros liés directement au traitement du diabète et 4,2 milliards d’euros pour le traitement des complications du diabète. En 2007, le coût annuel moyen pris en charge par l’assurance maladie était de 6 930 euros pour les patients DT1 et de 4 890 euros pour les patients DT2(6). À partir de l’Échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) de l’assurance maladie comportant environ 600 000 individus, dont 30 155 diabétiques (28 708 DT2), le coût annuel des soins a été estimé à 6 506 euros dans le DT2 contre 3 668 euros chez les sujets non-diabétiques, soit un gradient de consommation supplémentaire de 2 837 euros. Chez les sujets DT2 traités par insuline, le coût annuel était de 12 890 euros contre 4 867 euros chez les sujets non insulino-dépendants. En 2013, le fardeau collectif du DT2 pouvait être estimé à 8,5 milliards d’euros, soit 5 % de la consommation de soins et biens médicaux en France(7). Dans une autre étude économique portant sur les 59 millions de personnes assurées sociales, les médicaments antidiabétiques représentaient une dépense d’environ 1,1 milliard d’euros, soit 49 % de l’ensemble des dépenses spécifiques au diabète(8). Ces chiffres, d’interprétation difficile compte tenu des méthodes différentes de recueil des données et de l’ancienneté de certaines, démontrent que le diabète constitue un fardeau économique considérable qui pèse sur la société par le biais de coûts directs et indirects.   Le fardeau humain   La « détresse liée au diabète » est inhérente à l’expérience quotidienne de vie avec un diabète et traduit une mauvaise qualité de vie. Dans une méta-analyse, elle est retrouvée chez 36 % des sujets DT2, plus particulièrement chez des sujets en manque de réseau social ou de soutien familial(9). Elle est liée à des émotions alimentées par un sentiment d’impuissance et d’épuisement, l’inquiétude de l’avenir et, parfois, la peur de l’hypoglycémie. Elle peut se manifester par des signes de dépression et d’anxiété. L’annonce du diagnostic de la maladie diabétique est souvent suivie d’une réaction négative faite d’anxiété, d’inquiétude, d’incrédulité voire de révolte dont la persistance peut altérer l’adhésion au traitement et majorer le fardeau. L’empathie des soignants et une information éclairée permettent d’alléger la perception d’un fardeau d’autant plus difficile à formaliser que nombre de sujets s’estiment en bonne santé au moment du diagnostic alors même que le diabète a une connotation de maladie grave imposant un traitement contraignant. La modification des habitudes alimentaires, les répercussions sur la vie sociale ou sur la pratique d’une activité ludique ou physique sont des entraves relatives qui s’accentuent avec l’ancienneté du diabète et la survenue de complications(10). L’entourage familial allège le fardeau personnel en partageant l’émotion et les contraintes liées à la maladie diabétique. Le périmètre de son action est mal défini et très variable selon qu’il s’agit d’un DT1 ou d’un DT2, d’un enfant, d’un adolescent ou d’une personne fragile. Il intervient peu ou prou dans l’observance médicamenteuse et participe à la gestion de l’alimentation. Soutien plutôt que protecteur, il doit être respectueux de l’autonomie du patient tout en étant le catalyseur de l’alliance thérapeutique avec les soignants. L’empathie de l’entourage atténue la charge émotionnelle du patient. Le plus souvent l’entourage tente d’adapter ses habitudes de vie sans que cela modifie ses relations à l’égard du patient diabétique. Le poids du fardeau partagé entre le patient et son entourage a été mis en lumière dans l’étude DAWN2(11).   CONCLUSION   Soignants, autorités de santé et patients (et leur entourage) ont pris conscience que le diabète représente une menace sanitaire majeure en France comme ailleurs, à tel point que l’OMS en a fait l’une des trois maladies cibles de son plan d’action mondial pour la prévention et le contrôle des maladies non transmissibles avec l’objectif de réduire d’un tiers les taux de décès prématurés liés au diabète. La lutte contre cette pandémie mondiale, qu’il serait préférable de qualifier de syndémie compte tenu de l’intrication des facteurs de risque, des comorbidités et des complications, passe par une politique de santé publique globale de longue haleine. Le coût global du diabète justifie amplement le déploiement de programmes de santé publique ambitieux qui visent : à réduire l’incidence du DT2 par la promotion de modes de vie améliorés, à prévenir les complications diabétiques par le développement de l’éducation thérapeutique et l’application stricte des recommandations, à développer des structures de prise en charge des patients diabétiques moins coûteuses pour la collectivité. Cet ensemble de mesures déclinées à l’échelle nationale et mondiale offre un espoir raisonnable d’alléger le fardeau du diabète(2). Absence de conflit d’intérêts avec la teneur de ce texte.

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