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Grossesse

Publié le 09 sep 2024Lecture 9 min

Insulinothérapie délivrée par boucle fermée hybride, une révolution !

Christelle LANGBOUR-REMY, service d’endocrinologie-diabétologie-nutrition, maternité régionale universitaire, CHRU de Nancy

La grossesse chez la patiente diabétique de type 1 est considérée comme une grossesse à risque compte tenu des conséquences de l’hyperglycémie chronique sur le développement embryonnaire puis fœtal, le déroulement global de la grossesse et l’adaptation néonatale. La maîtrise de cette hyperglycémie est donc un enjeu majeur, ceci dès la période préconceptionnelle.

Les progrès considérables réalisés dans la gestion de l’insulinothérapie et la surveillance glycémique ont permis d’améliorer l’équilibre glycémique et de se rapprocher des objectifs fixés spécifiquement dans ce contexte sans les atteindre et sans toutefois permettre de rapporter les complications obstétricales au même niveau que dans la population générale. L’avènement en routine, depuis un peu plus de deux ans, de l’insulinothérapie délivrée par boucle fermée hybride améliore l’équilibre global des patientes diabétiques de type 1 (DT1) ainsi que leur confort de vie hors grossesse. Sa mise en œuvre dans ce contexte spécifique de la vie est un réel enjeu afin de réduire les complications obstétricales et néonatales.   Caractéristiques et devenir des patientes diabétiques de type 1 au cours de la grossesse   Les grossesses chez les patientes diabétiques, notamment de type 1, restent sur-incidentes, comme en témoigne l’étude de cohorte anglaise menée entre 2014 et 2018, portant sur 8 690 patientes (DT1)(1). Le taux de malformations congénitales atteint 4,5 %, celui de prématurité 42,5 % et d’excès de croissance pour l’âge gestationnel 52 %. Fait préoccupant, l’hémoglobine glyquée de départ reste très supérieure à l’objectif fixé, en moyenne à 7,6 % (6,2-10,2) suggérant une préparation et une anticipation de ces grossesses très insuffisantes. L’analyse de ces grossesses a confirmé qu’il y avait une relation linéaire entre le niveau d’hémoglobine glyquée périconceptionnel et le risque de complications telles que les malformations congénitales et la mortalité périnatale. La grossesse chez la femme DT1 reste donc une grossesse à risque, nécessitant une correction soigneuse et constante de l’hyperglycémie. Ce dernier point doit tenir compte de l’influence de l’environnement hormonal évolutif de la grossesse et de façon globale de l’impact constant de celle-ci sur l’équilibre glycémique. Différentes spécificités sont dorénavant bien identifiées, notamment dans leur temporalité (encadré 1).   Afin de limiter les conséquences de l’hyperglycémie pendant la grossesse, des objectifs spécifiques sont mis en place en période préconceptionnelle et gravidique. Il est considéré que le risque de malformation, de prématurité et mort fœtale in utero est limité pour un objectif d’hémoglobine glyquée inférieur à 6,5 % au moment de la conception et en deçà de 6 % avec l’avancée de la grossesse. L’avènement de la mesure continue du glucose (MCG) interstitiel et les résultats favorables en termes d’amélioration de l’équilibre glycémique, y compris durant la grossesse, ont conduit à définir des objectifs glycémiques à atteindre avec ces dispositifs spécifiquement (tableau 1).   Boucle fermée hybride : fonctionnement et intérêt dans la grossesse   Le traitement par insulinothérapie semi-automatisée par boucle fermée hybride requiert trois composants, quel que soit le dispositif utilisé par la patiente : – un capteur de mesure continue du glucose interstitiel ; – un algorithme intégrant les données glycémiques et contrôlant la délivrance d’insuline en fonction de différents paramètres renseignés, tels que notamment la cible glycémique, la durée d’insuline active, les ratios insuline/glucose, etc. (figure 2) ; – une pompe à insuline dont le fonctionnement, en mode boucle fermée, est soumis à l’algorithme. Avant de préciser le fonctionnement de la boucle fermée hybride, il paraît nécessaire de préciser le rôle crucial de la mesure continue du glucose interstitiel dans l’amélioration des résultats métaboliques, y compris durant la grossesse. En effet, l’étude CONCEPTT, essai sur la surveillance continue du glucose chez les femmes diabétiques de type 1 enceintes, reflète les données retrouvées dans les différentes études portant sur l’utilisation de ces capteurs hors grossesse, avec une tendance à l’amélioration significative au 3e trimestre, en permettant un temps dans la cible plus élevée significativement, sans augmenter le taux d’hypoglycémie(2). Toutefois, avec les traitements conventionnels, insulinothérapie par multi-injections ou délivrée par pompe, l’amélioration des résultats n’est obtenue qu’en fin de grossesse et sans atteindre les objectifs spécifiquement fixés. Figure 2. synthèse des enjeux spécifiques du traitement insulinique pendant la grossesse.   Nous utilisons depuis 2023 la seconde génération de boucles fermées semi-automatisées, permettant un meilleur contrôle glycémique, en particulier lorsque celui-ci n’est pas influencé par l’alimentation et l’activité physique. Dans ce cadre, l’administration d’insuline est réalisée automatiquement selon les besoins du patient en temps réel, permettant d’augmenter le temps dans la cible, de réduire la variabilité glycémique tout en diminuant significativement la charge mentale du patient. Les enjeux spécifiques de l’utilisation des systèmes de délivrance semi-automatisée de l’insuline pendant la grossesse sont résumés dans la figure 2. Le premier est de réduire les hypoglycémies, notamment au 1er trimestre, puis de pouvoir s’adapter aux 2e et 3e trimestres à l’augmentation progressivement des besoins en insuline,tout en tenant compte de cibles glycémiques plus sévères. Le défi majeur reste néanmoins la gestion des pics hyperglycémiques postprandiaux, qui sont souvent particulièrement conséquents et prolongés. Se pose par ailleurs la question de l’adaptabilité des algorithmes aux situations métaboliques aiguës, telles que les vomissements gravidiques, les hyperglycémies aiguës induites par la corticothérapie dans le cadre de la maturation pulmonaire fœtale notamment, l’ajustement pendant l’accouchement avec un maintien de glycémies strict. La période du postpartum représente également un défi, du fait de la diminution brutale des besoins insuliniques au moment de la délivrance,sans parler de l’impact de l’allaitement sur le profil glycémique et le risque d’hypoglycémies.   Boucle fermée hybride et grossesse : données de la littérature prometteuses   De nombreuses études et de nombreux cas cliniques décrivent depuis quelques années l’intérêt des différents systèmes de boucle fermée hybride pendant la grossesse. Beaucoup de travaux ont été menés sur des périodes relativement brèves avec, pour l’instant, peu d’études d’envergure, que ce soit en termes d’effectif que de durée d’utilisation. Parmi les travaux d’intérêt figure celui de Carole J. Levy et coll. portant sur 10 patientes incluses à partir du 2e trimestre, ayant recours à un système de boucle fermée T : slim X2-DexcomG6- MPC (Model Prédictive Control) avec algorithme utilisant spécifiquement des cibles pour la grossesse afin de répondre à des objectifs propres (80-110 mg/dL de 6 heures à minuit et 80-100 mg/dL de minuit à 6 heures (3). La période d’utilisation de l’insulinothérapie par boucle fermée automatisée de 14 semaines a été comparée à la période de traitement par insulinothérapie conventionnelle de la patiente associée à une mesure continue du glucose. Le critère primaire s’intéressait au pourcentage de temps passé dans la cible (TIR) dans les deux situations. Les résultats sont tout à fait remarquables avec une augmentation significative du TIR à 78,6 % dans le groupe «boucle fermée» versus 64,5 % dans le groupe contrôle (p = 0,002). Cette différence est d’autant plus marquée sur la période nocturne avec une différence absolue de 23,5 % et un temps passé dans la cible à 84,8 % dans le groupe « boucle fermée » (p = 0,005). Cela est associé à une diminution du temps en hypoglycémie à 0,7 % dans le groupe « boucle fermée » versus 4 % dans le groupe contrôle (p < 0,001). Au total, 9 patientes sur 10 ont atteint les objectifs spécifiques de TIR (63-140 mg/dL) > 70 % et TBR (< 63mdg/dL) < 4 %. Une étude française menée par L. Kessler et coll. a évalué l’impact du dispositif de boucle fermée hybride 780GMEDTRONIC, premier remboursé en France, sur le profil glycémique spécifique des femmes enceintes DT1(4). Sur une période de 15mois, d’avril 2021 à septembre 2022, 13 femmes enceintes DT1 et traitées avec le système susmentionné ont été incluses dans une étude rétrospective observationnelle multicentrique. Les paramètres de surveillance continue de la glycémie ont été analysés tous les mois pendant la grossesse ainsi que les complications obstétricales et néonatales. Au cours des deux premières semaines de grossesse, le temps passé dans la cible spécifique 63-140 mg/dL était de 46 %, et a augmenté à 54 % (p < 0,01), 64 % (p < 0,01), et 66 % (p < 0,01) au cours des 1er, 2e et 3e trimestres respectivement. Les résultats de temps passé dans la cible sont d’autant plus conséquents la nuit, atteignant plus de 70 % tout au long de la grossesse. Le temps passé en hypoglycémie, c’est-à-dire < 63 mg/dL, est resté inférieur à 2 % en moyenne tout au long de la grossesse. Globalement, ce travail a montré que le système a permis un bon contrôle de la glycémie pendant la grossesse sans atteindre toutefois les objectifs de recommandations, hormis pendant la période nocturne. Les complications maternelles et néonatales sont restées globalement élevées avec 5 enfants macrosomes sur 14, 2 cas d’hypoglycémies néonatales. Cinq patientes sur les 13 ont développé une prééclampsie, et l’accouchement par césarienne a été indiqué chez 9 patientes sur 13, dont 3 dans un contexte d’utérus cicatriciel. Précisons que l’un des intérêts de ce travail réside dans le fait que les patientes étaient équipées dès la période préconceptionnelle, ce qui était rarement le cas jusque-là dans la plupart des études. Enfin, l’étude AiDAPT, essai multicentrique, ouvert, randomisé et contrôlé a évalué l’impact de l’utilisation de l’administration automatisée d’insuline en boucle fermée CamAPS FX sur le profil de femmes enceintes DT1(5). Les patientes étaient randomisées avant 14 semaines d’aménorrhée, soit en groupe avec mesure continue du glucose et administration habituelle d’insuline (groupe contrôle),soit en boucle fermée. Le système en boucle fermée comprend un modèle d’algorithme de contrôle prédictif (application CamAPS FX), hébergé sur un smartphone Android qui communique sans fil avec la pompe à insuline (Dana Diabecare RS) et l’émetteur CGM DEXCOM G6. Il s’agit là du seul dispositif ayant l’agrément pendant la grossesse en France. Ainsi, 124 patientes ont été randomisées et ont bénéficié d’une analyse des paramètres de mesure continue du glucose toutes les quatre semaines jusqu’à l’accouchement ainsi que des données obstétricales maternelles et des complications fœtales. L’étude a permis de mettre en évidence une amélioration du temps dans la cible définie pour la grossesse de 10,5 % dans le groupe boucle fermée (68,2 % vs 55,6 %, p < 0,01), sans entraîner d’augmentation du nombre d’hypoglycémies. Comme dans la plupart des études de design similaire, le temps passé dans la cible est d’autant plus important en période nocturne. Il n’a pas été mis en évidence de différence significative concernant la plupart des complications obstétricales et néonatales en cas de DT1, en sachant que cette étude, comme les précédentes, n’a pas été pensée pour évaluer spécifiquement ces problématiques.   En conclusion   L’utilisation des insulinothérapies semi-automatisées par boucle fermée hybride constitue une véritable révolution dans la prise en charge du DT1, y compris pendant la grossesse. En effet, les différents travaux menés jusqu’ici ont pu mettre en évidence une amélioration significative du profil glycémique par comparaison aux traitements conventionnels, en diminuant le nombre d’hypoglycémies, alors même que la plupart des algorithmes ne sont à l’heure actuelle pas spécifiquement pensés pour répondre aux objectifs restreints de grossesse. Ces derniers sont atteints pour l’instant quasi exclusivement pendant la nuit et d’autant plus facilement que la grossesse est avancée. Le confort gagné pour les patientes dans la gestion de leur diabète est considérable et devrait permettre d’envisager la grossesse avec plus de sérénité. Toutefois, si les résultats glycémiques sont améliorés, il n’est pas mis en évidence pour l’heure de réduction des complications maternelles et fœtales. Nous sommes à l’aube de l’utilisation de ces technologies qui auront un impact sur l’issue des grossesses d’autant plus important qu’elles seront mises en place dès la préparation des grossesses et qu’elles emploieront des algorithmes spécifiquement pensés pour répondre aux exigences gravidiques.

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