Thérapeutique
Publié le 16 avr 2020Lecture 10 min
Tout arrive… même les inhibiteurs des SGLT2 !
Patrice DARMON, CHU La Conception, AP-HM, Marseille
Le hasard, on le sait, est souvent facétieux. C’est donc un 1er avril, en plein cœur de la plus grave crise sanitaire que le pays ait connu depuis un siècle, qu’une publication du Journal Officiel a mis fin à l’anachronique « exception française » qui voulait qu’aucun représentant de la classe des inhibiteurs des co-transporteurs sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) ne soit commercialisé dans l’Hexagone, alors que ces médicaments sont à la disposition des cliniciens de plus de 100 pays à travers le monde depuis plusieurs années et qu’ils sont aujourd’hui positionnés comme une option préférentielle dans la stratégie de prise en charge du diabète de type 2 (DT2) dans l’ensemble des recommandations internationales, incluant la prise de position de la Société francophone du diabète (SFD) publiée fin 2019.
Au-delà de leurs effets favorables sur la glycémie, le poids ou la pression artérielle, les iSGLT2 (également appelés gliflozines) ont démontré, de façon concordante, des bénéfices remarquables sur le pronostic cardiovasculaire — notamment le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque — et sur le ralentissement de la progression de l’atteinte rénale chez des patients DT2 à haut risque. Pourtant, les iSGLT2 sont longtemps restés indisponibles en France pour des raisons diverses concernant, en particulier, des doutes quant à leur profil de tolérance et un rapport bénéfices-risques-coût jugé défavorable, allant à l’encontre des conclusions émises par la SFD dans une prise de position en mars 2019. Aujourd’hui, après plusieurs années d’attente, un représentant de la classe des iSGLT2 — en l’occurrence la dapagliflozine — est donc commercialisé en France. Nous rappellerons ici le périmètre de prescription et de remboursement de la dapagliflozine en France, ainsi que quelques conseils pour réduire le risque de manifestations indésirables susceptibles de survenir sous iSGLT2. Le respect de ces bonnes pratiques est le garant d’une utilisation optimale de ces traitements en pratique courante.
• Deux spécialités à base de dapagliflozine sont aujourd’hui disponibles en France : Forxiga® (dapagliflozine 5 mg et 10 mg) et Xigduo® (dapagliflozine 5 mg + metformine 1 000 mg). Bien qu’ayant obtenu une AMM européenne comme traitement adjuvant dans le diabète de type 1 (DT1), Forxiga® 5 mg n’est ni recommandé ni remboursé en France dans cette indication. À ce jour, en France, le périmètre de remboursement du Forxiga® 10 mg est le suivant : sujets de plus de 18 ans atteints de DT2 pour améliorer le contrôle glycémique en bithérapie avec la metformine (MET) en cas d’intolérance ou de contre-indication aux sulfamides hypoglycémiants (SU), en bithérapie avec un SU, en trithérapie en association à la MET et à un SU et en trithérapie en association à la MET et à l’insuline. Le périmètre de remboursement de Xigduo® 5 mg/1 000 mg est le suivant : sujets de plus de 18 ans atteints de DT2 pour améliorer le contrôle glycémique 1°) chez les patients contrôlés de manière inadéquate par la MET seule à la dose maximale tolérée, 2°) en association avec un SU chez les patients dont le contrôle glycémique est insuffisant à la dose maximale de MET associée à un SU, 3°) en association à l’insuline chez les patients dont le contrôle glycémique est insuffisant à la dose maximale de MET associée à l’insuline et 4°) chez les patients déjà traités par l’association dapagliflozine et MET sous la forme de comprimés séparés.
Pour l’heure, la prescription initiale annuelle des spécialités à base de dapagliflozine en France est réservée aux spécialistes en endocrinologie-diabétologie ou en médecine interne, tandis que le renouvellement peut être réalisé par tous les praticiens.
La dapagliflozine doit être prise par voie orale, une fois par jour, à tout moment de la journée, au cours ou en dehors des repas. Comme tous les iSGLT2, la dapagliflozine ne doit pas être initiée chez les patients avec un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73 m2 et doit être arrêtée en présence d’un DFG inférieur à 45 ml/min/1,73 m2 (sans modification de dose entre 45 et 60 ml/min/1,73 m2). Chez les patients atteints d’insuffisance hépatique sévère, la dose initiale recommandée est de 5 mg/j, pouvant être augmentée à 10 mg/j si le traitement est bien toléré. Chez les patients de plus de 65 ans, aucun ajustement de la dose n’est nécessaire mais ces sujets peuvent avoir un risque plus important de déplétion volémique et sont plus susceptibles d’être traités par des diurétiques (cf. infra). En raison d’une expérience limitée, l’initiation d’un traitement par la dapagliflozine n’est pas recommandée chez les patients âgés de 75 ans et plus.
• Certains conseils peuvent être donner pour réduire le risque de manifestations indésirables susceptibles de survenir lors d’un traitement par iSGLT2
Hypoglycémies
Le risque hypoglycémique sous iSGLT2 est négligeable, sauf en cas d’association à l’insuline ou à un SU dont les doses doivent alors être réduites, en particulier si le taux d’HbA1c n’est que modérément élevé.
Infections génitales
Les infections mycotiques génitales, principalement balanites chez l’homme et vulvovaginites chez la femme, sont les manifestations indésirables les plus fréquemment rapportées avec les iSGLT2, en particulier chez les femmes. Les patients rapportant fréquemment ce type de complications ne sont donc sans doute pas les meilleurs candidats à un traitement par iSGLT2. Ces infections surviennent surtout au cours des premiers mois de traitement. Les infections génitales survenant sous iSGLT2 sont, en général, facilement gérables par un antimycotique local. Elle n’imposent que rarement l’arrêt du traitement et, généralement, ne récidivent pas. Lors de l’initiation d’un iSGLT2, il est souhaitable d’avertir le patient de ce possible risque mais la prescription systématique d’un antimycotique « au cas où » n’est pas recommandée. Des conseils d’hygiène génitale doivent être prodigués préventivement, notamment bien sécher les muqueuses après chaque miction.
Gangrènes de Fournier
De très rares cas de gangrène de Fournier (fasciite nécrosante périnéale) ont été signalés chez des patients DT2 traités par iSGLT2. La relation causale est incertaine, et ce risque n’a pas été retrouvé dans les essais randomisés. Cet événement rare mais grave, pouvant mettre en jeu le pronostic vital, nécessite une intervention chirurgicale et un traitement antibiotique en urgence. Une modification du RCP des gliflozines informe désormais de ce possible risque infectieux et incite les patients à consulter immédiatement un médecin s’ils développent des symptômes tels qu’une douleur, une sensibilité, un érythème ou une tuméfaction au niveau de la zone génitale ou périnéale, accompagnés de fièvre ou de malaises. Il convient de garder à l’esprit que la fasciite nécrosante peut être précédée d’une infection urogénitale ou d’un abcès périnéal. En cas de suspicion de gangrène de Fournier, le traitement par iSGLT2 doit être interrompu et un traitement rapide (comprenant des antibiotiques et un débridement chirurgical) doit être instauré.
Infections urinaires
Une discrète majoration du risque d’infections du tractus urinaire a été rapportée par certaines études menées avec les iSGLT2, avec des cas exceptionnels de pyélonéphrite ou d’urosepsis, de relation causale incertaine. Pour autant, les données de la grande majorité des essais cliniques et des études observationnelles sont rassurantes. En pratique, les infections urinaires pouvant survenir chez des patients traités par iSGLT2 ne posent pas de problème particulier. L’interruption temporaire du traitement par iSGLT2 doit être envisagée lors du traitement d’une pyélonéphrite ou d’un sepsis urinaire.
Acidocétose diabétique
Chez les patients présentant un DT2, le risque d’acidocétose est très faible mais il est toujours significativement plus élevé avec les iSGLT2 par rapport aux comparateurs, à la fois dans les essais d’intervention et les études observationnelles. Il est plus important dans le DT1 et dans certains autres types de diabète caractérisés par une carence marquée en insuline pouvant initialement passer pour des DT2 (DT1 sans auto-anticorps, LADA, pancréatite chronique…). L’acidocétose sous iSGLT2 se caractérise généralement par l’absence d’hyperglycémie majeure (< 250 mg/dl), ce qui peut conduire à un retard diagnostique : une fois ce piège connu, cet effet indésirable est facilement gérable. En outre, il ne survient que dans des conditions très particulières avec cumul de facteurs précipitants. Une situation à haut risque est la période post-chirurgicale, notamment après une opération abdominale. Dès lors, et comme désormais recommandé par la FDA depuis mars 2020, un traitement par iSGLT2 doit être interrompu 3 ou 4 jours (3 pour la dapagliflozine, l’empagliflozine et la canagliflozine, 4 pour l’ertugliflozine) avant une chirurgie sous anesthésie générale et ne sera repris que lorsque la période aiguë est passée et que le patient s’alimente et s’hydrate à nouveau correctement. L’interruption du traitement par iSGLT2 peut également être proposée en cas de pathologie médicale aiguë grave ou lors d’une imprégnation éthylique avec arrêt momentané de l’insulinothérapie. Le risque d’acidocétose n’est pas nécessairement augmenté chez les patients DT2 traités par insuline, même si le passage à l’insuline reflète généralement un épuisement de la fonction des cellules bêta. Il suffit de ne pas réduire de façon trop drastique (et a fortiori de ne pas arrêter) les doses d’insuline lors de l’instauration du traitement par iSGLT2, en particulier si le contrôle glycémique n’est pas optimal.
L’hypothèse d’une acidocétose sous iSGLT2 doit être envisagée en cas de symptômes non spécifiques tels que nausées, vomissements, anorexie, douleurs abdominales, soif intense, difficulté à respirer, confusion, fatigue inhabituelle ou somnolence, indépendamment de la glycémie. Lorsqu’une acidocétose est suspectée ou diagnostiquée, le traitement par iSGLT2 doit être immédiatement arrêté. La reprise du traitement chez les patients ayant présenté une acidocétose sous iSGLT2 n’est pas recommandée sauf si un autre facteur déclenchant est identifié et corrigé.
Déplétion volémique, hypotension
L’effet de diurèse osmotique et l’augmentation de la natriurèse sous iSGLT2 ont fait craindre la survenue de déplétion volémique et d’hypotension, notamment orthostatique. En pratique, ce risque est faible sauf peut-être chez les patients sous traitement antihypertenseur avec un antécédent d’hypotension, chez les sujets âgés fragilisés ou dans des conditions particulières favorisant une hypovolémie. La crainte concernait, notamment, les patients traités par un diurétique, surtout un diurétique de l’anse plus puissant. Dans les grands essais d’intervention où de nombreux patients étaient traités par diurétique, ce risque n’a pas (ou très peu) été augmenté sous iSGLT2 vs placebo. En pratique, le diurétique peut être poursuivi aux mêmes doses si la pression artérielle est limite-haute (et a fortiori si elle est élevée), alors que l’on pourra diminuer sa posologie si la pression artérielle est normale ; par contre, si la pression artérielle est relativement basse, il est conseillé d’interrompre transitoirement le traitement par diurétique au moment de l’instauration de l’iSGLT2, quitte à le réintroduire par la suite. En cas de conditions intercurrentes qui peuvent entraîner une déplétion volémique (maladie gastro-intestinale par exemple), une surveillance attentive de l’état d’hydratation (examen clinique, pression artérielle, bilans biologiques incluant hématocrite et électrolytes…) est recommandée. Une interruption temporaire du traitement par iSGLT2 est recommandée chez les patients qui développent une déplétion volémique jusqu’à correction de la déplétion.
Insuffisance rénale aiguë
Les iSGLT2 diminuent légèrement le DFG en début de traitement, de façon réversible (mais avec une protection à long terme) suite à une modification fonctionnelle de l’hémodynamique intrarénale (vasoconstriction de l’artériole afférente glomérulaire). Fin 2015, la FDA a émis une alerte signalant un risque potentiel d’altération aiguë de la fonction rénale associé à la canagliflozine et la dapagliflozine. La plupart des cas rapportés sont survenus durant le premier mois de traitement, avec une amélioration spontanée à l’arrêt de celui-ci, mais quelques situations plus sévères, nécessitant une hospitalisation ou une prise en charge en dialyse, ont été décrites. Pour autant, les études d’observation ne retrouvent pas de sur-risque significatif d’insuffisance rénale aiguë associé aux iSGLT2, et mieux encore, la métaanalyse des essais EMPA-REG OUTCOME, CANVAS, DECLARE TIMI-58 et CREDENCE montre une réduction de 25 % du risque d’insuffisance rénale aiguë vs placebo (Neuen BL et al. Lancet Diabetes Endocrinol 2019).
Amputations distales des membres inférieurs
Dans CANVAS, l’incidence des amputations distales des membres inférieurs (principalement des orteils) était faible mais environ doublée dans le groupe canagliflozine vs placebo. À ce jour, on ne sait pas avec certitude si ce risque est bien réel et, le cas échéant, s’il s’agit d’un effet-molécule ou d’un effet-classe, au vu des résultats rassurants des autres grands essais d’intervention (incluant CREDENCE avec la canagliflozine) et des données discordantes des études observationnelles. Pour autant, ces doutes, accentués par les rapports de pharmacovigilance (qui doivent toutefois être interprétés avec précaution en raison de possibles biais de déclaration), ont motivé une mise en garde des agences réglementaires sur la classe. En pratique, le possible risque d’amputation sous iSGLT2 devrait être facilement gérable par une bonne éducation du patient concernant la surveillance des pieds et la prise en charge rapide et appropriée de toute lésion plantaire, comme recommandé dans la pratique diabétologique de tous les jours. Par ailleurs, on ne prescrira pas de traitement par iSGLT2 chez les patients avec antécédents de plaies du pied et, a fortiori, d’amputations. Chez les sujets présentant une artériopathie sévère, la prudence est également requise, même si une augmentation des amputations n’a pas été observée avec l’empagliflozine dans EMPA-REG OUTCOME chez un sous-groupe de patients avec artériopathie périphérique et que les données de DECLARE-TIMI 58 avec la dapagliflozine sont également rassurantes. Chez les patients DT2 avec artériopathie périphérique, par ailleurs à haut risque cardiovasculaire et donc bons candidats à un iSGLT2, il est nécessaire d’évaluer soigneusement le rapport bénéfices/risques avant d’instaurer une gliflozine : il paraît utile de discuter du meilleur choix avec le patient et de faire mention de cette discussion dans le dossier médical avec la décision finale prise d’un commun accord, pour éviter toute polémique ultérieure, voire un éventuel problème médico-légal.
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