Thérapeutique
Publié le 30 juin 2023Lecture 11 min
Lipoprotéine (a) : un retour confirmé !
Vincent DURLACH1, Eduardo ANGLÉS-CANO2* ; au nom du Groupe d’Experts de la NSFA sur la Lp(a)†
La lipoprotéine (a) ou Lp(a), initialement décrite en 1963 par Kåre Berg, est constituée d’une lipoprotéine de basse densité (LDL) associée à l’apolipoprotéine (a) [apo(a)]. L’apo(a) est structurellement similaire au plasminogène, mais ne possède pas l’activité fibrinolytique caractéristique de la plasmine formée à partir de celui-ci. En raison de cette structure complexe, les concentrations élevées de Lp(a) peuvent favoriser la progression des plaques d’athérome grâce à son composant LDL riche en cholestérol et en phospholipides oxydés et avoir une action antifibrinolytique et prothrombotique grâce à son composant apo(a). La Lp(a) se caractérise par une gamme spectaculairement large de concentrations plasmatiques (0,01 à > 3 g/L, 2,5 à > 750 nmol/L) qui sont principalement influencées par des facteurs génétiques et non par l’âge, le sexe ou le mode de vie. L’augmentation de sa concentration circulante est liée à celle du risque athérothrombotique. Dans ce contexte, le dosage de la Lp(a) présente un intérêt considérable non seulement pour la stratification du risque cardiovasculaire chez les sujets à haut risque, mais également pour le suivi clinique des patients traités par de nouvelles thérapies hypolipidémiantes. Ces nouveaux médicaments [inhibiteurs de PCSK9, oligonucléotides antisens (ONAS), SiRNA anti-apo(a)] seraient susceptibles d’en réduire significativement la concentration circulante et à terme d’améliorer la prise en charge des sujets à haut risque cardiovasculaire.
Découverte en 1963 par Kåre Berg, la Lp(a) a rapidement été reconnue comme un facteur de risque de maladie cardiovasculaire (MCV) et sa mesure est devenue accessible au praticien vers 1990. Cependant, en l’absence d’un traitement spécifique capable de réduire des concentrations élevées, son intérêt a progressivement diminué et son dosage n’est plus remboursé depuis plus de 10 ans. Le regain d’intérêt pour ce facteur de risque est motivé par le développement de traitements médicamenteux spécifiques qui seront disponibles dans un avenir proche.
Qu’est-ce que la Lp(a) ?(1)
La lipoprotéine (a) est une particule contenant entre 30 et 45 % de cholestérol. Sa structure est complexe : elle associe une lipoprotéine de base densité LDL et une glycoprotéine de taille variable, l’apoprotéine(a) [apo(a)] liée à l’apoB-100 de la LDL par un pont disulfure (figure 1). Le gène LPA codant pour l’apo(a) est situé sur le chromosome 6 humain. Ce gène a évolué chez les primates par duplications, délétions et mutations ponctuelles de certaines parties du gène du plasminogène.
Figure 1. Structure de la lipoprotéine(a)/apolipoprotéine(a) [Lp(a)/apo(a)].
Le plasminogène est une molécule à chaîne unique constituée d’une région N-terminale, de 5 domaines « kringle » (K, structures hélicoïdales en forme de bretzel) et de la région protéinase (SP) (figure 1). Les K1 et K4 contiennent chacun un site qui assure la liaison du plasminogène à la fibrine (appelé site de liaison à la lysine ou LBS) où il est transformé en plasmine, l’enzyme fibrinolytique. L’apo(a) présente de nombreuses séquences homologues du K4 du plasminogène (de 75 à 94 %) et des copies uniques du K5 et de la région sérine-protéinase n’ayant pas d’activité profibrinolytique.
Il existe 10 types de copies uniques du K4 du plasminogène dans l’apo(a). La copie KIV de type 9 permet la formation du complexe avec l’apoB100 ; la copie de type 10 contient un site LBS de liaison à la fibrine et la copie de type 2, présente en nombre variable (2 à 40), est à l’origine des isoformes dont la taille et la masse moléculaire varient entre 250 et 800 kDaltons selon les individus.
Ce polymorphisme de taille de l’apo(a) est inversement lié à la concentration plasmatique de Lp(a). Chez les patients qui présentent des petites isoformes d’apo(a) avec un faible nombre de copies de K4 de type 2, on retrouve une concentration plasmatique élevée de Lp(a) qui est associée au risque athérothrombotique et à ses manifestations cliniques (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ischémique, calcifications et sténose de la valve aortique).
Les mécanismes impliqués dans l’augmentation du risque d’athérothrombose par la Lp(a) sont liés à sa structure unique. Les phospholipides oxydés liés à l’apoB100 sont directement impliqués dans la pathogénicité de la Lp(a). Ils se colocalisent spécifiquement avec la Lp(a) dans les lésions des artères et de la valve aortique et favorisent ainsi directement le dysfonctionnement endothélial, le dépôt de lipides, l’inflammation et la différenciation ostéogénique (figure 2). Outre ces mécanismes, la similitude structurelle de l’apo(a) et du plasminogène est considérée comme un facteur clé expliquant la relation causale entre la Lp(a) et ses effets prothrombotique et antifibrinolytique. Cet effet est en rapport direct avec la similitude de structure de l’apo(a) et du plasminogène et leurs actions opposées dans le thrombus fibrino-plaquettaire, l’apo(a) ne possédant pas d’activité fibrinolytique (figure 2).
Figure 2. Contribution du polymorphisme de l’apolipoprotéine(a) [apo(a)] à l’inhibition de la fibrinolyse.
Figure 3. Voies physiopathologiques établissant un lien de causalité entre des concentrations plasmatiques élevées de Lp(a), la maladie vasculaire athérosclérotique et la sténose de la valve aortique.
Ainsi, une compétition entre le plasminogène et l’apo(a) pour la liaison à la fibrine limite la quantité de plasminogène lié, diminue la formation de plasmine et inhibe la fibrinolyse, contribuant ainsi à la consolidation du thrombus.
Comment doser la Lp(a) ?(2)
La concentration de Lp(a) est déterminée essentiellement par des facteurs génétiques. Cela explique l’absence d’effet de l’âge, de l’alimentation et de l’hygiène de vie sur sa concentration qui reste stable tout au long de la vie d’un individu. Dans certaines circonstances physiologiques cependant comme la ménopause, on peut observer une augmentation discrète ou des variations apparaissant transitoirement au cours de certaines pathologies comme l’insuffisance rénale ou l’inflammation (augmentation) et l’insuffisance hépatique ou l’hyperthyroïdie (diminution).
La concentration de Lp(a) doit être déterminée par un test immunologique qui ne soit pas affecté par la variation de taille de l’apo(a). Cette concentration est actuellement exprimée en termes de masse (g/L ou mg/dL). Des travaux sont actuellement en cours (www.ifcc.org/ifccscientific-division/sd-workinggroups/wg-apo-ms/) afin d’exprimer la concentration en nombre de particules de Lp(a) par unité de volume (nmol/L) et avancer dans la définition d’un standard de dosage.
Les valeurs de référence pour les concentrations plasmatiques de Lp(a) dosées par immunoturbidimétrie ont été rapportées comme étant < 75 (ou 0,3 g/L) mais elles peuvent très largement varier de 2,5 à > 750 nmol/L (ou 0,01 à > 3 g/L). Cependant, la distribution des concentrations de Lp(a) diffère selon les groupes ethniques et l’interprétation des concentrations doit tenir compte de seuils de risque spécifiques au sein d’une population donnée. Pour l’identification des individus à risque de MCV ou pour l’attribution d’un traitement, un consensus provisoire de 125 nmol/L ( 0,50 g/L) a été proposé à partir de méta-analyses dans diverses populations. Il est raisonnable d’utiliser ce seuil car ces niveaux suggèrent une augmentation du RCV chez les patients européens. Dans la mesure où nous manquons de données dans les populations non caucasiennes, l’ESC/EAS définit une zone grise de concentration à risque entre 75-125 nmol/L (ou < 0,30- 0,50 g/L(3)).
Ce dosage, qui n’est malheureusement plus remboursé depuis 2005, coûte au patient de 7 à 20 euros.
Des concentrations plasmatiques élevés de Lp(a) peuvent également influencer la valeur du LDL-cholestérol. En effet, les équations utilisées pour calculer le LDL-cholestérol incluent le contenu en cholestérol de la Lp(a) ; ceci est également vrai pour la plupart des dosages du LDL-cholestérol. Si l’on considère qu’une particule de Lp(a) est composée d’environ 30-45 % de cholestérol en poids, une surestimation de la concentration de LDL-cholestérol est observée chez les sujets ayant des concentrations élevées de Lp(a).
Lorsque les valeurs de Lp(a) sont exprimées en g/L, la correction empirique est la suivante :
LDL-cholestérol corrigé pour la Lp(a) (g/L) = LDL-cholestérol (g/L) - [Lp(a) (g/L) x 0,30].
L’utilisation de cette formule en pratique clinique reste discutée(3).
Malgré les difficultés de standardisation de son dosage, le paramètre le plus puissant pour prédire le risque CV associé à la Lp(a) reste sa concentration circulante.
Quels liens entre Lp(a) et pathologies ?(4)
Risque cardiovasculaire
Des études expérimentales, épidémiologiques et génétiques soutiennent le fait que la Lp(a) est liée de manière causale au risque athérothrombotique et également à la sténose calcifiante de la valve aortique (figure 4).
Figure 4. La Lp(a) un facteur de risque indépendant, causale et génétique de maladie cardiovasculaire.
Ainsi, deux études importantes, Emerging Risk Factor Collaboration et Copenhagen City Heart Study, ont montré le lien existant entre l’élévation de la concentration circulante de Lp(a) et la survenue d’infarctus du myocarde (IDM), d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) et de rétrécissement aortique après ajustement sur l’âge et le sexe.
Le lien de causalité entre élévation de la Lp(a) et l’augmentation du risque de maladies cardiovasculaires (MCV) a été renforcé par l’évaluation des isoformes d’apo(a) dans de larges cohortes et des études de randomisation mendélienne (figure 4). En effet, plus la proportion d’isoformes de faible masse moléculaire est importante, plus la concentration de Lp(a) est élevée et plus le risque de MCV augmente (isoformes de petites tailles vs isoformes de grandes tailles : RR = 2,06 de MCV et de 2,14 d’AVC). Les données de prévention primaire ont été confirmées en prévention secondaire ; ainsi, chez les patients présentant un IDM précoce, la prévalence de valeurs de Lp(a) > 125 nmol/L ( 0,50 g/L) est significativement supérieure à celle de la population générale (20 % vs 30 % ; p < 0,001). Dans la cohorte française RICO (1 213 SCA consécutifs de 2019-20) 20 % ont une Lp(a) > 125 nmol/L, dont 6 % > 250 nmol/L ( 1 g/L), avec une coronaropathie plus sévère(5). Enfin, des données récentes (UK Biobank et Jackson Heart Study) montrent qu’une élévation de 120 nmol/L de Lp(a) s’associe à une augmentation de 42 % du risque de maladie coronarienne.
Enfin, il est intéressant de noter que les mutations ponctuelles de la séquence d’ADN (SNPs pour « single nucleotide polymorphisms ») les plus fréquemment associées aux isoformes d’apo(a) de petites tailles (rs 10455872 et rs 3798220) sont également associées à un risque accru d’IDM, qui est beaucoup plus prononcé chez les porteurs des deux polymorphismes (figure 4).
Calcifications et sténose aortique (SA)
La SA est la maladie valvulaire la plus fréquente, elle est le plus souvent liée à la calcification dégénérative de la valve aortique liée à l’âge. Chez les sujets âgés, ayant des concentrations de Lp(a) élevées (225 nmol/L, 0,9 g/L), Lp(a) et apo(a) sont retrouvées dans les lésions intimales d’artères porteuses de SA.
De larges études cliniques ainsi que des études de randomisation mendélienne ont montré une association forte entre l’élévation de la Lp(a) circulante et la présence de calcifications valvulaires et de SA. Le degré de SA est en rapport avec la quantité de phospholipides oxydés liés à l’apoB au sein de la Lp(a).
Insuffisance rénale et syndrome néphrotique
La Lp(a) est augmentée en proportion de la dégradation de la fonction rénale ; ceci est probablement dû à des anomalies de son catabolisme et participe de l’augmentation du risque athérothrombotique chez ces patients.
Diabète
De nombreuses publications ont évalué le lien entre Lp(a) et diabète de type 2 (DT2). Elles montrent un lien probable entre des concentrations très basses de Lp(a) [ 25 nmol/L ( 0,1 g/L)] et le risque de développer un DT2, sans que les mécanismes puissent en être précisés. À l’opposé, les concentrations élevées s’associent à un surcroît de risque cardiovasculaire, tant chez les DT2 que chez les diabétiques de type 1.
Hypercholestérolémie familiale
Chez les patients atteints d’une hypercholestérolémie familiale (HF) homo- (HoF) ou hétérozygote (HeF), l’élévation associée de concentrations plasmatiques de Lp(a) majore le risque cardiovasculaire (RCV) déjà très élevé. Elle doit donc être systématiquement dosée. Le niveau de RCV des patients présentant une Lp(a) à plus de 1,8 g/L (430 nmol/L) est comparable à ceux présentant une hypercholestérolémie familiale, mais ils sont probablement deux fois plus nombreux.
Maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV)
Malgré le rôle avéré des isoformes de Lp(a) dans l’athérothrombose, les études de randomisation mendélienne ou cliniques considérant l’élévation de Lp(a) ne retrouvent pas de lien clair avec la MTEV chez l’adulte, sinon chez des sujets présentant des facteurs de risque de thrombophilie. En réalité, le mécanisme de formation d’un thrombus est différent s’agissant d’une veine par rapport à une artère. La paroi vasculaire lésée est typique de l’athérothrombose alors que dans la veine, c’est la stase sanguine qui joue un rôle prépondérant.
Lp(a) et traitement(1)
Les traitements habituels des dyslipidémies, qu’ils soient diététiques ou médicamenteux (statines, fibrates, ézétimibe, etc.) ne réduisent que peu ou pas la concentration de Lp(a) dans la majorité des études publiées ; on a même décrit une élévation de la Lp(a) de 11 à 22 % sous statine seule ou en association avec l’ézétimibe, de mécanisme inconnu.
Il n’existe actuellement aucun traitement pharmacologique disponible qui abaisse spécifiquement les concentrations de Lp(a), mais de nouveaux médicaments sont en cours de développement (phase II et III). Ces médicaments pourraient faire l’objet d’une utilisation future si les résultats de ces essais confirment que la réduction de la Lp(a) diminue les événements cardiovasculaires.
Les Inhibiteurs de PCSK9 (proprotein convertase subtilisine/kexine type 9)
Ces puissants médicaments utilisés par voie injectable tous les 15 ou 30 jours (évolocumab et alirocumab), réduisent le LDL-cholestérol de l’ordre de 60 % et sont maintenant sur le marché avec en France des conditions de remboursement encadrées, chez les patients porteurs d’une HoF et/ou susceptibles d’indication de LDLaphérèses, en prévention secondaire chez des patients dont le LDL-C reste > 0,7 g/L qu’ils soient HeF ou non, sous traitement hypolipémiant maximum toléré.
Ils réduisent également la concentration de Lp(a) de 20 à 30 %. Cette diminution n’est pas corrélée à celle du LDL-cholestérol et ses mécanismes restent discutés, pouvant impliquer d’autres voies cataboliques que celles du LDLrécepteur. Des analyses complémentaires de l’étude ODYSSEY utilisant l’alirocumab montrent pour la première fois que la réduction constatée de la Lp(a) (-150 mg/L ou -0,15 g/L) s’associe à une diminution des événements cardiovasculaires majeurs (MACE) de 14 %, indépendamment de la réduction concomitante du LDL-C, mais également de la prévalence des artériopathies des membres inférieurs et des accidents thrombo-emboliques veineux.
Les inhibiteurs de la Lp(a) : oligonucléotides antisens (ONAS) anti-apo(a) et siRNA
Les ONAS et les siRNA sont des petites molécules qui peuvent se lier à l’ARN messager de l’apoB (mipomersen) ou de l’apo(a) (pélacarsen) et réduire la synthèse hépatique de la protéine correspondante. Les ONAS anti-apo(a) diminuent de manière spectaculaire la concentration de Lp(a) (-67 à 90 %) et des études de phase III sont actuellement en cours (Lp(a)HORIZON avec le pélacarsen) qui pourraient laisser espérer des bénéfices significatifs sur le plan cardiovasculaire chez des patients présentant des concentrations élevées de Lp(a). Les siRNA, aux performances comparables, sont en phase II de développement (olpasiran, SLN 360).
LDL-aphérèse
La LDL-aphérèse est une technique invasive utilisant un système d’épuration extra-corporelle comparable à celui de la dialyse qui permet l’extraction sélective des lipoprotéines athérogènes, en particulier les LDL et la Lp(a), permettant une réduction de 60 à 75 % de la concentration de Lp(a). C’est une technique onéreuse (1 400 euros/séance) et contraignante qui concerne moins de 150 patients en France mais semble réduire le risque coronarien de manière notable, comme nous le montrent deux études rétrospectives, avec peu d’effets secondaires (~ 5 %). Les indications spécifiques des Lp(a) aphérèse restent discutées.
* 1Université de Champagne-Ardenne, UMR CNRS 7369 MEDyC &, Pôle Thoracique et CardioVasculaire Reims, CHU de Reims
2Université Paris Cité, INSERM, Innovative Therapies in Haemostasis, Paris, France
Conflits d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec cet article.
V. Durlach déclare par ailleurs :
– avoir participé à des essais cliniques pour les laboratoires Amgen, Sanofi, Bioprojet, à des conférences, colloques ou actions de formation pour les laboratoires Amgen, Sanofi et Servier, MSD et pour Preuves et Pratiques ;
– avoir été pris en charge (transport, hôtel, repas), à l’occasion de déplacements pour des congrès, par les laboratoires Servier, Amgen, Sanofi, Novo.
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