Publié le 23 mai 2018Lecture 9 min
Intérêt diagnostique et pronostique du score calcique coronaire chez les patients diabétiques
Bernard BAUDUCEAU, Lyse BORDIER, Service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé
Chacun sait que la maladie coronaire est une cause majeure de morbi-mortalité chez les patients diabétiques. Cette complication est redoutée en raison de son caractère souvent silencieux, de son pronostic péjoratif mais aussi des difficultés de son dépistage dont l’intérêt même fait l’objet de débat.
Le recours à la coronarographie, technique de référence, ne peut naturellement pas être systématique dans le cadre d’un dépistage à large échelle en prévention primaire. Il est donc capital de réserver cet examen invasif aux patients susceptibles de présenter des lésions coronaires sévères comme une atteinte tritronculaire ou une sténose du tronc commun qui justifient une revascularisation.
Les techniques non invasives classiques présentent des performances limitées si bien que de nouveaux outils de dépistage se sont développés pour évaluer plus précisément le risque coronaire et déterminer quel patient devrait bénéficier d’explorations invasives. La mesure du score calcique coronaire (SCC), développée depuis 1988, fait l’objet d’un intérêt croissant notamment en milieu diabétologique(1). Son intérêt a été mieux connu grâce à la publication de l’étude VADT(2). Il s’agit d’une méthode scannographique non invasive qui détecte et quantifie les dépôts de calcium dans les artères coronaires, témoins de l’importance de l’athérosclérose. La mesure du SCC a deux intérêts essentiels : diagnostique pour dépister l’ischémie myocardique silencieuse mais aussi pronostique pour déterminer le niveau de risque cardiovasculaire du patient.
Méthode de mesure
Le score calcique est déterminé par la réalisation d’un scanner hélicoïdal multicoupes sans injection de produit de contraste qui permet d’effectuer des coupes fines, jusqu’à 1 mm d’épaisseur, avec une durée d’acquisition des images particulièrement brève. Une synchronisation cardiaque rétrospective permet la reconstruction des images en télédiastole. On obtient ainsi un excellent balayage du trajet des différentes coronaires, avec une très bonne résolution spatiale (figures 1, 2 et 3). La durée de l’examen est de 2 minutes et celle de l’interprétation d’environ 8 minutes. Le taux de calcium coronaire est déterminé par le calcul du score d’Agatston, à l’aide d’un logiciel spécifique(3). Toute zone dont la densité est supérieure à 130 Unités Hounsfield et dont la surface est supérieure à 1 mm2 est de nature calcique.
Figure 1. Calcification du tronc commun (flèche de gauche) et de l’interventriculaire antérieure (flèche de droite).
Figure 2. Calcification de la circonflexe.
Figure 3. Volumineuses calcifications de l’interventriculaire antérieure qui rendront difficile l’interprétation d’un angioscanner.
Le score est établi pour chacune des coronaires : tronc commun, interventriculaire antérieure (IVA), circonflexe, coronaire droite. Le score des artères diagonales s’ajoute à celui de l’IVA et celui des branches marginales à celui de la circonflexe. L’addition de tous ces scores détermine le score total. Il permet de déterminer un niveau de risque avec une classification en 4 sous-groupes, selon Rumberger(4) :
– le premier sous-groupe correspond à une détection de calcifications < 10 ;
– le deuxième par un score compris entre 10 à 100 ;
– le troisième est défini pour des valeurs de 100 à 400 ;
– le quatrième sous-groupe, dont le score est > 400, caractérise les patients au risque coronarien le plus élevé.
La technique est maintenant parfaitement évaluée et validée permettant d’obtenir un score fiable et reproductible. Bien que l’irradiation délivrée soit faible (1 à 4,1 mSv contre 3 à 10 mSv pour la coronarographie), ce paramètre doit être pris en compte, notamment chez le patient jeune et chez les femmes en âge de procréer.
Cet examen offre le très grand intérêt de ne pas nécessiter d’être à jeun, de permettre la poursuite des hypoglycémiants oraux et notamment de la metformine ou de l’insuline. Enfin, la détermination du score calcique ne fait appel à aucune injection d’iode et la prise des drogues antihypertensives ou antiangineuses n’en maquille pas les résultats.
Signification et réalisation du score calcique
La calcification de la plaque d’athérosclérose correspond à un stade avancé et donc plus stable de la maladie athéromateuse. Ainsi, il n’existe pas de relation entre la présence d’une calcification coronaire et le caractère instable de la plaque. La détection des plaques calcifiées ne permet pas non plus de localiser une lésion sténosante.
La prévalence des calcifications coronaires est plus élevée chez l’homme et augmente avec l’âge. Elle varie aussi selon l’origine ethnique des patients avec une prévalence plus élevée chez les caucasiens et un caractère plus péjoratif chez les patients d’origine africaine.
Au cours du diabète de type 2, les calcifications coronaires sont plus fréquentes que chez les sujets non diabétiques. Ceci reflète probablement leur haut niveau de risque cardiovasculaire. Enfin, à la différence des constatations faites dans la population générale, les patientes diabétiques présentent plus de calcifications coronaires que les hommes diabétiques.
Les malades dialysés atteints d’insuffisance rénale terminale ont également une forte prévalence de calcifications coronaires. Leur importance dépend de l’ancienneté de la dialyse et de l’état du métabolisme calcique du patient.
Intérêt diagnostique de la mesure du SCC
L’absence de calcification coronaire rend improbable la présence de plaque d’athérosclérose, y compris de plaques instables. En effet, un faible score s’observe chez la majorité des patients dont la coronarographie est normale et laisse présager de l’absence de survenue d’incident cardiovasculaire grave au cours des 2 à 5 ans à venir. Un score < 100 est associé à une faible probabilité (< 3 %) de sténose significative (> 50 %) à la coronarographie. Inversement, plus le score calcique est élevé, plus la probabilité de coronaropathie est grande. En revanche, il n’existe pas de corrélation entre le siège des calcifications et la localisation des sténoses coronaires. Enfin, un score calcique très élevé est associé à un risque d’événement cardiovasculaire modéré à élevé au cours des 2 à 5 ans.
En définitive, l’excellente valeur prédictive négative de cette mesure, qui se situe entre 96 et 100, offre l’intérêt de pouvoir écarter le diagnostic de maladie coronaire chez les patients dont le SCC est nul. De ce fait, les explorations peuvent être réduites, notamment dans des groupes de patients chez lesquels la valeur diagnostique des épreuves non invasives de dépistage n’est pas très performante, comme c’est le cas dans la population féminine. Toutefois, un SCC faible, mais qui n’est pas nul, n’est pas totalement fiable pour écarter la présence d’une maladie coronaire.
La question qui se pose encore est de définir les « bonnes indications » et de préciser la place de ce score dans la stratégie d’exploration de la coronaropathie susceptible de conduire à la réalisation d’autres examens de dépistage, de la coronarographie et aux gestes éventuels de revascularisation (figure 4).
Figure 4. Place du score calcique coronaire dans le diagnostic de la coronaropathie diabétique.
Intérêt pronostique de la mesure du SCC
L’évaluation du risque cardiovasculaire est une étape clef dans la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire. Elle s’appuie en pratique clinique sur des équations de risque dont les plus connues sont Framingham, Procam ou Score. Ces formules permettent de prédire le risque de survenue d’événements cardiovasculaires dans les années suivantes.
Toutefois, cette évaluation mathématique, notamment par l’équation de Framingham, est imparfaite. Cette méthode permet de distinguer 3 niveaux de risque de survenue d’un événement cardiovasculaire grave (infarctus du myocarde ou mort d’origine cardiaque) dans les 10 ans : faible (< 10 %), intermédiaire (10 à 20 %) et élevé (> 20 %). Si la signification d’un niveau de risque élevé ou faible est claire et la prise en charge codifiée, il n’en est pas de même pour le niveau de risque intermédiaire. Chez ces patients, la mesure du SCC pourrait permettre de les reclasser à haut risque si le SCC est élevé. En effet, les taux annuels de mortalité ou d’infarctus du myocarde augmentent de façon linéaire avec la valeur du SCC comme l’ont montré de nombreuses études.
Une étude de suivi d’une durée de 3,8 ans a concerné 6 722 patients non diabétiques, de toute origine ethnique et sans antécédent cardiovasculaire(5). Durant cette période, 162 événements ont été déclarés dont 89 majeurs (infarctus du myocarde ou décès d’origine coronaire). En comparaison avec les patients n’ayant pas de calcification coronaire, le risque de présenter un événement coronaire est augmenté d’un facteur 7,73 pour un SCC entre 101 et 300 et d’un facteur 9,67 pour un SCC > 300. Un doublement du SCC, quel que soit le groupe ethnique, augmente le risque de survenue d’un événement coronaire majeur de 15 à 35 % et de tout événement coronaire de 18 à 39 %.
L’étude prospective PREDICT menée chez 589 patients diabétiques de type 2 sans antécédent vasculaire et suivis pendant 4 ans confirme ces données(6). Au cours du suivi, 66 événements vasculaires ont été observés, dont 10 accidents vasculaires cérébraux. Le SCC est un facteur prédictif fort et indépendant du risque d’événement et son doublement est associé à une majoration de 32 % de ce risque.
Enfin, une étude prospective récente a inclus 6 753 sujets sans maladie coronarienne connue(7). Au sein de cette cohorte, 881 sujets (13 %) présentaient un diabète et 1738 (25,7 %) un syndrome métabolique. Le suivi moyen de chaque participant a été 11,1 années et a consisté dans recueil de la survenue d’un événement ou d’un décès d’origine cardiovasculaire. Le SCC était indépendamment associé à la maladie coronarienne dans les analyses multivariées chez les patients diabétiques (OR : 1,30 ; IC95% : 1,19-1,43), en cas de syndrome métabolique (OR : 1,30 ; IC95% : 1,20-1,41) et chez les autres sujets (OR : 1,37 ; IC95% : 1,27-1,47). L’amélioration du reclassement des patients de l’étude grâce au SCC était nette dans les 3 groupes de sujets et ce score était également un indicateur pronostique de la coronaropathie.
La présence de ces calcifications coronaires chez les dialysés semble corrélée à une diminution de la survie de ces patients. La néphropathie est un facteur de risque cardiovasculaire établi, notamment chez les patients diabétiques de type 2. En revanche, le lien entre la rétinopathie et le risque cardiovasculaire est moins connu mais a été pressenti notamment dans l’étude VADT au cours de laquelle 80 % des patients présentant une rétinopathie proliférante avaient un SCC > 400(2).
Ainsi, toutes les études s’accordent pour affirmer que le SCC permet de prédire le risque d’événement coronaire même chez des patients asymptomatiques. Sa valeur pronostique est indépendante des autres facteurs de risque cardiovasculaire et paraît particulièrement intéressante dans les populations à risque intermédiaire.
Le suivi du taux du SCC n’est actuellement pas recommandé car la signification de la progression du SCC reste inconnue sur le plan clinique et aucun effet favorable des traitements n’a été documenté sur cette évolution. Toutefois, dans l’étude PREDICT, le SCC a été mesuré deux fois à 4 ans d’intervalle chez des patients diabétiques de type 2 n’ayant pas de maladie coronaire connue. L’augmentation de ce score lors de la seconde mesure dépend notamment de sa valeur initiale et est associée à un profil de risque cardiovasculaire plus important.
Intérêt pratique de la mesure du SCC
Un SCC nul permet d’authentifier une population à faible risque ne nécessitant ni antiagrégants ni exploration fonctionnelle.
Un SCC situé entre 10 et 100 correspond à un risque faible à modéré n’imposant pas d’exploration complémentaire. La prescription d’antiagrégants se discute en fonction du taux du SCC et de l’importance des facteurs de risques.
Lorsque le SCC se situe entre 100 et 400, le patient présente un risque élevé et nécessite la prescription d’antiagrégants, un durcissement des cibles des LDL et très souvent la réalisation d’explorations coronariennes complémentaires.
Un SCC > 400 témoigne d’un risque cardiovasculaire majeur et nécessite la réalisation d’explorations complémentaires. Cependant, la présence d’importantes calcifications altère de façon très importante les images obtenues par angioscanner (figure 4).
En résumé, le SCC peut renseigner à la fois sur l’existence de sténoses coronaires sévères justifiant une revascularisation mais également sur la présence de plaques instables nécessitant une optimisation de la prise en charge des facteurs de risque. En conséquence, la détermination du SCC est particulièrement pertinente chez les patients asymptomatiques(8).
Sa bonne valeur prédictive négative peut permettre d’écarter une maladie coronaire, notamment chez le sujet jeune ayant un faible niveau de risque cardiovasculaire lorsque le SCC est nul.
Chez des patients ayant un niveau de risque intermédiaire, le SCC conduit à mieux préciser et à adapter les explorations selon le niveau de risque cardiovasculaire des patients.
En cas de taux très élevé de SCC la suspicion de graves lésions coronaires justifie la réalisation d’examen à la recherche d’une ischémie myocardique.
Conclusion
La simplicité de la détermination du score calcique permet de réaliser très simplement un dépistage de la maladie coronaire silencieuse et de bien sélectionner les patients qui nécessitent des explorations complémentaires.
La mesure du SCC permet également de prédire le risque de mortalité cardiovasculaire ou d’infarctus du myocarde dans les 3 à 5 ans.
Cette détermination prend tout son intérêt chez les patients à risque intermédiaire chez lesquels cette exploration précise le profil de risque cardiovasculaire, ce qui conduit à ajuster les cibles de la prise en charge.
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