Cardiovasculaire
Publié le 26 sep 2024Lecture 12 min
Micro- et macro-angiopathie liées au diabète : au-delà de l’HbA1c, doit-on s’appuyer sur de nouveaux « metrics » du glucose ?
Bruno GUERCI(1) , Michael JOUBERT(2), 1. CHRU de Nancy - Hôpitaux de Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy, 2. Hôpital Côte de Nacre, CHU de Caen
Les études cliniques permettent de relier indéniablement l’hyperglycémie chronique, dont l’hémoglobine glyquée (HbA1c) est le plus fidèle reflet, et le risque de développement des complications liées au diabète, en particulier celles de la micro-angiopathie (rétinopathie, néphropathie, neuropathie). C’est un critère biologique intermédiaire qualifié de critère de substitution, car sa seule mesure suffit à évaluer le bénéfice clinique espéré lors d’une intervention thérapeutique et/ou d’une stratégie dont l’objectif est de contrôler l’hyperglycémie chronique et le risque de développer des complications qui y sont associées. Au-delà de l’HbA1c, doit-on s’appuyer sur de nouveaux « metrics » du glucose ?
D'autres facteurs tels que l’âge, l’hypertension artérielle, les dyslipidémies, le tabagisme ainsi que certains marqueurs génétiques viennent moduler cette corrélation de causalité, mais l’équation statistique que l’on peut retenir est la suivante : 1 point d’HbA1c enplus ou en moins représente 25 à 30 % de complications de micro-angiopathie en plus ou en moins sur 5 à 10 ans. Cela justifie que l’HbA1c soit considérée comme un critère de substitution acceptable pour la survenue des complications de micro-angiopathie. Par ailleurs, atteindre un équilibre glycémique optimal précoce et durable pendant 5 ans ou plus permet de réduire le risque de complications rétiniennes et rénales, avec un bénéfice persistant à long terme, avec cette notion de « mémoire glycémique » observée en particulier dans l’étude UKPDS(1).
Équilibre glycémique et complications micro- et macro-angiopathiques
Cette corrélation de causalité est moins forte pour les complications macro-angiopathiques, et impose le plus souvent un degré d’exposition prolongée (au-delà de 10 et parfois jusque 20 ans) à l’hyperglycémie pour être démontrée (données provenant des études UKPDS et VADT en particulier). Dans le diabète de type 1, c’est le suivi à 30 ans des patients de l’étude DCCT/EDIC qui retrouve une diminution de 30 % des événements cardiovasculaires majeurs(2) et de 33 % de la mortalité totale(3) parmi les patients initialement randomisés dans le groupe traitement intensif du diabète. Il n’existe donc pas à ce jour d’étude ayant démontré, de façon indiscutable, qu’un contrôle optimal de la glycémie pourrait prévenir les complications cardiovasculaires chez les patients diabétiques de type 1 ou de type 2. Seules certaines méta-analyses montrent une réduction du risque de survenue d’un infarctus du myocarde (IDM) de 15 % pour une différence d’HbA1c de 1 point sur 5 à 10 ans(4). Rappelons que le vieillissement, le tabagisme, l’hypertension artérielle ou encore l’hypercholestérolémie ont sans doute un impact prépondérant sur la survenue de ces complications.
Même si la prise en charge des autres facteurs de risque est indispensable, elle ne doit pas occulter l’importance de traiter parallèlement l’hyperglycémie. Des essais prospectifs ont apporté la preuve de l’efficacité de ces mesures conjointes sur la survenue des événements cardiovasculaires(1,5-10) Plus récemment, des études de médiation ont été réalisées lors des grands essais de protection cardiovasculaire (CardioVascular Outcome Trials ou « CVOTS »), qui permettent de démontrer qu’au-delà de l’effet protecteur cardio-rénal propre à certaines molécules comme les agonistes des récepteurs auGLP1(ARGLP-1) ou les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2), le rôle de l’amélioration de l’équilibre glycémique n’était pas neutre dans l’efficacité de protection cardiovasculaire observée au cours de ces études(11)
L’HbA1c reste ainsi un indicateur fiable du déséquilibre glycémique, mais certaines réserves analytiques existent sur la qualité de son dosage et par conséquent la justesse des résultats rendus. Des variants de l’hémoglobine ou certaines conditions rendent en effet ininterprétable le résultat de l’HbA1c(12). Pourtant, son niveau cible est essentiel et doit être personnalisé afin d’adapter l’intensification thérapeutique aux besoins individualisés de chaque personne vivant avec un diabète(13). Enfin, le dosage n’étant recommandé que tous les 3-4 mois pour des raisons analytiques et physiologiques, il convient de s’appuyer sur d’autres données biologiques du contrôle métabolique, pour affiner au fil de l’eau l’équilibre glycémique des patients atteints de diabète de type 1 comme de type 2.
Nouveaux « metrics » du glucose disponibles en 2023
Ces dernières années ont vu apparaître de nouveaux outils, en particulier ceux permettant une mesure continue du glucose à l’aide de capteurs de glucose insérés dans le tissu sous-cutané (avec mesure du glucose dans le liquide interstitiel). Cette révolution dans la surveillance du diabète permet ainsi à des milliers de patients d’abandonner la conventionnelle autosurveillance glycémique par mesure capillaire du glucose et l’utilisation de bandelettes réactives avec lecteur de glycémie utilisée depuis les années 1980 par les patients.
Les indications d’utilisation, comme le champ de remboursement, de ces capteurs sont variables d’un pays à un autre et évoluent au fil des nouvelles données mises à disposition. En France, cela concerne en particulier les patients atteints de diabète de type 1 et sous insulinothérapie exclusive, mais les patients diabétiques de type 2 traités par plusieurs injections d’insuline sont également concernés.
Le 1er juin 2017, en France, le FreeStyle Libre (FSL) 1 a fait son apparition sur le marché en qualité de premier capteur de glucose remboursé pour tous les patients DT1 et DT2 traités par au moins 3 injections d’insuline ou une pompe à insuline, et effectuant préalablement au moins 3 autocontrôles glycémiques au bout du doigt. Appareil de surveillance du glucose mini-invasif posé pour 14 jours, il facilite l’évaluation des concentrations de glucose sans avoir besoin de mesures capillaires de contrôle (calibration en usine), par réalisation des scans intermittents. Depuis 2021, un modèle FreeStyle Libre 2 est disponible, dont l’évolution technique est marquée par la possibilité de programmer des alarmes optionnelles et réglables d’hypo- ou d’hyperglycémie,fonctionnant sous forme de notification et avertissant le patient, même en l’absence de pratique de scan du capteur de glucose. C’est une avancée majeure dans la gestion de l’équilibre glycémique des patients. Le modèle FSL2 bénéficie d’un large remboursement auprès des patients DT1 et DT2, mais sans condition de réalisation préalable d’une ASG conventionnelle renforcée (différence avec les conditions de remboursement du FSL1)(14). Une version miniaturisée de mesure en temps réel (FreeStyle Libre 3) est soumise pour accord aux autorités de santé.
Depuis, d’autres capteurs de glucose ont également obtenu un remboursement, mais sous conditions de situations métaboliques défavorables chez le patient, à savoir une HbA1c > 8,0 % ou la survenue d’une hypoglycémie sévère, auto-déclarée par le patient dans les 12 mois précédents. C’est le cas en particulier du capteur de glucose Dexcom G6, dont la durée d’utilisation est de 10 jours, avec l’intérêt aussi d’être calibré en usine et ne nécessitant donc pas de calibration par plusieurs glycémies capillaires quotidiennes.
Depuis le mois d’août 2023, un nouvel outil est également disponible(15) : il s’agit du capteur de glucose Dexcom One dont le remboursement s’applique aux patients DT1 ou DT2, adultes et enfants âgés d’au moins 2 ans traités par insulinothérapie intensifiée (par pompe externe ou ≥ 3 injections par jour), en complément d’une autosurveillance glycémique capillaire.
Tout récemment, des études de cohortes provenant de la base du SNDS (Système national des données de santé) ont également permis de démontrer que l’utilisation de la mesure continue du glucose par scans intermittents (FGM pour Flash Glucose Monitoring) s’accompagne d’une réduction majeure des événements cliniques, hospitalisation pour acidocétose, comas et hypoglycémies, de même que pour les hospitalisations toutes causes confondues chez des patients atteints de DT2 et traités par une injection d’insuline basale seule(16). Ces données de santé ont ainsi permis d’obtenir une nouvelle indication d’utilisation du capteur de glucose par scans intermittents dont le remboursement s’étend par conséquent aujourd’hui à cette population de patients sous insuline basale seule, mais sous conditions d’HbA1c ≥ 8,0 %. L’évolution des indications et remboursements des capteurs de glucose utilisés en ambulatoire est résumée sur le tableau.
Amélioration de l’équilibre glycémique et du confort du patient grâce à la mesure du glucose en temps réel
Bien que plébiscité par les patients utilisateurs pour le confort de surveillance des capteurs comparativement aux glycémies capillaires, la question posée est celle de l’utilité des systèmes de mesure en continu du glucose en termes d’amélioration du contrôle glycémique, voire de prévention des complications micro- ou macro-angiopathiques et des complications métaboliques.
Les données des études IMPACT chez le patient DT1(17) et REPLACE chez le patient DT2(18,19), ont apporté la preuve que les outils de MCG (en particulier le FGM avec le FSL) réduisent significativement le temps passé en hypoglycémie (temps passé sous la cible ou Time Below Range/TBR, dont l’objectif est au maximum de 4 % pour une majorité de patients) respectivement de 38 % et 43 %, chez des patients initialement engagés dans une ASG régulière, et pour des patients DT1 bien équilibrés avec une HbA1c < 7,0 % et sans détérioration de l’équilibre glycémique. Plus récemment, des données de vraie vie (rétrospectives et prospectives) ont démontré que le système Flash d’autosurveillance du glucose chez les patients DT1 et DT2 sous insulinothérapie intensifiée, mais insuffisamment contrôlés en termes d’HbA1c, est associé à une réduction significative de ce paramètre métabolique(20,21 .
Ces études démontrent également une amélioration significative des scores du SF 12v2 (composante mentale) et du EQ5D 3L, une réduction des hospitalisations liées au diabète de 13,7 à 4,7 % (p < 0,05) et de l’absentéisme au travail de 18,5 à 7,7 % (p < 0,05).
Rappelons ici qu’il existe une corrélation forte entre les paramètres issus des capteurs de glucose (notamment le temps passé dans la cible pour Time In Range ou TIR, dont l’objectif est de 70 % entre 70 et 180 mg/dl pour une majorité de patients) et les valeurs de l’HbA1c(22,23). Ainsi, pour chaque variation absolue (augmentation) de 10 % du pourcentage de TIR, il y a une variation moyenne (baisse) de 0,8 % (9 mmol/mol) du taux d’HbA1c. Les données de « big data » sur bases de données centralisées des scans réalisés par les patients ont quant à elles apporté la preuve d’un lien étroit entre le nombre de scans réalisés par le patient et l’amélioration des différents paramètres du glucose interstitiel(24). Soulignons enfin que l’arrivée des capteurs de glucose a donné un regain d’intérêt à l’évaluation de la variabilité glycémique, paramètre jusqu’alors difficilement évaluable. Les données issues des capteurs de glucose permettent désormais d’apprécier la variabilité glycémique, par l’aspect visuel des profils jour après jour, par l’évaluation de l’interquartile range (IQR) de l’AGP (ambulatory glucose profile) et par le coefficient de variation (CV) qui est le principal critère quantifiable de variabilité actuellement utilisé en routine clinique. Le CV est corrélé au risque hypoglycémique, mais l’association entre la variabilité et la survenue des complications dégénératives reste controversée(25).
Impact de la MCG sur la survenue des complications métaboliques aiguës et des complications dégénératives liées au diabète
Certaines études cherchant à relier cycles glycémiques et risque de complications liées au diabète ont utilisé des données transversales issues de l’autosurveillance par glycémie capillaire(26). Ces études n’ont donc pas utilisé la richesse des informations apportées par la MCG, ce qui réduit la recherche d’une causalité. Les études qui ont étudié les associations entre le Flash Glucose Monitoring et les complications liées au diabète ont permis d’apporter un certain niveau de preuves sur l’efficacité de la MCG sur la réduction des complications métaboliques aiguës(27).
Les données issues d’un programme de recherche clinique effectué à partir du SNDS ont apporté au cours des 2 dernières années, des preuves manifestes de l’efficacité du système FGM (Flash Glucose Monitoring) sur la réduction des complications liées au diabète : il s’agit des hospitalisations pour acidocétose, des comas et hypoglycémies, de même que des hospitalisations toutes causes confondues, que ce soit auprès d’une population de patients DT1 et DT2 traités par multi-injections d’insuline(28,29) ou pour des patients DT2 traités par insuline basale seule(16). Les données de plus de 10 000 utilisateurs de FreeStyle Libre au Royaume-Uni ont démontré que l’utilisation de l’appareil de MCG couplée à des améliorations des valeurs d’HbA1c était associée également à une réduction des hospitalisations.
Il n’existe cependant aucune étude d’intervention ayant démontré qu’en se basant sur un objectif de temps passé dans la cible, de réduction du temps passé en hyperglycémie et/ou en hypoglycémie, en s’appuyant exclusivement sur la MCG et non sur l’HbA1c, une réduction des complications micro- et macrovasculaires liées au diabète était observée. Seules des données parcellaires ou rétrospectives d’association apportent un début d’éclairage à cette question essentielle. Une étude de cohorte observationnelle prospective réalisée en Belgique a été réalisée pour évaluer l’impact du remboursement national de la surveillance continue du glucose en temps réel (RT-CGM) chez 515 adultes atteints de DT1 et traités par pompe à insuline(30). Cette étude a mis en évidence une relation entre la prévalence des complications liées à l’hyperglycémie chronique et le temps passé dans la cible thérapeutique (TIR entre 70 et 180 mg/dl). Les personnes souffrant de complications microvasculaires étaient logiquement plus âgées et avaient une durée de diabète plus longue ainsi qu’un taux d’HbA1c plus élevé, mais elles avaient aussi un pourcentage de TIR plus faible (60,4 ± 12,2 vs 63,9 ± 13,8 %, p = 0,022) comparativement aux personnes sans complication microvasculaire. La durée du diabète et le TIR étaient des facteurs de risque indépendants de développer des complications micro-vasculaires multiples. Le TIR était également le seul facteur de risque indépendant pour le risque d’hospitalisations pour hypoglycémie ou acidocétose. Ces données ont également été confirmées très récemment dans une autre étude observationnelle portugaise explorant 161 sujets atteints de DT1. Dans cette cohorte, les complications microvasculaires étaient plus fortement associées au TIR qu’à l’HbA1c, quels que soient les modèles d’ajustement utilisés(31).
Une étude plus ancienne a analysé auprès de 3 262 patients atteints de DT2 la relation entre le TIR et la rétinopathie diabétique (RD)(32). Au sein de cette population où la prévalence globale de la RD était de 23,9 %, des associations significatives ont été retrouvées entre le TIR et tous les stades de la RD (RD minime, p = 0,018 ; RD modérée, p = 0,014 ; RD sévère, p = 0,019) après ajustement sur l’âge, le sexe, l’IMC, la durée du diabète, la pression artérielle, le profil lipidique et, bien sûr, l’HbA1c.
Inversement, il est reconnu que l’amélioration trop rapide de l’équilibre glycémique est un facteur de risque de développement voire d’aggravation d’une rétinopathie diabétique non stabilisée. Cependant dans un essai récent portant sur 139 patients atteints de DT1 depuis plus de 5 ans avec un déséquilibre glycémique chronique (HbA1c > 9,0 %), l’amélioration de l’HbA1c, de -2,1 % pour certains patients bons répondeurs aux changements thérapeutiques et à l’utilisation de la FGM, n’a pas été associée à une majoration du risque de rétinopathie (18,7 % des patients ayant pourtant déjà bénéficié d’une panphotocoagulation rétinienne). Le FGM apparaît ici comme un élément de suivi, de sécurité et d’ajustement de l’insulinothérapie permettant de réduire le risque hypoglycémique chez des patients initialement très déséquilibrés, et d’encadrer efficacement l’intensification thérapeutique sans majoration du risque précoce de détérioration de la rétinopathie diabétique.
D’autres études ont été conduites chez des patients atteints de DT2 avec une MCG professionnelle réalisée sur 3-6 jours ou sur des périodes prolongées. Le TIR a été retrouvé comme associé à l’épaisseur intima-média de la carotide dans un large échantillon de patients atteints de diabète de type 2(33). Dans une autre étude, le TIR est significativement et indépendamment associé à l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ou à un risque accru de mortalité toutes causes confondues et de maladies cardiovasculaires(34-35). Sur le plan neurologique, un TIR plus faible est associé à des symptômes de neuropathie périphérique diabétique plus marqués(36) et enfin une augmentation de 10 % du TIR est significativement et inversement corrélée à la gravité de la neuropathie autonome cardiaque, complication à haute valeur de gravité en termes de pronostic vital pour le patient(36). Des données de mesure continue du glucose portant sur la variabilité intra- et inter-journalière du glucose sont significativement associées à la gravité de la rétinopathie diabétique et à la présence d’une albuminurie, même après ajustement sur de nombreux facteurs de risque de ces complications(37).
Ainsi, sur la base de ces études, il est démontré que le temps passé dans la cible préférentielle et consensuelle (TIR : 70-180 mg/dl) est fortement associé au risque de complications microvasculaires liées au diabète, les données sur la relation entre TIR et pathologies cardiovasculaires demeurant limitées à des critères intermédiaires et peu concluantes(38).
Ainsi, tous les paramètres de la MCG devraient constituer un critère d’évaluation acceptable pour les futurs essais cliniques(38) , en complément pour l’instant de l’HbA1c, mesure biologique toujours précieuse et seul paramètre métabolique ayant un lien de causalité prouvé avec les complications dégénératives. Néanmoins, il semble évident que les paramètres CGM doivent faire partie des critères d’évaluation des essais cliniques à venir portant sur le diabète de type 1 comme de type 2(39).
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