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Hypoglycémie

Publié le 14 juin 2015Lecture 8 min

Les hypoglycémies chez les patients diabétiques âgés : fréquentes, graves et sous-estimées

B. BAUDUCEAU, L. BORDIER, Service d’endocrinologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé

Tous les soignants chargés de la prise en charge des patients diabétiques âgés redoutent à juste titre la survenue des hypoglycémies. De nombreuses publications récentes renforcent cette certitude et soulignent la fréquence et la gravité des hypoglycémies, tout particulièrement chez les patients fragiles. La consolidation de cette prise de conscience doit être saluée d’autant que les présentations cliniques sont fréquemment atypiques ou silencieuses et que les conséquences en termes de morbi-mortalité sont maintenant mieux évaluées chez ces patients. La mise sur le marché de classes médicamenteuses nouvelles qui permettent de limiter la survenue de ces hypoglycémies constitue indiscutablement un progrès pour le traitement de ces malades.

La fréquence des hypoglycémies est importante mais sous-estimée Le diagnostic d’une hypoglycémie chez un diabétique se définit par la constatation d’une glycémie capillaire inférieure à 0,60 g/l (voire 0,70 g/l aux États-Unis) qu’il existe ou non des symptômes, ce qui est particulièrement fréquent notamment la nuit chez les patients diabétiques âgés. Ce fait explique que la prévalence des hypoglycémies est largement sous-estimée chez ces malades. Toutefois, dans l’étude Gérodiab, le tiers des malades âgés de plus de 70 ans signalait la survenue d’hypoglycémies dans les 3 mois précédant leur inclusion avec une moyenne de 11,3 hypoglycémies par patient(1). Dans ENTRED, les hypoglycémies sévères, nécessitant par définition l’intervention d’un tiers, atteignent 13 % dans l’année chez les patients âgés de plus de 85 ans, chiffre supérieur à celui des diabétiques plus jeunes chez lesquels cette fréquence ne dépasse pas 10 %(2). Une étude réalisée en France à l’aide du PMSI a montré que les hypoglycémies sévères étaient responsables en 2012 de plus de 27 000 séjours hospitaliers et que 60,6 % des patients étaient âgés de plus de 65 ans(3). Ainsi, les raisons d’hospitalisation pour hypoglycémies sévères ont maintenant dépassé celles générées par une hyperglycémie chez les diabétiques américains de plus de 65 ans. Une présentation clinique fréquemment atypique Les hypoglycémies chez les sujets âgés peuvent naturellement se présenter de façon habituelle mais elles prennent fréquemment un masque atypique sous la forme de troubles du comportement, d’une confusion ou d’une agressivité. Ces manifestations « psychiatriques » peuvent conduire à des prescriptions inadaptées d’anxiolytiques ou de neuroleptiques. Enfin, un grand nombre de ces hypoglycémies sont parfaitement asymptomatiques, notamment la nuit, ce qui explique leur fréquente méconnaissance ou leur sous-estimation devant un sommeil agité ou un réveil difficile marqué par des céphalées. Comment expliquer cette fréquence ? De nombreux facteurs interviennent pour favoriser la survenue des hypoglycémies chez les patients diabétiques âgés : - l’âge avancé et l’existence de troubles cognitifs responsables d’erreurs dans les prises médicamenteuses ou d’une alimentation aléatoire aggravée par des problèmes de dentition et de prothèses dentaires ; - le niveau trop ambitieux des objectifs glycémiques, comme cela a pu être montré dans une étude menée en EHPAD dans laquelle près du tiers des diabétiques très âgés avait une HbA1c < 6,5 %(4) ; - la réduction de la perception des hypoglycémies liée à leur répétition et à une neuropathie végétative ; - une altération probable de l’efficience de la contre-régulation ; - le mode de traitement est le facteur essentiellement en cause dans la survenue des hypoglycémies. L’insulinothérapie est la principale responsable mais les sulfamides entraînent des hypoglycémies prolongées, notamment en cas d’insuffisance rénale très fréquente chez les seniors. Les sulfamides sont à la 4e place des classes médicamenteuses à l’origine d’une hospitalisation pour accident iatrogène aux États-Unis entre 2007 et 2009, après les antivitamine K, l’insuline et les antiagrégants plaquettaires. Conséquences des hypoglycémies chez les diabétiques âgés La survenue des hypoglycémies, notamment chez les malades fragiles, a de multiples conséquences sur la qualité de vie et la morbi-mortalité. Elles augmentent le risque de chute, entraînent des modifications du comportement, majorent les troubles du rythme cardiaque, les infarctus du myocarde et les accidents cérébraux. Les hypoglycémies sévères aggravent le risque de démence mais, inversement, elles surviennent plus fréquemment chez des sujets présentant une profonde altération de leurs fonctions cognitives. Au total, les hypoglycémies sévères multiplient le risque de démence par 2 et l’existence d’une démence majore les accidents hypoglycémiques d’un facteur 3(5). Au total, la mortalité est globalement multipliée par 3 à 5 ans chez les patients âgés présentant des hypoglycémies sévères(6). Enfin, ces complications iatrogènes peuvent générer une crainte des soignants dans l’intensification du traitement chez des sujets qui ont bien vieilli et qui nécessiteraient de parvenir à une HbA1c optimale. Le coût financier engendré par ces hypoglycémies mériterait, en France, d’être mieux pris en compte car cette notion n’apparaît pas suffisamment dans les recommandations officielles. En effet, en France le coût moyen par séjour hospitalier était de 4 254 euros en 2012, ce qui représente 1,7 % des dépenses totales liées au diabète(3). Définir des objectifs glycémiques adaptés au patient  L’objectif d’HbA1c doit être d’autant moins ambitieux que l’état du diabétique âgé est plus précaire. Selon les dernières recommandations de la HAS et de l’ANSM parues en janvier 2013, l’HbA1c doit être ≤ 7 % chez les malades « vigoureux », ≤ 8 % chez les sujets « fragiles » et < 9 % chez les « malades ». Malheureusement, ces normes ne comportent pas de limite inférieure et risquent de conduire à un surtraitement des diabétiques âgés car une HbA1c trop basse implique l’existence d’hypoglycémies souvent mal ressenties ou méconnues. Au total, il est inutile et dangereux de traiter excessivement un patient dont le pronostic ne dépend plus de l’évolution du diabète, mais il ne faut pas non plus insuffisamment équilibrer les glycémies d’un sujet dont l’espérance de vie est encore importante et qui risque de développer des complications notamment microangiopathiques du diabète. Adapter les mesures hygiéno-diététiques Une erreur fréquente porte sur le « régime diabétique » trop souvent imposé à ces malades, favorisant la survenue des hypoglycémies et la dénutrition. Sans verser dans un total laxisme, les régimes restrictifs et les interdits alimentaires doivent être proscrits au profit d’une alimentation variée et équilibrée. La prise des aliments riches en sucres simples doit simplement être limitée et réservée à la fin des repas afin d’éviter les excursions glycémiques trop importantes. En corollaire, le contrôle et les soins de l’état dentaire sont indispensables pour que l’état nutritionnel demeure satisfaisant. La pratique régulière d’activités physiques et notamment de la marche chez toute personne âgée est à la fois un témoin et un facteur de réussite du vieillissement. Elle doit naturellement être adaptée à l’état du sujet âgé diabétique, et la prévention des hypoglycémies nécessite d’être prise en compte. Organiser le traitement médicamenteux oral du diabète chez les sujets âgés (figure)     Stratégie thérapeutique chez les diabétiques âgés.   La mise sur le marché de nouvelles classes médicamenteuses et d’insulines modernes permet d’améliorer le traitement des diabétiques âgés mais en complique la stratégie(7). La hiérarchisation des traitements est valable quel que soit l’âge, mais il est nécessaire de l’adapter aux objectifs glycémiques qui sont différents de ceux des diabétiques plus jeunes et d’éviter au maximum les hypoglycémies. Ainsi, toute recette thérapeutique unique doit être écartée au profit d’une individualisation de la prise en charge de ces patients. La molécule de première intention reste la metformine comme chez les malades plus jeunes. L’existence d’une insuffisance rénale avec un débit de filtration glomérulaire entre 30 et 60 ml/min/1,73 m2 calculée par la formule MDRD nécessite de réduire la dose de moitié et d’interrompre le traitement pour des chiffres inférieurs. En cas d’insuffisance de résultat avec la metformine, le choix est globalement laissé entre la prescription d’un sulfamide hypoglycémiant ou d’un glinide et celle d’un inhibiteur des DPP4 ou gliptine (i-DPP4). En effet, les inhibiteurs des alpha-glucosidases sont peu utilisés chez ces malades en raison d’une efficacité limitée et des troubles digestifs qu’ils induisent, notamment en association avec la metformine. Les sulfamides, qui sont recommandés pour des raisons essentiellement économiques parfaitement respectables, peuvent induire des hypoglycémies prolongées notamment en cas d’insuffisance rénale. Un débit de filtration glomérulaire < 40- 50 ml/min contre-indique leur utilisation. La prescription des sulfamides doit donc être réservée aux malades dits « vigoureux » à faible risque hypoglycémique. Chez les patients fragiles en échec de la metformine, le choix se porte sur les i-DDP4 dont la tolérance est bonne et le risque hypoglycémique nul en l’absence de prescription conjointe d’insuline ou d’insulinosécréteur. Le choix de cette classe médicamenteuse apparaît clairement dans la prise de position ADA-EASD et dans les recommandations du groupe de travail européen du diabète de type 2 de la personne âgée fragile(8). En revanche, les analogues du GLP1, bien qu’ils n’induisent pas d’hypoglycémies, sont peu utilisés chez les malades âgés fragiles en raison des risques de troubles digestifs, fréquents en début de traitement et susceptibles d’aggraver une dénutrition. D’ailleurs, l’expérience de l’utilisation de cette classe médicamenteuse est très limitée au-delà de 75 ans et elle n’est donc pas recommandée. À l’heure de l’insuline La nécessité d’initier une insulinothérapie chez les diabétiques de type 2 âgés est une circonstance fréquente et souvent redoutée par ces malades ou leur entourage, notamment en raison de la crainte des malaises hypoglycémiques. Aussi est-il indispensable de bien définir l’objectif thérapeutique en l’adaptant à l’état de santé des patients et de prescrire le schéma et le type d’insuline qui leur conviennent le mieux avec le moins de contraintes possibles. La HAS et l’ANSM recommandent de débuter de préférence par une insuline NPH de durée intermédiaire. Toutefois, chez les malades fragiles, ce type d’insuline présente l’inconvénient de ne pas couvrir le nycthémère et de majorer le risque hypoglycémique en raison de leur pic d’activité maximale vers la 4e heure. Aussi, comme le montrent de très nombreuses études, en répondant au mieux au cahier des charges du traitement de ces malades, les analogues lents de l’insuline ont-ils pris aujourd’hui une place prépondérante dans l’insulinothérapie des diabétiques âgés. La prescription initiale nécessite d’être réfléchie et la dose initiale ne doit pas dépasser 0,25 à 0,30 U/kg/j. L’adaptation des doses, confiée au patient si cela est possible ou à un aidant, doit répondre à un protocole écrit et prudent. Conclusion Les conséquences néfastes des hypoglycémies chez les sujets âgés sont aujourd’hui bien connues. Elles sont redoutées chez les patients fragiles dont elles aggravent très significativement la morbi-mortalité. Leur prévention nécessite de bien fixer les objectifs glycémiques selon l’état du malade et d’adapter le traitement en privilégiant les classes médicamenteuses qui n’entraînent pas d’hypoglycémies. La gestion de l’insuline doit être prudente et nécessite une éducation thérapeutique adaptée au malade ou aux aidants.    Les auteurs déclarent avoir effectué des interventions ponctuelles à la demande de la plupart des firmes pharmaceutiques impliquées dans le traitement des diabétiques.

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