Hypoglycémie
Publié le 30 avr 2024Lecture 12 min
Les hypoglycémies iatrogènes - 2e partie - Traitements immédiats et à distance
Louis MONNIER, Claude COLETTE, Faculté de médecine de Montpellier, université de Montpellier
Une première partie a été consacrée aux définitions des hypoglycémies iatrogènes, à leurs conséquences immédiates ou à distance et à leurs particularités en insistant sur l’existence possible de discordances entre leur ressenti et leur degré. L’un des meilleurs exemples de cette discordance est la perte des symptômes adrénergiques d’« alerte » chez les patients diabétiques qui sont sujets à des épisodes répétés d’hypoglycémie. Ainsi, corriger les hypoglycémies dans les meilleurs délais et prévenir leur répétition sont deux mesures indispensables. De surcroît, pendant longtemps, les diabétologues se sont surtout focalisés sur l’intensité des hypoglycémies, mais, depuis le développement de l’enregistrement glycémique continu en ambulatoire, la durée des hypoglycémies est apparue comme étant un paramètre important. C’est pour cette raison que les recommandations internationales préconisent de limiter le pourcentage de durée du temps passé en dessous de certains seuils glycémiques : TBR (« Time Below Range ») < 4 % et < 1 %, respectivement pour le TBR < 70 mg/dL et < 54 mg/dL(1).
Pour résumer ce paragraphe introductif, traiter les hypoglycémies iatrogènes devrait consister à agir sur leurs 3 composantes : amplitude, durée et fréquence avec le maître mot « réduction » en dénominateur commun.
Réduire l’amplitude
L’amplitude de la chute glycémique conditionne, en général, l’importance des symptômes, mais, dans tous les cas de figure, la correction de l’hypoglycémie dépend de l’état du patient(2).
Premier cas de figure
Si le sujet est conscient avec uniquement des symptômes adrénergiques (sensation de faim, palpitations, sueurs, lipothymies) et s’il est capable de s’alimenter (hypoglycémie de niveau 1), le traitement immédiat consiste à ingérer 15 à 20 grammes de glucose pur ou sous forme d’aliments qui apportent des glucides rapidement hydrolysés pour libérer une quantité équivalente de glucose. À titre d’exemple, l’hydrolyse du saccharose fournit 2 unités monosaccharidiques : une de glucose et l’autre de fructose, ce dernier étant ultérieurement converti en glucose par le foie. C’est pour cette raison que 15 à 20 g de glucose peuvent être remplacés par 3 à 4 morceaux de sucre, par 3 à 4 cuillerées à café de confiture ou par 15 à 20 cl d’une boisson sucrée du commerce. Les produits qui contiennent surtout du fructose comme le miel (60 %) ne sont pas conseillés en raison du temps de latence inhérent à la transformation endogène du fructose en glucose.
Précautions à prendre ultérieurement :
– vérifier que la glycémie est remontée une quinzaine de minutes après l’ingestion du glucose. Si ce n’est pas le cas, la prise de glucose doit être réitérée ;
– éviter un resucrage « trop appuyé » qui risquerait de conduire à un rebond hyperglycémique post-hypoglycémie qui, en plus de l’instabilité glycémique qu’elle induit, peut provoquer un dysfonctionnement endothélial et une activation du stress oxydatif(3), lesquels prolongent l’effet thrombogène intrinsèque de l’hypoglycémie(4) ;
– conseiller la prise d’une collation à base de glucides lents dans la demi-heure qui suit afin de consolider un resucrage insuffisant, lorsque l’hypoglycémie a été intense. Si l’hypoglycémie est survenue dans la période qui précède l’un des principaux repas de la journée, il suffit de le consommer ou de le prendre un peu plus tôt que prévu.
Deuxième cas de figure
Quand le sujet présente des troubles neurologiques (hypoglycémies de niveaux 2 et 3) et a fortiori s’il est inconscient et dans l’incapacité de s’alimenter, il faut recourir à une administration de glucagon soit par voie injectable intramusculaire ou sous-cutanée à la dose de 1 mg, soit par voie nasale par pulvérisation d’une dose de 3 mg, avec l’aide d’une tierce personne. La dernière possibilité, mais qui nécessite une prise en charge médicale, est l’injection intraveineuse (30 à 50 mL) de soluté glucosé à 50 % suivi par une perfusion de soluté à 5 %.
Réduire la durée et la fréquence des hypoglycémies
Réduire la durée est une mesure mixte immédiate et à distance. Elle devient à distance quand il s’agit par exemple de détecter soit des hypoglycémies non ressenties par diminution de leur seuil de perception, soit des hypoglycémies nocturnes qui surviennent dans le sommeil profond, mais qui peuvent entraîner des événements cardiovasculaires aigus (arythmie cardiaque, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux), voire conduire à la mort subite : « dead in bed ». Réduire la fréquence est en revanche une mesure à distance. Dans ces conditions, le traitement à distance des hypoglycémies iatrogènes comporte des mesures communes destinées à réduire leur durée et leur fréquence.
Comment évaluer la durée et la fréquence
Il est aisé de comprendre que le mode déclaratif est insuffisant pour réaliser cette évaluation dans la mesure où les signes cliniques peuvent être soit absents soit retardés par rapport au début réel de l’hypoglycémie. Dès lors, la seule méthode pour quantifier la durée et la fréquence des hypoglycémies est la mise en place d’un système d’enregistrement glycémique continu en ambulatoire (CGMS pour « Continuous Glucose Monitoring System »)(5). On considère en général qu’une hypoglycémie est significative quand les taux glycémiques restent inférieurs à 70 mg/dL pendant une durée au moins égale à 15 minutes(5). L’enregistrement glycémique continu a également comme avantage de saisir la direction des variations glycémiques. Un profil rapidement descendant à partir de 80 mg/dL fait craindre la survenue d’une hypoglycémie. De plus, il convient de se rappeler qu’en raison du temps de latence de l’ordre de 10 à 15 minutes entre un changement du glucose circulant plasmatique et sa répercussion sur le glucose interstitiel mesurée par le CGM(6), une glycémie affichée à 80 mg/dL par le CGMS peut déjà être en réalité largement inférieure à 70 mg/dL si la glycémie du sujet est en descente rapide (figure 1).
Figure 1. Évolution en fonction du temps des glycémies réelles (plasmatiques) et des glycémies affichées par le CGMS. Le décalage correspond au temps nécessaire pour que le glucose diffuse du secteur circulant vers le milieu interstitiel. La flèche jaune indique la différence entre la glycémie plasmatique (réelle) et la glycémie affichée par le CGM lorsque la glycémie est en descente rapide avec menace d’hypoglycémie.
La fréquence des hypoglycémies dépend de leur mode de recueil. Si on se limite au mode déclaratif, seules les hypoglycémies symptomatiques peuvent être comptabilisées. Dans ces conditions, un certain nombre d’hypoglycémies totalement asymptomatiques échappent au dépistage sauf si l’on met en place un CGMS. À partir de la compilation de données recueillies dans la littérature avant 2015 (étude BEGIN, Lancet 2012 ; ACCORD, New England Journal of Medicine 2008 ; DARTS/MEMO, Diabetic Medicine 2005 ; UKPDS, Lancet 1998) et à partir de données personnelles(7,8), il est possible de reconstituer la fréquence des hypoglycémies même si cette fréquence est certainement en amélioration grâce aux nouveaux traitements. Pour les hypoglycémies, leurs fréquences sont schématiquement les suivantes (figure 2) : une par semaine dans le type 1 ; une par mois dans le type 2 insuliné ; une par trimestre dans les diabètes de type 2 traités par sulfonylurées ; et moins d’une par an pour les types 2 qui ne sont traités ni par insuline ni par sulfonylurée. De manière globale, on peut considérer que les hypoglycémies symptomatiques (partie émergée de l’iceberg) ne représentent environ que le tiers de toutes les hypoglycémies, ce qui signifie qu’environ les deux tiers restants sont asymptomatiques (partie immergée de l’iceberg) (figure 2).
Figure 2. Fréquence des hypoglycémies symptomatiques et asymptomatiques en fonction du type de diabète et de traitements.
Traitements et stratégies thérapeutiques pour réduire la durée et la fréquence des hypoglycémies
Les dénominateurs communs
Il est bien connu que l’incidence des hypoglycémies iatrogènes augmente lorsqu’on recherche la normoglycémie. L’étude ACCORD dans le diabète de type 2 en est l’un des exemples les plus typiques(9). En utilisant le CGM chez les diabétiques de type 2, qu’ils soient ou non insulinés, nous avons pu observer que l’incidence des hypoglycémies dépend au minimum de 2 facteurs (figure 3)(7). Le premier est évidemment le niveau de la glycémie en tant que tel : plus il est bas, plus l’incidence des hypoglycémies est élevée. Le deuxième est la variabilité glycémique entre pics et nadirs : plus elle est forte, plus l’incidence des hypoglycémies augmente. Ultérieurement, nous avons établi que dans le diabète de type 1, le pourcentage de sujets qui font des hypoglycémies de niveau 2 (glycémie inférieure < 54 mg/dL) n’est que de 3,2 % quand la variabilité glycémique (coefficient de variation du glucose) est inférieure à 27 % alors qu’il devient égal à 42 % quand le CV est supérieur ou égal à 27 %(8,10). Ainsi, l’objectif du traitement est de maintenir la variabilité intra-journalière, c’est-à-dire les coefficients de variation du glucose (CV = déviation standard/moyenne glycémique) en dessous de 27 %. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’on cherche à se rapprocher de la normoglycémie avec des traitements susceptibles de provoquer des hypoglycémies, ce qui est le cas de l’insuline. Les patients concernés par ce problème sont donc tous les diabétiques de type 1 et, parmi les diabétiques de type 2, ceux qui sont traités par insuline et dans une moindre mesure par des insulino-sécrétagogues non-glucose-dépendants comme les sulfonylurées. Les incrétino-modulateurs (inhibiteurs de la DPP-4) et les incrétino-mimétiques (agonistes simples du récepteur du GLP-1 ou doubles agonistes du GLP-1 et du GIP) sont a priori à l’abri de ce problème dans la mesure où ils sont reconnus comme des insulinosécrétagogues gluco-dépendants(11). Parce qu’ils ne stimulent pas l’insulinosécrétion, les inhibiteurs du SGLT2 et la metformine ne sont pas concernés par le risque d’hypoglycémie. Ceci signifie concrètement que, chez les diabétiques de type 2 qui ne requièrent pas un traitement insulinique, il est préférable d’opter pour les nouvelles classes de médicaments antidiabétiques (iSGLT2 et médications agissant par la voie des incrétines) plutôt que de prescrire des sulfonylurées en deuxième intention quand la metformine (traitement habituel de première ligne) s’avère insuffisante(12).
Figure 3. Nombre d’hypoglycémies asymptomatiques (< 56 mg/dL) dans le diabète de type 2 en fonction de la glycémie moyenne et de la variabilité glycémique (déviation standard autour de la moyenne, SD) (d’après la référence 7).
Que faire chez les diabétiques insulinés qui font des hypoglycémies répétées et prolongées ?
• Effet du simple port d’un CGM sur le risque d’hypoglycémie
Plusieurs études – DIAMOND, GOLD, MOBILE, COMISAIR (tableau 1) – ont montré que le port d’un CGM avec lecture en temps réel (rtCGM) est associé à une amélioration globale de l’équilibre glycémique, à une réduction de la durée des temps passés en hypoglycémie évalués par le TBR < 70 ou 54 mg/dL. Dans les études où la variabilité glycémique a été évaluée soit par le coefficient de variation du glucose (CV), soit par le MAGE (« Mean Amplitude of Glycemic Excursions »), le port du CGM est associé à une diminution de l’amplitude des fluctuations glycémiques, suggérant que variabilité glycémique e thypoglycémies sont reliées entre elles. Ces études ont été conduites chez des diabétiques insulinés, mais la réduction de la durée des hypoglycémies a été observée quel que soit le type de diabète (1 ou 2) ou de traitement : multi-injections d’insuline ou infusion continue par pompe dans le diabète de type 1, insuline basale seule dans le type 2. Les résultats sont consignés sur le tableau 1.
L’étude COMISAIR mérite une attention particulière, car, dans cette étude, le port du CGM chez des patients ayant un diabète de type 1 a été associé soit à un traitement par multi-injections, soit à un traitement par pompe. Dans les groupes ayant bénéficié du port d’un CGM, l’amélioration sur les hypoglycémies grâce au port du CGM a été identique dans les 2 situations, alors qu’elle a été absente dans les groupes contrôles n’ayant pas bénéficié du port d’un CGM (tableau 1).
Ceci semble indiquer que l’adjonction d’un CGM avec lecture en temps réel est primordiale pour réduire le risque d’hypoglycémies, car le CGM permet une meilleure compréhension du traitement insulinique et de ses ajustements et, par-delà, une meilleure implication des patients et des professionnels de santé dans la recherche d’un bon contrôle glycémique.
• Effet des traitements insuliniques per se
– Les insulines ultra-lentes
Il a été démontré que les insulines ultra-lentes (glargine U300 dans les études EDITION et dégludec dans les études BEGIN et DEVOTE) diminuent les fluctuations glycémiques au cours du nycthémère et les risques d’hypoglycémies, en particulier nocturnes, quand elles sont comparées à l’insuline lente de référence, la glargine U100 (Lantus®). À titre d’exemple, dans le diabète de type 2, l’étude DEVOTE a montré que les taux d’incidence des hypoglycémies sévères (niveau 3) étaient trois fois moindres avec la dégludec qu’avec la glargine U100 : 3,70 vs 6,25 pour 100 années-patients(13).
Les insulines ultra-lentes, qu’il s’agisse de la Toujeo® (glargineU300) ou de la Tresiba® (dégludec) sont de plus en plus utilisées dans les diabètes de type 2 ne nécessitant qu’une insulinothérapie basale, dans tous les diabètes de type 1 traités par des schémas basal bolus et, par extension, dans tous les diabètes de type 2 qui doivent recourir à des schémas basaux plus 1 à plus 3.
– Les insulines ultra-rapides
Destinées à améliorer les profils glycémiques postprandiaux, ces insulines (faster aspart et lispro ultra-rapide) ont été comparées aux analogues rapides correspondants classiques : l’aspart, dans les études ONSET 1 et 2 et la lispro dans les études PRONTO-1D ou PRONTO-2D(14). Théoriquement, les formulations ultrarapides de l’insuline devraient réduire l’incidence des hypoglycémies qui peuvent survenir 2 à 4 heures après l’injection préprandiale d’un analogue rapide conventionnel dont l’action se prolonge en général au-delà de la 2e heure. En dépit de leurs profils pharmacologiques plus courts, la plupart des études avec les insulines ultrarapides n’ont pas montré d’effets significatifs sur les hypoglycémies qui surviennent dans la période postprandiale tardive. La seule recommandation de bon sens que l’on puisse formuler est de remplacer l’analogue rapide conventionnel par une insuline prandiale ultrarapide chez les sujets qui souffrent de manière récurrente d’hypoglycémies dont la survenue se situe au-delà de la 2e heure après le début des repas.
– Les insulines hebdomadaires
Cette nouvelle classe d’insuline est aujourd’hui représentée par deux produits en voie de développement : l’icodec et la BIF (Basal Insulin Fc)(15). Ces insulines ont été l’objet d’études essentiellement dans le diabète de type 2 avec comme comparateur une insuline lente ou ultra-lente conventionnelle(16). Sur les hypoglycémies, les résultats ont été contradictoires : incidence des hypoglycémies de niveau 1 (entre 54 et 70 mg/dL) un peu plus élevée avec l’icodec qu’avec la glargine U100(17) ; incidence un peu plus faible des hypoglycémies inférieures à 70 mg/dL avec la BIF lorsqu’elle est comparée à la dégludec(18). Pour les hypoglycémies plus sévères (niveau 2 et 3) les taux d’incidence entre insuline hebdomadaire et comparateur sont en général identiques(17,19,20). Dans le diabète de type 1 (ONWARD-6)(21) traité par multi- injections d’insuline (schéma basal-bolus), la substitution icodec-dégludec est associée à une augmentation modeste, mais statistiquement significative des hypoglycémies symptomatiques et sévères : 19,1 vs 10,4 événements par année-patient (p < 0,0001). Pour l’instant, les insulines hebdomadaires ne semblent pas capables de réduire significativement le risque d’hypoglycémies, surtout dans le diabète de type 1.
– Les stratégies insuliniques sophistiquées
Désignées sous le vocable général de « systèmes automatisés de distribution de l’insuline » et sous l’acronyme AID (« Automated Insulin Delivery »)(22), qu’elles soient hybrides (avec intervention humaine non automatisée, par exemple au moment des repas) ou totalement automatisées en boucle fermée (« closed-loop systems »), ces stratégies insuliniques sophistiquées ont donné des résultats disparates sur la durée des hypoglycémies par rapport à un traitement classique par pompe à insuline dite « augmentée » par la mise en place d’un CGM. Dans certaines études, les deux systèmes (AID et pompes « augmentées ») ont diminué de manière similaire la durée de temps passé en dessous de 70 mg/dL(23,24). D’autres études ont montré une réduction du temps passé en hypoglycémie avec les traitements automatisés alors que les systèmes pompes à insuline « augmentées » n’ont pas montré de réduction significative(25,26).
CONCLUSION
Au terme de cette analyse, il apparaît que le port d’un CGM reste un élément clé dans la réduction du risque d’événements hypoglycémiques.
Au cours des dernières années, c’est cette technologie qui a permis d’améliorer la sécurité du traitement du diabète de type 1.
Pour le diabète de type 2, tant qu’il n’est pas insuliné, le risque d’hypoglycémie demeure faible depuis que les nouvelles thérapeutiques (antidiabétiques agissant par la voie des incrétines et inhibiteurs du SGLT2) ont pris et continuent à prendre le relais des sulfonylurées.
Il convient de noter, coïncidence ou pas, que ce sont les agonistes du GLP-1, les inhibiteurs de la DPP-4 et du SGLT2 qui réduisent le mieux la variabilité glycémique(27).
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