Nutrition
Publié le 16 juin 2013Lecture 8 min
Les aliments pour diabétiques
J.-L. SCHLIENGER, Faculté de médecine de Strasbourg
La saveur sucrée, qui est une disposition innée, pose encore bien des problèmes aux patients diabétiques qui sont ballottés entre les conseils tolérants mais prudents des diabétologues, les restrictions imposées par la sagesse populaire et parfois par leur médecin traitant et leurs aspirations – légitimes – à une saveur sucrée. Le recours aux édulcorants intenses est fréquent et permet de contourner les interdits qui restent profondément ancrés dans la conscience collective. Selon une enquête récente diligentée par l’AFD et l’ISA (Association internationale pour les édulcorants), 78 % des diabétiques reconnaissent consommer des produits édulcorés, dont 88 % estiment que les édulcorants artificiels sont utiles parce qu’ils aident à gérer le contrôle métabolique (82 %) ou permettent quelques plaisirs « sucrés » vécus comme interdits, ou qu’ils aident la gestion du poids (30 %)1.
Par-delà les édulcorants intenses et leurs vedettes, l’aspartame et la stévia, qui ont fait l’objet d’un article récent dans ces colonnes2, il existe une offre d’« aliments sans sucre » souvent mieux connue par les diabétiques que par leur médecin. Ces aliments sont utilisés en toute méconnaissance de leur composition et de leur impact réel sur la gestion métabolique.
Caractéristiques nutritionnelles des glucides
Les glucides ont de nombreux atouts : pouvoir sucrant, exhausteur de goût, coloration des plats (réaction de Maillard), conservateur, agent de texture et de croquant des biscuits, fermentation (dans les pâtes levées et certaines boissons alcoolisées).
D’un point de vue nutritionnel, ils se distinguent les uns des autres par leur composition chimique, leur capacité d’absorption et surtout par leur pouvoir sucrant (PS) et leur pouvoir hyperglycémiant défini par l’index glycémique (IG) et complété par la notion de charge glycémique.
Le PS défini par rapport au saccharose (sucre de table), qui est de 1 par définition, dépend de la composition chimique du produit, de la température, de la matrice et de l’éducation au goût des individus. Les produits dont le PS est proche de 1 sont classés dans la catégorie des édulcorants de masse ou de charge ; ceux dont le PS est très supérieur à 1 sont des édulcorants intenses (ex. : l’aspartam a un PS proche de 200).
L’IG dépend bien sûr de la nature des glucides contenus dans un aliment mais aussi de l’environnement dans lequel se trouvent les glucides (fibres, protéines, lipides associés), du mode de cuisson, des transformations subies lors de la préparation et de la vitesse de vidange gastrique. La digestion intervient également, ce qui explique que le destin hyperglycémiant des amidons est variable selon leur teneur en amylopectine, qui est rapidement digérée (comme dans la pomme de terre), ou en amylose, qui est digérée lentement (comme le riz basmati ou les légumineuses). En pratique, plus un aliment glucidique est cuit, plus il est transformé et moins il est associé à d’autres nutriments et plus son IG sera élevé (tableau 1).
Le pouvoir énergétique d’un glucide est un autre élément important à prendre en compte. De 4 kcal/g pour le sucre, il est réduit aux alentours de 2,4 kcal/g pour les édulcorants de masse ayant un faible taux d’absorption intestinale.
Les polyols : édulcorants de charge
Ces sucres-alcools ont en commun un pouvoir sucrant, un index glycémique faible ou nul, un apport énergétique réduit et un faible effet cariogène tout en conservant, contrairement aux édulcorants intenses, un effet de masse texturante. Leur tolérance digestive est médiocre du fait d’une absorption intestinale partielle (ballonnements, crampes, diarrhée)3. Ils ne sont pas considérés comme du sucre puisque, d’après la réglementation, ce qualificatif est réservé au saccharose, ou sucre de table, et aux monosaccharides qui en sont issus (fructose, glucose et ses dérivés). Ils sont largement présents dans divers aliments qualifiés de « sans sucre » comme les bonbons et les chewing-gums (tableau 2). Les édulcorants de charge les plus utilisés sont :
• le maltitol : obtenu par hydrogénation du sirop de glucose riche en maltose, il ne participe pas aux réactions de glycation. Il peut être utilisé en pâtisserie, confiserie, chocolaterie et pour la confection de desserts surgelés ;
• le xylitol : extrait de la pulpe de canne, des épis de maïs et de l’écorce de bouleau ou obtenu par conversion du glucose, il est très utilisé dans les pays nordiques comme substitut du sucre ;
• le sorbitol : il est utilisé comme excipient pour ses propriétés séquestrantes, humectantes et stabilisantes, et confère une texture moelleuse. Absorbé lentement par diffusion, il a un métabolisme lent non insulinodépendant ;
• l’érythritol est un édulcorant naturel retrouvé dans les fruits et les aliments fermentés. Contrairement aux autres polyols, il est presque totalement absorbé avant d’être excrété dans les urines. Il est utilisé par l’industrie pour son effet rafraîchissant.
Aliments « sans sucre ordinaire »
Selon la législation européenne, une denrée « sans sucre » contient < 0,5 g de sucre/100 g de produit, ce qui n’empêche qu’elle soit de goût sucré grâce à l’adjonction d’édulcorants intenses ou de polyols. Les aliments « pour diabétiques » utilisent principalement des polyols, qui ont l’avantage, par rapport aux édulcorants intenses, de remplacer le saccharose et d’avoir un effet texturant de masse. Il existe toute une gamme de produits caractérisés par un pouvoir sucrant satisfaisant, une diminution de l’index glycémique et de la charge glycémique ainsi qu’une diminution modeste des apports énergétiques, car contrairement à une croyance répandue, ces produits de substitution de sucre n’entraînent qu’une épargne énergétique modeste par rapport aux produits de référence.
Quelques aliments « sans sucre »
Confiture « sans sucre » ou plutôt sans sucre ajouté puisque la confiture est confectionnée à partir de fruits naturellement riches en fructose. La substitution du saccharose ajouté par un édulcorant de charge comme le maltitol permet de maintenir un pouvoir sucrant identique en réduisant l’index glycémique (30 % au lieu de 50 %) et l’apport énergétique (– 12 %). Le bénéfice potentiel sur la glycémie postprandiale et la gestion du poids est à relativiser par la consommation usuelle modérée de la confiture (10 g par petit-déjeuner). L’intérêt est à l’évidence plus théorique que réel.
Chocolat sans sucre ou, plutôt, chocolat au maltitol : la fabrication du chocolat ne peut se passer ni de matières grasses ni de sucre ou d’un de ses substituts. Le chocolat à 70 % de cacao, dit « noir », a l’index glycémique le plus bas, mais sa teneur lipidique est plus élevée (+ 15 %). Le maltitol est l’édulcorant de charge de choix puisqu’il a des caractéristiques organoleptiques voisines de celles du sucre. L’impact énergétique est mineur (– 2 %). L’impact sur la glycémie est plus significatif surtout si le chocolat est consommé à distance des repas.
Gâteaux : les recettes de gâteaux sans sucre ajouté sont légion, mais la plupart jouent sur les mots puisqu’elles font appel aux fruits frais ou secs, au miel, à la confiture ou au chocolat ! L’édulcorant le plus utilisé est le maltitol.
Biscuits et pâtisseries : les édulcorants intenses (stévia, acésulfame, sucralose) sont plus faciles à utiliser mais ne peuvent compenser le volume du sucre.
Bonbons sans sucre : c’est le triomphe des polyols dont l’intérêt principal, ici, est de ne pas être cariogène.
Boissons sans sucre « light » : leur IG et leur apport énergétique sont nuls pour un PS maximal lorsqu’elles sont édulcorées par des édulcorants intenses. Elles auraient l’inconvénient d’entretenir, voire de renforcer, le goût pour le sucre. Les boissons énergisantes « light » ne contiennent ni glucose ni saccharose mais parfois de la maltodextrine ou des polyols dont l’emploi est cependant limité par les effets digestifs.
Intérêt des aliments dits « sans sucre »
En théorie, ces aliments réduisent la charge glycémique, du fait d’un index glycémique bas et l’apport énergétique, tout en conservant un goût sucré satisfaisant et en donnant une texture agréable aux aliments. Ils ne doivent pas être confondus avec des aliments « light ».
Leur utilisation a fait l’objet de peu d’études. La substitution du sucre par des polyols a été associée à une amélioration de l’équilibre glycémique après 12 semaines chez des diabétiques de type 2. La consommation de 15 à 20 g/j de polyols est en général bien tolérée et pourrait même être bénéfique au niveau du microbiote colique, faciliter le transit et exercer un effet protecteur sur l’épithélium colique en produisant des acides organiques à chaîne courte5,6. Une revue systématique portant sur l’intérêt d’une alimentation à faible index glycémique ou à faible charge glycémique a montré la pertinence de cette approche diététique chez le diabétique qui se solde par une diminution significative de l’HbA1c, du poids et même du nombre d’épisodes hypoglycémiques7. Dans une étude récente concernant le diabète gestationnel, une alimentation à faible index glycémique sans adjonction de polyols s’est avérée bénéfique comparativement à un régime conventionnel8. Les effets spécifiques de chaque polyol n’ont pas fait l’objet d’études randomisées chez le diabétique.
L’effet non cariogène des polyols qui intéresse autant les diabétiques que la population générale est, quant à lui, bien établi.
Inconvénients des aliments sans sucre
Il n’existe pas d’effet toxique connu pour les polyols. À l’exception de l’érythritol, la consommation des polyols est limitée par la tolérance digestive. L’hydrolyse intestinale n’étant que partielle, ils constituent un substrat de fermentation colique pouvant être à l’origine de douleurs par distension, de flatulences, de borborygmes et, lorsque la capacité d’absorption colique est dépassée, de diarrhée osmotique.
Un autre inconvénient tient au leurre que peut constituer l’affiche « sans sucre », qui sous-entend qu’il s’agit d’un aliment que l’on peut consommer sans limites en méconnaissant l’apport énergétique qui reste important.
Conclusion
L’intérêt des aliments pour diabétiques dits « sans sucre », où le sucre est remplacé en partie ou en totalité par des édulcorants de charge, n’est pas clairement précisé. À condition de bénéficier d’une éducation nutritionnelle et d’un apprentissage à la lecture des étiquettes, un sujet diabétique devrait pouvoir consommer avec profit, mais en quantités limitées, certains produits manufacturés contenant des polyols. Il en est ainsi du chocolat au maltitol ou des confitures. Auparavant, il lui faudra s’initier à une terminologie troublante où « sans sucre » ne signifie pas sans glucides et où les édulcorants de charge sont considérés comme des additifs.
Enfin, bien que l’apport énergétique soit diminué par rapport à un aliment natif, il est loin d’être négligeable. Les édulcorants de charge ne sont donc pas des gages de liberté alimentaire. Il faut compter avec eux comme on compte avec les autres glucides. En revanche, il n’y a pas, pour le consommateur, d’avantage décisif à choisir l’un ou l’autre parmi les différents polyols, même si le maltitol se rapproche beaucoup du sucre et si l’érythritol est mieux toléré sur le plan digestif.
Cette conclusion est à nuancer à la lumière des nouvelles conceptions du régime diabétique fondées sur les notions d’IG et de charge glycémique. La plupart des produits de saveur sucrée y trouvent aujourd’hui une place raisonnée (confiture, miel, chocolat et fruits), ce qui facilite la socialisation des patients diabétiques9. La recherche du pouvoir sucrant dévolu au sucre traditionnel (sucre d’addition) et le souhait de consommer des boissons sucrées peuvent aujourd’hui être plus facilement satisfaits par l’usage des édulcorants intenses pour les boissons, ce qui laisse in fine une place restreinte aux édulcorants de charge.
Déclaration de conflits d’intérêt : l’auteur n’a pas de conflit d’intérêt avec la teneur de ce texte.
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