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Thérapeutique

Publié le 30 nov 2006Lecture 8 min

Traitement du diabétique âgé de plus de 80 ans : y a-t-il des particularités ?

I. BOURDEL-MARCHASSON, Groupe de diabéto-gériatrie Alfediam-SFGG, Hôpital Xavier Arnozan, Pessac, UMR 5536 CNRS/Université de Bordeaux 2

Le diabète est l’un des principaux facteurs de risque de fragilité lors du vieillissement. La fragilité se définit comme une situation à risque d’évolution vers la dépendance fonctionnelle irréversible. Le diabète semble plus jouer un rôle prédisposant dans la fragilité que celui d’un facteur précipitant. Ainsi, la prise en charge du diabète chez les plus de 80 ans doit redéfinir sa place dans la prévention secondaire ou tertiaire pour le patient concerné. De plus, le vieillissement s’accompagne de modifications physiologiques et d’une plus grande fréquence de comorbidités influant également sur les choix thérapeutiques.

À quelles questions répondre avant de définir des objectifs thérapeutiques ?   Le patient est-il en bonne santé, fragile ou dépendant ? La bonne santé ou vieillissement réussi se définit par l’absence de pathologies potentiellement mortelles (maladies cardiovasculaires, BPCO, cancers), un état cognitif normal et une autonomie fonctionnelle. Le patient fragile peut ainsi être dépisté comme une personne qui a récemment maigri et surtout dont la vitesse de marche est lente. La dépendance lourde fixée est un état de dépendance fonctionnelle présent en dehors d’un épisode pathologique aigu. Dans les deux premiers cas, il s’agit de prévention secondaire afin de prévenir le handicap et, dans le dernier cas, la prise en charge est au mieux de la prévention tertiaire. De plus, pour le patient fragile, la question de l’autonomie par rapport à sa maladie et, en particulier, la reconnaissance et la correction des hypoglycémies se pose, tandis que, pour le patient à dépendance fixée, cette autonomie est le plus souvent perdue.   Quel est son traitement habituel ? La personne âgée reçoit bien souvent de nombreux médicaments en raison des comorbidités et le traitement du diabète va ajouter une ou deux molécules supplémentaires à l’ordonnance. Le risque d’événements indésirables croît avec le volume de drogues différentes absorbées et le thérapeute aura à cœur de limiter leur nombre. Ainsi, il n’est pas recommandé d’appliquer une triple association antidiabétique orale ou d’associer un sulfamide à de l’insuline chez le sujet fragile ou dépendant.   Quel est son état nutritionnel ? Il est important de définir l’état nutritionnel du patient. En effet, après 80 ans la prévalence de l’obésité et celle de la surcharge pondérale décroissent significativement. L’obésité est associée à un risque accru de dépendance fonctionnelle au cours du vieillissement, mais la perte de poids dans le grand âge est systématiquement associée à une perte fonctionnelle. Il est d’usage de ne faire maigrir que les grands obèses et seulement si on est assuré d’un maintien de l’activité physique associée. En revanche, une alimentation répondant aux critères PNNS est toujours souhaitable quel que soit l’état du patient, prévenant la malnutrition au sens large du terme et permettant une meilleure efficacité et une plus grande sécurité des thérapeutiques.   Quelles explorations faire avant de choisir un traitement ?   Quelle est sa fonction rénale ? La fonction glomérulaire rénale s’altère au cours du vieillis­sement. À 90 ans, la valeur moyenne de la clairance de la créatinine se situe autour de 35 ml/min. Cette altération fonctionnelle est la conséquence des morbidités, en particulier des infections, des toxiques, des médicaments et du vieillissement. Dans la population générale, la responsabilité du diabète n’y est pas déterminante. Le choix du traitement et de sa posologie va en découler.   Existe-t-il une insuffisance cardiaque ? La question du diagnostic de l’insuffisance cardiaque se pose chez le sujet fragile ou dépendant qui peut avoir une limitation non visible dans la vie quotidienne en raison des faibles efforts physiques fournis. Ce ne sera qu’au cours d’un épisode aigu intercurrent, infectieux par exemple, que l’atteinte de la fonction cardiaque sera apparente.   Quel est son taux d’albumine ? De nombreux médicaments se lient à l’albumine, dont les sulfamides. Les interactions médicamenteuses et les risques d’hypoglycémie qui en résultent seront particulièrement fréquents chez le patient hypoalbuminémique. Cette détermination doit être systématique lors des états inflammatoires actuels ou récents qui entraînent une baisse du taux de cette protéine et dont la normalisation peut s’étaler sur plusieurs semaines ou mois, voire ne jamais se produire chez certains patients fragiles ou dépendants.   Que dois-je savoir sur le médicament que je souhaite employer chez un patient âgé ?   Les personnes âgées de plus de 80 ans et même de plus de 75 ans sont historiquement peu représentées dans les essais thérapeutiques pour les antidiabétiques oraux et les insulines. De nombreux essais comportent même une limite d’âge inférieure à 70 ans. Dans les trop rares essais sans limite d’âge supérieure, les patients inclus seront plutôt dans la catégorie des sujets en bonne santé exceptionnellement fragiles, jamais dépendants. Le thérapeute doit donc, par force, extrapoler les résultats des études disponibles, en tenant compte de l’état clinique du patient. Afin de ne pas priver un patient âgé, par excès de rigueur, d’un médicament intéressant, il faut s’interroger sur les niveaux d’expertise disponibles (encadré). La première étape est, bien sûr, de s’interroger sur l’efficacité du produit : – d’une part, sur la régulation du niveau glycémique, – d’autre part, sur la prévention des complications chez les patients plus jeunes. La deuxième étape est de déterminer la pharmacocinétique du médicament :   – liaison aux protéines plasmatiques ? – élimination rénale ou hépatique ? – demi-vie longue ? Il ne faut pas oublier que l’élimination hépatique est à priori ralentie au cours du vieillissement, même en bonne santé. Le dictionnaire Vidal® propose parfois des adaptations de posologie comme pour le chlorhydrate de metformine 850 pour une fonction rénale dite « intermédiaire » entre 30 et 70 ml/min. Le même dictionnaire peut déconseiller l’utilisation d’un produit après 75 ans du fait d’une pharmacocinétique très aléatoire. Tel est le cas du répaglinide, dont la demi-vie n’est plus ultra-courte après 75 ans, ce qui en limite l’intérêt et peut-être la sécurité. La référence à des études de pharmacocinétique chez le plus de 75 ans est particulièrement appréciée. Le niveau d’expertise le plus intéressant est, bien sûr, l’existence d’essais d’efficacité et de tolérance chez les plus de 75 ans. Pour la metformine et le glicazide, une étude d’efficacité sur le contrôle glycémique existe dans un groupe de 75 sujets dont la moyenne d’âge était de 75 ans. Aucun autre produit ne dispose d’étude de ce type. À défaut, on sera particulièrement attentif au risque décrit d’hypoglycémies dans les études réalisées chez le plus jeune. Enfin, les données de pharmacovigilance sont précieuses et doivent être considérées avec attention. Nous avons en mémoire un sulfamide (le glipizide) dont la forme à libération modifiée a produit un taux anormalement élevé d’hypoglycémies chez la personne âgée. Il n’y avait d’ailleurs pas de personnes âgées dans les essais cliniques à la différence du glicazide à libération modifiée.   Dans quelle situation clinique le patient se trouve-t-il ?   Le choix du traitement du diabète dépend, bien sûr, de l’histoire antérieure du diabète et des événements associés.   Le diabète vient d’être découvert Comme pour les plus jeunes, l’alimentation sera contrôlée pour corriger les éventuels déficits et améliorer la sensibilité à l’insuline ; les médicaments de l’insulinorésistance seront les premiers à être mis en place. Chez le patient dépendant et chez certains patients fragiles, le traitement hypoglycémiant pourra être différé pour une HbA1c inférieure à 7,5 %.   Le diabète est ancien et n’est pas contrôlé La même logique de prescription que celle recommandée chez le plus jeune prévaut. Cependant, les posologies doivent être adaptées aux capacités métaboliques du sujet. La posologie maximale de la metformine est le plus souvent réduite après 80 ans. Les  posologies des associations fixes comportant metformine ou sulfamide ne sont pas adaptées à la personne âgée et ne doivent pas être utilisées après 80 ans. Pour les sulfamides, la prudence pragmatique veut que l’on limite la posologie du traitement maximal à la moitié de celle employée chez le plus jeune. Le recours à l’insuline doit être préféré à la multiplication des associations et à l’augmentation des posologies. On restera très réservé sur l’association insuline-sulfamide, en particulier chez le patient non autonome par rapport à son traitement et aux hypoglycémies. L’association insuline-thiazolinedione est interdite comme chez le plus jeune. Chez le patient polymédiqué, l’insuline peut simplifier l’ordonnance. Le patient a une clairance de la créatinine < 30 ml/min L’utilisation de la metformine, des inhibiteurs des alphaglucosidases et des sulfamides est alors interdite. Seuls les thiazolinediones et le benfluorex sont autorisés. Cette situation est fréquente chez les plus de 90 ans et les traitements oraux doivent laisser la place à l’insuline si le contrôle glycémique n’est pas correct avec les mesures hygiénodiététiques. Dans ce cas, les besoins en insuline sont nettement plus faibles que lors d’un échec du traitement oral après 10 à 30 ans d’évolution du diabète et le traitement est réputé « facile ».   Le patient traverse une pathologie aiguë sévère Son état métabolique est à priori instable et les conditions de sécurité d’emploi des antidiabétiques oraux sont exceptionnellement réunies. Le recours à l’insuline est ici recommandé. Le contrôle exact de la glycémie par l’insulinothérapie a montré, dans les états critiques, des bénéfices spectaculaires en termes de mortalité et d’événements nosocomiaux. Cette insulinothérapie peut être transitoire et le traitement oral repris après le retour à des conditions métaboliques favorables. Autour de l’acte chirurgical, il est le plus souvent préférable de recourir aussi à l’insuline. Le patient dépendant ou fragilisé par une pathologie aiguë peut présenter un état hypersosmolaire par défaut d’accès à l’eau associé à une augmentation non compensée des pertes hydriques. Cette situation est fréquente en institution et surtout à l’hôpital ; l’insuline sera, bien sûr, utilisée avec la réhydratation de manière temporaire ou définitive.   Conclusions   Les choix thérapeutiques chez les diabétiques âgés de plus de 80 ans reposent sur une évaluation attentive de la situation métabolique et fonctionnelle du patient, et l’adaptation des drogues, en évitant deux écueils : l’âgisme qui prive le patient d’un traitement potentiellement intéressant par manque de preuve dans la tranche d’âge et l’exposition de ce même patient à des événements indésirables graves par manque d’attention à ses particularités.

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