Glycémie
Publié le 31 oct 2024Lecture 11 min
Indices de la variabilité glycémique en pratique courante
Louis MONNIER*, Claude COLETTE*, Fabrice BONNET**, Éric RENARD*, *Université de Montpellier, **Université de Rennes
Chez les personnes ayant un diabète, la glycémie est non seulement élevée (« hyperglycémie ambiante »), mais elle est aussi variable avec des fluctuations entre pics et nadirs sur la même journée (variabilité intrajournalière), d’un jour à l’autre (variabilité interjournalière) et des oscillations sur des périodes plus longues (par exemple variations de l’HbA1c entre 2 consultations trimestrielles). De nombreuses études ont démontré que l’hyperglycémie ambiante est l’une des grandes causes des complications chroniques observées chez les patients diabétiques, l’incidence de ces dernières étant proportionnelle à la durée et à l’amplitude de l’exposition chronique au glucose. La variabilité glycémique est un paramètre qui avait déjà retenu l’attention de certains diabétologues comme Service et Molnar dans les années 1970, période pendant laquelle ils définirent les premiers index destinés à évaluer la glycémie intrajournalière grâce au MAGE (« Mean Amplitude of Glycemic Excursions ») ou interjournalière à partir du MODD (« Mean Of Daily Differences »).
Depuis, l’exploration des variabilités glycémiques intra et interjournalières à court terme s’est enrichie de nouveaux paramètres dont la plupart sont malheureusement totalement ésotériques pour le clinicien. Ceci est dommageable, car il a été démontré que l’excès de variabilité glycémique a un impact néfaste dont le plus évident est sa relation positive avec l’augmentation du risque d’hypoglycémie. Indirectement par l’intermédiaire des hypoglycémies qu’elle facilite ou directement en agressant les cellules endothéliales des parois artérielles (activation du stress oxydatif par exemple) ou en induisant des troubles du rythme cardiaque, les fluctuations aiguës de la glycémie peuvent favoriser la survenue de complications cardiovasculaires aiguës (phénomènes de thrombose au niveau des gros vaisseaux ou des capillaires rétiniens par exemple). Encore plus récemment la variabilité de l’homéostasie glucidique à moyen et long terme (variations anormales de l’HbA1c au cours du temps) a été associée à une augmentation de l’incidence des décès, quelle qu’en soit la cause.
À la suite de cette introduction, il apparaît que même si le contrôle de l’hyperglycémie ambiante est unanimement reconnu comme l’un des objectifs principaux du traitement du diabète, il est nécessaire de réduire au maximum la variabilité de l’homéostasie glycémique, qu’il s’agisse de variabilité à court ou à long terme. Dans ces conditions, il devient indispensable de sélectionner des index simples pour sa mesure et de définir les seuils souhaitables à ne pas franchir.
Les coefficients de variation : simplicité et fiabilité, conditions nécessaires et suffisantes pour leur usage
En statistiques, la variabilité d’un paramètre normalement distribué autour de sa moyenne est mesurée par la déviation standard (DS) autour de la moyenne. Malheureusement, la DS dépend de la grandeur de la variable mesurée avec pour conséquence une relation positive mathématiquement incontournable entre la DS et la moyenne. Dans ces conditions, toute stratégie thérapeutique qui réduit la moyenne de la glycémie ou de l’HbA1c entraînera une diminution parallèle de la DS et de la moyenne de ces 2 paramètres. Ainsi, il est indispensable de neutraliser cette dépendance mathématique en ajustant la DS sur la moyenne (variabilité relative) par le calcul du coefficient de variation (CV exprimé en pourcentage) grâce à la formule simple suivante : %CV = [DS/moyenne] × 100.
Sa mesure permet d’établir l’évolution de la variabilité de l’homéostasie glucidique à différents instants chez un même individu (variabilité intra-individuelle) ou de la comparer chez différents individus (variabilité interindividuelle). La mesure des %CV, quand elle s’adresse à des groupes de sujets dans des essais contrôlés randomisés (RCT pour Randomized Controlled Trials) est un élément important pour savoir si une stratégie thérapeutique a un impact favorable ou défavorable sur la variabilité de l’homéostasie glucidique (%CVglucose ou %CVHbA1c).
L’importance du %CV par rapport à la DS peut être illustrée par 2 exemples. Le premier est tiré d’une étude parue dans le New England Journal of Medicine (figure 1). En comparant des diabétiques de type 2 insulinorequérants, traités soit par insulinothérapie conventionnelle soit par traitement insulinique en boucle fermée (« pancréas artificiel »), Bally et coll. ont montré une amélioration significative (p < 0,001) de la moyenne glycémique et de la DS autour de la moyenne, mais sans baisse significative (p = 0,13) du coefficient de variation du glucose : 29,4 ± 6,4 % (groupe pancréas artificiel n = 70) vs 31,5 ± 9,3 % (groupe contrôle, n = 66). En fait, la boucle fermée a entraîné une translation du profil glycémique vers le bas, mais sans amélioration franche de la variabilité glycémique, car les incréments glycémiques postprandiaux qui participent pour 50 % à la variabilité glycémique n’apparaissent que modérément « tamponnés » par l’insulinothérapie en boucle fermée par rapport au traitement conventionnel.
Figure 1. Profils glycémiques en fonction du type de traitement insulinique (conventionnel ou en boucle fermée) (d’après Bally et al. N Engl J Med 2018 ; 379 : 547-56).
Le deuxième exemple que nous fournirons pour illustrer l’importance du %CV par rapport à la DS est encore plus parlant. Supposons que nous voulions comparer la variabilité pondérale dans une famille d’éléphants et dans un groupe de souris. Étant donné que le poids moyen des éléphants est de l’ordre de 4 tonnes et celui des souris de 20 g, le rapport des poids (200 000 fois plus élevés chez l’éléphant que chez la souris) se répercutera au niveau de leur distribution avec une DS autour de la moyenne 200 000 fois plus élevée chez les éléphants que chez les souris. Il n’en reste pas moins que la variabilité relative exprimée par le %CV = [DS des poids/moyenne des poids] × 100 sera du même ordre de grandeur dans les 2 familles d’animaux. Pour agrémenter la lecture de cet article et la compréhension du concept du %CV, nous n’avons pas résisté à la tentation de l’expliciter sous forme d’une illustration (figure 2) qui résume la différence entre variabilités absolues (DS) et relatives (%CV).
Figure 2. Moyennes du poids et leurs variabilités dans des familles d’éléphants et de souris. Bien que les moyennes et les déviations standard (DS) soient très différentes, les coefficients de variation du poids (%CVpoids) sont identiques.
Coefficient de variation du glucose : mesure et intérêt en pratique médicale courante
Mesurer le %CV du glucose : oui, mais comment ?
Le premier point important est de souligner que la mesure de la variabilité glycémique et sa quantification à l’aide du coefficient de variation du glucose nécessitent le port d’un enregistrement glycémique continu en ambulatoire (CGM pour « Continuous Glucose Monitoring ») sur une durée de plusieurs jours, 14 jours étant la durée minimum recommandée. Dès lors, comme indiqué plus haut, le coefficient de variation du glucose (%CVglucose) est théoriquement défini comme étant le rapport [DS du glucose/moyenne glycémique] × 100.
Cette définition mathématique étant énoncée, encore faut-il la compléter pour indiquer en pratique ce que l’on met exactement au numérateur et au dénominateur de ce rapport. Si on désire définir la variabilité glycémique intrajournalière sur une période donnée (14 jours au minimum), mais avec des périodes qui peuvent atteindre plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans les essais thérapeutiques contrôlés, le %CV quotidien du glucose devrait être calculé toutes les 24 heures sur la période choisie et ces valeurs quotidiennes devraient être ensuite moyennées. Ainsi si %CV1, %CV2… %CVn sont les valeurs des %CV pendant les jours 1, 2… n, le %CV moyen est égal à la moyenne des %CVi avec i = 1, 2… n.
À cet égard, une méthode inadéquate pour mesurer le %CV moyen du glucose consisterait à calculer la moyenne des DS journalières calculées sur plusieurs jours et à diviser cette moyenne par la moyenne des glycémies sur cette même période. Ce calcul que l’on pourrait qualifier de %CV en moyenne (« CV by Average ») ne repose sur aucune logique mathématique et de ce fait conduit à une quantité ininterprétable sur le plan physiologique et clinique, différente de celle obtenue en utilisant la méthode de référence, c’est-à-dire celle qui consiste à faire la moyenne des %CV quotidiens (« Averaged CV ou Mean CV »). Un simple exemple permet de mieux saisir cette subtile différence. Supposons que sur 4 jours d’enregistrements glycémiques continus on ait recueilli les données suivantes : J1 (DS = 10 mg/dL, moyenne = 100 mg/dL ; J2 (DS = 150 mg/dL, moyenne =150 mg/dL ; J3 (DS = 10 mg/dL, moyenne = 100 mg/dL) et J4 (DS = 150 mg/dL, moyenne = 150 mg/dL. En appliquant le premier mode de calcul, la moyenne du %CVglucose sera égale à [10 % + 100 % + 10 % + 100 %]/4, soit 55 %, tandis que le deuxième mode (%CV en moyenne) donnera le résultat suivant : [(10 + 150 + 10 + 150)/4]/[(100 + 150 + 100 + 150)/4] soit 80/125 = 64 %. La pire option serait de calculer le %CV by Average en calculant la variabilité de la courbe moyenne (ou médiane) obtenue à partir de l’AGP (« Ambulatory Glycemic Profile ») sur 14 jours. Dans ce cas, la présence d’un asynchronisme total des profils entre jours consécutifs (les pics étant en regard des nadirs et vice versa) conduirait à un profil moyen « plat » et donc au calcul d’une variabilité glycémique nulle.
Ainsi, hormis la première méthode utilisée pour le calcul de la variabilité glycémique intrajournalière (celle qui est mathématiquement irréfutable), toutes conduisent à des résultats plus ou moins difficilement interprétables et qui deviennent rédhibitoires pour faire des propositions en termes de seuils recommandés en pratique médicale courante. Grâce au calcul de la variabilité glycémique intrajournalière, en moyennant les coefficients de variation du glucose enregistrés sur 24 heures, méthode qui fournit des résultats fiables et interprétables, on peut définir des seuils recommandés de %CVglucose.
36 % : seuil du %CV du glucose pour séparer les diabètes stables et labiles
Il est bien connu que les états diabétiques, et surtout le diabète de type 1, sont caractérisés par une perte de « tranquillité » de l’homéostasie glycémique. Les diabétiques de type 1 sont soumis à des fluctuations glycémiques entre pics et nadirs, le caractère instable de la maladie étant défini par des « flambées » hyperglycémiques et des hypoglycémies récurrentes plus ou moins sévères. Afin d’avoir une description des diabètes labiles qui dépasse la simple impression clinique, il était indispensable d’en avoir une définition beaucoup plus précise, en se basant sur la mesure du coefficient de variation intrajournalier du glucose. En étudiant ce paramètre dans plusieurs groupes de patients diabétiques, nous avons noté que le %CVglucose ne dépassait jamais 36 % chez ceux ayant un diabète de type 2 traité uniquement par metformine ou inhibiteurs de la DPP-4, c’est-à-dire par des médications antidiabétiques en général dénuées de risques hypoglycémiques.
Étant donné que cette catégorie de patients diabétiques est considérée comme stable, il est apparu que le seuil séparant stabilité et labilité pouvait être fixé à 36 %, recommandation qui a été adoptée en 2017 par le Consensus international sur l’Usage du CGM (« International Consensus on the Use of Continuous Glucose Monitoring »).
Quel seuil du %CV du glucose pour éviter les hypoglycémies ?
Prévenir la survenue des hypoglycémies iatrogènes est l’une des démarches majeures dans la prise en charge des patients diabétiques en particulier quand ils sont traités par insuline. Aujourd’hui l’enregistrement glycémique en ambulatoire permet de dépister les hypoglycémies à un stade précoce lors de leur survenue et ainsi de les corriger avant qu’elles évoluent vers des stades avancés (niveaux 2 et 3 avec signes neurologiques et parfois nécessité de faire appel à une tierce personne pour leur correction). Vu le degré d’angoisse généré par les hypoglycémies pour les personnes qui subissent ce type de complications, tout patient diabétique souhaite que ce risque puisse être éradiqué. À cette observation s’ajoute la constatation que le risque hypoglycémique dépend de 2 facteurs : le niveau moyen de la glycémie et la variabilité glycémique. Ainsi, d’une part, la fréquence des hypoglycémies augmente quand on cherche à ramener le niveau glycémique moyen au plus près de la normale et, d’autre part, le risque d’hypoglycémie évalué par exemple par le temps passé en hypoglycémie en dessous de 54 ou 70 mg/dL augmente avec l’amplitude de la variabilité glycémique.
Dans une population de patients ayant un diabète de type 1 nous avons démontré que le risque d’hypoglycémie de niveau 2 < 54 mg/dL est multiplié par un facteur égal à 13,1 quand on compare les sujets qui ont un %CVglucose ≥ 27 % et ceux pour lesquels il est < 27 %. Ceci indique que le risque d’hypoglycémie devient faible lorsque le %CVglucose devient < 27 %.
Par ailleurs, cette valeur est la limite supérieure du %CVglucose dans une population normale non diabétique dont la moyenne du %CVglucose se situe à 17 %. Pour autant, le risque d’hypoglycémie est-il éradiqué si le %CVglucose est maintenu en dessous de 27 % ? La réponse est probablement non. En effet, il est fortement probable que ce seuil égal à 27 %, valable dans une population de patients diabétiques de type 1 non-sélectionnés, devrait être revu à la baisse, en particulier chez ceux qui sont traités par un système automatisé d’administration de l’insuline (boucle fermée) et qui ont de ce fait une exposition chronique au glucose (HbA1c et moyenne glycémique) qui se rapproche de celle des sujets non diabétiques. Par ailleurs, il convient de noter que même avec les méthodes les plus sophistiquées d’insulinothérapie, le %CVglucose reste en moyenne aux alentours de 35 %, ce qui explique qu’environ 14 % des sujets recevant ce type d’insulinothérapie n’atteignent pas l’objectif recommandé : pourcentage de temps passé en dessous de 70 mg/dl < 4 % (données obtenues à partir de l’analyse post-hoc de 22 essais contrôlés).
Sur la figure 3, nous avons résumé ce que l’on peut retenir à partir des connaissances actuelles.
Figure 3. Échelle ordinale du risque d’hypoglycémie (faible, moyen ou élevé) en fonction du coefficient de variation du glucose (%CVglucose)
(Monnier et al. Diabetes Metab 2023 ; 49 : 101488).
Coefficient de variation de l’HbA1c : un marqueur de variabilité à long terme de l’homéostasie glucidique
Comme indiqué plus haut, la variabilité de l’HbA1c, en plus de son taux quand il augmente, est un facteur de complication chronique dans le diabète sucré. Pour quantifier cette variabilité on peut faire appel au %CVHbA1c dont la valeur est fournie par l’équation suivante : [(DSHbA1c)/(moyenne de l’HbA1c)] x 100. Un %CVHbA1c égal à 5 % semble, à partir des études épidémiologiques, le seuil à ne pas franchir quand on envisage de réduire le risque de complications. Le problème avec l’HbA1c est que sa détermination est trimestrielle. Dans ces conditions, pour cumuler un nombre suffisant de valeurs afin que la détermination du %CVHbA1c soit valable, il faudrait attendre plusieurs années. Ceci est possible dans le cadre d’essais interventionnels ou d’études épidémiologiques sur des périodes prolongées. En pratique médicale courante, pour évaluer la variabilité de l’HbA1c, il faut donc la quantifier en comparant 2 mesures pratiquées à l’occasion de 2 consultations consécutives, ce qui signifie qu’il faut transformer une donnée statistique en donnée déterministique. Le calcul relativement complexe de cette transformation est rapporté dans l’article que nous avons publié dans Diabetes and Metabolism en décembre 2023. Pour rester simple et pour respecter un %CVHbA1c < 5 %, l’augmentation ou la diminution de l’HbA1c entre une consultation à t0 et la suivante à t3 mois ne devrait pas dépasser plus ou moins 10 % de la valeur de départ mesurée à t0.
Pour simplifier encore plus le message, les fluctuations absolues de l’HbA1c entre 2 consultations à 3 mois d’intervalle devraient rester dans les limites indiquées sur le tableau. Par exemple, si l’HbA1c à t0 est égale à 8 %, à t3mois la variation devrait être ≤ 0,8 %, ce qui signifie que le taux de l’HbA1c devrait rester entre une limite inférieure égale à 7,2 % et une limite supérieure égale à 8,8 %.
CONCLUSION
Pour ceux qui ont eu le courage de nous lire jusqu’au bout, nous espérons que nous les aurons convaincus que les variabilités de la glycémie et de l’HbA1c sont des paramètres dont on devrait tenir compte dans la prise en charge du diabète au même titre que l’hyperglycémie ambiante.
Notre but a été également de donner des recommandations simples à partir de paramètres aisément mesurables et facilement compréhensibles, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas quand on se plonge dans la littérature profuse et parfois confuse qui a été consacrée à ce sujet.
Note : une bibliographie exhaustive peut être trouvée dans la revue générale suivante : Monnier L, Bonnet F, Colette C, Renard E, Owens D. Key indices of glycaemic variability for application in diabetes clinical practice. Diabetes Metab 2023 ; 49 : 101488.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts avec le contenu de cet article.
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