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Hypoglycémie

Publié le 29 fév 2024Lecture 10 min

Les hypoglycémies iatrogènes | Partie 1 - Conséquences immédiates et à distance

Louis MONNIER, Claude COLETTE, Université de Montpellier, faculté de médecine

Les hypoglycémies iatrogènes chez les patients diabétiques, surtout quand elles sont sévères et accompagnées de manifestations neurologiques (crises comitiales, comas), sont source d’angoisse et de perturbations plus ou moins marquées dans la vie sociale, familiale et professionnelle des personnes qui en souffrent. Traiter les hypoglycémies au moment de leur survenue en réduisant leur intensité et leur durée et les prévenir au moins partiellement en réduisant leur fréquence sont donc deux impératifs majeurs. Avant d’envisager leur prise en charge, qui sera abordée dans la deuxième partie de cet article sur les hypoglycémies iatrogènes, nous analyserons leur impact immédiat et cumulatif, qui dépasse les symptômes aigus qui accompagnent en général leur survenue. Une question qui se pose est en particulier de savoir si les hypoglycémies iatrogènes les plus redoutables ne sont pas les plus silencieuses ou celles qui le deviennent au cours de l’évolution de la maladie diabétique.

Stratification des hypoglycémies en fonction de leur intensité   Définitions à partir des seuils glycémiques Elles ont été établies à partir de conférences de consensus entre experts(1), parmi lesquels l’un des plus impliqués fut l’américain Philip E. Cryer(2). Compte tenu du fait que le niveau de la glycémie à jeun, déterminé sur plasma veineux chez un sujet non-diabétique, doit rester compris entre 0,70 et 1 g/L (3,9 et 5,5 mmol/L), les hypoglycémies ont été classées de la manière suivante (figure 1)(3,4) : – niveau 1 quand le taux de glucose est < 0,70 g/L (3,9 mmol/L) et ≥ 0, 54 g/L (3 mmol/L) ; – niveau 2 quand le taux de glucose est < 0,54 g/L (3 mmol/L) ; – niveau 3 (hypoglycémie sévère) quand la baisse du glucose est telle qu’elle entraîne une altération des fonctions cognitives et physiques nécessitant l’assistance d’une tierce personne pour leur correction. Figure 1. Stratification des réponses hormonales et des signes cliniques au cours des hypoglycémies.   Correspondance entre seuils biologiques et manifestations immédiates de l’hypoglycémie Chez un sujet exempt de diabète, toute hypoglycémie induite par administration d’insuline entraîne une réponse du système de contre-régulation glycémique avec production de glucagon et de catécholamines (adrénaline et noradrénaline)(5). Bien qu’elle puisse être altérée, cette réponse hormonale de contre-régulation glycémique est également présente chez les patients diabétiques de type 1 ou 2(6,7) lorsqu’ils font des hypoglycémies sous traitement par insuline ou sulfonylurées, les 2 classes de médications antidiabétiques qui provoquent des hypoglycémies. Cette réponse hormonale débute en général lorsque la glycémie descend en dessous de 0,70 g/L (3,9 mmol/L). Elle se manifeste plus ou moins rapidement sous forme de symptômes adrénergiques qui servent d’alerte : tremblements, sueurs, sensation de faim et palpitations (figure 1). Cette réaction hormonale facilite le retour de la glycémie à un niveau normal et suscite à partir des symptômes qu’elle engendre une prise alimentaire glucidique de correction. Ainsi, chez un sujet qui a une réponse adrénergique normale, les symptômes que nous venons de lister lui servent d’alerte pour empêcher le passage vers les troubles neurologiques (hypoglycémie de niveau 2), qui apparaissent en général lorsque la glycémie chute en dessous de 0,54 g/L (3 mmol/L) (figure 1). Quand l’hypoglycémie atteint le niveau 2 (glycémie < 0,54 g/L) (3 mmol/L), les troubles neurologiques peuvent devenir de plus en plus marqués et sévères. Il faut savoir qu’il existe un continuum entre les niveaux 2 et 3 allant des troubles cognitifs encore récupérables par l’intervention du patient lui-même tant qu’il est capable de les interpréter (niveau 2) jusqu’aux troubles les plus sévères (pertes de connaissance, crises comitiales, comas) qui nécessitent l’intervention d’une tierce personne (niveau 3) (figure 1).   Hétérogénéité de la correspondance entre seuils glycémiques et conséquences symptomatiques La hiérarchie symptomatique, en apparence bien établie et décrite sur la figure 1, est malheureusement sujette à une grande variabilité qui évolue en particulier avec l’ancienneté du diabète et l’âge du sujet. En effet, le ressenti des hypoglycémies s’estompe avec la durée du diabète et lorsque le sujet prend de l’âge. La perte du ressenti s’exerce tout d’abord au niveau des symptômes adrénergiques qui peuvent disparaître ou ne s’exprimer que lorsque leur seuil de déclenchement devient pratiquement confondu avec celui à partir duquel apparaissent les troubles neurologiques. Plusieurs études ont démontré ce phénomène. Le rôle de l’âge dans la perte du ressenti a été mis en exergue par une étude réalisée chez des sujets non diabétiques en comparant les seuils d’apparition des symptômes adrénergiques et des troubles neurologiques selon qu’il s’agit d’adultes jeunes ou âgés (figure 2)(8). Dans cette étude chez les adultes jeunes, les symptômes adrénergiques et neurologiques sont apparus respectivement pour des seuils glycémiques égaux à 0,64 et 0,46 g/L. Le différentiel (∆) de 0,18 g/L entre les 2 seuils laisse ainsi un délai le plus souvent suffisant pour prendre des mesures de correction de l’hypoglycémie. Dans cette même étude, chez les adultes âgés, il a été noté que les symptômes adrénergiques et neurologiques apparaissent pour des seuils glycémiques très proches, respectivement égaux à 0,55 et 0,52 g/L. Le différentiel (∆) extrêmement faible de 0,03 g/L entre les 2 seuils ne laisse qu’un temps de réaction très court pour corriger l’hypoglycémie avant la survenue des troubles neurologiques. Dans ces conditions, ces derniers risquent de survenir avant que le sujet n’ait entrepris toute mesure de correction. Figure 2. Seuils des symptômes adrénergiques et des troubles neurologiques chez des adultes jeunes et âgés (d’après la référence 8).   Une étude récente (comparant des sujets exempts de diabète et des patients ayant un diabète de type 1) a montré que les seuils de déclenchement des réponses des hormones de contre-régulation et des réponses symptomatiques (adrénergiques ou neurologiques) sont plus bas chez les diabétiques de type 1 que chez les sujets normaux. En d’autres termes, quand la glycémie baisse, les risques d’alerte apparaissent plus tôt chez le sujet normal que chez le diabétique de type 1 (figure 3)(9). Figure 3. Probabilité de déclencher des symptômes adrénergiques en fonction du niveau glycémique. Exemple : 100 % chez les sujets normaux quand la glycémie devient inférieure à 3,2 mmol/L (0,58 g/L) et 100 % chez les diabétiques de type 1 quand la glycémie devient inférieure à 2,7 mmol/L (0,49 g/L) (d’après la référence 9).   Par ailleurs, chez des diabétiques de type 2, il a été établi que le ressenti des hypoglycémies est quasiment absent chez les sujets dont l’âge dépasse 65 ans alors qu’il est bien conservé chez ceux dont l’âge est compris entre 39 et 64 ans(10). De manière surprenante, la réponse hormonale de contre-régulation était identique dans les 2 groupes de sujets, ce qui conduit à penser que l’altération du ressenti est liée à une désensibilisation « intrinsèque » des structures cérébrales spécialisées dans la perception des signaux hypoglycémiques. La conséquence pratique est que les diabétiques de type 2 âgés risquent de faire des hypoglycémies sévères par défaut de ressenti, ce qui conduit à une prolongation anormale de la durée des hypoglycémies par absence de correction et par-delà à un risque d’événements cardiovasculaires. C’est pour cette raison que chez les diabétiques de type 2 âgés, en particulier chez ceux qui sont traités par insuline ou sulfonyurées et/ou porteurs de comorbidités, il est préférable d’assouplir les recommandations en termes d’objectifs d’HbA1c, car la recherche systématique de la normoglycémie est classiquement associée à une augmentation du risque hypoglycémique, de complications cardiovasculaires et de décès, comme l’a montré l’étude ACCORD(11). Enfin, on ne peut clore ce paragraphe sur l’hétérogénéité des correspondances entre seuils glycémiques et conséquences symptomatiques sans évoquer les cas des « pseudo-hypoglycémies » encore appelés « hypoglycémies relatives » : symptômes d’hypoglycémie qui apparaissent alors que la concentration en glucose est au-dessus des seuils classiques d’hypoglycémie. Cette situation survient chez des personnes ayant en général un diabète mal équilibré et qui, brutalement, voient leur glycémie passer d’un taux élevé à un niveau beaucoup plus bas tout en restant supérieur à 0,70 g/L. Ce phénomène, plus marqué dans les diabètes de type 2 que dans les diabètes de type 1(8), semble lié à une élévation du seuil de perception des hypoglycémies par le cerveau quand le sujet est exposé de manière chronique à une hyperglycémie ambiante soutenue(11).   Perte de ressenti des hypoglycémies : une conséquence à distance des hypoglycémies répétées   L’exposition chronique à des épisodes hypoglycémiques récurrents entraîne une perte de perception des hypoglycémies(13). Ce phénomène bien connu expose le sujet à des hypoglycémies de plus en plus sévères. La cause est vraisemblablement liée à une dysrégulation du système de transport du glucose du milieu extracellulaire vers le cytoplasme des neurones(14). En conditions normales, le glucose pénètre à l’intérieur des cellules nerveuses par l’intermédiaire d’un transporteur du glucose (GLUT) situé sur la membrane cellulaire. Ce transporteur régule la concentration du glucose intraneuronal (« glucocytie ») qui sert de carburant pour le fonctionnement normal des neurones. En cas d’hypoglycémies répétées, l’activité de ce transporteur augmente afin de maintenir la « glucocytie » à la normale, même lorsque la concentration du glucose extracellulaire diminue. Dans ces conditions le sujet ne ressent plus l’hypoglycémie. Toutefois, quand la glycémie devient trop basse, ce système de « surrégulation » décroche brutalement et devient incapable de maintenir la « glucocytie » qui descend à un niveau anormalement bas. C’est à ce moment-là que surviennent les désordres neurologiques qui s’accompagnent d’une glycémie tellement basse que le sujet passe très rapidement de l’état de conscience normale à celui de coma. Cette cascade d’événements est illustrée sur la figure 4. Figure 4. Mécanisme de la perte de ressenti des hypoglycémies quand les patients diabétiques font des hypoglycémies répétées. Chez le sujet non diabétique (état normal) le taux intraneuronal de glucose (glucocytie) est maintenu normal grâce au transfert du glucose du milieu extracellulaire vers l’intérieur des neurones grâce à un transporteur du glucose. En cas d’hypoglycémie : – au moment des premières hypoglycémies, la glucocytie diminue, avec sa conséquence normale : le ressenti d’un malaise ; – lors des hypoglycémies ultérieures : dans un premier temps le transporteur de glucose est « up régulé » pour maintenir la glucocytie à un niveau normal, ce qui conduit à une absence de ressenti ; dans un deuxième temps la « up régulation » disparaît et la glucocytie descend très bas entraînant des troubles neurologiques sévères. Le symbole [G] représente la concentration du glucose extra ou intracellulaire.   Pour résumer ce paragraphe et celui qui le précède, il convient de noter le paradoxe suivant : le sujet qui est en hyperglycémie chronique a un seuil de perception des hypoglycémies qui s’élève tandis que celui qui fait des hypoglycémies récurrentes a un seuil qui diminue.   Conséquences cardiovasculaires de l’hypoglycémie   Les hypoglycémies, surtout lorsqu’elles sont sévères (niveau 3), font courir le risque d’événements cardiovasculaires aigus. Le « stress hypoglycémique » englobe une activation du système orthosympathique par décharge de catécholamines, une réaction inflammatoire, une dysfonction endothéliale et une activation de l’agrégation plaquettaire. Toutes ces modifications biologiques peuvent avoir des conséquences cardiovasculaires à partir de leur effet thrombogène immédiat, mais qui peut s’étendre également sur plusieurs jours après l’épisode hypoglycémique. De nombreuses études ont montré que les hypoglycémies sévères sont associées à une augmentation du risque cardiovasculaire(15). Dans une étude publiée il y a quelques années, Zoungas et coll. avaient établi que le risque d’accident cardiovasculaire majeur était approximativement multiplié par 3,5 quand on compare des patients diabétiques faisant des hypoglycémies sévères à ceux qui n’en font pas : Hasard Ratio (HR) = 3,53 (IC95% : 2,41- 5,17)(16). Dans cette même étude, le risque d’événements microvasculaires majeurs était également plus élevé dans le groupe des sujets présentant des hypoglycémies sévères : HR = 2,19 (IC95% : 1,40-3,45). Ainsi, ce sont les 2 types de complications micro et macrovasculaires qui sont associées aux hypoglycémies sévères. À titre d’exemple, il convient de rappeler que les cellules rétiniennes font partie du système nerveux et que leur métabolisme dépend du glucose apporté par la microcirculation sanguine. De ce fait, il n’est pas étonnant que les hypoglycémies sévères soient associées à une rétinopathie ou, même, qu’elles en soient responsables, en jouant un rôle d’accélérateur vis-à-vis de cette catégorie de complications(17). À cet égard, il convient de noter qu’une correction trop rapide d’un état d’hyperglycémie chronique chez un diabétique mal équilibré depuis plusieurs semaines ou mois peut conduire à des perturbations osmotiques intrarétiniennes et, de ce fait, à une aggravation d’une rétinopathie existante qui se décompense sur le mode œdémateux(18).   Conséquences à distance des hypoglycémies   L’impact cumulé des hypoglycémies a été développé dans une revue récente publiée dans Diabetologia par Stéphanie Amiel(19). Parmi ces conséquences à distance, il convient de citer : – l’impact sociétal : perte ou restriction du permis de conduire certains véhicules, limitation des embauches dans certains métiers, rupture ou difficulté des relations familiales ou professionnelles ; – l’impact économique : augmentation des coûts de santé qui pose problème quand la prise en charge par les systèmes d’assurance maladie est absente ou incomplète, absentéisme professionnel en cas d’hypoglycémies sévères ou répétées ; – l’impact psychologique : peur des hypoglycémies, sommeil perturbé en cas d’hypoglycémie nocturne, troubles de la mémoire, apparition d’états de démences chez les sujets âgés et altération des performances cognitives et du développement du langage chez l’enfant ; – l’impact sur la perception des hypoglycémies quand elles sont répétées et fréquentes a déjà été évoqué plus haut, mais il doit être rappelé dans ce paragraphe, car il fait partie des conséquences à distance.   Conclusion   • Les hypoglycémies sont un problème majeur pour le patient diabétique et pour son entourage. Minimiser leurs conséquences, qui sont résumées sur la figure 5, et les prévenir sont deux objectifs du traitement du diabète sucré lorsque le patient est traité par des antidiabétiques susceptibles de provoquer des hypoglycémies tels que l’insuline et les sulfonylurées. • Pour répondre à l’une des questions soulevées en introduction, toutes les hypoglycémies qu’elles soient ou non silencieuses ont des répercussions néfastes, le passage direct à des manifestations neurologiques sans préavis adrénergique étant sûrement l’une des formes les plus pernicieuses des hypoglycémies iatrogènes. Figure 5. Synthèse des conséquences potentielles des hypoglycémies immédiates (en rose), à distance (en vert), immédiate ou à distance (en bleu) (d’après la référence de 19).

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