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Diabète et médecine interne

Publié le 21 nov 2023Lecture 7 min

Diabète et sports extrêmes

Saïd BEKKA, Institut de diabétologie et nutrition, Mainvilliers-Chartres

Le diabète reste pour le grand public et certains professionnels de santé une affection chronique particulièrement handicapante qui limite l’espérance de vie de ceux qui en sont atteints et constitue un obstacle majeur à la réalisation de leurs rêves, notamment sportifs. Ainsi le diabète est souvent considéré comme une contre-indication aux sports extrêmes. Cette limitation est ressentie par les patients comme « une double peine » : être malade et de plus être « hors jeu ». On entend par sports extrêmes des activités sportives qui comportent un niveau élevé de risque et qui impliquent généralement des performances physiques et techniques poussées dans des environnements extrêmes. Pourtant les progrès actuels de la médecine, de la technologie, des connaissances physiopathologiques récentes et l’implication des patients ont changé totalement le panorama sportif des diabétiques.

Activité physique et diabète : comment ça marche ?   Depuis la publication d’une métaanalyse en 2006, le bénéfice de l’activité physique (AP) dans le diabète de type 2 n’est plus à démontrer, que ce soit sur la baisse de l’HbA1c (-0,6 %), l’amélioration de la sensibilité à l’insuline, la diminution de la masse grasse avec une augmentation de la masse musculaire ou l’amélioration du taux des triglycérides(1). Les mécanismes qui concourent à ces résultats sont bien documentés : • La contraction des muscles stimule le transport intracellulaire du glucose indépendamment de l’insuline, grâce à la translocation des transporteurs GLUT4. Cette action est médiée par une enzyme clé, stimulée par l’AP, l’AMP-activated proteine kinase (AMPK). Celle-ci active la production de NO et par ce biais l’augmentation de la production de GMP-c et la translocation des transporteurs. L’exercice aigu a un effet immédiat sur les GLUT4 alors que l’activité régulière permet en plus une augmentation de leur nombre et de leur expression(2). • Il existe une augmentation de la sensibilité du récepteur musculaire à l’insuline ainsi qu’une augmentation du débit sanguin local permettant un afflux conséquent de l’hormone hypoglycémiante.   Mieux comprendre pour mieux prescrire   Dans le diabète de type 1, les bénéfices ont été longs à mettre en évidence(3,4), notamment dans le cadre des sports extrêmes. Il existe en effet une perturbation du contrôle métabolique avec 2 mécanismes essentiels : la peur de l’hypoglycémie lors de l’effort ou au décours avec une surcompensation alimentaire glucidique et une réduction inappropriée de l’insuline. De plus, le sport et le diabète sont deux « stresseurs » qui perturbent l’homéostasie glucidique. Lors d’un effort physique modéré la production hépatique est multipliée par 8 à 10 et l’équilibre glycémique est respecté à condition d’avoir une balance hormonale ajustée entre insuline et multiples autres facteurs hormonaux (glucagon, catécholamines, cortisol, GH). Dans le type 1, l’exercice physique en aérobie (endurance) majore le risque d’hypoglycémie par défaut de diminution de l’insulinémie en début d’exercice. En cas d’activité physique de type anaérobie (exercice de résistance) c’est le risque d’hyperglycémie par élévation des catécholamines sans augmentation de la disponibilité de l’insuline. Pour compliquer la situation, il existe un risque majoré d’hypoglycémie tardif car la sensibilité à l’insuline est augmentée jusqu’au moins 12 heures après la fin de l’exercice et la contre-régulation à l’hypoglycémie est perturbée pendant au moins 24 heures. Enfin les conditions météorologiques et environnementales des sports extrêmes (montagnes, océans, déserts…) imposent des adaptations supplémentaires et nécessitent une préparation adéquate et une expertise spécifique. Ainsi l’exposition en haute altitude et l’hypoxie entraînent une augmentation de la résistance à l’insuline, une augmentation de la production hépatique de glucose avec des conséquences sur d’éventuelles complications microangiopathiques(5,6). En 2023, la majorité de ces contraintes sont en partie gérées grâce à l’apport des technologies modernes comme les pompes à insuline, les mesures en continu du glucose, les boucles hybrides et l’accompagnement des soignants. Pour ce dernier point, le leitmotiv vise de plus en plus à autonomiser le patient et l’approche éducative peut être appréhendée dans les sports extrêmes comme le coaching proposé aux sportifs de cette discipline. Ainsi il est demandé aux diabétiques de bien se connaître pour minimiser le risque d’hypoglycémie, d’adapter leur traitement, de maîtriser le matériel, d’être observant, de faire confiance à une équipe, exigences tout à fait comparables à celles proposées aux compétiteurs de haut niveau (tableau 1).   Du bon usage de la technologie   Concernant les pompes, leur utilisation permet de gérer les variations d’insuline selon l’heure, les besoins du patient, son activité. Il est cependant essentiel d’adapter les recommandations en fonction des spécificités de chacun et de maintenir une surveillance régulière. De manière générale, il est recommandé de réduire le bolus de 50 % si l’activité se déroule dans les 3 heures qui suivent le repas et de diminuer le débit basal (DB) 45 minutes avant de débuter. L’amplitude de la réduction du DB dépendra ensuite du type d’activité (aérobie ou anaérobie, de sa durée et de son intensité). L’apport de la mesure continue du glucose est essentiel comme outil de contrôle des fluctuations glycémiques prédictives et donc un atout majeur pour adapter l’alimentation, paramètre essentiel dans les sports extrêmes. Les alertes hypo et hyper dans les heures qui suivent l’arrêt de l’activité renforcent le sentiment de confort et de sécurité du patient diabétique. Avec l’arrivée des boucles hybrides, un nouveau pas décisif vient d’être franchi. Ces systèmes où le capteur pilote la pompe grâce à un algorithme intégré permettent une adaptation en temps réel des doses d’insuline au plus juste, allégeant ainsi le poids des contraintes de surveillance et d’ajustement thérapeutique. Ces matériels bien que très perfectionnés sont d’autant plus performants que le patient anticipe son activité et en informe son système (tableau 2). Par ailleurs, l’ensemble des habitudes du patient doit être revu, notamment le resucrage préventif ou « curatif ».   De la théorie à la pratique   Les sports extrêmes sont donc des activités sportives spécifiques qui allient goût du risque et de l’adrénaline avec une préparation rigoureuse et un haut niveau de compétences physiques et techniques. Parmi des athlètes de haut niveau diabétiques, citons Kis Freeman, skieur de fond américain sélectionné plusieurs fois aux JO, Gary Hall, nageur américain médaillé d’or, Sébastien Sasseville, canadien marathonien et vainqueur de l’Everest, Sheri Benson, canadienne cycliste sur piste, le français Sébastien Ogier, coureur de rallye plusieurs fois champion du monde, Alizée Agier, française championne du monde de karaté et Alexander Zverev, tennisman allemand star des plus grands tournois. Plus modestement, depuis 1995 l’association Diadiet en Eure-et-Loir se mobilise pour prouver par des réalisations concrètes que des diabétiques initialement inactifs pouvaient se réaliser dans des exploits sportifs(7). En 1995 le 1er pari est lancé : 3 patients mal équilibrés se considérant comme handicapés à cause du diabète se voient proposer un défi : se préparer en 6 mois pour participer au mythique Marathon de New York. Après un entraînement intensif et de nouveau un monitoring régulier de leurs glycémies, ce pari reste réussi en moins de 5 heures avec, pour la 1re fois pour un patient, le constat que « grâce » (et non plus à cause) du diabète, il avait vécu une épopée magique.   Croire et oser   Cette expérience intense et gratifiante à relever un défi est confortée en 1996 devant la difficulté de marcheurs diabétiques à intégrer des groupes pour des sommets de haute altitude. L’association se lance alors dans la préparation de l’ascension du toit de l’Afrique : le Kilimandjaro. Les neiges éternelles sont atteintes à 5 895 mètres en novembre avec une nouvelle équipe et ce, malgré le mal des montagnes, les lecteurs glycémiques inopérants et des stylos à insuline gelés. En 1999, 5 autres patients jusqu’alors sédentaires et « victimes » du diabète se jettent à l’eau pour relever un nouveau défi : la traversée de la Manche à la nage. Dix-huit mois de préparation pour apprendre à nager, affronter sans combinaison une eau à 13° C et se retrouver sur les plages anglaises pour une traversée de 36 km en relais, sur un des couloirs maritimes les plus fréquentés du monde. Là encore, belle réussite et victoire symbolique qui bousculent les interdits de certaines fédérations sportives. En 2000, c’est directement un groupe de 12 cyclistes amateurs perdus pour la cause diabétique qui s’engagent pour 8 mois dans un programme d’entrainement et d’ajustement glycémique pour participer au Graal des épreuves du vélo : l’étape du Tour. Pour compliquer l’aventure, c’est le tronçon Carpentras-Mont Ventoux qui est sélectionné (158 km et 3 cols avec en fin de parcours l’ascension du Ventoux). Il faudra 2 000 km de préparation, l’utilisation des premiers holters glycémiques, une solidarité d’équipe indispensable pour triompher du géant du Midi, avec en moyenne pour chacun une perte de 2 points d’HbA1c. Se succéderont ensuite, avec à chaque fois des patients tentés par l’accablement, la démotivation ou la mésestime de soi, une randonnée de 5 jours en autonomie complète à -40 °C au pôle Nord, un raid VTT de plus de 220 km sur la Muraille de Chine, l’immense aventure du Marathon des Sables dans le désert marocain, les 100 km de Millau, la 1re étape de la Diagonale des fous, l’Oman Trail. Des jeunes adolescents DT1 se révèlent aussi dans ces défis sportifs avec 10 jours de randonnée à cheval dans la steppe de Mongolie, dans des conditions spartiates et pour un autre groupe, en 3 jours, 2 sommets alpins à près de 4 000 mètres. Plus récemment en novembre 2022, 5 patients DT1 trentenaires, réalisaient une grande première : le tour des Annapurna au Népal (10 jours de trek, 7 heures de marche/jour) avec le passage du col de Thorong à 5 500 mètres avec une boucle hybride. Succès total tant sur la performance physique que sur la fiabilité du matériel avec des TIR (temps passé dans la cible) en moyenne à 80 % (figures 1 et 2).

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