Thérapeutique
Publié le 11 jan 2021Lecture 9 min
Diabète de type 2 : le Graal de la médecine de précision
Bernard CHARBONNEL, Université de Nantes
On sait la définition de la médecine de précision : choisir le traitement qui correspond précisément à l’individu que l’on va traiter. Il s’agit d’une approche devenue commune en cancérologie où le choix des anticancéreux repose de plus en plus sur l’identification individuelle des caractéristiques de la tumeur qu’on veut traiter.
Il s’agit d’une approche apparemment consensuelle en diabétologie puisque, depuis maintenant plus de 10 ans, depuis les premiers consensus ADA/EASD, la priorité, du moins dans les recommandations, est l’individualisation du traitement ce qui, du point de vue conceptuel, rejoint en théorie ce qu’il est convenu d’appeler en cancérologie la médecine de précision. Du point de vue conceptuel certes, mais qu’en est-il en pratique clinique ? À vrai dire, nous sommes bien loin en diabétologie d’une réelle médecine de précision, même si une active recherche clinique essaie d’en définir les contours, malheureusement sans grand succès pratique pour l’instant.
Une tentative de démembrement en « clusters »…
Un travail important a été celui de Emma Ahlqvist en 2018(1) : sur près de 15 000 patients issus de 5 grandes cohortes suédoises, 6 critères simples (l’âge des sujets, leur poids, leur niveau d’HbA1c, la sécrétion d’insuline [HOMA-B], la résistance à l’insuline [HOMA-IR], les anticorps anti-GAD) lui ont permis d’identifier 5 « clusters » autrement dit 5 sous-groupes de diabétiques de type 2.
Les 2 premiers sous-groupes, le cluster 1 et le cluster 2, se caractérisaient par une insulinopénie avec (cluster 1) ou sans (cluster 2) anticorps. À vrai dire, le cluster 1 correspond au cadre nosographique bien connu des diabètes de type 1 auto-immuns de révélation tardive et cette étude montrait à nouveau leur relative fréquence (15 %) dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler diabète de type 2 lorsqu’on ne mesure pas les anticorps. Le cluster 2, sans anticorps, appelé « severe insulin-deficient diabetes » au vu du HOMA-B, est plus original et représente lui aussi environ 15 % des patients. Ces 2 sous-groupes, autrement dit près de 30 % des patients, avaient en commun un mauvais équilibre glycémique initial et une absence d’obésité, du moins importante. Ces patients évoluaient logiquement vers la mise à l’insuline plus souvent que les autres et, pour les diabètes de type 2 insulinopéniques sans anticorps, un risque plus important de rétinopathie.
Était identifié un cluster 3 appelé « severe insulin-resistant diabetes », avec obésité et insulinorésistance calculée par l’index HOMA-IR. Ce sous-groupe n’est pas très fréquent, environ 10 % des cas, mais il est plus grave que les 2 suivants puisqu’il est à plus haut risque de développer une stéatose hépatique et une néphropathie.
Restaient enfin les clusters 4 (« mild obesity-related diabetes: obesity but not insulin resistance ») et 5 (« mild age-related diabetes: older than patients in other clusters, but showed only modest metabolic derangements ») qui ne sont pas sans intérêt, car relativement fréquents, en tout près de 60 % des diabétiques de type 2 et de meilleur pronostic que les 3 clusters précédents. Ces 2 sous-groupes, qui ne diffèrent finalement que par l’âge des patients, présentent des anomalies modérées de la sécrétion d’insuline et de la résistance à l’insuline, une HbA1c qui est généralement peu augmentée, un risque de complications moindre que celui des 3 premiers sous-groupes ; ils évoluent rarement vers l’insulinothérapie ; bref, ce sont des formes de relativement bon pronostic du diabète de type 2 par opposition aux 3 premiers sous-groupes.
On a donc là une tentative intéressante de démembrement de cette entité hétérogène qu’on appelle diabète de type 2 en catégories différentes par leur substratum physiopathologique et clinique et par leur degré de gravité. Cela peut paraître comme une première étape incontournable en vue des choix thérapeutiques d’une médecine de précision. Ceci dit, dès le départ, cette approche a été relativisée, car, après tout, cette proposition de classification plus raffinée du diabète de type 2 n’apparaît finalement pas si nouvelle que cela ; elle se base en effet sur des phénotypes bien connus, la présence ou non d’anticorps, la présence ou non d’un déficit insulinique ou d’une insulinorésistance, le poids…
… plus ou moins validée
Il est tout de même important de noter que les 5 sous-groupes de l’étude suédoise ont, depuis, été grosso modo validés par d’autres études du même type, les unes sur un grand registre allemand(2), les autres en reprenant sous cet angle de grands essais thérapeutiques, à savoir ADOPT et RECORD(3).
Le registre allemand(2) a caractérisé l’insulinopénie et l’insulinorésistance par le clamp hyperglycémique, autrement dit un gold standard par rapport aux index HOMA. Il a par ailleurs caractérisé la stéatose hépatique par la méthode IRM de référence et a ajouté la neuropathie, elle aussi évaluée par les méthodes de référence, aux deux autres complications micro vasculaires. Avec cette méthodologie d’évaluation plus solide que dans l’étude suédoise, l’étude allemande arrive à peu près aux mêmes résultats, les mêmes 5 sous-groupes, la même prévalence (un peu plus de diabètes auto-immuns), les mêmes différences pronostiques, en particulier plus de stéatose hépatique et de fibrose dans le sous-groupe 3 avec insulinorésistance et plus de complications microvasculaires, y compris la neuropathie, dans le sous-groupe 2 avec insulinopénie. Il est intéressant d’observer que peu de patients changent de cluster au cours du suivi, ce qui suggère une certaine robustesse à la classification initiale.
Les mêmes clusters sont retrouvés lorsqu’on reprend les données initiales puis évolutives des grandes études ADOPT et RECORD(3). Rappelons que ADOPT a évalué d’une manière prospective randomisée 3 monothérapies, la metformine, la rosiglitazone et un sulfamide et que RECORD a comparé (sur le risque cardiovasculaire comme critère principal) une bithérapie sulfamides-metformine à une bithérapie rosiglitazone-metformine.
Il y a donc là, depuis quelques années, comme une nouvelle classification en 5 sous-groupes des diabètes de type 2 qui se met en place et qui semble relativement robuste. La question néanmoins demeure de sa réelle originalité, pour les raisons soulevées ci-dessus, et surtout de son utilité en pratique clinique.
Est-ce vraiment une première étape vers une médecine de précision en diabétologie ?
De ce point de vue, l’analyse des grandes études ADOPT et RECORD est intéressante. Elle apporte quelque chose pour le choix des thérapeutiques antidiabétiques, en fonction des caractéristiques phénotypiques des patients, autrement dit le rationnel à une certaine individualisation. Mais elle montre aussi la limite des fameux 5 clusters, car l’identification des patients en fonction de ces clusters apparaît de valeur prédictive inférieure pour le choix des traitements par rapport à des critères cliniques bien connus et simples dont le regroupement dans les 5 clusters n’apporte finalement pas grand-chose, du moins dans l’analyse qui en est faite de ADOPT et RECORD.
Pour donner deux exemples :
– la progression du diabète, évaluée par la détérioration de l’HbA1c, est beaucoup mieux prédite par l’âge des patients que par les clusters. On détériore d’autant plus l’HbA1c au fil du temps qu’on est plus jeune au moment du diagnostic ;
– le risque de néphropathie est prédit par la classification en clusters (plus dans le cluster 3), mais il l’est davantage par le débit de filtration glomérulaire initial.
De nouvelles analyses sur d’autres études sont sans doute nécessaires pour y voir plus clair.
Quant à l’efficacité hypoglycémiante des médications antidiabétiques, essayer de prédire ce qu’on appelle depuis de nombreuses années les bons répondeurs et les mauvais répondeurs, ce qui nous rapproche bien sûr d’une médecine de précision, les clusters ont une certaine utilité : par exemple le cluster 3 caractérisé par une insulinorésistance importante est celui où la rosiglitazone est le plus efficace et le cluster 5 (les diabètes peu déséquilibrés de l’âge moyen) celui où les sulfamides sont le plus efficaces.
Mais les clusters ont moins d’utilité, dans cette analyse de ADOPT et RECORD, que des paramètres cliniques simples non regroupés en clusters. Les auteurs ont comparé la valeur prédictive d’efficacité hypoglycémiante des antidiabétiques entre la classification en 5 clusters et celle, utilisée à vrai dire par tous les cliniciens depuis toujours, d’une combinaison de critères cliniques très simples, l’âge, le poids, le sexe, l’HbA1c au moment du choix du traitement. Le modèle utilisant la combinaison de ces critères cliniques simples, sans faire appel à leur regroupement en clusters ni faire appel aux index HOMA, fait toujours mieux, dans l’analyse faite de ADOPT et RECORD, que la classification en clusters.
Les limites de la classification phénotypique
Pour se rapprocher de la médecine de précision, celle qui s’impose aujourd’hui en cancérologie, il faudrait sans doute une identification génétique et non pas simplement phénotypique des patients. Différentes études ont permis d’identifier différents sous-groupes sur une base de combinaisons génétiques(4). Certains de ces sous-groupes, caractérisés par des combinaisons de loci, sont plutôt insulinopéniques, d’autres plutôt insulinorésistants. Comme la base de la classification est cette fois-ci génétique, cela pourrait donner plus de sens à la caractéristique phénotypique associée. Ceci dit, ces tentatives d’individualisation génétique des patients gardent pour l’instant des limites majeures : les gènes ne sont pas réellement identifiés, les combinaisons dont on parle sont des combinaisons de loci… c’est une base utile pour la recherche ultérieure, mais inutile pour la clinique d’aujourd’hui.
On voit donc la limite de la classification proposée depuis quelques années en clusters. Ces clusters regroupent des traits phénotypiques, mais ces derniers ne sont pas spécifiques à chaque cluster, il y a d’importants chevauchements et, c’est sans doute l’essentiel, il n’y a pas de base étiologique aux clusters en question, sauf le cluster 1, mais il s’agit d’un diabète auto-immun, ce n’est pas un véritable diabète de type 2. On veut donc démembrer l’hétérogénéité du diabète de type 2 et c’est une démarche porteuse d’avenir, mais, dans l’état actuel des choses, on suppose finalement comme homogène chacun des 5 clusters, ce qui est un postulat non validé et vraisemblablement faux.
Reste donc, pour la décision médicale individualisée, à se fier, mais ce n’est pas bien nouveau, à des caractéristiques cliniques simples du patient qu’on veut traiter. On connaît les limites de cette approche pour un individu donné, car il n’est pas de marqueur réellement fiable de ce qu’on appelle la bonne réponse ou la mauvaise réponse, et ceci, quelle que soit la classe antidiabétique considérée, il n’y a que des tendances, d’utilité donc limitée devant un cas individuel. Quelques exemples néanmoins :
– il a été suggéré, mais toutes les études ne vont pas dans le même sens, que les agonistes du récepteur du GLP1 sont moins efficaces chez les diabétiques avec une longue durée d’évolution de la maladie et avec une réserve insulinique faible ;
– il a été suggéré, mais toutes les études ne vont pas dans le même sens, qu’une insulinorésistance importante était un prédicteur de mauvaise réponse aux inhibiteurs de DPP4 (iDPP4) ;
– en revanche, mais ceci est sans conséquence en France où les glitazones ne sont pas disponibles, il est assez bien établi qu’une insulinorésistance importante est un prédicteur de bonne réponse aux glitazones ;
– l’analyse des études ADOPT et RECORD, comme mentionné ci-dessus, suggère une meilleure réponse aux sulfamides chez les hommes à poids normal ;
– une HbA1c élevée et une fonction rénale normale sont des prédicteurs importants d’une bonne réponse aux SGLT2 inhibiteurs. Comparés aux iDPP4, à fonction rénale identique, les SGLT2 inhibiteurs seront aussi efficaces, voire un peu moins, pour une HbA1c < 7,5 %. Mais ils seront plus efficaces pour une HbA1c > 8,5 %.
Voilà, ce sont des pistes pour individualiser le choix thérapeutique, mais il y a de nombreuses exceptions individuelles aux tendances ci-dessus, et on est donc bien loin de la médecine précision. À vrai dire, depuis les grandes études sur les agonistes du récepteur du GLP1 et les inhibiteurs de SGLT2, l’individualisation thérapeutique s’est déplacée du pouvoir hypoglycémiant vers la protection cardiovasculaire et rénale. De ce point de vue, et c’est un immense progrès, on sait qu’il faut choisir un agoniste du récepteur du GLP-1 en cas de maladie athéroscléroseuse avérée et un inhibiteur de SGLT2 en cas d’insuffisance cardiaque, même précoce et/ou d’atteinte rénale débutante.
Conclusion
Il m’apparaît que le terme devenu consacré d’individualisation thérapeutique dans le domaine du diabète de type 2 est largement survendu. On peut bien sûr individualiser la valeur cible d’HbA1c sur la fragilité du patient, mais ceci relève d’un bon sens clinique de base sans qu’il soit besoin de faire de la sophistication verbale ou conceptuelle à ce sujet.
Pour le reste, les tentatives récentes d’individualisation de la stratégie de traitement en fonction de catégories de patients agrégeant différentes caractéristiques phénotypiques en clusters, que j’ai essayé d’analyser rapidement, s’avèrent, pour l’instant du moins, bien décevantes même si elles ont sans doute quelque utilité pour la recherche clinique à venir.
Bref, la médecine de précision, telle qu’on l’entend en cancérologie, ce n’est pas actuellement une réalité clinique, cela reste un Graal qu’il nous est sans doute permis d’espérer atteindre, mais quand ? Les diabétologues sont les chevaliers du roi Arthur…
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