Congrès
Publié le 25 oct 2020Lecture 6 min
Essais randomisés versus études en vie réelle : comment réduire les discordances ?
Depuis quelques années, les études en vraie vie se sont imposées en complément des essais contrôlés randomisés (ECR). Ces études observationnelles reflètent les modalités usuelles de prise en charge des patients en termes de dose et conditions de prescription des thérapeutiques, sans les critères d’inclusion et d’exclusion stricts appliqués dans les ECR. Elles permettent un suivi prolongé et donc d’apprécier l’observance et la persistance du traitement dans la vraie vie, au sein d’une population non sélectionnée, donc plus fragile a priori. Elles peuvent révéler un signal de sécurité et renseignent sur l’efficacité en pratique courante.
Accords et désaccords
Les résultats des études en vraie vie peuvent conforter ceux des ECR ; il en est ainsi des données d’efficacité des aGLP1 et des iSGLT2. A contrario, des discordances peuvent apparaître entre certains ECR et les études de vraie vie ; ainsi l’augmentation du risque d’amputation mise en évidence dans un seul essai randomisé des iSGLT2 n’apparaît dans aucune des études de vraie vie. Cette discordance a conduit les autorités à inclure un avertissement dans les informations sur le produit tout en considérant que le rapport bénéfice/risque du traitement reste favorable.
Les anciens antidiabétiques oraux n’ont pas bénéficié d’études de sécurité cardiovasculaire rigoureuses au même titre que les thérapeutiques les plus récentes. Le niveau de preuve est donc très faible pour les biguanides et les sulfamides hypoglycémiants (SH). Dans les études observationnelles réunissant plusieurs centaines de milliers de patients(1), comme dans le registre REACH(2), les biguanides ont montré une supériorité sur la mortalité toutes causes en prévention secondaire, comparativement aux SH. Ne tenir compte que des ECR pour déterminer la stratégie thérapeutique dans le diabète de type 2 conduirait à écarter une classe thérapeutique au profit d’autres plus récentes, comme ont pu le faire les recommandations ESC/EASD 2019. Par ailleurs, la sécurité cardiovasculaire des SH est sujette à caution depuis l’étude UGDP ; des études randomisées ainsi que les études de cohortes observationnelles ont montré un avantage cardiovasculaire des iDPP4, dont la neutralité a été mise en évidence dans des ECR, sur les SH(3,4). Toutefois, la comparaison d’un iDPP4 à un SH dans une étude de sécurité cardiovasculaire n’a pas montré de sur-risque avec le sulfamide évalué, signant une discordance avec les études en vraie vie(5).
Les discordances entre ECR et études de vraie vie peuvent s’expliquer par les différences entre les populations incluses (âge, mode de vie, comorbidités, sévérité de la maladie, observance et persistance du traitement), et les modalités de prescription (dosage, coprescriptions, hors AMM). Les études observationnelles, dont l’intérêt est déjà reconnu par les sociétés savantes et les agences de régulation, offrent de multiples potentialités pour la recherche clinique. Pour réduire l’écart entre ces deux types d’études, il conviendrait d’améliorer le traitement statistique des données, de recourir aux big data et de multiplier les sources fiables.
Apport des données en vie réelle et du big data
La recherche clinique a besoin aujourd’hui de s’ouvrir à d’autres modes d’organisation, plus souples que ceux de ECR, en s’appuyant sur des données issues de la vraie vie. Les enjeux sont de mieux connaître la population cible, de développer de nouvelles stratégies de recrutement et de suivi des participants et d’améliorer le design des études cliniques. Pour y parvenir, la recherche peut aujourd’hui s’appuyer sur les réseaux sociaux, les outils numériques et toutes les potentialités offertes par l’intelligence artificielle (IA).
Les réseaux sociaux représentent une source très puissante, quoique sous-exploitée, pour mieux comprendre les attentes de la population cible, diversifier le recrutement des essais cliniques et améliorer la pharmacovigilance. Un bon exemple est fourni par le projet World Diabetes Distress Study qui permet d’appréhender le diabète dans la vraie vie au travers des échanges entre personnes diabétiques sur Twitter, analysés grâce à l’IA. L’IA est capable de ressortir les sujets d’intérêt, après avoir analysé les sentiments, classé les profils de détresse et même prédit le statut diabétique de type 1 ou 2 et le sexe. Ainsi, parmi les sujets les plus négatifs identifiés dans une étude réalisée aux États-Unis, sont retrouvées les hypoglycémies sévères, la variabilité glycémique et les comorbidités liées au diabète. Cette méthode permet ainsi d’identifier de nouveaux critères d’évaluation pour les essais cliniques et de générer d’autres hypothèses de recherche.
Grâce aux réseaux sociaux, le recrutement de patients pour les essais cliniques peut être accéléré, à faible coût, en ciblant des profils plus variés. Les réseaux sociaux offrent aussi un potentiel en termes de pharmacovigilance en détectant des effets indésirables plus vite que par les circuits traditionnels, voire des signaux faibles.
La recherche de précision en médecine oblige à combiner de plus en plus de données hétérogènes (biologiques, cliniques, génétiques, etc.) caractérisant le phénotypage profond ; dans cette optique, le couplage de ce phénotypage avec le phénotypage digital permis par les outils de communication modernes (outils connectés, réseaux sociaux, etc.) aboutit à un phénotypage encore plus profond des personnes. Les données ainsi collectées constituent des banques de données accessibles à la recherche. Une première expérience française basée sur ce principe est la création d’une plateforme de recherche commune pour le diabète de type 1, « SFDT1 », à l’initiative de la SFD et de la FFRD, visant à recruter 15 000 personnes ayant un diabète de type 1 depuis 6 ans, sur tout le territoire français y compris les DOM-TOM, dans l’objectif d’un suivi actif sur 10 ans et passif sur 30 ans. Toutes les données disponibles seront combinées afin de caractériser finement les patients. Cette cohorte sera utile pour réaliser des essais cliniques « nichés » (Twics pour trials within cohorts), possiblement randomisés, pour un coût limité, et plus rapides à initier. Les études observationnelles ne doivent pas être opposées aux ECR, mais leur enrichissement par les données numériques permet d’envisager des essais plus pertinents en variant le profil des patients recrutés, et plus conformes aux attentes des individus.
Réduire la discordance en améliorant l’observance
Les résultats obtenus dans les études de vraie vie sont souvent moins bons que dans les ECR pour la même molécule, la différence sur l’HbA1c pouvant atteindre 0,8 %. La raison principale est la non-observance du traitement. Parmi les nombreux facteurs qui influent sur l’observance, la compréhension du traitement, la confiance du malade en celui qui prescrit et la décision médicale partagée sont déterminants : le patient doit devenir auto-observant et la co-prescription remplacer la prescription.
Le paradoxe de l’auto-inobservance s’explique ainsi : l’être humain est à la fois un être de raison et un être d’émotion, régi par la loi de l’homéostasie émotionnelle. Lorsque ses besoins primaires sont assurés, l’être humain donne la priorité à l’homéostasie émotionnelle. La maladie chronique produit un traumatisme psychique, variable selon les individus, la maladie et son traitement, lequel pousse le patient à mettre en oeuvre des mécanismes de défense psychique (déni, autopersuasion), au risque d’une deuxième maladie. Pour guérir de cette 2e maladie, le patient doit en prendre conscience, accepter d’en parler (à un proche, un soignant…).
Face à un patient non observant, le thérapeute doit éviter les contre-attitudes (paternalisme, infantilisation, etc.) et l’aider à se motiver : en augmentant sa motivation extrinsèque, en facilitant l’intério risation d’une motivation ex trinsèque pour qu’il relève le défi et prenne plaisir à la maîtrise.
La CNAM a fait plusieurs propositions pour améliorer l’observance, parmi lesquelles la création en 2022 d’un acte infirmier d’accompagnement de la prise médicamenteuse. Cet acte réalisé à domicile comportera 3 séances (prise de contact, mise en œuvre, évaluation et compte rendu) dans le mois suivant la prescription et renouvelable une fois par an. Pour intéressant que soit cet acte, cette proposition soulève des critiques car elle dissocie l’observance de la prescription (exit la relation médecin-malade et la décision médicale partagée !), l’éducation thérapeutique étant réduite à l’acte d’accompagnement infirmier et l’observance à la prise médicamenteuse.
D’après un symposium MSD avec la participation de B. Charbonnel, P. Darmon, G. Fagherazzi et A. Grimaldi SFD 2020
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :