Société
Publié le 15 juin 2020Lecture 11 min
Diabète et précarité : une association dangereuse
Bernard BAUDUCEAU et coll*, ancien chef du service d’endocrinologie, hôpital Bégin, Saint-Mandé
Bien que la France consacre un tiers de son PIB à la protection sociale, la pauvreté et la précarité ne sont pas en voie de régression dans notre pays. Ainsi, la pauvreté dont le seuil est fixé à 60 % du revenu médian s’élève à un taux alarmant de 14,1 % et plus de 2,5 millions de foyers sans ressources bénéficient du Revenu de solidarité active (RSA). Un grand nombre de personnes ont beaucoup de mal à payer leur loyer, leurs factures de gaz ou d’électricité, malgré le chèque énergie. Cependant, ces chiffres dépendent de la définition de la pauvreté. Quoi qu’il en soit, les difficultés financières conduisent à une grande fragilité des personnes et compliquent la prise en charge des maladies chroniques notamment du diabète. En effet, la gestion de la maladie peut apparaître secondaire au regard des nécessités du quotidien et aboutir à une négligence des soins. La précarité constitue donc un facteur aggravant du diabète et nécessite d’être bien analysée par les soignants afin d’améliorer la prise en charge des personnes diabétiques. Les mesures sociales à disposition doivent également être connues des professionnels de santé afin d’améliorer les parcours de soins des personnes précaires.
Définition de la précarité
Deux définitions officielles sont habituellement citées.
La première a été rédigée en 2002 par Joseph Wresinski et se décline comme l’absence d’une ou de plusieurs des sécurités notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux.
La seconde, proposée par Isabelle Parizot, date de 2018, et considère la précarité comme une trajectoire de vie, un processus individuel et biographique éventuellement transitoire et réversible, fait de l’accumulation de facteurs d’exclusion et de ruptures, susceptibles de plonger une personne dans une situation de pauvreté effective.
En réalité, la précarité peut prendre de multiples visages comprenant la pauvreté, la précarité alimentaire ou énergétique, le chômage ou l’absence de domicile fixe. La forme la plus extrême de la précarité s’observe chez les migrants, sans papier et sans aucune ressource dont la survie dépend en partie des associations caritatives.
Évaluation du degré de précarité : score ÉPICES
Le score ÉPICES (Évaluation de la précarité et des inégalités de santé dans les Centres d’examens de santé) est un indicateur utilisé en routine pour définir le degré de précarité individuel dans les centres d’examens de santé (CES) dont la prise en charge des sujets les plus précaires constitue une des missions. Les travaux de recherche s’appuient également sur cet indicateur. Ce score a été construit en 1998 par un groupe de travail constitué de membres des CES financés par l’assurance maladie, du Cetaf (Centre technique d’appui et de formation des CES), et de l’École de santé publique de Nancy. Cet indicateur a été établi à partir d’un questionnaire de 42 questions prenant en compte l’emploi, les revenus, le niveau d’étude, la catégorie socioprofessionnelle, le logement, la composition familiale, les liens sociaux, les difficultés financières, les événements de vie et le ressenti sur la santé. À partir du questionnaire originel, une sélection de 11 items a été retenue par une méthode statistique d’analyse factorielle et de régression multiple. La réponse à chaque question est affectée d’un cœfficient, la somme des 11 réponses donne le score ÉPICES. La valeur de ce score est continue et varie de 0 (absence de précarité) à 100 (maximum de précarité) (figure 1). Un score de 30 est considéré comme le seuil de précarité et sa pertinence a été établie pour détecter et quantifier la précarité d’autant qu’il a pour qualité d’être quantitatif. Cependant, chez les sujets très précaires, comme les migrants ou les demandeurs d’asile, certaines de ces questions peuvent paraître surréalistes.
Figure 1. Calcul du score ÉPICES. Il faut impérativement que toutes les questions soient renseignées. Chaque cœfficient est ajouté à la constante si la réponse à la question est oui.
Les personnes touchées par la précarité
Globalement, 1 Français sur 5 souffre d’une forme de précarité qui touche en particulier les jeunes, étudiants ou en recherche d’emploi, les mères isolées, les personnes éloignées de l’emploi, les travailleurs pauvres ou les retraités disposant d’une faible pension. En réalité, la pauvreté présente de multiples visages et des degrés divers. Selon l’Insee, qui retient le seuil de 60 % du revenu médian, la pauvreté touche 8,9 millions de personnes dont la moitié a moins de 30 ans et 10 % plus de 60 ans. La pauvreté a progressé en France ces dix dernières années avec notamment une augmentation de l’extrême précarité puisqu’aujourd’hui 2,3 millions de Français vivent avec moins de 660 euros par mois.
La situation est encore plus alarmante chez les migrants qu’ils soient demandeurs d’asile ou déboutés. Chaque année en France, il y aurait 100 000 demandeurs d’asile auxquels s’ajoutent 85 000 réfugiés retenus aux frontières. Ces personnes, assez souvent des femmes avec enfants ou des mineurs isolés, vivent dans un grand dénuement. Dans ces conditions d’accueil particulièrement difficiles, la prise en charge médicale est très aléatoire en raison de la barrière de la langue et de la culture, des obstacles à l’obtention des soins et des difficultés économiques particulièrement prégnantes.
Prévalence du diabète chez les sujets précaires
Le diabète n’épargne pas les personnes précaires, bien au contraire. La prévalence du diabète de type 2 comme celle de l’obésité est d’ailleurs plus élevée dans les régions françaises les plus pauvres sans parler des départements d’outre-mer où la situation est la plus critique comme à Mayotte. Une grande enquête portant sur près de 50 000 personnes âgées de 35 à 80 ans a été menée dans le centre IPC (Investigations préventives et cliniques, Paris-Île de France), de janvier 2003 à décembre 2006. Cette enquête a montré que les sujets en situation de précarité présentaient une prévalence du diabète 3 à 8 fois plus élevée que chez les non précaires. De nombreux marqueurs de risque cardiovasculaire, un état de santé altéré ainsi qu’une difficulté d’accès aux soins étaient particulièrement fréquents chez ces personnes(1).
La précarité influe sur le vécu de la maladie, les connaissances de la pathologie, les possibilités d’accès aux soins et sur la permanence de la prise en charge d’une pathologie chronique sans symptôme comme le diabète.
Facteurs d’aggravation du diabète chez les personnes précaires
La précarité imprime un accent de gravité au diabète de multiples façons soit en limitant les possibilités de soins, en multipliant les comorbidités ou les addictions, soit en aggravant les complications.
Barrières de la langue et croyances socioculturelles
Chez les sujets précaires d’origine étrangère, la barrière de la langue constitue un obstacle insurmontable sans aide pour la réalisation des démarches administratives indispensables pour obtenir une prise en charge des soins. Les difficultés sont majorées par les conséquences psychologiques liées aux épreuves et aux sévices que les migrants ont subis lors du trajet qui les a conduits en France. Les croyances multiples, culturelles ou religieuses, ne font qu’aggraver les difficultés d’insertion dans notre système social. L’implication des associations caritatives qui ont l’habitude de gérer ces situations complexes est fort utile, même si rien n’est facile en ce domaine.
Dépistage du diabète et surveillance des complications
Pour les sujets précaires et surtout les personnes en extrême précarité, la médecine préventive appartient à un autre monde. Dans ce contexte, le dépistage du diabète n’est que rarement réalisé et le diagnostic de la maladie n’est fréquemment posé qu’au moment d’une complication. Dans une enquête sur la santé des migrants en 2015-2016, un diabète était déclaré par 1,7 % de la population alors que 12 % des personnes avaient une glycémie anormale. Cette constatation suggère que la prévalence du diabète est très élevée dans cette population d’autant que l’âge moyen n’était que de 27 ans chez les 736 migrants dépistés(2). Les examens recommandés pour la surveillance de l’équilibre glycémique ou le dépistage des complications sont très loin d’être effectués à la fréquence nécessaire. Ce fait s’explique en partie par les difficultés de la mise en place d’une éducation thérapeutique si indispensable dans les maladies chroniques et notamment du diabète.
Comorbidité
Avec l’âge, les comorbidités s’additionnent et leurs conséquences se multiplient. C’est ainsi que l’insuffisance rénale, la BPCO et les maladies cardiovasculaires se conjuguent pour aggraver le pronostic et compliquer le traitement du diabète. Les états dépressifs et les syndromes de stress post-traumatique sont particulièrement fréquents chez les migrants qui ont dû affronter des épreuves souvent dramatiques lors de leur périple. Ces conséquences psychologiques ne font qu’aggraver leur état de santé et rendre plus difficile encore leur prise en charge.
Complications du diabète
Les conditions d’hygiène souvent aléatoires, notamment chez les personnes sans domicile fixe, conduisent à des complications au niveau des pieds qui peuvent s’avérer dramatiques. L’absence de douleur en cas de neuropathie fait que les consultations sont fréquemment retardées et repoussées jusqu’au stade de gangrène imposant une amputation. Ce retard dans la prise en charge explique qu’une relation peut être également notée entre le degré de précarité et la rétinopathie ou les complications cardiovasculaires(3).
Alimentation et activité physique
Les mesures hygiéno-diététiques font partie intégrante du traitement du diabète. Chez les personnes précaires, les recommandations d’une amélioration du mode de vie font partie des vœux pieux. Comment conseiller une alimentation équilibrée à des personnes qui peinent à se nourrir ou prôner l’activité physique chez des patients qui marchent une grande partie de la nuit pour ne pas trop souffrir du froid ? Les prescriptions alimentaires se heurtent enfin aux habitudes culturelles et religieuses qui nécessitent d’être prises en compte. Quelques conseils simples sont néanmoins très utiles, mais doivent être bien adaptés à la situation de la personne.
Addiction
Les addictions, alcool et tabac notamment, ne sont pas rares chez les personnes précaires. Elles contribuent à l’aggravation de la neuropathie et des complications cardiovasculaires.
Considération des personnes précaires sur les maladies chroniques
L’immédiateté dans la gestion de la survie laisse peu de place à une projection dans l’avenir. La qualité de l’équilibre glycémique, de la pression artérielle ou d’une dyslipidémie apparaît comme un objectif secondaire au regard d’impératifs immédiats comme se nourrir ou dormir au chaud. Ces considérations expliquent la faiblesse de l’adhésion aux prises régulières de médicaments. Encore une fois l’absence de symptôme contribue à laisser de côté les soins de ces maladies chroniques. La notion du risque de complications à moyen ou à long terme semble bien loin de l’immédiat et conduit à une certaine négligence vis-àvis des soins et en définitive à une majoration de la mortalité(4). Le mode de traitement pose également des problèmes comme celui de la conservation de l’insuline et du matériel d’injection.
Prise en charge des soins
L’assurance maladie assure la prise en charge à 100 % des affections de longue durée (ALD) et donc du diabète, à condition que son traitement comporte des prises médicamenteuses. Cependant, tous les soins ne sont pas entièrement remboursés si bien que le reste à charge peut être important. Les mutuelles interviennent sur ces frais et proposent des remboursements complémentaires. Cependant, beaucoup de personnes précaires ne disposent pas de mutuelles de santé. Les difficultés générées par les transports et leur coût ainsi que les priorités de la vie quotidienne ne font que dégrader la qualité des soins.
La situation est particulièrement complexe chez les personnes en extrême précarité comme les migrants et les demandeurs d’asile, même si les soins peuvent être assurés en cas d’urgence. Sur le plan médical, les demandeurs d’asile peuvent prétendre à l’ouverture de droits à la protection universelle maladie (PUMA). Celle-ci leur offre une couverture maladie aussi étendue que le régime commun et elle peut être cumulée à la complémentaire santé solidaire (CSS) qui a remplacé la couverture médicale universelle complémentaire (CMU-C), ce qui assure une prise en charge complète des frais de santé. Pour bénéficier de la PUMA, il est nécessaire d’en faire la demande auprès des services de la Sécurité sociale du lieu de résidence ou auprès de certaines associations. Une fois que la demande est faite, une attestation de prise en charge sera éditée. Ces modalités sont en passe d’être modifiées avec la mise en place d’un délai de carence de 3 mois, ce qui risque d’entraîner une dégradation des possibilités de soin.
L’aide médicale d’État (AME) est destinée à garantir l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière. Les étrangers sans titre de séjour et leurs ayants droit (enfant, conjoint, concubin, etc.) peuvent en bénéficier. L’AME donne droit à la prise en charge à 100 % des soins médicaux et d’hospitalisation en cas de maladie ou de maternité dans la limite des tarifs de la sécurité sociale. Seuls sont exclus les frais de cure thermale et l’aide médicale à la procréation. La prise en charge des médicaments se fait à la condition d’accepter les médicaments génériques, sauf indication contraire du médecin. Pour obtenir l’AME, les étrangers concernés doivent résider en France de façon ininterrompue depuis plus de 3 mois et remplir le formulaire Cerfa et l’adresser à l’assurance maladie. Cette condition de résidence n’est pas exigée pour les enfants mineurs qui peuvent être pris en charge, même si leurs parents résident en France depuis moins de 3 mois. Si l’assurance maladie accepte la demande, elle adresse au bénéficiaire une convocation pour qu’il vienne retirer sa carte d’admission à l’AME, sur laquelle figurera sa photo. Le bénéficiaire doit la présenter aux professionnels de santé pour faire valoir ses droits.
L’AME est accordée pour une durée d’un an. Elle doit ensuite être renouvelée via une nouvelle demande, qui doit être adressée dans les 2 mois qui précèdent la fin des droits.
Les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) sont des dispositifs de prise en charge médico-sociale pour les personnes en situation de précarité sociale. Leur rôle est de faciliter l’accès aux soins des personnes démunies et de les accompagner dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits. Elles sont implantées au sein des hôpitaux afin de disposer d’un accès aux plateaux techniques et travaillent avec un réseau de professionnels médicaux et sociaux. Par exemple, 38 PASS sont mis en place en région PACA au sein de 33 établissements. Les missions des permanences d’accès aux soins de santé s’inscrivent dans le programme régional relatif à l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (PRAPS) du projet régional de santé(5). De façon encore ponctuelle, de petits réseaux organisés à l’initiative de médecins de ville sont à l’origine de la mise en place de PASS ambulatoires.
Conclusion
La prise en compte du degré de précarité est un point important pour améliorer la qualité des soins. En effet, la précarité qui est malheureusement très fréquente en France majore considérablement la gravité du diabète du fait d’un retard de la prise en charge et de l’absence de priorisation des soins au regard des impératifs de la vie quotidienne.
Ces évidences nécessitent d’être bien intégrées par les soignants afin de mieux adapter la prise en charge de ces malades à leur situation particulière.
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