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Thérapeutique

Publié le 15 juin 2020Lecture 10 min

Vitamine « D » : « Dérives » sur sa « Diversité »

Louis MONNIER*, Jean-Louis SCHLIENGER**, Claude COLETTE*, *Institut universitaire de recherche clinique, université de Montpellier, **Professeur honoraire, faculté de médecine, université de Strasbourg

Pendant de nombreuses années, la vitamine D a été mise à « toutes les sauces » : rôle préventif dans les maladies cardiovasculaires et certaines formes de cancer(1), effets thérapeutiques préventifs et curatifs vis-à-vis du diabète sucré(2), réduction du risque d’infection, amélioration du tonus musculaire et réduction de la mortalité. Le rôle principal de la vitamine D étant de réguler le métabolisme osseux et phosphocalcique(3), nous sommes toujours restés dubitatifs(4-6) sur ces effets « quasi miraculeux ». Quelques études récentes(7,8), sur de larges populations, viennent d’apporter un démenti formel à toutes les allégations plus ou moins fallacieuses formulées au sujet de la vitamine D.

Ces études permettront peutêtre d’arrêter, ou au moins de freiner, la frénésie prescriptive de vitamine D et de manière parallèle la pratique de dosages coûteux de la 25(OH) vitamine D plasmatique. C’est en effet sur la base de ce dosage que nombre de personnes se sont retrouvées sous supplémentation vitaminique alors qu’elles avaient consulté pour des symptômes divers que l’on pourrait regrouper sous le vocable général de « patraquerie ». L’objectif du prescripteur était d’essayer de remédier à ces symptômes en pensant qu’une prescription de vitamine D ne pouvait pas faire de mal, et qu’au mieux elle pouvait faire un peu de bien en jouant sur l’effet « placebo ». Ce type de raisonnement n’est malheureusement pas anodin quand il est appliqué à la vitamine D, car son surdosage peut avoir des effets néfastes : hypercalcémie, hypercalciurie avec risque de précipitation dans les voies urinaires, aggravation d’un état de déminéralisation osseuse. Avant de développer les études qui ont permis de clarifier les idées, il est nécessaire de rappeler en quelques lignes le pourquoi de l’engouement dont a bénéficié la vitamine D depuis plusieurs années. Sur quelles bases la vitamine D est-elle étiquetée vitamine « à tout faire » ? Sur des extrapolations faites à partir de données biochimiques Rien a priori ne prédestinait la vitamine D à devenir un médicament « passe-partout ». Connue pour son action antirachitique et antiostéomalacique(6,9), cette vitamine est devenue un métabolite ubiquitaire au fur et à mesure que son métabolisme et ses mécanismes d’action ont été démontrés et décortiqués par des pionniers dans le domaine, Hector De Luca étant certainement le plus marquant d’entre eux(3). La vitamine D fut d’abord assimilée à une hormone quand on a découvert que son action sur les tissus cibles (tube digestif, os, cartilage) s’exerçait à distance de son site de production cutané(1,3). Cette assimilation à une hormone fut renforcée par le fait que la vitamine D nécessite 2 hydroxylations successives en position 25 au niveau du foie puis en position 1 au niveau du rein avant de devenir pleinement active dans sa configuration terminale : la 1,25(OH)2 vitamine D. Pour enfoncer le clou, si l’on peut s’exprimer ainsi, la 1,25(OH)2 vitamine D agit au niveau des tissus cibles par l’intermédiaire d’un récepteur spécifique, le « VDR » pour « Vitamin D Receptor »(1), qui appartient à la superfamille des récepteurs nucléaires dans lesquels on range également les récepteurs aux hormones stéroïdes. Le statut d’hormone étant confirmé et le récepteur identifié, toutes les extrapolations devinrent possibles(1,9). En effet, le récepteur VDR a été trouvé dans de nombreux tissus ou organes aussi variés que le tissu lymphoïde, les cellules α du pancréas, le cerveau, le cœur, le système vasculaire, la prostate, le colon(1). De plus, il a été démontré que le récepteur VDR régule l’expression de quelques centaines de gènes parmi les quelques milliers présents dans le génome humain. Il n’en fallut pas plus pour que la vitamine D soit parée de vertus merveilleuses(1,9,10) et pour que certains en fassent un immunomodulateur, un régulateur du système cardiovasculaire et une substance ayant des propriétés pour réduire le risque de cancer. Le VDR étant présent dans les cellules α du pancréas, des études ont été conduites chez l’animal et parfois chez l’homme pour étudier les effets de la vitamine D sur l’insulinosécrétion, laquelle serait stimulée par le métabolite actif, la 1,25(OH)2 vitamine D(11). De plus, du fait de la présence du VDR dans le tissu musculaire(1), un rôle lui a été attribué dans l’insulinorésistance. À partir de ces actions hypothétiques, basées sur des études anciennes et éloignées de la physiologie humaine, les « désinformateurs » se sont mis à l’œuvre pour suggérer que la vitamine D pouvait être un traitement préventif, voire curatif, du diabète de type 2(2) et même qu’il pourrait être utile pour enrayer la réaction auto-immune à l’origine du diabète de type 1(12). Prenant le relais des désinformateurs, des « mésinformateurs » plus ou moins influencés par les arguments des premiers finirent par propager des informations purement spéculatives, qui conduisent ou conduisirent à des pratiques de supplémentations peu justifiées. Sur des normalités mal définies du dosage de la 25(OH) vitamine D plasmatique L’un des arguments majeurs pour justifier une supplémentation en vitamine D fut de se baser sur les résultats des dosages plasmatiques de la 25(OH) vitamine D. En effet, ce sont eux qui sont censés définir l’état normal, les carences ou les déficits. Malheureusement, il est difficile d’établir des recommandations précises en termes de 25(OH) vitamine D, car les dosages varient d’un laboratoire à l’autre. De plus, ils sont conditionnés par la période de prélèvement (estivale ou hivernale) et par la zone géographique selon qu’elle est ou non ensoleillée. Si on fixe le déficit en dessous de 20 ng/ml, ce chiffre correspond à la moyenne du dosage de la 25(OH) vitamine D trouvée dans le laboratoire de DeLuca(3). Dès lors, si on retient cette dernière valeur comme seuil inférieur de la normalité, c’est 50 % de la population qui serait concernée par un déficit en vitamine D. En fait, il est vraisemblable que le seuil à partir duquel il faut parler de déficit se situe en dessous de la moyenne –SD, soit 20 ng/ml –6 ng/ml, c’est-à-dire 14 à 15 mg/ml. Un tel seuil correspond encore à plus de 15 % de la population puisque normalement la population peut être subdivisée en 3 groupes : 66 % entre la moyenne –SD et la moyenne +SD, 15,5 % au-dessus de la moyenne +SD et 15,5 % au-dessous de la moyenne –SD. Ainsi, si on retient cette proposition, ce sont les sujets en dessous de 14 ng/ml qui devraient (pourraient ?) être considérés comme carencés en vitamine D. Dans notre pratique, nous avons toujours estimé que 12 ng/ml étaient la limite inférieure de la normale. De toute manière, il ne faut pas se contenter d’un dosage isolé de 25(OH) vitamine D pour affirmer une carence. Lorsqu’il y a un doute, il est indispensable de compléter le bilan biologique par 4 dosages : la calcémie, la phosphorémie, la parathormone et les phosphatases alcalines. En revanche, il est inutile de doser la 25(OH) vitamine D de manière quasi systématique chez des sujets qui n’ont pas de pathologie directement en liaison avec le métabolisme phosphocalcique ou osseux et chez toutes les personnes qui n’ont aucune raison d’être carencées : sujets adultes qui s’exposent normalement à la lumière solaire et exempts de toute pathologie hépatique, rénale, intestinale pouvant réduire les stocks vitaminiques ou susceptibles d’altérer les conversions métaboliques. Sur quelles études doit-on se baser pour éviter les prescriptions injustifiées ? Très récemment plusieurs études bien conduites viennent de montrer que les supplémentations en vitamine D n’ont aucune justification dans les domaines qui sont en dehors de son champ d’action habituel. Vitamine D, maladies cardiovasculaires et cancers L’étude VITAL publiée en 2018 dans le New England Journal of Medicine(8) a montré qu’une supplémentation en vitamine D à la dose de 2 000 unités/jour n’est associée à aucune baisse significative de l’incidence des accidents cardiovasculaires sévères et des cancers après un suivi médian de 5,3 années. Les hazard ratio (HR) du risque des sujets supplémentés en vitamine D rapportés à ceux des sujets non supplémentés sont les suivants : – ensemble des événements cardiovasculaires majeurs (MACE pour Major Cardiovascular Events) : HR = 0,97 (IC95% = 0,85-1,12) (figure 1a) ; – infarctus du myocarde : HR = 0,96 (IC95%= 0,78-1,19) ; – décès de cause cardiovasculaire : HR = 1,11 (IC95%= 0,88-1,40) ; – cancers invasifs quelle que soit leur nature : HR = 0,96 (IC95%= 0,88-1,06) (figure 1b) ; – décès par cancer : HR = 0,83 (IC95%= 0,67-1,02). Figure 1. A. Incidence cumulée des accidents cardiovasculaires majeurs selon que les sujets reçoivent un placebo ou une supplémentation en vitamine D (d’après la référence(8)). B. Incidence cumulée des cancers invasifs quelle qu’en soit la nature selon que les sujets reçoivent un placebo ou une supplémentation en vitamine D (d’après la référence(8)). Aucun de ces résultats n’est significatif dans cette étude interventionnelle randomisée de prévention primaire conduite chez 25 871 sujets de plus de 55 ans (âge moyen = 67,1 ans), exempts de maladie cardiovasculaire ou de cancer au moment de l’inclusion. Sur l’ensemble des 15 787 sujets ayant eu un dosage de la 25(OH) vitamine D, 32,2 % avaient un taux compris entre 20 et 30 ng/ml, considéré par les auteurs comme un déficit modéré, et 12,7 % avaient un déficit un peu plus prononcé. De toute manière, les effets de la supplémentation en vitamine furent indépendants du taux de 25(OH) vitamine D au départ de l’étude. La conclusion générale de ce travail bien conduit est que la supplémentation en vitamine D n’a pas d’effet préventif sur la survenue d’évènements cardiovasculaires ou de cancers. Une étude réalisée en Nouvelle-Zélande(13) publiée un peu avant sur une population moins importante (5 110 participants) et sur une durée de temps plus courte (3,3 années) avec une supplémentation en vitamine D de 100 000 unités par mois avait mené à des conclusions identiques en termes de cancer, le risque étant le même chez les sujets supplémentés et chez ceux qui ne l’étaient pas. Vitamine D et diabète sucré L’étude la plus marquante sur ce sujet est celle qui a été publiée « online » par AG Pittas dans le New England Journal of Medicine du 7 juin 2019(7) après sa présentation orale au congrès annuel de l’American Diabetes Association (ADA). Cet auteur, qui avait pendant de nombreuses années fermement soutenu que la vitamine D pouvait jouer un rôle dans la prévention du diabète de type 2, a dû être bien déçu quand il a constaté que son hypothèse était infirmée. Saluons son honnêteté d’avoir publié des résultats négatifs et en désaccord avec son hypothèse initiale. L’étude de Pittas a porté sur 2 423 sujets adultes à haut risque de développer un diabète sucré (glycémie à jeun comprise entre 1 et 1,26 g/l, glycémie à la deuxième heure d’une HGPO entre 1,40 et 1,99 g/l et HbA1c entre 5,7 et 6,4 %). Après randomisation, 1 211 sujets ont reçu une dose journalière de vitamine D de 4 000 unités internationales tandis que les autres (1 212) recevaient un placebo. Après une médiane de suivi de 2,5 ans, le risque de développer un diabète sucré de type 2 a été légèrement plus faible dans le groupe traité par vitamine D : HR = 0,88 (IC95% = 0,75-1,04), mais il est resté loin de toute significativité : p = 0,12. Il est à noter que les taux de 25(OH) vitamine D qui sont le reflet des réserves en vitamine D étaient dans la zone normale à l’inclusion dans l’étude. Sur la figure 2 est représentée l’évolution du pourcentage des sujets restés exempts de diabète sucré au cours de la durée de l’étude. Les résultats montrent une évolution identique que les sujets soient ou non supplémentés en vitamine D. Ces résultats, obtenus en prévention du diabète de type 2 convergent avec ceux qui avaient été publiés un an auparavant de manière relativement discrète dans un journal à point d’impact modeste(14). Cette publication, signée également par Pittas et ses co-auteurs, avait montré qu’une supplémentation en vitamine D à la dose de 4 000 unités par jour, non plus à titre préventif, mais à visée curative sur une période de 48 semaines, était dépourvue de tout effet bénéfique sur l’HbA1c et l’insulinosécrétion estimée à partir du dosage du peptide C plasmatique. Chez des patients diabétiques de type 2, relativement bien équilibrés (HbA1c ≤ 7,5 %) et traités par des mesures hygiéno-diététiques couplées – chez certains d’entre eux – avec la prise de metformine (étude Vitamin D for established type 2 diabetes mellitus, DMM2)(14). En dehors d’une légère différence ponctuelle observée à la 24e semaine entre les taux d’HbA1c chez les patients soumis aux seules mesures hygiéno-diététiques et chez ceux supplémentés en vitamine D (p = 0,034) aucune autre différence ne fut observée. Cette diminution ponctuelle inexpliquée et inexplicable fut d’ailleurs considérée par les auteurs euxmêmes comme le fruit d’un pur hasard. En conclusion, il apparaît au jourd’hui que les supplémentations en vitamine D n’ont aucune action préventive ou curative sur le diabète de type 2 et que toutes les hypothèses échafaudées autour de tels effets étaient purement spéculatives. Figure 2. Courbe actuarielle décrivant la probabilité d’être exempt de diabète de type 2 dans une population adulte selon que les sujets reçoivent un placebo ou une supplémentation en vitamine D (d’après la référence(7)). Conclusion Bien que les études bien conduites que nous venons de rapporter aient montré l’inefficacité de la vitamine D en tant qu’agent préventif ou curatif dans des domaines aussi larges que les maladies cardiovasculaires, les cancers et le diabète sucré, il est permis de penser qu’il y aura toujours des personnes qui continueront à prétendre que la vitamine D peut être utile dans ces domaines. De toute manière, aucune étude, aussi bien conduite soitelle, n’est jamais capable d’influencer l’opinion d’irréductibles qui se sont fait une véritable religion sur les effets miraculeux de certaines pratiques médicales ou, à l’inverse, qui réfutent l’action bénéfique de traitements éprouvés. L’un des exemples les plus typiques est fourni par ceux qui se sont engagés obstinément dans une croisade « anti-statines » en dépit de toutes les preuves apportées par les études où cette classe de médicaments a été utilisée en prévention primaire ou secondaire des maladies cardiovasculaires. Le même problème risque de se poser, mais en sens inverse, pour la vitamine D, ce qui soulève une fois de plus le problème de la désinformation propagée et entretenue par des « mésinformateurs ».

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