Peau-Muqueuse-Plaie
Publié le 28 fév 2020Lecture 18 min
Diabète : quand le pied « parle »…
Jean-Philippe KEVORKIAN et coll*, services de diabétologie-endocrinologie, microbiologie, infectiologie, Groupe hospitalier Lariboisière-Saint-Louis, Paris
Publié en juillet 2017 dans un hebdomadaire français, le témoignage du Premier ministre, sur la gravité de la plaie de pied diabétique (PPD) et les conditions de la fin de vie de son père, est poignant : « Il a accepté qu’on lui coupe le doigt de pied et il a souffert ; puis il a accepté qu’on lui coupe le pied et il a souffert ; puis il fallait lui couper la jambe, car la gangrène s’installait et il a refusé et arrêté ses dialyses. Il était attaché à la vie et il savait qu’il allait mourir. Il a affronté la mort avec angoisse et courage vis-à-vis de ses proches et vis-à-vis de lui-même ». Le récit est simple. Il « dit » beaucoup. Une PPD est une catastrophe pour tout le monde. Pour le patient, pour la famille, pour la société.
Pour se tenir debout, se propulser, se reposer, sans cesse, le pied est nécessairement la partie du corps la plus exposée à de multiples contraintes mécaniques toujours traumatisantes. L’intégrité de l’innervation sensitive, motrice, végétative et de la vascularisation préserve la qualité du revêtement cutané, des masses musculaires et des structures ostéo-articulaires. Le pied est ainsi protégé des ulcérations qui sont les portes d’entrée d’infections qui détruisent les tissus, des plus superficiels jusqu’au plus profond, l’os, si elles ne sont pas repérées et traitées précocement. Innervation et vascularisation, tout cela est gravement altéré chez les diabétiques les plus sévères. La plaie va survenir insidieusement suivie de l’invalidité temporaire inéluctable, voire définitive, en cas d’amputation, si l’infection et l’inflammation ne précipitent pas, auparavant, dans des complications potentiellement mortelles.
La survenue d’une plaie de pied est donc une catastrophe dans la vie d’un diabétique ! Elle est la marque visible de son passé, de son présent et de son avenir. Elle « dit » la négligence, l’indiscipline, l’indifférence, la précarité passées. Le diabète ne permet pas de tolérance pour tout cela. Elle « dit » la souffrance présente. Le diabète est la première cause d’amputation. La perte d’un membre ou même seulement d’une partie se fait toujours dans la douleur psychique et physique. Et l’amputation est rarement faite sans quelques événements graves intercurrents septiques, cardiaques, rénaux, neurologiques, hémorragiques et… iatrogènes qui ajoutent de la souffrance. Elle « dit » les handicaps et la brièveté de la vie à venir. Tout devient plus compliqué lorsque qu’on perd un, deux, trois orteils, la moitié du pied, la jambe, la moitié de la cuisse pour une plaie superficielle, négligée d’un seul orteil (figure 1) ! Tout devient encore plus compliqué quand l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, la dénutrition, l’altération des fonctions supérieures, la rétinopathie… fréquemment observées chez ces patients, obligent la multiplication des traitements, des consultations et des hospitalisations. La vie est inconfortable. La vie est écourtée.
Figure 1. Nécrose humide nauséabonde, purulente et fébrile de l’hallux gauche, constituée 15 jours après un hématome post-traumatique chez un diabétique de type 2 (2007), âgé de 64 ans, tabagique actif, dénutri (indice de masse corporelle : 23 kg/m2, albuminémie = 25 g/l) ; CRP = 51 mg/l ; HbA1c = 7,1 %. Neuropathie périphérique sensitive. Rétinopathie traitée par laser. Microalbuminurie (128 mg/l, débit de filtration glomérulaire : 97 ml/min). Fonction systolique ventriculaire gauche conservée. Artériopathie gauche proximale et distale sévère (sténoses étagées multiples et significatives de l’artère fémorale superficielle et poplitée, artère péronière infiltrée constituant le seul axe de jambe). Indice de pression artérielle systolique (IPS) = 0,84. Angioplastie d’une sténose serrée de l’artère poplitée et du tronc tibio-péronier sans récupération de l’arcade plantaire. Amputation transmétatarsienne de l’hallux gauche (03.08.2018, état postopératoire à une semaine 10.08.2018) complétée par une double antibiothérapie (6 semaines) adaptée à la bactérie (Pseudomonas aeruginosa) trouvée dans la biopsie per-opératoire du métatarsien laissé en place parce que jugé cliniquement sain au cours de l’intervention. Cicatrisation quasi complète à 7 mois de l’amputation (07.03.2019).
Bref, le profil du diabétique avec une plaie de pied est assez stéréotypé. Le plus souvent, il s’agit d’un homme, âgé en moyenne de plus de 65 ans, diabétique de type 2 depuis plus de 15 ans, atteint systématiquement de neuropathie, artériel périphérique (50 %), cumulant fréquemment les comorbidités multiples (maladie coronaire [20 %], insuffisance cardiaque [20 %], insuffisance rénale chronique [20 %], altération des fonctions supérieures et de l’immunité). Pour les diabétiques de type 1, il faut dix années supplémentaires de déséquilibre glycémique chronique pour exposer au risque de plaie de pied. Le résumé de la PPD : une situation complexe, un patient complexe. Et tout cela est dispendieux pour le patient et la société. Aux États-Unis, le coût des amputations distales est estimé à 1,6 % des dépenses de santé. Tout cela peut être pourtant évité !
L’épidémiologie inquiétante du diabète et des plaies de pied diabétique
Le diabète
Selon les données les plus récemment publiées (2015), la France compte plus de trois millions de personnes traitées pharmacologiquement pour un diabète (près de 5 % de la population) avec une prépondérance masculine (sex ratio de 1,5). Le diabète est de type 2 le plus souvent (plus de 92 % des cas). Pour des raisons diverses (vieillissement, allongement de la vie, détection plus précoce, surpoids, etc.), sa fréquence ne cesse d’augmenter (environ 2 % en moyenne entre 2010-2015). Certaines inégalités sociales et territoriales en alourdissent les conséquences fonctionnelles et vitales.
Les plaies de pied diabétique
En 2007, l’étude française épidémiologique ENTRED met en évidence la faible évaluation du risque de PPD qui s’inscrit dans le cadre des complications graves du diabète.
La Haute Autorité de santé (HAS) insiste alors sur la nécessité du dépistage des lésions podologiques par une gradation annuelle du risque, après examen clinique et utilisation d’un monofilament. En 2013, Le constat inquiète. Le Système national d’information interrégimes de l’Assurance maladie (Sniiram) chaîné au Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) permet de repérer plus de 20 000 diabétiques hospitalisés pour une plaie du pied. Près de 8 000 (40 %) vont justifier une amputation d’un membre inférieur (AMI). C’est un risque 7 fois supérieur au risque de la population non diabétique. Par comparaison, dans la même période, les risques d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un infarctus du myocarde (IDM) imposant une hospitalisation (environ 17 000 pour l’AVC et 12 000 pour l’IDM) sont respectivement 1,6 et 2,2 fois supérieurs à ce qui est observé dans la population sans diabète. Le risque d’un traitement de suppléance pour insuffisance rénale chronique terminale (environ 4 000 diabétiques par an) est 9 fois supérieur au risque observé dans une population sans diabète.
L’âge moyen d’amputation est de 71 ans. Les taux d’amputations et d’hospitalisations sont cependant proportionnels à l’âge.
Plus les patients sont âgés, plus le risque est élevé (2 à 3 fois plus d’hospitalisations pour PPD et AMI à 90 ans et au-delà). AMI et PPD sont marquées par une prépondérance masculine et de fortes disparités socioéconomiques et territoriales. À structure d’âge identique, le taux d’hommes diabétiques hospitalisés pour AMI est 2,6 fois plus élevé que celui des femmes et le taux de plaies du pied est 1,6 fois supérieur. En Guyane, Guadeloupe, Martinique, Basse-Normandie et Nord-Pas-de-Calais, la fréquence des PPD et d’AMI est 1,3 à 1,6 fois supérieure à celle des autres territoires français.
Dans la majorité des cas (plus de 70 %), les amputations sont « mineures » (orteils, pied) (tableau 1), ce qui ne veut pas dire anodines.
Perdre une partie de soi-même n’est jamais anodin. Dans près d’un quart des cas (20 %), une nouvelle amputation sera nécessaire au moins une fois au cours de l’année. Un tiers des patients sera à nouveau hospitalisé dans l’année pour une plaie du pied, plus de la moitié (53 %), au moins une fois, au cours des quatre années suivantes et environ un tiers (30 %) est hospitalisé pour au moins une AMI. Le pied diabétique qui « a parlé » est en sursis. Il ne guérit pas !
Un certain nombre de facteurs (type, profondeur et siège de la plaie, comorbidités) précipitent significativement vers l’amputation. La gravité de la lésion (gangrène, atteinte osseuse, plaie de l’arrière-pied), la sévérité du déséquilibre glycémique préexistant (estimé par l’HbA1c), de certaines comorbidités contingentes (neuropathie, artériopathie oblitérante des membres inférieurs, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale chronique, altération des fonctions supérieures) et l’âge avancé, peuvent, chacune, doubler jusqu’à décupler (la dialyse rénale notamment) le risque d’AMI (figure 2).
Figure 2. Facteurs majeurs conditionnant, individuellement ou en association, le risque d’amputations lors de la survenue d’une plaie de pied diabétique (IPS = Indice de pression systolique bras/cheville. DFG = Débit de filtration glomérulaire, HbA1c = hémoglobine glyquée).
Pronostic
Après une première AMI justifiée par l’évolution défavorable d’une PPD, la mortalité associée est considérable (tableau 2). Elle apparaît proportionnelle au niveau d’amputation. Plus l’AMI est haut située, plus la mortalité est élevée. Globalement, elle se situe aux environs de 9 à 10 % par an quand elle est estimée à moins de 1 % par an dans une population de même âge sans diabète et sans plaie de pied.
La mortalité de ces diabétiques amputés est doublée voire triplée par rapport aux diabétiques sans AMI. Comparativement, la mortalité par cancer à 5 ans est d’environ 30 % (6 %/an). La PPD nécessitant une amputation « dit » un diabétique très altéré à l’avenir très sombre…
Neuropathie, la grande responsable
L’hyperglycémie chronique favorise, à des niveaux divers de sévérité, l’association complexe d’une triple neuropathie sensitive-motrice-végétative et d’une artériopathie à tous les étages, macro- et microvasculaire. Le pied du diabétique est ainsi une entité clinique, conséquence de la conjonction de ces anomalies d’innervation et de vascularisation auxquelles s’ajoute une altération des défenses immunitaires, des capacités de cicatrisation et de la conformation du pied. Le résultat est fait d’ulcérations chroniques et récidivantes, souvent infectées (dans au moins la moitié des cas) qui nécessiteront souvent des amputations de sauvetage (20 % des cas).
Tous les intermédiaires se voient depuis l’inflammation jusqu’à la destruction gangréneuse de tous les tissus du pied associée à des signes généraux (une classification internationale de 1 à 4 par ordre croissant de gravité déterminée par la profondeur de l’atteinte et l’existence de signes infectieux et inflammatoires locaux et généraux).
La triade neuropathie, artériopathie, ulcérations (souvent traumatiques, souvent infectées), fait le pied diabétique et toute sa gravité.
La neuropathie périphérique est le déterminant majeur des PPD. L’anesthésie thermo-algique fait disparaître le symptôme d’alerte : la sensation de douleur. Elle augmente le risque et la fréquence des plaies et favorise la sous-estimation de leur gravité. Elle est la cause du retard diagnostique. Les traumatismes cutanés passent plus fréquemment inaperçus, expliquant la survenue d’ulcérations et les fréquentes infections. La composante motrice est à l’origine de déformations du pied, potentielles zones de conflits ou d’hyperpression. La composante végétative favorise la sécheresse de la peau et l’hyperkératose. Cette même composante participe fortement au développement de l’ostéoarthropathie ou pied de Charcot, qui est une dislocation du squelette du pied. Les déformations induites par ces altérations du squelette sont une cause supplémentaire d’ulcérations.
Les ulcérations relèvent de deux mécanismes cliniques :
– la plaie traumatique, de cause mécanique, chimique, thermique. La chaussure traumatisante reste le mécanisme prépondérant ;
– l’ulcère neuropathique ou mal perforant plantaire. L’ulcération se développe sous une zone d’hyperkératose réactionnelle à une hyperpression chronique. La déformation du pied, les points d’appui accentués sur des zones plantaires limitées favorisent la création d’une couche cornée bien tolérée par l’absence de douleur mais responsable d’une ulcération progressive des tissus sous-jacents (figure 3).
Figure 3. Physiopathologie du pied diabétique (adapté d’Armstrong DG et al. Diabetic foot ulcers and their recurrence. N Engl J Med 2017 ; 376 : 2367-75).
Conduite à tenir devant une plaie de pied diabétique
Sans une indispensable équipe pluridisciplinaire, point de salut !
Le soin porté au pied diabétique, quelle que soit sa période d’évolution, se pense en approche multidisciplinaire. Elle s’organise au sein des structures spécialisées qui regroupent les principaux professionnels impliqués dans la prise en charge de cette pathologie. L’efficacité de cette démarche reste conditionnée à un niveau de coordination de qualité pour mettre en place de façon cohérente et concertée les gestes ou stratégies thérapeutiques possibles. Cette approche multidisciplinaire favorise l’amélioration des soins par un recours à des compétences complémentaires et synergiques. Dans des équipes rompues aux soins de PPD, une stratégie structurée de sauvetage de membre peut permettre d’éviter ou limiter le niveau d’amputation. L’incidence des amputations majeures peut être diminuée aux environs de 80 % sur 10 ans. Ce résultat peut se maintenir sur le long terme (-57 % à 20 ans).
Dans les phases aiguës (PPD)
La stratégie thérapeutique se résume alors à organiser DIIMANCHHE :
– Décharge (alitement initial, appareillages inamovibles comme les bottes en résine ou les bottes de décharge, chaussures thérapeutiques à usage temporaire [CHUT] et chaussures thérapeutiques à usage prolongé [CHUP]) ;
– soins Infirmiers (détersion, débridement, pansement) ;
– recherche et traitement de l’Infection ;
– correction des troubles Métaboliques (l’hyperglycémie) ;
– revascularisation Artérielle ;
– Nutrition ;
– Correction des troubles Hémodynamiques (surcharge hydrosodée par insuffisance cardiaque et/ou rénale, hypoalbuminémie) ;
– correction des troubles Hydro-Electrolytiques (déshydratation).
• Le diagnostic de l’infection repose sur les critères cliniques classiques. En cas de doute diagnostique, la CRP peut se révéler utile. À visée diagnostique microbiologique, la pratique de prélèvements superficiels à l’écouvillon doit être proscrite. Ils mélangent souvent les bactéries pathogènes et les germes de la flore cutanée, ce qui induit, à tort, la prescription d’antibiothérapies à large spectre. Injustifiées, elles favorisent la sélection de bactéries résistantes. Le curetage-biopsie des berges de la plaie, la biopsie cutanée (tru-cut) et la ponction transcutanée d’une collection à distance de la plaie sont les méthodes actuellement retenues pour leur fiabilité diagnostique de l’infection des tissus mous. Dans l’idéal, ces prélèvements doivent être réalisés avant toute antibiothérapie.
• La radiographie standard face-3/4 du pied est indispensable dans l’évaluation des PPD. Elle apporte rapidement et facilement des informations essentielles. Elle permet de porter le diagnostic de gangrène gazeuse qui est une urgence chirurgicale. Il ne faudrait pas oublier cependant que ce diagnostic se fait au doigt et à l’oreille ! La perception d’une crépitation neigeuse reste le moyen diagnostique le plus simple et fiable. Elle permet de repérer la présence d’un corps étranger parfois ignoré du patient en raison des troubles de sensibilité.
Enfin et surtout, elle permet surtout une première évaluation de l’état osseux. L’ostéite est, en effet, une complication fréquente des PPD.
• La tomodensitométrie avec injection de produit de contraste (dans l’idéal) permet de faire le diagnostic de collection profonde et de guider l’indication d’un drainage chirurgical (mais là encore l’examen clinique conserve toute sa valeur. Il est déterminant !). En effet, l’atteinte des structures ostéo-articulaires sous-jacentes à la plaie infectée est fréquente (20 à 60 % des cas selon la gravité de l’infection). Elle relève d’une prise en charge spécifique.
L’atteinte ostéo-articulaire au cours des infections de pied diabétique est associée à un risque élevé d’amputation, notamment « mineure », un allongement de la durée d’hospitalisation et de l’antibiothérapie. C’est également une cause de récidive infectieuse et de retard à l’obtention d’une cicatrisation complète de la plaie. Les caractéristiques des infections de l’os orientent vers des modalités particulières d’antibiothérapie. Dans ce tissu profond, les bactéries, en métabolisme réduit, sont en situation de biofilm (un amas structuré de cellules bactériennes enrobé d’une matrice polymérique, attaché à une surface). Le biofilm est un moyen de protection des bactéries. Il leur permet de survivre dans des conditions environnementales hostiles.
Les bactéries du biofilm peuvent résister à la réponse immunitaire de l’hôte et sont beaucoup plus résistantes aux antibiotiques et aux désinfectants.
Dans ces conditions, la nécessité d’une antibiothérapie prolongée (6 semaines recommandées à ce jour) est faite souvent d’associations de molécules potentiellement toxiques, au fort pouvoir de sélection de résistance bactérienne. La preuve microbiologique de son utilisation est donc indispensable. Il est par conséquent nécessaire de disposer de cultures de fragments osseux. Le prélèvement peut être obtenu par biopsie chirurgicale au cours d’un parage ou d’une amputation. La biopsie osseuse peut être également pratiquée par voie transcutanée en peau saine grâce à un trocart dédié soit en salle de chirurgie ou de radiologie interventionnelle soit au lit du patient par un diabétologue rompu à la technique en conditions d’asepsie chirurgicale (figure 4).
Figure 4. Mal perforant plantaire (MPP) droit en regard de la tête du 4e métatarsien (M4) (24.11.2017) radiologiquement intègre chez une diabétique de type 2 (2000) âgée de 51 ans, en surpoids (indice de masse corporelle : 35 kg/m2), dénutrie (albuminémie 25 g/l), tabagique active. Hyperglycémie chronique (HbA1c = 9,3 %). Neuropathie périphérique sensitive. Rétinopathie traitée par laser. Microalbuminurie (177 mg/24 h). Débit de filtration glomérulaire (105 ml/min/m2). Artériopathie oblitérante, bilatérale, sévère, proximale et distale, des membres inférieurs, traitée par revascularisation chirurgicale (2016). Indice de pression artérielle systolique = 0,75. Fonction systolique ventriculaire gauche conservée. Un mois plus tard (28.12.2017), par défaut de respect de la décharge, apparition d’un écoulement purulent au travers du MPP droit antérieur, sans fièvre associée (CRP = 13 mg/l). Lyse de la tête de 4e métatarsien droit et de la base de P1 correspondant sur la radiographie standard. Biopsie osseuse au lit (BOL) de la tête du métatarsien et de la première phalange du 4e orteil droit : prélèvements infectés à Pseudomonas aeruginosa. Bithérapie antibiotique adaptée pendant 6 semaines (fin de l’antibiothérapie : 24.02.2018). Chaussure de décharge. Cicatrisation complète à 6 mois contemporaine d’une réparation osseuse de M4D et P1 (clichés du 12.06 et 12.12.2018).
La durée de la plaie (plus de 4 semaines malgré une décharge correcte de la plaie et l’application de pansements adaptés), la taille et la profondeur, un contact osseux, l’exposition de l’os au travers de la plaie sont de forts arguments en faveur d’une ostéite associée à la PPD. Les biomarqueurs inflammatoires (CRP et, dans bien des centres, la désormais caduque vitesse de sédimentation) peuvent être élevés au cours de ces ostéites.
Ils peuvent être utilisés comme argument de diagnostic complémentaire. Le diagnostic peut être approché par :
– la radiographie standard qui peut rester normale pendant les premières semaines. Il faut savoir la répéter ;
– l’imagerie par résonance magnétique tenue actuellement pour une méthode sensible et spécifique ;
– la scintigraphie aux leucocytes marqués ;
– la tomographie par émissions de positons couplée au scanner (TEP-scan).
Le chirurgien et son évaluation sont indispensables pour le traitement des infections de pied diabétique. Le drainage chirurgical permet l’excision des tissus nécrosés et l’évacuation des collections qui sont inaccessibles à l’action des antibiotiques. Dans le même temps, le chirurgien décomprime les compartiments infectés, obstacles à la diffusion des antibiotiques aux sites infectés. Enfin, il peut pratiquer des prélèvements à visée microbiologique.
Hormis la gangrène gazeuse ou le choc septique, il n’y a pas d’indication à une amputation en urgence. En cas d’ischémie, la revascularisation préalable est légitime.
Les choix thérapeutiques : en équipe (la RCP !)
La complexité des choix thérapeutiques médico-chirurgicaux oblige à des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP). Toute amputation doit être envisagée seulement après une évaluation vasculaire artérielle. Une revascularisation peut se justifier en cas d’ischémie.
L’évaluation du statut vasculaire centrée initialement sur la palpation et l’auscultation des pouls, la recherche d’une ischémie tissulaire par l’évaluation des paramètres hémodynamiques (pressions de cheville et du gros orteil) ou métaboliques (TcPO2). En théorie, des résultats anormaux (TCPO2 < 25 mmHg et pression d’orteil < 30 mmHg) conditionneront une analyse topographique des lésions artérielles par écho-Doppler et le recours aux examens invasifs comme l’artériographie.
Le dépistage des complications chroniques associées au diabète doit être centré sur la recherche d’une atteinte cardiaque et rénale qui va influencer les soins. L’altération de la fonction rénale, notamment, peut modifier les choix diagnostiques et thérapeutiques (opacifications iodées, néphrotoxicité des antibiotiques). Dans cette période de déséquilibre glycémique induit par l’infection, l’inflammation… les choix de traitements antidiabétiques et leur surveillance sont faits au mieux par une équipe de diabétologie.
Tout n’est pas perdu !
Dans plus de trois quarts des cas (77 %), les PPD cicatrisent à un an grâce aux soins appropriés, décrits plus haut. Les échecs de cicatrisation sont fréquemment liés à l’absence de respect de la décharge, de la compliance aux soins, à l’insuffisance cardiaque, l’artériopathie des membres inférieurs ou la dialyse. Les taux de récidives sont particulièrement élevés (tableau 3). L’explication tient à l’impossibilité de corriger radicalement, définitivement la cause principale de la PPD : la neuropathie sensitive qui altère la sensation de douleur, cet indispensable signal d’alarme qui permet de se préoccuper de ces pieds qui subissent les traumatismes les plus fréquents et qu’on ne regarde jamais ! Finalement, ce qu’il est possible d’espérer, ce n’est pas la guérison mais seulement la rémission.
La prévention est possible
Évidemment, il est possible et aisé de prévenir cette catastrophe. Beaucoup de travail, de temps, de compétences, d’éducation, de moyens humains, techniques et financiers sont nécessaires, indispensables, pour prévenir et soigner les PPD. La démarche de prévention s’appuie sur l’examen des pieds pour le dépistage précoce des plaies ou d’anomalies prodromiques, et surtout pour identifier les patients à haut risque de plaies.
Le dépistage doit rechercher :
– un antécédent d’ulcération du pied dont la durée de cicatrisation a été de plus d’un mois ou d’amputation ;
– un trouble de la sensibilité défini par une mauvaise perception du monofilament de 10 g ;
– l’identification d’une artériopathie des membres inférieurs s’appuiera sur la palpation et l’auscultation des trajets artériels des membres inférieurs et des examens complémentaires tel que le calcul de l’indice de pression systolique (IPS) ;
– la présence de déformations à l’origine d’hyperpression (plantaire) et de zones de conflits (faces latérales et dorsales des orteils. La prescription d’un forfait podologique doit être établie. Il consiste au remboursement des consultations podologiques sur une base de 4 séances par an pour les patients de grade 2 et de 6 séances par an pour les grades 3. Ce suivi spécialisé intègre une éducation individuelle du patient centrée sur l’auto-examen des pieds, la surveillance du chaussage et de l’appareillage, et enfin sur l’attitude à adopter en cas de découverte d’une anomalie ou d’une plaie. Il doit s’y associer la confection d’appareillage sur mesure comme les orthèses plantaires et l’acquisition de chaussures thérapeutiques (CHUT ou chaussures sur mesure).
Pour résumer
Trente corps de métier peuvent être impliqués dans le soin du pied diabétique (figure 5). Cette pléthore nécessaire d’intervenants « dit » toute la complexité et la gravité non seulement du « pied » mais aussi du patient.
Figure 5. Intervenants éventuellement sollicités dans le diagnostic, le soin et le suivi d’une plaie de pied diabétique.
La PPD installée, des interventions multiples, précoces, rigoureuses, actives permettent de limiter le niveau des amputations, voire de sauver le membre. Elle requiert une coordination des soins dans des structures spécialisées construites autour d’une équipe multidisciplinaire. Il en existe très peu en réalité. Une fois la phase aiguë passée, un chaussage adapté, un suivi spécialisé médical, infirmier et podologique permettront d’éviter les récidives. Si elles restent fréquentes malgré tout, elles ne sont pas inéluctables. L’inspection et l’hygiène rigoureuses quotidiennes du pied comme la poursuite permanente de l’équilibre glycémique sont les meilleurs moyens de prévention de la PPD et de ses conséquences potentiellement catastrophiques.
Pour la prévention du pied diabétique, comme pour tout, il faut sensibiliser, éduquer, répéter. Sans prévention… Tout devient long et pénible !
Dans un éditorial publié dans Diabetes & Metabolism (1999), G. Cathelineau écrit : « En 1989, se réunirent dans le Val d’Aoste quelques utopistes animés d’un enthousiasme quasi juvénile pour signer ce qui porta et porte encore le nom de Déclaration de Saint-Vincent. Peu nombreux étaient ceux qui virent alors le début d’une longue marche qui amène à de grands changements. Peu nombreux étaient ceux conscients des enjeux de santé en Europe et du poids des diabètes et de leurs complications dans ceux-ci. Peu nombreux étaient ceux qui prêtèrent attention dès le début des années 1980 aux souhaits exprimés par les instances européennes d’évaluer les coûts potentiels des maladies chroniques en Europe en l’an 2000. Peu nombreux furent ceux qui participèrent activement aux grandes enquêtes épidémiologiques qui donnent aujourd’hui à l’Europe une vision précise des besoins en diabétologie ».
Trente ans après la Déclaration de Saint-Vincent, nous donnons encore trop souvent l’occasion au pied diabétique de « parler ». La longue marche est loin de prendre fin. Marcher en parlant, parler en marchant… cela peut être tellement agréable, non ?
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