Publié le 28 fév 2020Lecture 9 min
Diabète et « allergies »
Florence TÉTART, Clinique dermatologique, Centre Erik Satie d’allergologie et de nutrition, Rouen
La prévalence du diabète ne cesse d’augmenter : les experts estiment qu’il y aura environ 600 millions de personnes diabétiques dans le monde en 2035. Ainsi, même si les « allergies » ou hypersensibilités (HS) liées aux traitements du diabète restent rares, les allergologues risquent d’y être de plus en plus souvent confrontés.
Le nombre de spécialités à disposition dans le diabète a considérablement augmenté ces dernières années. Il existe désormais 5 classes d’antidiabétiques oraux (ADO) prescrites en monothérapie, bithérapie ou trithérapie (tableau 1). L’insulinothérapie a également beaucoup évolué ces dernières années avec l’arrivée des analogues de l’insuline et des premiers biosimilaires (tableau 2). Enfin, le contrôle glycémique a été révolutionné par l’arrivée des dispositifs d’enregistrement continu du glucose interstitiel (capteurs Freestyle®, Abbott).
Hypersensibilité aux antidiabétiques oraux
• La metformine, seul biguanide disponible, est recommandée en première intention en monothérapie dans le diabète de type 2. Ses principaux effets secondaires sont liés à une intolérance digestive (nausées, vomissements, douleurs abdominales et diarrhées) et à une acidose lactique en cas de surdosage. Peu d’hypersensibilités (HS) à ce produit sont décrites dans la littérature : une HS immédiate à type d’angioedème (AE) laryngé, un DRESS, un érythème pigmenté fixe (EPF), une vascularite leucocytoclasique, un érythème polymorphe.
• Les sulfamides hypoglycémiants sont de moins en moins prescrits depuis l’arrivée des nouveaux ADO. Peu de réactions d’HS sont rapportées : un syndrome de Stevens-Johnson et une toxidermie érythémateuse décrite avec le gliclazide (patch test gliclazide 30 % dans la vaseline positif), une éruption psoriasiforme au glibenclamide. En revanche, se pose souvent la question de la réactivité croisée avec les autres sulfamides et la paraphénylènediamine (PPD). Un sulfamide est un médicament qui contient la structure chimique sulfonamide (-SO2NH4). De nombreux médicaments répondent à cette définition, Johnson et coll. les classent en trois groupes(2) :
– les sulfonylarylamines, parmi lesquels les antibiotiques tels que le sulfaméthoxazole (Bactrim®) et la sulfadiazine ;
– les non-sulfonylarylamines, dans lesquels se trouvent les sulfamides hypoglycémiants, les diurétiques inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, les diurétiques de l’anse, les diurétiques thiazidiques, les inhibiteurs de la cyclooxygénase 2, ainsi de des inhibiteurs de protéase ;
– le troisième groupe a un groupement sulfamide non directement lié à l’anneau de benzène, par exemple les triptans. Les fabricants mentionnent très souvent le risque de réactivité croisée entre les sulfamides antibiotiques et les autres. Ces allégations ne reposent sur aucune donnée fiable. Une étude britannique a analysé les réactions chez plus de 8 millions de patients sur une période de 12 ans. Le risque d’HS aux sulfamides non antibactériens est 6 fois plus élevé en cas d’antécédent d’HS aux sulfamides antibactériens (9,9 %) comparativement aux sujets sans antécédent de risque allergique. Néanmoins, ce risque reste faible, inférieur à 10 %. Ces mêmes patients avaient réagi plus fréquemment à la pénicilline (14 %) ; l’association pourrait donc être davantage liée à une prédisposition aux réactions d’HS plutôt qu’à une réactivité croisée avec les sulfamides. Une autre étude portant sur les réactivités croisées entre sulfamides chez les patients présentant un érythème pigmenté fixe au sulfaméthoxazole semble confirmer ces données : chez 28 patients testés par test épicutané puis test de réintroduction, 4 présentaient un test épicutané positif au sulfaméthoxazole et un à la sulfadiazine. Sur les 22 patients ayant accepté la réintroduction, 6 avaient une réactivité croisée avec la sulfadiazine et aucun n’ avait de réactivité croisée avec les autres sulfamides non antibactériens.
Des réactivités croisées ont également été mentionnées entre la paraphénylène-diamine (PPD) et les médicaments porteurs d’une fonction amine en para, tels que les sulfamides ou les anesthésiques locaux comme la benzocaïne. Une équipe d’Ottawa rapporte chez 134 patients présentant une allergie de contact à la PPD, une réactivité croisée avec la benzocaïne chez seulement 7,5 % des patients et une réactivité croisée avec les sulfamides chez seulement 6 % des patients.
• Les gliptines, inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase IV (IDDP-IV), sont une nouvelle classe d’ADO indiqués dans le diabète de type 2 de l’adulte et commercialisés en France depuis 2006, seuls ou en association avec la metformine.
Vingt-six cas de toxidermies sévères ont été décrits entre 2006 et 2008, dont 2 syndromes de Stevens-Johnston (SSJ) et 2 Lyell.
Les AE bradykiniques médicamenteux sont des formes rares d’AE par accumulation de bradykinines. Les antihypertenseurs inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) sont, de loin, les médicaments le plus souvent imputables dans ce type d’AE. Il est intéressant de noter que ceux-ci sont fréquemment prescrits chez les diabétiques à la fois pour traiter une hypertension, pour leur effet néphroprotecteur et à visée cardiaque. Les autres médicaments imputables sont les inhibiteurs de récepteurs de l’angiotensine II, les gliptines et, de manière plus anecdotique, l’activateur tissulaire du plasminogène utilisé dans les thrombolyses, les inhibiteurs de m-TOR, les anticalcineurines, l’aliskiren, le tamoxifène.
L’enzyme de conversion, ou kininase II (inhibée par les IEC) est responsable de la dégradation de la bradykinine. Lorsqu’elle est inhibée, il existe une accumulation de la bradykinine par défaut de dégradation ; ainsi la fréquence des AE est d’environ 0,2 % chez les patients traités par IEC. La DPP-IV (inhibée par les gliptines) inactive les incrétines et influence la dégradation de la bradykinine ; ainsi les IDPPIV augmentent la demi-vie des bradykinines et favorisent la survenue d’AE bradykiniques, en particulier chez les patients traités par IEC. La métaanalyse de Brown et coll. compare l’incidence des AE chez les patients traités par vildagliptine et chez les patients témoins. Sur 13 921 patients traités, 55 présentaient un AE, dont 27 cas confirmés. Parmi ces 27 cas confirmés, 19 patients étaient traités par vildagliptine. Parmi ces 19 patients, 14 (soit 73 %) étaient déjà traités par IEC, dont 11 depuis plus d’un an. Le risque de survenue d’AE était plus important dans le groupe traité par 100 mg de vildagliptine versus 50 mg. Cet effet-dose est cohérent avec le mécanisme pharmacologique des AE bradykiniques(3). La survenue d’un AE chez un patient traité par gliptines sans association avec un IEC semble exceptionnelle (un seul cas a été décrit avec l’anagliptine (non commercialisée en France). Le degré d’inhibition de la DPP-IV pourrait être différent selon la gliptine, comme le suggèrent certaines études, ce qui expliquerait une survenue variable des AE selon la molécule. Ainsi des AE sont rapportés dans la métaanalyse des essais cliniques de la vildagliptine, alors qu’aucun cas n’est rapporté dans la métaanalyse de la sitagliptine. Pour mémoire, le traitement de l’AE bradykinique médicamenteux est différent de celui de de l’AE histaminique et repose sur l’icatibant, qui est un antagoniste du récepteur B2 de la bradykinine.
La pemphigoïde bulleuse (PB) est une maladie auto-immune fréquente de la peau caractérisée par la survenue de bulles sous-épidermiques, essentiellement chez les personnes âgées (incidence de 162 cas par million d’habitants chez les plus de 70 ans). Quinze cas de PB induites par les gliptines ont été publiés depuis 2011 ; la plupart concernaient la vildagliptine ; quelques cas ont été rapportés avec la linagliptine, la sitagliptine, l’anagliptine, l’alogliptine. L’arrêt de la gliptine associé à une thérapeutique locale ou générale favorisait la rémission de la maladie. Il n’était pas mentionné de rechute de PB. Deux études récentes de pharmacovigilance ont confirmé l’augmentation du risque de survenue de PB chez un patient traité par gliptines. Toutes les gliptines sont concernées, ce qui suggère un effet classe ; néanmoins, la vildagliptine est surreprésentée dans ces deux études. Un travail collaboratif entre les groupes FISARD et Bulles de la Société française de dermatologie a comparé la fréquence de prescription de gliptines dans une population atteinte de PB et dans la population générale (données de l’Institut des données de santé). Après standardisation indirecte sur l’âge, 6 % des patients atteints de PB prenaient des gliptines versus 3,8 % dans la population générale (p < 0,001), 2,4 % versus 2,5 % pour la sitagliptine, 3,7 % versus 0,8% pour la vildagliptine (p < 0,001). Le mécanisme physiopathologique de ces PB induites n’est pas élucidé ; il peut s’agir de PB de novo ou de révélation de PB chez des patients susceptibles d’en présenter une.
• Les glinides sont des insulinosécreteurs, prescrits en monothérapie ou en association à la metformine. La seule spécialité commercialisée en France est le répaglinide Novonorm®. Les effets secondaires sont surtout digestifs (hypoglycémie, nausées, vomissements, diarrhées, dyspepsie, céphalées). Quelques cas de toxidermies érythémateuses au répaglinide sont rapportés.
• L’acarbose (Glucor®) et le miglitol (Diastabol®) sont les deux inhibiteurs de l’alphaglucosidase commercialisés en France. L’acarbose a une très faible absorption digestive, mais de faibles taux sériques suffisent tout de même à déclencher un érythème polymorphe ou une pustulose exanthématique aiguë généralisée (3 cas décrits).
• Les effets secondaires des analogues du GLP-1 sont surtout des troubles digestifs et le risque d’hypoglycémie. Peu de cas d’HS sont rapportés.
Hypersensibilité aux insulines
Les premières insulines commercialisées d’origine bovine ou porcine, responsables de nombreux cas d’HS, ont été remplacées dans les années 1980 par des insulines recombinantes humaines (insuline zinc et insuline NPH) moins allergisantes, puis en 1990, grâce aux progrès du génie génétique, par les analogues de l’insuline humaine : leur structure chimique primaire diffère de l’insuline humaine d’un acide aminé, ce qui permet de mimer après absorption sous-cutanée l’insulinosécrétion physiologique. En 2014, est arrivé la première insuline biosimilaire (tableau 2, ci-dessus). Cette révolution thérapeutique a permis de voir diminuer la fréquence des HS aux insulines, environ 0,1 à 3 % des utilisateurs, qui peut aussi bien survenir chez l’enfant, chez le diabétique de type 2 ou lors d’un diabète gestationnel. Il convient bien entendu d’éliminer les diagnostics différentiels : eczéma de contact aux antiseptiques, savons, latex éventuellement contenu dans les bouchons de cartouche, allergie à la canule de pompe à insuline…). Les mécanismes d’HS aux insulines sont par ordre décroissant de fréquence :
– les HS IgE-médiées de type I : réactions localisées aux points d’injection et/ou réactions généralisées, de loin les plus fréquentes ;
– les HS retardées de type IV : nodules érythémateux prurigineux ;
– les HS médiées par les complexes immuns de type III : réactions localisées (phénomène d’Arthus) ou maladies sériques.
Toutes les insulines peuvent être responsables d’HS avec une réactivité croisée importante liée à leur structure chimique identique « à un acide aminé près » (de cet acide aminé différent découle le nom de l’analogue : par exemple, dans l’insuline lispro, une proline est remplacée par une lysine, dans l’insuline glargine, l’asparagine est remplacée par une glycine…). Il existe également des HS aux analogues de l’insuline chez des patients naïfs de traitement par insuline humaine et des hypersensibilités à l’insuline glargine biosimilaire. De plus, les excipients (zinc, métacrésol, protamine) peuvent être en cause mais sont communs à de nombreuses insulines. Il est donc indispensable de réaliser des tests allergologiques par pricktest et intradermoréactions (jusqu’à concentration pure si nécessaire) sous surveillance hospitalière. Il faudra compter le nombre d’unités administrées aux patients lors de ces tests et surveiller la glycémie des patients au cours de l’exploration. Parfois, les tests permettent de réintroduire une insuline négative. En cas de réactivité croisée entre toutes les insulines (cas le plus fréquent), l’insuline qui a le moins réagi peut être choisie pour une induction de tolérance par injections SC ou par injection continue par voie SC (pompe à insuline). L’insuline glargine par voie SC peut être choisie préférentiellement dans le premier cas. En effet, elle forme des précipités sous la peau, ce qui fait qu’elle est libérée très progressivement et mime ainsi une injection continue SC. Plusieurs protocoles de désensibilisation par injection continue SC ont été publiés. Lorsque les tests allergologiques étaient réalisés à nouveau après ces protocoles, ils étaient négatifs et les patients pouvaient être à nouveau traités par injections SC.
Conclusion
Les « allergies » ou HS aux médicaments antidiabétiques sont rares mais, devant l’augmentation franche de la prévalence du diabète, les allergologues risquent d’y être de plus en plus confrontés.
Les diabétiques sont souvent polymédiqués et des interactions médicamenteuses, par exemple entre les IEC et les gliptines, peuvent entraîner des effets secondaires pharmacologiques comme les angiœdèmes bradykiniques.
Des allergies IgE-médiées, potentiellement graves, sont décrites en particulier avec les insulines quelles qu’elles soient.
Les dispositifs médicaux (capteur glycémique, pompe à insuline) peuvent être à l’origine d’eczéma de contact permettant de (re)découvrir de nouveaux allergènes comme l’IBOA.
L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.
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