Peau-Muqueuse-Plaie
Publié le 25 oct 2022Lecture 7 min
Prévention des plaies du pied chez les personnes vivant avec un diabète
Ariane SULTAN, service nutrition diabète, CHU de Montpellier
La prévention des plaies du pied diabétique ou de leur récidive reste complexe, car elle passe par une prise en charge multidisciplinaire adaptée au niveau de risque. Elle doit intervenir avant la survenue d’une première lésion (prévention primaire) et dans la prévention de la récidive (prévention secondaire). Tous les professionnels de santé (médecins, infirmiers[ères], pédicures-podologues, podo-orthésistes, orthoprothésistes) impliqués dans le parcours de santé doivent avoir une bonne connaissance des complications et de l’évaluation des risques liés au pied diabétique. La finalité est de proposer un traitement et des mesures préventives adaptés à chaque individu.
∣ Des données épidémiologiques préoccupantes
L’apparition d’une plaie du pied diabétique reste une complication fréquente du diabète. On estime désormais que 20 à 25 % des sujets diabétiques présenteront une plaie au cours de leur vie. La prévalence mondiale estimée est de 6,4 %. L’extrapolation de ces résultats à la population française vivant avec un diabète nous donne une estimation de 40 000 nouveaux patients avec une plaie par an. Soulignons que le risque de complications podologiques est significativement augmenté chez les personnes à bas niveau socioéconomique, élément qu’il sera important de considérer dans la prise en charge et notamment dans les messages éducatifs. Le coût de la prise en charge du pied diabétique est estimé entre 11 700 et 41 000 euros, chiffre variant selon le mode d’évaluation et selon les pays.
∣ Des conséquences potentielles graves
Risque d’hospitalisation
Les plaies du pied diabétique représentent dorénavant le principal motif d’admission en hospitalisation. Ainsi, le nombre d’hospitalisations en France pour plaie du pied diabétique est en constante augmentation, de 508/100 000 patients diabétiques en 2008 à 730/100 000 en 2014 pour se stabiliser à 736/100 000 en 2020. Soulignons qu’en 2013, parmi les 3 millions de personnes traitées pharmacologiquement pour un diabète, 11 737 ont été hospitalisées pour un infarctus du myocarde (2,2 fois plus que dans la population non diabétique), 17 148 pour un accident vasculaire cérébral (1,6 fois plus), 20 493 pour une plaie du pied (5 fois plus), 7 749 pour une amputation d’un membre inférieur (7 fois plus).
Risque d’amputation
Le diabète représente le facteur responsable de 50 à 70 % des amputations du membre inférieur non traumatiques dans le monde. L’amputation est la conséquence directe de la plaie du pied, 85 % des amputations étant précédées d’une plaie. Au total, les plaies du pied chez les personnes vivant avec un diabète sont responsables d’une amputation toutes les 15 secondes dans le monde chez les personnes vivant avec un diabète. Ce sur-risque persiste malgré une tendance à la baisse des amputations, principalement des amputations majeures ces 15 dernières années dans de nombreux pays. La structuration en unités multidisciplinaires dans la prise en charge des plaies impacte de façon positive sur le pronostic des patients.
En France, l’incidence des amputations liées au diabète est passée de 301 à 262/100 000 patients diabétiques entre 2008 et 2014, avec de grandes disparités régionales. Le niveau d’amputation concernait les orteils dans 52 % des cas, le pied dans 19 %, la jambe dans 17 % et la cuisse dans 12 % des cas.
Risque de mortalité
La présence d’une plaie du pied est également un facteur de risque indépendant de mortalité. La surmortalité est observée pour l’ensemble des complications podologiques dans la population diabétique avec une mortalité à 5 ans estimée à 30,5 % en cas de plaie du pied, 46,2 % en cas d’amputation mineure et 56,6 % en cas d’amputation majeure. Ainsi, la plaie du pied doit être considérée comme un marqueur de gravité du diabète.
∣ Gradation du risque
Selon la HAS, Il est recommandé de réaliser chez tous les patients diabétiques un dépistage au moins annuel du risque podologique. Ce dépistage permet de :
– définir le grade de risque lésionnel (qui conditionne en plus le remboursement des soins) ;
– d’orienter le patient vers une prise en charge spécifique et ainsi de définir une stratégie de prévention adaptée.
Ainsi, la gradation du risque podologique est essentielle, étant donné que le grade podologique est non seulement associé au risque de plaie, mais qu’il va également conditionner la mise en place de mesures de prévention et le recours à des professionnels de santé.
On soulignera que la gradation podologique :
– doit faire partie intégrante de l’examen clinique de toute personne vivant avec un diabète ;
– se base sur le test au monofilament, la palpation des pouls au niveau des pieds ou la mesure des IPS ;
– doit être réalisée sur les 2 pieds ;
– s’effectue assez rapidement (moins de 5 minutes) ;
– est insuffisamment réalisée, comme le démontrent la plupart des études ;
– doit être réévaluée régulièrement avant de pouvoir détecter précocement une modification du grade podologique et mettre en place rapidement les mesures de prévention.
La gradation du risque podologique est représentée dans le tableau 1, ainsi que les mesures préventives et les professionnels de santé impliqués recommandés en fonction du grade podologique.
La réalisation du test au monofilament et son interprétation sont résumées dans l’encadré 1, selon la SFD.
∣ Prévention par l’éducation thérapeutique personnalisée et adaptée au grade podologique
L’éducation thérapeutique a pour but l’acquisition d’un savoir, d’un savoir-faire, et de générer un changement de comportement. Les messages éducatifs seront personnalisés, centrés sur le patient à risque podologique, en tenant compte pour le soignant des difficultés telles que l’âge, la surdité, la baisse de la vue, la souplesse… Il sera également indispensable d’expliquer la conduite à tenir en cas de survenue de rougeur ou de plaie. Les principaux messages à donner aux personnes à risque sont présentés dans l’encadré 2, selon la SFD.
∣ Prévention par les soins de pédicurie/podologie
Le podologue joue un rôle majeur dans la prévention des plaies du pied. Très récemment, le remboursement de la prise en charge des soins podologiques a été élargi. Ainsi, à la suite de l’avenant no 4 à la convention nationale des pédicures-podologues au Journal Officiel du 31 décembre 2020 et à la décision UNCAM du 4 mars 2021 au Journal Officiel du 12 mars 2021, les modalités de prise en charge podologique des patients diabétiques sont les suivantes :
– bilan annuel diagnostique du risque podologique pour tous les patients diabétiques. La première séance annuelle est consacrée à la réalisation d’un bilan diagnostique complet avec mise en place d’objectifs éducatifs ;
– pour les patients à risque podologique de grade 2, le forfait annuel de prévention (POD) comprend 5 séances, dont une séance initiale de bilan et 4 soins ;
– pour les patients à risque podologique de grade 3, le forfait annuel (POD) comporte 6 séances, ou 8 séances dans le cas d’une plaie du pied diabétique active.
Le pédicure/podologue participera bien évidemment à l’éducation thérapeutique de la personne, effectuera les soins voire la coupe des ongles, mais également l’ablation des zones d’hyperkératose susceptibles d’entraîner à terme un mal perforant plantaire.
Il pourra également réaliser des orthèses plantaires, sur prescription médicale (indispensable à la prise en charge), dont l’objectif est de prévenir la survenue d’une plaie en répartissant les pressions et en limitant les frottements. Les orthèses plantaires doivent être thermoformées, réalisées avec des matériaux non traumatisants et sont lavables. Elles peuvent être renouvelées une fois par an. Elles doivent être portées en permanence. Leur efficacité, reconnue par les experts, demanderait à être étayée par des études cliniques, difficiles à réaliser contre placebo.
Quant aux orthoplasties, orthèses moulées amovibles destinées à réduire les pressions à risque au niveau des orteils et à combler les espaces liés aux amputations, leur efficacité reste à étayer par des études cliniques. Elles ne sont pas remboursées par l’assurance maladie.
∣ Prévention par le chaussage
Comme précédemment souligné, la prévention par le chaussage ne comprend pas les mêmes conseils pour toutes les personnes et doit être adaptée au grade podologique.
Chaussures de série, pour qui ?
Cette chaussure est conçue de façon standard non médicale, non thérapeutique et s’achète dans le commerce. Elle peut être choisie pour des pieds non ou peu déformés.
À partir du grade podologique 1, le chaussage doit être adapté en permanence, pour protéger, et doit être ajusté au volume de l’avant-pied. Ainsi, la chaussure à lacet ou à Velcro® est préconisée.
D’autres critères sont également importants à respecter :
– bon maintien du talon ;
– pas de déformation de la chaussure ;
– absence de coutures saillantes dans la chaussure.
Chaussures thérapeutiques, pour qui ?
S’il n’existe pas dans le commerce de chaussures adaptées au pied (notamment à cause de la déformation du pied), un chaussage dit thérapeutique doit être envisagé.
Les chaussures thérapeutiques peuvent faire l’objet d’une prescription. On distingue les chaussures thérapeutiques à usage temporaire (CHUT) et les chaussures thérapeutiques à usage prolongé (CHUP) qui bénéficient d’une prise en charge partielle par l’assurance maladie. En termes de prévention des plaies, nous n’évoquerons que les CHUP. Les CHUP sont réservées aux personnes ayant par exemple un volume de pied non compatible avec une chaussure ordinaire et sont disponibles en pharmacie.
Les chaussures orthopédiques ou « sur mesure »
L’indication est l’existence de troubles morphostatiques souvent importants ou en cas d’indication d’orthèse plantaire, quand le volume d’une partie du pied n’est pas compatible avec un chaussage de série. Elles sont donc destinées aux personnes ayant un risque podologique grade 3 ou des patients de grade podologique 2 non-chaussables par un chaussage de série.
La prescription de chaussures sur mesure est sous la responsabilité de médecins spécialisés pour la 1re mise : diabétologue, médecin de médecine physique, rhumatologue, chirurgien orthopédique. La 1re année l’assurance maladie prend en charge 2 paires puis 1 paire par an, dont le renouvellement peut être fait par le médecin traitant. En France, la prescription se fait sur un imprimé Cerfa 12042* 02 si elle est rédigée par un médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation fonctionnelle ou un médecin spécialiste en orthopédie, rhumatologie, neurologie, neurochirurgie, endocrinologie, chirurgie plastique et reconstructive. Elle vaut alors accord de l’assurance maladie qui ne contrôle que le devis du podo-orthésiste.
Elles nécessitent bien évidemment un suivi régulier. Encadré 3.
∣ Prévention par le suivi
Le suivi doit être multidisciplinaire, pratiqué par des professionnels formés et encore une fois adapté au grade podologique. L’implication des différents professionnels de santé est résumée dans le tableau 1.
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