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Congrès

Publié le 20 fév 2019Lecture 6 min

Impact de l’exposition cumulée au cholestérol

Michèle DEKER, Paris

JESFC

Le concept assez novateur d’exposition cumulée est important car il a de réelles implications pour la pratique quotidienne. On raisonne beaucoup sur le taux de cholestérol mesuré à un instant donné sans tenir compte de son historique. Le cholestérol a un coefficient d’héritabilité de 0,5, ce qui signifie que la variabilité du LDL-C dans la population est expliquée pour moitié par la génétique et pour moitié par les facteurs environnementaux. Les facteurs génétiques jouent sans doute un rôle important sur le risque cardiovasculaire mais d’autres éléments interviennent tels que la qualité du LDL-C, laquelle est en partie génétique et aussi liée à l’alimentation. La durée d’exposition est beaucoup plus importante que le taux de LDL, au même titre que la durée du diabète, de l’IMC ou de l’exposition à la cigarette, ce qui devrait inciter à compter en « cholestérol-années ».

Les premières données relatives au risque lié au cholestérol ont été observées chez l’enfant. Ainsi, il existe un lien très fort entre le niveau de cholestérol dans l’enfance et l’épaisseur intima-média mesurée chez l’adulte jeune. L’étude de Framingham a montré que le risque d’événement cardiovasculaire est 2 fois plus élevé pour une durée d’exposition pendant 20 ans comparativement à 10 ans. Cela devrait conduire à évaluer le risque lipidique dès l’enfance, sachant que 75 % des sujets ayant un cholestérol élevé pendant l’enfance auront un cholestérol élevé à l’âge adulte. La ménopause est associée à une augmentation de toutes les particules athérogènes. Toutefois, c’est encore la durée d’exposition à l’hypercholestérolémie qui détermine l’augmentation du risque cardiovasculaire : une hypercholestérolémie d’apparition tardive comporte un risque moindre. La meilleure illustration du rôle de l’exposition cumulée au cholestérol est fournie par l’hypercholestérolémie familiale (HF). La forme autosomique dominante est la seule maladie où le taux de cholestérol est augmenté dès la naissance ; avant l’ère des statines, la moitié des hommes avaient fait un accident cardiovasculaire avant l’âge de 50 ans. Les formes polygéniques qui se déclarent plus tard dans la vie confèrent un risque moins important pour un taux de LDL-C similaire. Une modélisation du risque cardiovasculaire des sujets avec HF a montré que plus de 85 % des patients feront un accident cardiovasculaire au cours de leur vie. Si la durée d’exposition conditionne le pronostic, la difficulté tient au fait que les sujets jeunes sont le plus souvent à bas risque, alors même que leur risque sur la vie entière est en réalité élevé. De petites modifications du cholestérol pendant toute la vie auront un poids important sur le risque cardiovasculaire, plus important qu’une forte modification réalisée à l’âge adulte. En corollaire, la durée du traitement va conditionner les bénéfices. La réduction du risque CV en fonction du temps d’exposition au traitement partant d’un LDL-C de base < 1,94 g/l a été modélisée. Ainsi pour une diminution de 0,58 g/l (réduction obtenue avec les statines puissantes), la réduction proportionnelle du risque passe de 31 % au bout de 5 ans à 69 % au bout de 40 ans de traitement (Ference BA et al. Eur Heart J 2017 ; 38 : 2 459-72). Jusqu’où baisser le LDL-C ? Avant l’ère des statines dans les années 1970, l’étude des 7 pays avait déjà montré que les taux de mortalité diffèrent selon le régime alimentaire. Les travaux ont rapidement convergé vers la responsabilité des lipides, jusqu’à montrer que le LDL n’est pas un facteur de risque de la maladie athéromateuse mais un facteur causal dont la responsabilité est attestée par la relation inverse entre son taux et les événements cardiovasculaires. Ainsi, pour chaque réduction des LDL sous traitement de 0,4 g/l on observe une diminution de 20 %/an du risque d’événement (IDM, AVC, décès). Cette relation est linéaire pour la mortalité. D’où la question : jusqu’où baisser le LDL-C ? Les recommandations européennes ont fixé la cible de LDL à < 0,7 g/l et, chez un patient en post-infarctus avec un LDL limite, elles stipulent d’abaisser son taux de 50 %. Contrairement à l’HbA1c ou à la pression artérielle, la relation entre le taux de LDL et la mortalité toutes causes ne se traduit pas par une courbe en U mais elle est rectiligne. Les taux bas de cholestérol ne présentent aucun danger. Certaines populations ont, du fait de leur mode de vie (chasseurs-cueilleurs), des taux de LDL aux alentours de 0,50 g/l. Les taux à la naissance sont d’environ 0,25 g/l, ce qui n’empêche pas le développement cérébral dans la mesure où la majorité du cholestérol nécessaire au fonctionnement de cet organe est assurée par la synthèse de novo dans le cerveau. Dans les études cliniques, telle IMPROVE IT, certains patients ont pu atteindre des taux de LDL-C particulièrement bas < 0,3 g/l sans que le moindre signal d’effet adverse apparaisse sur une durée d’exposition très longue. Dans l’étude FOURIER, les taux de LDL-C ont baissé jusqu’à 0,2 g/l, voire étaient indosables. Le bénéfice de la baisse supplémentaire du LDL au-delà des statines est attesté par la réduction des critères cardiovasculaires avec l’association d’ézétimibe et sur la mortalité en association à un iPCSK9. En outre, les études de régression de plaques coronaires montrent aussi une relation linéaire avec la baisse du cholestérol. Optimiser la prise en charge en pratique Grâce aux statines, il est possible de baisser de 50 % le LDL-C, voire 60 % avec les statines les plus puissantes, atorvastatine et rosuvasatine, à leur plus forte posologie. Bien qu’elles aient été invalidées par la HAS, les recommandations de 2017 restent valides du point de vue scientifique : en fonction du niveau de risque faible, modéré, élevé ou très élevé, les objectifs de LDL-C fixés étaient de < 1,9 g/l, < 1,3 g/l, < 1 g/l et < 0,7 g/l, respectivement. Ces objectifs sont régulièrement revus à la baisse. L’étude HOPE-3 a été réalisée chez des patients (femmes > 65 et hommes > 55 ans) à risque modéré sans maladie cardiovasculaire avérée. Sous traitement par rosuvastatine, le LDL-C est passé de 1,30 g/ l à < 1 g/l au bout d’une durée médiane de 5,6 ans ; une réduction significative de 25 % (IC : 0,64-0,88 ; p = 0,0004) du principal critère de jugement (décès cardiovasculaire, IDM, AVC, arrêt cardiaque, revascularisation insuffisance cardiaque) a été observée. L’étude IMPROVE IT a également montré une réduction significative des événements athérothrombotiques dans le bras de traitement ézétimibe + simvastatine comparativement au groupe statine seule dans lequel le LDL-C était de 0,7 g/l en moyenne. On pourrait en conclure que l’objectif de LDL-C devrait sans doute être plus proche de 0,5 g/l que de 0,7 g/l. Chaque nouvel essai thérapeutique montrant un bénéfice supplémentaire de la baisse du LDL incite à abaisser plus encore la cible, mais l’objectif idéal n’est pas scientifiquement déterminé car le raisonnement repose sur des moyennes. Une seule étude a évalué une stratégie d’atteinte d’un objectif en ajustant la posologie du médicament en fonction de la cible à atteindre. L’étude ALLIANCE a comparé chez des patients en post-IDM un bras de traitement standard et un bras dans lequel le traitement a été ajusté pour amener le LDL-C à < 0,8 g/l en débutant par 10 mg d’atorvastatine puis en doublant la posologie tous les mois jusqu’à l’atteinte de l’objectif. Les patients ont reçu en moyenne 60 mg d’atorvastatine dans le groupe ajustement de la posologie et ont tiré un bénéfice significatif comparativement au groupe de traitement standard. Les dernières données épidémiologiques françaises portant sur deux populations différentes sont concordantes : le cholestérol est moins dosé en 2015 qu’en 2006 ; entre ces deux périodes, la proportion de patients, hommes et femmes, ayant un LDL-C > 1,9 g/l a progressé ; le pourcentage de patients prenant un traitement hypolipémiant a diminué de 30 %, ce qui n’est nullement justifié par la baisse du risque cardiovasculaire. Comment atteindre l’objectif ? L’étude ACTE fournit un exemple de stratégie (Bays HE et al. Am J Cardiol 2011 ; 108 : 523- 30) : chez les patients qui ne sont pas à l’objectif sous rosuvastatine (5 mg ou 10 mg), soit on double la posologie de la statine, soit on associe l’ézétimibe 10 mg. L’association de l’ézétimibe réduit le LDL-C de 20 % supplémentaires vs 6-7 % en doublant la posologie de rosuvastatine. La gestion des effets musculaires sous statine fait partie du quotidien des médecins. Il existe aujourd’hui des grilles d’évaluation qui permettent d’imputer au traitement les douleurs alléguées par le patient (Rosenson RS et al. J Clin Lipidol 2014 ; 8 : S586-71). Au quotidien, le médecin devra faire preuve de patience et de pédagogie pour convaincre les patients du bien-fondé du traitement hypocholestérolémiant dont le bénéfice/risque est favorable. Il y faudra du temps et de l’énergie… D’après E. Bruckert, F. Schiele et J. Blacher Débat organisé lors des JESFC 2019

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