Publié le 20 fév 2019Lecture 8 min
Quantifier l’exposition chronique au glucose - L’HbA1c, c’est bien, mais couplée à l’indicateur de contrôle glycémique (GMI), c’est encore mieux
Claude COLETTE et Louis MONNIER, Institut universitaire de recherche clinique, Université de Montpellier
Dans le diabète sucré, la surexposition à l’hyperglycémie en intensité et en durée est reconnue comme une grande pourvoyeuse de complications microvasculaires et comme un facteur non négligeable de complications macrovasculaires. La réduire est donc essentiel. Encore faut-il disposer de marqueurs fiables pour la quantifier.
Depuis plus de 30 ans(1), l’HbA1c, qui intègre l’exposition chronique au glucose sur une période de 3 mois, est considérée comme le gold standard(2). L’HbA1c provient de la glycation progressive de l’HbA0 non glyquée qui est la fraction hémoglobinique quasi exclusive (97 %) du globule rouge natif(2). La glycation progressive de l’HbA0 au cours des 120 jours qui correspondent à la durée d’existence moyenne des globules rouges suit une courbe exponentielle croissante (figure 1) qui atteint asymptotiquement son plateau d’équilibre (son maximum) au bout de 3 mois(1), d’où la recommandation de réaliser un dosage trimestriel de l’HbA1c pour avoir une évaluation intégrée de l’exposition chronique au glucose(2). Ce schéma en apparence simple et parfait peut être perturbé dans au moins deux situations : les variations rapides de l’exposition chronique au glucose ou le raccourcissement de la durée de vie des globules rouges. Dans les deux cas de figure, seul le calcul de la moyenne glycémique sur une durée de quelques jours consécutifs permet d’évaluer l’exposition chronique réelle au glucose. L’enregistrement glycémique continu en ambulatoire (CGM) permet ce calcul, surtout si on fait appel aux derniers appareillages qui rendent possible un monitoring sur une période de 10 à 14 jours(3).
Figure 1. Cinétique de l’HbA1c dans un globule rouge.
- D'une personne non diabétique exposée à une glycémie moyenne égale à 1 g/l (courbe rouge). La durée de vie du globule rouge est de 120 jours. Le plateau d'HbA1c est atteint au bout de 3 mois avec une d'HbA1c mesurée = 5,7 %. Dans ce cas, le GMI calculé à partir de la glycémie moyenne est également à 5,7 % (voir figure 2, droite verte).
- D'une personne diabétique exposée à une glycémie moyenne égale à 2 g/l (courbe verte). La durée de vie du globule rouge est de 120 jours. Le plateau d'HbA1c est atteint au bout de 3 mois avec une d'HbA1c mesurée à 8,1 %. Dans ce cas, le GMI calculé à partir de la glycémie moyenne est également à 8,1 % (voir figure 2, droite verte).
- D'une personne diabétique exposée à une glycémie moyenne égale à 2 g/l (courbe bleue) mais dont la durée de vie des globules rouges est raccourcie (90 jours). Le plateau d'HbA1c est atteint au bout de 2 mois avec une d'HbA1c mesurée à 7 %. Dans ce cas, le GMI calculé à partir de la glycémie moyenne est à 8,1 %.
Le concept de « l’HbA1c estimée »
Les premières études sur la correspondance entre HbA1c mesurée et glycémie moyenne
En 2008, David Nathan, directeur de la Joslin Clinic à Boston (Harvard Medical School) a étudié la corrélation entre la moyenne glycémique déterminée par CGM et l’HbA1c (étude ADAG pour A1c Derived Average Glucose)(4). Cette corrélation était suffisamment significative pour établir une correspondance entre l’HbA1c et la moyenne glycémique. Ainsi, une glycémie moyenne égale à 1,26 g/l correspond à une HbA1c à 6 % et toute augmentation de la glycémie moyenne de 0,29 g/l se traduit normalement par une augmentation de l’HbA1c de 1 %(4) (figure 2). Cette relation est depuis plus de 10 ans publiée annuellement par l’American Diabetes Association (ADA) dans le numéro supplémentaire de Diabetes Care qui paraît au mois de janvier(5) et qui rapporte en les actualisant les standards de prise en charge des états diabétiques. Cette correspondan ce entre HbA1c et glycémie moyenne permet à partir de la mesure d’une glycémie moyenne de mesurer « l’HbA1c estimée » (eHbA1c). Malheureusement, il n’est pas rare de voir des discordances entre l’eHbA1c et l’HbA1c mesurée en laboratoire. C’est pour cette raison que le terme d’HbA1c estimée est source de confusion dans l’esprit des patients et même dans celui des professionnels de santé. D’autres approches paraissaient donc souhaitables sinon nécessaires.
Figure 2. Droites de corrélation entre l'HbA1c (%) et la glycémie moyenne obtenue par le CGM.
Ces droites sont utilisées pour calculer l'eHbA1c et le GMI. La courbe en vert obtenue par Beck et coll.(7) permet d'obtenir le GMI (%) par lecture sur l'axe des abscisses à partir de la glycémie moyenne lue sur l'axe des ordonnées. La courbe en rouge obtenue par Nathan et coll.(4) permet d'obtenir l'eHbA1c (%) par lecture sur l'axe des abscisses à partir de la glycémie moyenne lue sur l'axe des ordonnées.
Le concept « d’indicateur du contrôle glycémique »
La suite de l’histoire sur la correspondance entre HbA1c mesurée et glycémie moyenne (GMI)
Pour clarifier la situation, Bergenstal et coll.(6) ont proposé de remplacer le terme d’ « HbA1c estimée » (eHbA1c) par celui d’« indicateur du contrôle glycémique » (GMI pour glucose management indicator) exprimé également en %. Le calcul de ce nouveau paramètre est très voisin de celui de l’eHbA1c. Cette proposition basée sur une nouvelle évaluation de la correspondance entre l’HbA1c et la moyenne glycémique a été réalisée en 2017(7) à partir d’enregistrements glycémiques continus (CGM) mais en utilisant les nouveaux appareillages plus fiables que ceux qui avaient été utilisés par Nathan pour l’étude ADAG(4) il y a plus de 10 ans.
La corrélation trouvée pour le GMI (%) est un peu différente de celle rapportée pour l’eHbA1c mais les résultats sont toutefois très proches (figure 2). La correspondance entre le GMI et la moyenne glycémique est donnée par la formule suivante :
GMI (%) = 3,31 + 0,02392 x [moyenne glycémique exprimée en mg/dl](7).
Quatorze jours de CGM sont en général requis pour que la formule puisse être appliquée de manière correcte. Cette formule est évidemment loin de résoudre tous les problèmes car les discordances qui existent entre l’HbA1c mesurée en laboratoire et l’« HbA1c estimée » (eHbA1c) ne sont pas levées en remplaçant le terme « HbA1c estimée » par celui de GMI (indicateur de contrôle glycémique).
Les apports de la nouvelle terminologie
Ils ne sont pas négligeables car ils permettent de mieux comprendre les discordances qui peuvent être observées entre HbA1c et moyenne glycémique. En effet, il convient encore une fois de rappeler que les deux paramètres n’évaluent pas l’exposition chronique au glucose sur le même intervalle de temps. L’HbA1c mesurée à un instant t est un marqueur de l’exposition chronique au glucose sur l’ensemble du trimestre qui a précédé l’instant t. Le GMI calculé au même instant t est un reflet de l’exposition au glucose sur la quinzaine de jours qui a précédé l’instant t (figure 3).
Figure 3. Evolution de l'HbA1c mesurée (courbe en rouge) et de l'exposition totale au glucose donnée par le GMI (aire en vert et courbe en vert) chez un diabétique qui passe rapidement de 2,5 g/l de glycémie moyenne (GMI et HbA1c mesurée à 9,3 %) à 1,5 g/l (GMI = 6,9 %).
L'HbA1c mesurée 14 jours après l'amélioration rapide de l'exposition chronique au glucose est à 8 %. Le différentiel entre l'HbA1c mesurée (8 %) et le GMI (6,9 %) traduit l'inertie cinétique de l'amélioration de l'HbA1c par rapport à celle de l'exposition chronique au glucose.
Supposons qu’un sujet ait correctement suivi les recommandations hygiéno-diététiques pendant les quelques jours qui ont précédé l’instant t avec une moyenne glycémique correcte de l’ordre de 1,5 g/l alors que le reste du temps il ne les suit que de manière très décousue avec pour conséquence une moyenne glycémique élevée à 2,5 g/l (figure 3). Si on lit la correspondance entre la moyenne glycémique et l’indicateur du contrôle glycémique (GMI) estimé à partir de la courbe représentée en vert sur la figure 2, des glycémies à 1,5 g/l et 2,5 g/l correspondent théoriquement à des taux d’HbA1c à 6,9 et 9,3 %. À l’instant t (moment de la consultation), une quinzaine de jours après le changement du comportement hygiéno-diététique, l’HbA1c mesurée aura baissé (8 %, par exemple) (figure 3) mais on va constater une différence importante entre l’HbA1c mesurée en laboratoire (8 %) et le GMI ou l’eHbA1c (6,9 %). La première sera donc plus élevée que les deux autres.
La constatation de cette différence peut être mise à profit par le médecin pour montrer à son patient qu’une adhésion correcte aux consignes hygiéno-diététiques lui permettrait d’atteindre un taux d’HbA1c correct (< 7 %) conforme aux recommandations de bonne pratique(5).
Le deuxième cas de figure est celui où, à l’inverse, l’HbA1c mesurée est plus basse que l’HbA1c estimée ou le GMI. Cette situation peut être soit le reflet d’hypoglycémies fréquentes pendant les 3 mois qui ont précédé la consultation, soit le témoin d’une affection qui modifie la cinétique de synthèse de l’HbA1c : anémie, insuffisance rénale chronique par exemple. Dans ce dernier cas, la synthèse de l’HbA1c suit toujours une courbe exponentielle croissante, mais en raison du raccourcissement de la durée de vie des globules rouges le plateau d’équilibre est atteint beaucoup plus vite, conduisant à une baisse de l’HbA1c (figure 1).
On considère en général qu’une baisse de l’Hb totale de 3 g/dl (taux normal 13 g/dl) conduit à une sous-estimation de l’HbA1c mesurée de l’ordre de 1 %(8). Ainsi, un sujet diabétique insuffisant rénal chronique et anémique avec un taux d’Hb totale à 10 g/dl et une HbA1c mesurée à 7,5 % aura en fait un GMI ou une HbA1c estimée entre 8 et 8,5 % (figure 1).
Conclusion
Lorsqu’il y a une anémie, ce sont évidemment le GMI ou l’HbA1c estimée qui permettent d’évaluer au mieux l’exposition chronique au glucose. Tous ces aspects sont discutés dans l’article publié par Bergenstal et coll. dans le numéro du mois de novembre 2018 de Diabetes Care(6). Cet article a suscité un commentaire également publié dans Diabetes Care. Les auteurs de cette lettre(9) félicitent les auteurs de l’article pour avoir essayé de clarifier la situation et d’éviter les erreurs d’interprétation quand il existe une discordance entre l’HbA1c mesurée et estimée.
Ainsi, le terme de GMI (indicateur du contrôle glycémique) devrait être utilisé de manière préférentielle car il permet de lever une partie des confusions qui résultaient de l’appellation « HbA1c estimée ». Dans sa réponse à la lettre de commentaire(9), Bergenstal(10) insiste sur le fait que les données du CGM devraient être standardisées et que l’indicateur de contrôle glycémique (GMI) devrait être fourni de manière systématique sur la feuille de résultats afin de faciliter la tâche des professionnels de santé qui suivent des patients diabétiques.
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