Thérapeutique
Publié le 15 juin 2018Lecture 10 min
La technologie du flash monitoring : des atouts mais aussi des limites
Louis MONNIER, Claude COLETTE, Institut universitaire de recherche clinique, Montpellier
La technologie du flash monitoring utilisée par le FreeStyle® Libre a indiscutablement le vent en poupe. Certains considèrent même qu’elle est l’avenir de l’enregistrement glycémique continu (Continuous glucose monitoring ou CGM)(1). Comme tout dispositif de mesure du glucose interstitiel, le FreeStyle Libre® consiste à insérer dans le tissu interstitiel un capteur de glucose fonctionnant avec une électrode enzymatique et ampérométrique, le courant électrique généré par oxydation du glucose étant proportionnel à la concentration en glucose dans le milieu interstitiel(2-4).
En dehors du FreeStyle Libre®, tous les autres appareillages mis sur le marché tiennent compte du fait qu’il existe un différentiel entre le glucose sanguin et le glucose interstitiel, ce dernier étant en général plus bas, avec une différence de l’ordre de 0,20 g/l. Ceci signifie que tous les appareillages de CGM nécessitent une calibration qui est en général réalisée en se référant au sang capillaire. Avec les anciens appareils de CGM, 4 mesures capillaires quotidiennes étaient exigées pour être sûr que la pente de la droite corrélant la glycémie interstitielle (intensité du courant électrique généré) et la glycémie capillaire était déterminée de manière fiable. Il convient de ne pas oublier que cette pente permet de mesurer la sensibilité du capteur, qui a priori devrait rester constante pendant toute la durée de son implantation. Les concepteurs des nouveaux appareillages disent que cette pente peut être déterminée grâce à 2 tests capillaires par jour, ce qui parait relativement étrange, car tout le monde sait qu’il existe toujours une droite qui passe entre 2 points et dont on peut déterminer la pente. Il est bien certain que si les 2 points sont mal choisis et si la mesure des glycémies capillaires est entachée d’erreur, la pente déterminée sera fausse. Dans ces conditions, la calibration n’aura servi à rien, si ce n’est à créer une erreur sur la mesure de la sensibilité, avec pour conséquence une évaluation erronée du glucose interstitiel.
Spécificité du capteur du FreeStyle® Libre
Pour éviter les erreurs liées à la calibration, les fabricants du FreeStyle® Libre ont tout simplement supprimé l’étalonnage pendant la période de port du capteur, en soutenant qu’une calibration en usine était non seulement suffisante, mais même plus fiable que celle qui pouvait être réalisée pendant la période d’implantation du capteur. Pour soutenir cette thèse, ils jouent sur l’originalité de leur électrode. Bien qu’elle soit basée sur la présence de glucose oxydase, cette dernière est « emmitouflée » dans une membrane très fine (100 μm d’épaisseur), avec une surface d’échange avec le tissu environnant extrêmement réduite (moins de 1 mm2)(5). En utilisant cette technique, le fabricant a conçu une électrode dont la sensibilité, évaluée par le rapport de l’intensité du courant électrique produit [i] à la concentration du glucose dans le milieu [c] est a priori stable au cours du temps. La sensibilité (S = [i]/[c]) est déterminée in vitro par calibration à partir d’un échantillonnage de solutions de glucose ayant des concentrations différentes et parfaitement connues. Chaque lot d’électrodes commercialisées est affecté d’un code spécifique en fonction de sa sensibilité qui, d’après le fabricant, reste stable et constante in vivo pendant toute la durée de l’implantation de l’électrode (14 jours).
Les questions qui mériteraient d’être posées
La première question concerne la stabilité de la sensibilité de l’électrode au cours du temps. L’activité de la glucose oxydase, comme celle de toute enzyme, dépend de la température, du pH et de la teneur en oxygène du milieu. Cette cause d’instabilité peut être réfutée en soutenant que la température, le pH et la teneur en oxygène ne varient pas, ou varient trop peu pour que ces variations aient une influence sur la vitesse de la réaction enzymatique. Ceci n’est évidemment qu’une hypothèse.
La deuxième question concerne la quantité de glucose oxydase présente dans l’électrode. Cette quantité diminue obligatoirement au cours du temps, c’est-à-dire pendant les 14 jours de l’implantation du capteur. Toutefois, ce facteur a peu de risque d’être responsable d’une perte de sensibilité de l’électrode au cours du temps, car il est bien connu qu’une vitesse de réaction enzymatique reste stable et ne dépend que du substrat (le glucose en l’occurrence), tant que la teneur enzymatique reste supérieure à un seuil qui est en général relativement bas (figure 1). Dans ces conditions, il faudrait un épuisement quasi complet de la glucose oxydase pour que la sensibilité de l’électrode soit affectée.
La troisième question, beaucoup plus importante, concerne le dépôt de substances (fibrine) ou de cellules (macrophages et autres) à la surface de l’électrode. En effet, le facteur qui régule la réaction est évidemment le glucose interstitiel, ou plutôt celui qui atteint l’enzyme après avoir traversé non seulement la membrane qui entoure la glucose oxydase, mais aussi les éventuels « écrans » fibrineux et cellulaires qui sont susceptibles de se déposer à sa surface.
Figure 1. Vitesse d’une réaction enzymatique en fonction de la concentration de l’enzyme dans le milieu. La vitesse reste constante tant que la concentration ne descend pas en dessous d’un certain seuil qui peut être plus ou moins bas.
Les réponses aux questions
Deux questions au moins, la première et la troisième (mais surtout la troisième), nécessiteraient des réponses claires pour que les fabricants puissent nous convaincre de manière formelle que la sensibilité de l’électrode reste stable pendant les 14 jours de son implantation. Pour répondre à ces questions, plusieurs démarches sont possibles.
Vérifier que la sensibilité in vitro et in vivo sont parfaitement corrélées
La sensibilité in vitro est celle qui est déterminée en usine avant la commercialisation sur les solutions de glucose étalons. Il y a peu de chance pour que cette sensibilité in vitro soit entachée d’erreur.
La sensibilité in vivo est celle qui est mesurée au cours du port du capteur à partir d’un étalonnage réalisé sur du sang capillaire. Pour que l’appareil soit fiable, il faut que les 2 sensibilités in vitro et in vivo soient parfaitement corrélées. Malheureusement, les résultats publiés sont loin d’être convaincants (figure 2)(5). En premier lieu, la droite (qui devrait être une bissectrice mais qui ne l’est pas) corrélant les 2 paramètres est tracée à travers un faible échantillon de points. Ces derniers, agglutinés sur un faible intervalle de l’axe des abscisses (sensibilité in vitro), sont manifestement relativement dispersés sur l’axe des ordonnées (sensibilité in vivo) (figure 2).
Figure 2. Relation entre la sensibilité in vitro (s1) et la sensibilité in vivo (s2) des capteurs utilisés pour le FreeStyle® Libre. Chaque point correspond à un lot de capteurs (d’après la référence 5).
Vérifier l’existence d’une bonne corrélation entre glycémie capillaire et celle fournie vpar le FreeStyle® Libre
Ce type d’étude a été évidemment réalisé. La corrélation est en apparence excellente(6). Malheureusement, la corrélation publiée par les auteurs de cette étude montre que la grande majorité des points qui établissent cette corrélation se réfèrent à des mesures faites sur les 4 premiers jours du port de l’électrode, tandis qu’un tout petit nombre se réfère aux 10 jours restants. Dans ces conditions, il est permis de se poser la question du pourquoi de cette corrélation « tronquée » ?
Clore le débat sur la fiabilité du FreeStyle® Libre
Il est possible que ce type d’appareillage soit fiable, avec une sensibilité stable chez certains patients, mais nous nous permettrons d’émettre certaines réserves pour d’autres patients, lorsque l’appareillage est maintenu au-delà de quelques jours sans calibration ultérieure. Pour être plus clairs, nous ne connaissons aucun appareil de mesure in vitro qui ne nécessite pas une calibration régulière. Cette règle nous paraît encore plus indispensable quand il s’agit d’une mesure in vivo comme la lecture des glycémies interstitielles avec une électrode cutanée.
La preuve irréfutable de la fiabilité du FreeStyle® Libre ne pourrait être donnée que par une étude dans laquelle 2 FreeStyle Libre® seraient implantés chez le même patient avec un décalage d’une semaine. La preuve de la fiabilité serait donnée par le caractère superposable des profils enregistrés par les 2 capteurs. À notre connaissance, ce type d’étude n’a pas été publié, à défaut d’avoir été réalisé.
Que penser de l’Average glucose profile fourni par le FreeStyle® Libre
Si nous admettons que la technique du FreeStyle® Libre est fiable, ce qui à notre avis est loin d’être une certitude en l’absence de preuves intangibles, cet appareillage permet de moyenner les profils glycémiques sur une période de 2 semaines et d’obtenir un profil glycémique moyen. Étant donné que les résultats donnés par l’Average Glucose Profile sont à un instant donné t la moyenne de 14 valeurs, qui ne sont pas distribuées de manière gaussienne, on est obligé de leur appliquer des statistiques non paramétriques avec calcul d’une médiane (qui remplace la moyenne), et d’une distribution exprimée soit entre le 25e et le 75e percentile (IQR pour Inter Quartile Range), soit entre le 10e et le 90e percentile. En termes plus simples, 50 % et 80 % des valeurs mesurées de la glycémie sont respectivement comprises dans la plage du IQR ou entre le 10e et le 90e percentile. Si on se contente d’une lecture superficielle, on dira que la variabilité glycémique est élevée à un instant donné si l’IQR et l’intervalle entre le 10e et le 90e percentile ont une étendue élevée. De plus, on dira que la variabilité globale est forte si les fluctuations de la médiane au cours du temps sont marquées. Ce type de lecture n’est pas faux, mais en fait l’interprétation des résultats est beaucoup plus subtile.
En effet, il est bien connu que l’on atténue les variations des profils glycémiques quand on les moyenne sur plusieurs jours(7). En d’autres termes, un profil dont la médiane fluctue peu au cours du temps ne permet pas de savoir si la variabilité intrajournalière est faible ou forte (situation « indécidable »)(8). En revanche, si la médiane présente de fortes fluctuations au cours du temps, il est possible de dire que la variabilité intra-journalière est forte.
L’amplitude de la dispersion (IQR) et l’écart entre le 10e et le 90e percentile donnent une idée de la variabilité inter-journalière. Une forte amplitude avec des IQR variables d’un instant à l’autre indique que les courbes sont peu synchrones d’un jour à l’autre (variabilité inter-journalière forte), tandis qu’une amplitude faible avec des IQR relativement stables d’un instant à l’autre indique que les courbes sont synchrones d’un jour à l’autre (variabilité inter-journalière faible).
Les aspects de cette discussion sont illustrés sur la figure 3. La courbe du haut correspond à une variabilité intra-journalière forte et inter-journalière faible, tandis que la courbe du bas correspond à une variabilité inter-journalière forte avec une variabilité intra-journalière non analysable (étiquetée comme étant « erratique » par David Rodbard)(7).
Figure 3. Profils glycémiques moyennés sur 14 jours (« Average glucose profiles ») fournis par le FreeStyle Libre® chez 2 patients ayant la même valeur moyenne pour la médiane des glycémies (165 mg/dl, ligne en pointillés). Les aires ombrées correspondent soit à l’IQR, soit à l’intervalle compris entre le 10e et le 90e percentile. La courbe du haut est représentative d’un sujet chez lequel les courbes sont synchrones d’un jour à l’autre (faible variabilité glycémique inter-journalière caractérisée par un IQR faible et peu variable d’un instant à l’autre). La courbe du bas est représentative d’un sujet chez lequel les courbes sont asynchrones d’un jour à l’autre (grande variabilité inter-journalière caractérisée par un IQR fort et surtout très variable d’un instant à l’autre) (d’après la référence 8).
Les atouts du FreeStyle Libre®
Le flash monitoring du FreeStyle Libre® est un système d’enregistrement glycémique avec possibilité de lecture intermittente décidée par le patient lui-même : intermittently viewed CGM, iCGM(9). Cette lecture ponctuelle permet d’avoir une vision de la glycémie à un instant donné. De plus, dans la mesure où l’appareillage assure la transmission des données glycémiques au cours des 8 heures précédant la lecture, le sujet peut connaître la tendance évolutive de ses glycémies dans le sens descendant ou ascendant. Cette propriété est indiscutablement un atout qui a permis d’améliorer l’équilibre glycémique de nombreux patients en réduisant le nombre d’hypoglycémies et en permettant le maintien des glycémies dans une « plage » satisfaisante. Il convient toutefois de souligner que glycémies interstitielles et circulantes peuvent être discordantes, en particulier lorsque le sujet est dans une période de variation rapide des glycémies. En phase descendante, en raison du décalage de l’ordre de 10 à 15 minutes entre les glycémies interstitielle et circulante (figure 4)(10), la glycémie interstitielle peut apparaître comme normale alors que le sujet est déjà en hypoglycémie. Ainsi, tout sujet dont la glycémie interstitielle est entre 0,6 et 0,8 g/l est « suspect » d’hypoglycémie. Dans la mesure où il est préférable d’éviter les erreurs par défaut (le sujet est déjà en hypoglycémie alors que la glycémie interstitielle est subnormale), un contrôle de la glycémie capillaire devient indispensable quand la glycémie interstitielle est entre 0,6 et 0,8 g/L, surtout si le FreeStyle® Libre indique une phase descendante. Ceci constitue l’un des atouts indiscutables de ce type d’appareillage, car il permet, s’il est bien utilisé, d’anticiper la correction d’une hypoglycémie à venir et d’éviter le passage vers une forme symptomatique plus ou moins sévère.
Figure 4. Discordances possibles entre glucose circulant et interstitiel lorsque ce dernier est dans une zone comprise entre 0,60 et 0,80 g/l. Si le sujet est en période de stabilité glycémique, la glycémie circulante est > à la glycémie interstitielle affichée par le capteur. Si le sujet est en période de descente glycémique rapide, la glycémie circulante risque d’être plus basse que la glycémie interstitielle affichée par le capteur (d’après la référence 10).
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