Peau-Muqueuse-Plaie
Publié le 15 fév 2017Lecture 9 min
Hyperinsulinisme et pathologie cutanée : une relation trop méconnue
Jean-Louis SCHLIENGER*, Jean-Nicolas SCRIVENER** - *Faculté de médecine de Strasbourg **Service de dermatologie, CHRU de Strasbourg
Partie apparente de l’être, la peau est une vitrine séméiologique qui témoigne tout à la fois des agressions et (micro-)traumatismes que lui assène l’environnement en permanence et, de façon plus inattendue, du statut métabolique et hormonal d’un individu. Tout un chacun sait que l’aspect (pigmentation, texture, intégrité de surface) et la fonction (hydratation, élasticité, sudation, production de sébum, métabolisme) de la peau peuvent être altérés par des processus systémiques comme par exemple l’allergie, les maladies auto-immunes, l’inflammation. En revanche, l’impact des désordres métaboliques sur la peau est moins connu, hormis les situations caricaturales que sont les carences prolongées en protéines ou en micronutriments (vitamines, oligoéléments) et l’expression de maladies endocriniennes caractérisées — hypercorticisme, hypothyroïdie, acromégalie — ou de certaines dyslipidémies se manifestant par des dépôts.
Les corrélations établies entre la consommation des graisses saturées et l’hydratation cutanée, entre les acides gras mono-insaturés et le pH, entre la concentration plasmatique en vitamine A et la production de sébum, entre les acides gras oméga-3 et la photoprotection ou l’inflammation cutanée, ont suggéré que les caractéristiques de la peau étaient directement ou indirectement modifiables par le climat métabolique. C’est ainsi que la peau est apparue comme un indicateur inattendu de l’insulinorésistance périphérique qui est associée au risque cardio-métabolique. Cette relation subtile entre la peau et le métabolisme glucosé qui participe à la pathogénie d’affections cutanées parmi les plus fréquentes, indépendamment de l’existence d’un diabète avéré, est d’autant plus intéressante qu’elle a des conséquences dans la stratégie de prise en charge thérapeutique de ces affections.
Insulinorésistance et peau
L’homéostasie glucidique résulte d’un équilibre entre les apports en nutriments énergétiques, notamment glucidiques, et leur utilisation grâce à l’action de l’insuline, seule hormone hypoglycémiante, et des hormones de la contre-régulation. En plus de son action sur la régulation glycémique, l’insuline a des effets directs et indirects sur la différenciation, la prolifération et l’apoptose cellulaires et participe au contrôle de la réponse mutagène (figure 1). À ce titre, l’insuline participe à la régulation de l’équilibre entre la prolifération et la différenciation des kératinocytes, nécessaire à la formation de l’épithélium cutané.
Figure 1. Effets de l’insuline via son récepteur. PI3K : phospho-inositide 3 kinase ; MAPKinase : mitogen activating protein kinase ; GLUT4 : transporteur de glucose 4.
L’objectif de normoglycémie est atteint grâce à une adaptation de l’insulinosécrétion aux circonstances, fût-ce au prix d’une hyperinsulinémie comme dans les nombreuses situations de résistance des tissus à l’insuline à la suite d’une perturbation de la signalisation induite par l’insuline au niveau de son récepteur. L’insulinorésistance est soit physiologique comme lors de la grossesse ou du vieillissement, soit pathologique (obésité, syndrome métabolique, diabète de type 2, inflammation chronique). Elle peut être acquise (activité physique insuffisante, alimentation hyperénergétique) ou innée comme dans l’exceptionnel syndrome de résistance primaire à l’insuline. L’hyperinsulinémie adaptative à l’insulinorésistance favorise la prolifération des kératinocytes. Les cytokines pro-inflammatoires produites lors de maladies chroniques inflammatoires – comme l’acné ou le psoriasis – induisent une phosphorylation du récepteur à l’insuline avec un blocage de la différenciation des kératinocytes et du même coup un accroissement de leur prolifération. Parmi d’autres effets biologiques, l’insuline renforce l’activité de facteurs de croissance comme l’IGF-1 (Insulin Growth Factor) en diminuant notamment la production de sa protéine de liaison IGFBP-3 (ce qui augmente la fraction libre de l’IGF-1 et donc son activité) et en interagissant avec son récepteur. Par ailleurs, elle diminue la concentration plasmatique de la globuline liant les stéroïdes sexuels (SHBG) et stimule la sécrétion de LH et FSH, ce qui aboutit à une hyperactivité des androgènes ovariens et à une augmentation de leur fraction libre responsable d’un hyperandrogénisme ayant des répercussions sur la peau et les phanères (hirsutisme)(1).
Il existe à présent des arguments expérimentaux et observationnels en faveur d’une relation entre l’insulinorésistance et diverses affections cutanées (tableau), à tel point que l’amélioration de la sensibilité à l’insuline est devenue une cible thérapeutique dans des affections aussi fréquentes que l’acné, le psoriasis ou l’hyperandrogénisme du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). La correction d’un surpoids, la prescription d’une alimentation à faible densité énergétique et à faible charge glycémique et la correction des états inflammatoires chroniques en sont les principaux moyens.
Affections cutanées favorisées par un hyperinsulinisme
Acanthosis nigricans
L’acanthosis nigricans (« écailles noires ») est le témoin des syndromes d’insulinorésistance (SIR) extrêmes.
Cette lésion illustre bien le pouvoir prolifératif de l’insuline sur les kératinocytes (figure 2). Elle est définie par une hyperkératose hyperpigmentée localisée dans les plis (aisselles) et la nuque. L’acanthosis nigricans confère un aspect sombre ou gris granuleux pouvant faire croire à un défaut d’hygiène (figure 3). L’examen histologique, utile dans les formes débutantes ou les cas atypiques, met en évidence une papillomatose avec acanthose et surcharge pigmentaire.
Figure 2. Acanthosis nigricans de l’aisselle et de la nuque.
Figure 3. Physiopathologie de l’acanthosis nigricans.
L’acanthosis nigricans se rencontre particulièrement chez des femmes jeunes. Cette dermatopathie est fortement associée à la résistance à l’insuline et constitue l’un des traits phénotypiques évocateurs des exceptionnels SIR extrêmes comprenant :
- le SIR de type A, dû classiquement à des mutations hétérozygotes du gène du récepteur de l’insuline atteignant la région codant pour le domaine tyrosine kinase ;
- le SIR de type B dû à la présence d’autoanticorps dirigés contre le récepteur de l’insuline ;
- le lépréchaunisme (associant retard staturo-pondéral sévère, faciès dysmorphique, lipoatrophie et hypotrophie musculaire) ;
- le syndrome de Rabson-Mendenhall (associant retard de croissance intra-utérin, hypotrophie des tissus musculaire et adipeux, dysplasie dentaire, anomalies des phanères et hirsutisme) ;
- les syndromes lipodystrophiques généralisés ou partiels.
Un acanthosis est occasionnellement présent dans d’autres situations comportant une insulinorésistance comme l’obésité androïde, l’acromégalie ou le SOPK et peut également être d’origine iatrogène (corticothérapie, contraception orale, acide nicotinique).
La lésion cutanée pourrait être améliorée par des mesures hygiéno-diététiques visant à réduire l’hyperinsulinisme : régime à faible densité énergétique et à faible charge glycémique, activité physique programmée et, surtout, perte de poids.
Les médicaments insulinosensibilisateurs (metformine et, là où elle est disponible, la pioglitazone) ont un intérêt tout particulier pour traiter le diabète associé aux SIR A, tout en ayant un effet bénéfique sur l’acanthosis(2). Le SIR de type B relève d’un traitement immunomodulateur par un anticorps monoclonal (rituximab). Toutefois, dans nombre de cas, les lésions ne régressent pas et semblent même évoluer pour leur propre compte.
Acné
L’acné est une maladie de l’unité folliculo-pilo-sébacée (FPS) comportant une hyperséborrhée, une rétention sébacée, une prolifération de Propionibacterium acnes et une inflammation. L’hypersécrétion sébacée est favorisée par les hormones stéroïdiennes péripubertaires et l’hyperkératose a un rôle facilitant (figure 4). Cliniquement, on distingue classiquement l’acné rétentionnelle (comédons et microkystes) et l’acné inflammatoire (papules, nodules, pustule) ou mixte. Très fréquente en Europe occidentale dans sa forme commune (70 % des adolescents et 40 % des adultes jeunes), l’acné est quasi inexistante dans d’autres parties du monde (Grand Nord, Archipel d’Okinawa…). Une telle disparité de la prévalence a suggéré que des facteurs génétiques ou le mode de vie et les habitudes alimentaires joueraient un rôle sinon étiologique, du moins facilitant.
Figure 4. Acné sévère du visage.
Des données expérimentales étayant la réalité des relations entre l’alimentation et l’acné sont en faveur d’une interaction métabolique. L’augmentation des taux circulants d’insuline et d’IGF-1 associée à une alimentation à forte charge glycémique favorise la prolifération des kératinocytes. L’insuline stimule l’expression des kératinocytes épidermiques et la prolifération des kératinocytes dans les canaux de l’unité FPS. L’augmentation de la fraction libre d’IGF-1 due à la diminution de l’IGFBP-3 secondaire à l’hyper insulinémie accentue encore ce phénomène. L’IGF-1 accroît la prolifération des sébocytes et la production de sébum et stimule l’activité de la 5 α-réductase qui est nécessaire à la production et à l’action locale des androgènes. Il est remarquable que l’acné soit présente chez 70 % des femmes atteintes d’un syndrome des ovaires polykystiques avec hyperandrogénisme dans la genèse duquel l’insulinorésistance joue un rôle déterminant. Environ 20 % des femmes ayant une acné persistante présentent un SOPK. Enfin, nombre de sujets acnéiques ont un surpoids et une insulinorésistance.
D’un point de vue observationnel, une alimentation hyper calorique et riche en glucides à index glycémique élevé, favorisant une réponse inflammatoire systémique de bas grade, semble être associée à une incidence accrue d’acné. Dans une étude randomisée contrôlée, l’administration pendant 12 semaines d’un régime à faible charge glycémique a amélioré significativement le nombre et l’intensité des lésions d’acné inflammatoires comparativement à l’alimentation conventionnelle(3). La réduction de la charge glycémique est associée à une diminution des glandes sébacées et des cytokines proinflammatoires ainsi qu’à une répression des récepteurs aux androgènes. La réduction pondérale et l’amélioration de la sensibilité à l’insuline obtenues avec un tel régime sont les deux facteurs dont le rôle respectif reste à préciser, d’autant qu’ils agissent de façon synergique.
Ces résultats justifient en tout cas de prescrire un régime équilibré à faible densité énergétique et à faible charge glycémique, notamment chez les adolescents dont l’alimentation spontanée est souvent déstructurée et comporte une consommation excessive de produits sucrés. Ce type de régime est de surcroît associé à une diminution des marqueurs inflammatoires, ce qui ne peut qu’être bénéfique et pour l’acné et pour l’insulinorésistance. En revanche, la perte de poids n’est qu’inconstamment suivie d’une amélioration de l’acné(4). Le recours aux traitements locaux par le benzoyle en cas d’acné inflammatoire ou aux rétinoïdes ou à l’adapalène en cas d’acné rétentionnelle s’avère plus efficace que les mesures diététiques en dépit du rôle de l’insulinorésistance dans la physiopathologie de l’acné.
Psoriasis
Inflammation chronique de la peau considérée comme une affection systémique immunomédiée, le psoriasis est très fréquent. Dans sa forme commune, il siège principalement au niveau des zones de pression et de frottement, du cuir chevelu et du tronc. Il est défini par une hyperprolifération épidermique se manifestant par des plaques érythémato-prurigineuses bien limitées (figure 5). Son mécanisme est complexe et encore mal connu. L’évolution se fait par poussées diffuses ou localisées, notamment à l’occasion d’un stress. Les rayonnements UV ont un effet bénéfique, ce qui explique l’évolution volontiers saisonnière. Divers traitements, dont l’exposition aux UV (puvathérapie), permettent de contrôler la maladie sans parvenir à la guérir.
Une relation entre l’insulinorésistance et le psoriasis a été établie par différentes approches. La diminution de la sensibilité à l’insuline a été démontrée par la technique du clamp euglycémique hyperinsulinique(5). L’insulinorésistance, qui semble corrélée à la gravité de la maladie, pourrait être la conséquence de l’inflammation associée au psoriasis et interagir avec les lésions en favorisant la proli fération et l’altération de la distribution des kératocytes. Dans une étude randomisée contrôlée, la perte de poids volontaire induite à la suite d’un régime hypocalorique équilibré a permis d’améliorer la réponse au traitement des formes modérées à sévères(6). Le recours à des agents insulinosensibiliseurs comme les activateurs du facteur de transcription PPAR (glitazones) ou un régime à faible charge glycémique ont été proposés pour améliorer le psoriasis.
Figure 5. Psoriasis commun prérotulien.
Conclusion
La pertinence d’un régime équilibré à densité nutritionnelle élevée et à densité énergétique faible, riche en fruits et légumes et en fibres et limité en graisses et en aliments à index glycémique élevé, est établie dans les affections cutanées les plus fréquentes que sont l’acné ou le psoriasis qui s’accompagnent volontiers d’une insulinorésistance encore non symptomatique par ailleurs.
En cas de surpoids ou d’obésité, situations où ces affections dermatologiques sont plus fréquentes, une perte de poids durable, même modeste, peut améliorer la situation et réduire, notamment, l’hypersudation.
Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêts avec la teneur de ce texte.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :