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Neurologie

Publié le 14 avr 2016Lecture 6 min

Le pied de Charcot aigu : un diagnostic à bien connaître

B. BAUDUCEAU, L. BORDIER, Service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé

Les complications du diabète au niveau des pieds sont fréquentes et redoutables ; malheureusement, la gradation des pieds à risque est encore trop souvent négligée. Le principal facteur déterminant de ces complications podologiques est la neuropathie. Le « pied de Charcot » en constitue une forme sévère en raison des déformations qui le caractérisent (figure 1). il s’agit d’une ostéoarthropathie nerveuse, affection initialement décrite dans la syphilis tertiaire. Le diabète est aujourd’hui l’étiologie la plus fréquente de ce type d’arthropathie qui se caractérise par son indolence et répond au même mécanisme physiopathologique.

  Figure 1. Déformations du pied cubique. Une intervention thérapeutique précoce lors de la forme particulière que constitue le pied de Charcot aigu qui correspond à une phase de destruction, doit permettre de limiter l’importance de ces déformations. Ce tableau qui n’est pas fréquent, mérite donc d’être bien connu pour être reconnu.   Physiopathologie   La neuropathie diabétique concerne le plus précocement les fibres nerveuses les plus longues et les plus fragiles, ce qui explique que les manifestations prédominent à l’extrémité des membres inférieurs. Ainsi, les fibres amyéliniques de petit diamètre sont atteintes en priorité, si bien que les premières anomalies intéressent la sensibilité à la chaleur et à la douleur ainsi que les fibres du système autonome. En revanche, l’atteinte des grosses fibres myélinisées responsables de la sensibilité au tact (explorée par le monofilament) et à la proprioception (dépistée à l’aide du diapason) est plus tardive. La neuropathie diabétique, responsable de la perte de la sensibilité et du caractère indolore des lésions, est à l’origine de la survenue du pied de Charcot. L’atteinte végétative est responsable de troubles vasomoteurs liés à l’ouverture des shunts artério-veineux, expliquant l’aspect pseudo-inflammatoire et hyperhémique du tableau. Troubles de la sensibilité et atteinte végétative conduisent à des lésions osseuses marquées par une raréfaction de l’os trabéculaire, une ostéolyse et de multiples microfractures. Ces mécanismes n’expliquent cependant pas que le pied de Charcot aigu soit le plus souvent unilatéral alors que les manifestations liées à la neuropathie sont symétriques. L’hypothèse d’une réaction de type algodystrophique, secondaire à un traumatisme passé inaperçu, a été soulevée.   De façon plus récente, de nouvelles hypothèses font intervenir des anomalies inflammatoires du tissu osseux.   Ainsi, une surexpression de cytokines inflammatoires (IL-1 bêta et TNF alpha) pourrait favoriser le recrutement, la différenciation et la prolifération des ostéoclastes. Un déséquilibre entre l’axe RANKRANKL (receptor activator for NF-kB) et son ligant favorisant le développement des ostéoclastes et l’ostéoprotégérine (synthétisée par les ostéoclastes) qui inhibe cette action serait également impliqué. L’origine de ces désordres fait encore l’objet de débat, mais cette inflammation pourrait être entretenue par le maintien de l’appui sur un os fragilisé. Quoi qu’il en soit, la reconstruction osseuse aboutit secondairement à la fixation des déformations qui sont observées dans le pied cubique de Charcot. Celles-ci combinent un effondrement de la voûte plantaire et une saillie osseuse interne en rapport avec la luxation du scaphoïde et du premier cunéiforme. Toutes ces déformations favorisent l’apparition ultérieure de lésions cutanées.   Présentation clinique   La forme aiguë du pied de Charcot est rare et survient le plus souvent chez des diabétiques de type 2 atteints d’une neuropathie sévère. Elle se présente sous la forme de la tuméfaction d’un pied qui a un aspect très inflammatoire à l’inspection. Les pouls sont bien palpables et même bondissants du fait de l’existence des shunts artério-veineux. Le pied est augmenté de volume, oedémateux et rouge, ce qui dans un premier temps fait évoquer une phlébite, une arthrite microcristalline telles une goutte ou une chondrocalcinose, et surtout une arthrite septique, une cellulite ou un érysipèle (figure 2). Figure 2. Présentation du pied de Charcot avec un aspect inflammatoire et déjà un effondrement de la voûte plantaire. Toutefois, l’absence de douleur importante et de franche hyperthermie cutanée s’inscrit contre ces hypothèses. L’existence d’anomalies de la sensibilité au niveau des pieds et la normalité de la biologie (VS et CRP, absence d’hyperleucocytose) permettent d’orienter vers le diagnostic de pied de Charcot aigu.   Examens d’imagerie   Les radiographies peuvent être initialement normales. Toutefois, des images d’ostéolyse sont fréquemment déjà présentes et souvent de façon bilatérale. Il s’agit de zones d’ostéolyse et de remaniement osseux avec une raréfaction de la trame qui peuvent conduire à un effondrement de la voûte plantaire en raison de la localisation des lésions qui intéressent fréquemment le sommet de l’arche plantaire représenté par le scaphoïde et les cunéiformes (figure 3). Figure 3. Radiographie de profil du pied. Remaniement du tarse et du scaphoïde. L’IRM est l’examen le plus intéressant en phase aiguë, permettant de visualiser précocement l’œdème médullaire. Les données en tomodensitométrie permettent de bien préciser ces lésions qui sont fréquemment très importantes et qui rendent compte de la fragilité de l’architecture du pied (figure 4). Les reconstitutions en 3 dimensions objectivent les appositions périostées signalant les phénomènes de reconstruction secondaires à de multiples microfractures (figure 5). Figure 4. Raréfaction de la trame osseuse et multiples zones d’ostéolyse bien visibles en tomodensitométrie. Figure 5. Reconstitution tomodensitométrique en 3D. Appositions périostées diffuses mal limitées témoignant de phénomènes de reconstruction sur de multiples microfractures. Traitement   L’importance des lésions observées avec les technologies modernes témoigne de la fragilité de l’os et contraste avec l’absence de douleur en rapport avec la neuropathie. Cette absence de signal d’alarme douloureux a pour conséquence de faire négliger les symptômes locaux. Le malade va ainsi poursuivre ses activités et notamment la marche, ce qui va conduire à la destruction de l’architecture du pied et à la constitution des déformations irréversibles du pied de Charcot.   La mise en décharge est donc l’élément indispensable du traitement mais son observance prolongée est difficile à obtenir d’autant qu’une durée de 2 à 4 mois est nécessaire pour que les articulations concernées soient capables de supporter les contraintes de la station debout.   Les moyens de cette mise en décharge font l’objet de débats : décharge simple, béquilles, plâtres de contact ou bottes de type Aircast. Les bottes de décharge avec appuis sous-rotuliens faites sur mesure sont particulièrement intéressantes car elles permettent de conserver la mobilité sans risque pour le pied. Le caractère indolore du tableau implique que les différents traitements proposés dans la neuropathie diabétique douloureuse comme les tricycliques, les antidépresseurs, les antiépileptiques ou les opiacés sont inutiles. Les résultats des études utilisant les biphosphonates ou la calcitonine ont été globalement décevants. La place d’un équilibre glycémique optimal est toujours de mise mais son efficacité est limitée sur les lésions neurologiques et osseuses constituées. L’amélioration trop rapide des glycémies pourrait même induire une aggravation des symptômes en cas de neuropathie douloureuse. Outre la décharge, toutes les mesures de prévention devant ce pied à risque doivent être mises en oeuvre afin d’éviter la survenue de plaies dont chacun connaît la gravité. L’utilisation d’orthèse, de semelles ou de chaussures adaptées ne diffère pas de la prise en charge des pieds diabétiques à risque. Un antécédent de pied de Charcot classe le pied au moins dans un grade 2 selon la classification du pied diabétique, permettant au patient de bénéficier de soins de pédicurie 4 fois par an et également de la prise en charge de chaussures adaptées.   Conclusion   Manifestation peu fréquente de la neuropathie diabétique, le pied de Charcot aigu doit être bien connu afin d’éviter des erreurs de diagnostic. La mise rapide en décharge doit permettre d’éviter la destruction de l’architecture du pied et la survenue ultérieure de plaies dont la cicatrisation est toujours difficile à obtenir.  Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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