Société
Publié le 20 juil 2015Lecture 13 min
La télémédecine au service du patient atteint de diabète : mirage ou réalité ?
P.-Y. BENHAMOU, Clinique d’endocrinologie, CHU de Grenoble
Le progrès fulgurant de la technologie a mis en avant la télémédecine, coqueluche de l’actualité médicale depuis 2010, date de sa reconnaissance législative en France. Le bébé a été paré de toutes les vertus par les pouvoirs publics, et par certains professionnels de santé, qui louent ses promesses : amélioration de l’accessibilité des soins sur le territoire ; optimisation de l’utilisation du temps médical ; amélioration de la collaboration entre professionnels ; optimisation des parcours de soins ; renouvellement et innovation dans la prise en charge thérapeutique. D’autres professionnels s’inquiètent de l’irruption de la technologie dans la relation avec le patient, mais surtout de l’absence de valorisation de cette nouvelle pratique médicale. Il est vrai que l’accouchement est difficile, et que l’inclusion de la télémédecine dans le parcours de soin diabétologique est, pour l’heure, surtout un parcours du combattant.
La télésurveillance est la principale forme de télémédecine en diabétologie
La télémédecine en diabétologie est essentiellement une télésurveillance, permettant au professionnel d’interpréter à distance, et de façon asynchrone, les données cliniques ou biologiques de suivi d’un patient (figure 1).
Nous n’avons pas connaissance d’expériences extensives de téléconsultation diabétologique (synchrone, par vidéotransmission), qui pourrait néanmoins trouver sa place dans les cas de déserts médicaux et dans les situations où le transport du patient n’a pas de justification. La téléexpertise diabétologique, type RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire), n’a pas non plus connu de développement notable dans une discipline encore difficile à procédurer, mais l’apparition de nouvelles molécules antidiabétiques, le développement de la chirurgie bariatrique ou des thérapies cellulaires, l’engorgement des consultations de diabétologues et la demande croissante de médecins généralistes pourraient pousser à de telles perspectives. Quant à la téléassistance, qui permet à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte, elle est surtout limitée à des expérimentations de gestion de pied diabétique, en cours.
Figure 1.
La télémédecine est une réponse à un besoin médical identifié
Le succès du développement de la télémédecine suppose qu’elle apporte une réponse efficace à un besoin de santé bien identifié. En l’espèce, les besoins relèvent de trois ordres :
- la prévention de consultations ou d’hospitalisations évitables ;
- le renouvellement de l’offre de soins face à une démographie de soignants en diminution ;
- l’amélioration de la qualité et l’efficacité de la prise en charge du patient diabétique.
Les deux premiers besoins relèvent davantage d’une logique économique et défensive, tandis que le troisième cible le progrès thérapeutique à travers l’innovation.
À ce jour, les expérimentations les plus emblématiques de la télédiabétologie ont porté sur les six domaines suivants (tableau) :
- le diabète de type 2, dans l’optique de cibler l’observance thérapeutique et de répondre à une demande d’ordre démographique et épidémique ;
- le diabète de type 1, en tentant d’apporter un soutien thérapeutique dans un registre qui s’est complexifié (notamment avec l’avènement de l’insulinothérapie fonctionnelle), de renforcer l’éducation thérapeutique, d’améliorer l’observance, de lutter contre l’inertie et d’alléger les contraintes du suivi ;
- le diabète gestationnel, afin de faciliter le suivi dans un domaine qui peut être procéduré ;
- la rétinopathie diabétique, pour réduire l’incidence des formes graves en permettant la mise en oeuvre du dépistage recommandé, de plus en plus problématique en raison de l’évolution de la société et de la démographie médicale ;
- le pied diabétique, en espérant réduire le coût économique de cette pathologie, par l’entremise d’une organisation territoriale de soins spécialisés ;
- les nouvelles technologies (pompes à insuline, délivrance de l’insuline en boucle fermée), le concept encore à l’état de projet étant de renforcer la sécurité du traitement et son observance.
Diabète de type 2
La principale initiative française à ce jour a été l’étude TeleDiab-2 conduite chez 192 patients dans une vingtaine de centres hospitaliers. Le système combinait une aide à la titration de l’insuline basale, instaurée lors de l’inclusion dans l’essai, et un coaching par SMS automatisé et personnalisé, activable à la demande de l’investigateur. Ce dispositif testé dans un essai contrôlé de phase 3 pendant 13 mois a permis une réduction significative de l’HbA1c, passée de 9 à 7,5 % (contre 8 % dans le groupe témoin). Malgré ce succès, le passage en phase 4 est encore à la recherche d’un modèle de diffusion et de commercialisation.
Diabète de type 1
Le système Diabeo, dans sa version princeps, reposait sur un dispositif médical communicant, en l’espèce un logiciel hébergé sur un smartphone permettant au patient d’avoir en temps réel un système d’aide à la décision le conseillant sur la dose d’insuline prandiale et basale, ainsi qu’un carnet glycémique électronique communiquant par Internet avec le médecin, et se prêtant ainsi à des consultations téléphoniques. Évalué chez 180 diabétiques de type 1 mal contrôlés (HbA1c initiale 9,1 %) dans le cadre de l’étude TeleDiab-1 conduite dans 17 centres de diabétologie français, le système Diabeo a permis, après 6 mois, une réduction de l’HbA1c par rapport aux témoins de 0,7 % chez les seuls utilisateurs du logiciel, et une réduction de 0,9 % chez les patients bénéficiant à la fois du logiciel et de consultations téléphoniques rapprochées.
Diabeo a évolué vers un dispositif plus complet, combinant l’application smartphone, un tableau de bord web permettant au médecin une simplification du suivi par des analyses automatiques des glycémies et du comportement, et enfin une plateforme internet de télésuivi protocolisé destiné à une infirmière d’éducation chargée de la télésurveillance. Cette nouvelle version fait l’objet d’une large évaluation médico-économique multicentrique nationale (essai TeleSage, en cours), prélude obligé à sa commercialisation, espérée pour 2018.
Diabète gestationnel
La transmission électronique des glycémies capillaires, avec analyse automatique et mise en exergue des valeurs pathologiques grâce à un code couleur, facilite grandement le suivi des patientes atteintes de diabète gestationnel, dont la prise en charge est une des activités les plus standardisées de la discipline. L’évaluation du système DiabGest a validé cette approche par les résultats métaboliques, obstétricaux et les données de satisfaction (figure 2). À l’heure actuelle, trois systèmes français sont mis à disposition, ou en voie de l’être (myDiabby.fr, développé à l’HEGP, Pr Altman ; GlucoData, développé au CHU de Lille, Pr Vambergue ; Suidia, développé au CHU de Brest, Dr Sonnet).
Figure 2.
Le rationnel sous-tendant l’utilisation de ces dispositifs technologiques utilisant un smartphone est qu’ils peuvent contribuer à lutter contre le défaut d’investissement du patient et l’inertie clinique du soignant. C’est également la logique guidant le développement de dossiers de santé personnels pour les patients. Ces dossiers informatiques, lorsqu’ils sont partagés avec le soignant, ont une valeur ajoutée en favorisant l’auto-prise en charge des comportements inhérents au diabète (par l’entremise du soutien motivationnel offert par l’outil technologique et la communication avec le soignant, incitation à l’autosurveillance des glycémies, à l’observance de l’insulinothérapie et des autres prises médicamenteuses, du respect des mesures hygiéno-diététiques).
Ces programmes accessibles sur le web fournissent plusieurs fonctions : dossier médical standard (histoire médicale, traitements, données biologiques, etc.), téléchargement des glycémies capillaires, tenue d’un carnet glycémique électronique, monitoring intelligent des glycémies avec feed-back automatisé en fonction de seuils glycémiques paramétrables, hébergement intelligent des données biologiques sensibles (HbA1c, lipides, créatinine, albuminurie) avec alertes selon les seuils des recommandations d’experts, gestion intelligente des prescriptions pharmacologiques (alertes sur les contreindications, lutte contre l’inertie thérapeutique), gestion des rendez- vous et des reconvocations avec plan de soin personnalisé et rappels automatiques par SMS ou mail, messagerie sécurisée en lien avec le soignant, accès à des sites web éducatifs, tenue d’un journal de bord en ligne (exercice, alimentation, médicaments). Du point de vue du diabétologue, les principales actions permises par ces portails web sont des ajustements thérapeutiques, des recommandations sur l’autosurveillance et des messages motivationnels. Ces portails sont encore peu développés ; deux études américaines ont rapporté une amélioration significative de l’HbA1c à 6 mois chez des patients DT2. En France, une plateforme destinée au patient DT1, permettant au patient le téléchargement de ses données glycémiques et HbA1c avec analyse automatique des seuils, l’accès à une messagerie sécurisée et à une fonction de demande de renouvellement de prescription, a été testée pendant 12 mois chez 188 patients (étude TeleDiab-3, promoteur CHU de Grenoble), les résultats de cette étude multicentrique étant attendus pour décembre 2015.
La télétransmission des glycémies capillaires a été récemment explorée dans une cohorte nord-américaine de 1 200 patients, invités à transmettre leurs valeurs tous les 15 jours à l’aide de la plateforme de leur choix (CareLink Medtronic, Contour USB Bayer, FreeStyle InsulinX Abbott, iBGStar Sanofi, ou tableur Excel personnalisé). Le diabétologue renvoyait un feed-back par e-mail, comportant des recommandations sur la thérapeutique, l’observance, l’hygiène de vie ou des messages d’encouragement. Une amélioration significative de l’HbA1c a été rapportée à 9 mois, prédominant chez les utilisateurs réguliers de la télétransmission. Cette télétransmission devrait se trouver facilitée dans les prochains mois, les principaux industriels annonçant la commercialisation en France de lecteurs glycémiques transmettant automatiquement les résultats dans le « cloud », les valeurs étant alors accessibles depuis n’importe quel poste informatique. Si l’avantage de cette technologie est évident en termes de disponibilité accrue de l’information (pour le professionnel, mais aussi pour l’entourage, parents, etc.), on s’interroge immédiatement sur l’avalanche d’informations et de requêtes non valorisées qui tomberont sur les épaules des diabétologues.
Autres applications diabétologiques
Le dépistage de la rétinopathie diabétique grâce à l’utilisation de caméras rétiniennes non mydriatiques (rétinographie), ambulatoire ou non, avec transmission électronique des clichés et analyse asynchrone par l’ophtalmologiste, est une approche qui a été validée par plusieurs travaux. Ce dépistage a été notamment mis en œuvre en Ile-de-France dans le cadre du réseau OphDIat, et se développe dans plusieurs régions françaises. C’est un des premiers exemples où la valorisation de l’acte télémédical (réalisation et lecture des clichés) a été obtenue avec inscription à la nomenclature.
La télésurveillance des patients atteints de plaie de pied diabétique peut bénéficier des progrès technologiques facilitant la transmission de documents photographiques ou vidéo, et pourrait conduire à une organisation territoriale des soins dédiés à cette pathologie invalidante et coûteuse. À l’heure actuelle, au moins 4 expériences sont conduites, en Basse-Normandie, Franche-Comté, Midi- Pyrénées (projet DiabSat CHU de Toulouse) et Isère (projet Air- PeDia CHU de Grenoble).
Un essai de prise en charge motivationnelle du patient diabétique de type 2, faisant appel au recueil de données par une tablette numérique centralisant les données d’actimétrie (podomètre), de poids (balance connectée), de prise alimentaire (logiciel d’enquête dédié) et de glycémie (lecteur connecté), fait actuellement l’objet d’une évaluation multicentrique (étude Educ@Dom, promoteur CHU de Toulouse).
Enfin, l’inclusion d’un volet de télésurveillance dans la prise en charge des patients traités par pompe à insuline externe fait partie des projets en gestation. L’outil pompe est déjà un formidable « mouchard » électronique renseignant sur les doses d’insuline, les glycémies (lorsque la pompe est couplée à un lecteur ou un capteur), mais aussi sur le comportement du patient et son observance thérapeutique. À plus long terme, les premiers dispositifs de délivrance d’insuline « en boucle fermée », pilotés par des capteurs glycémiques à l’aide d’algorithmes sophistiqués, devraient être assortis d’une fonction de télésurveillance renforçant leur sécurité.
Comment assurer le succès de la télémédecine
L’ANAP en 2012 a identifié cinq facteurs clés conditionnant le succès d’une approche télémédicale :
Un projet médical répondant à un besoin
Les projets présentés ci-dessus répondent à des besoins non couverts par la médecine conven tionnelle, à plusieurs titres : Motivation (améliorer l’observance, réduire l’inertie, faciliter la communication, coaching) ; Efficacité (aider le patient à prendre la bonne décision en temps réel, en situation de mobilité) ; Organisation (augmenter la disponibilité des médecins, cibler un grand nombre de patients) ; Sécurité (permettre une traçabilité des soins et une approche procédurée) ; Économie (réduire les coûts du diabète).
Un portage médical fort soutenu par un coordonnateur
La télémédecine sous-entend une nouvelle organisation des soins, donc un certain bouleversement d’habitudes de travail. Dans cette perspective, le porteur du projet joue un rôle important de sensibilisation, de communication et d’accompagnement au changement. Son action doit se définir au niveau d’une échelle territoriale : regroupement d’hôpitaux, agglomération, département, région, pays. S’il est probablement plus confortable de mettre en place un projet à petite échelle, la pérennité d’une solution télémédicale, où les contraintes économiques sont fortes, bénéficiera probablement plus d’une assise régionale ou nationale, permettant de diluer les investissements dans une grande base de patients traités. Enfin, il reviendra au porteur de projet de gérer la complexité liée à la multiplicité des acteurs (institutions sanitaires, prestataire technologique, payeur, organismes professionnels, etc.). Il ne suffit pas de concevoir une solution technologique élégante, mais il faut aussi savoir la promouvoir en s’entourant des bons interlocuteurs.
Une organisation adaptée et protocolisée
La télémédecine implique le développement de nouvelles pratiques professionnelles. Cette nouvelle organisation des soins devra être testée dans des études pilotes, faire l’objet de protocoles de soins (gérés par conventions, fiches de postes, organigrammes, etc.), avant d’être soumise à une évaluation du service médical rendu par des études contrôles comparatives avec un suivi conventionnel. Le dépistage de la rétinopathie diabétique par rétinographie a fait l’objet d’une telle organisation en Ile de France au sein du réseau OphDiat, et c’est actuellement le cas du système Diabeo dans le cadre de l’étude TeleSage.
De nouvelles compétences
L’avènement de la télémédecine est synonyme d’une nouvelle forme de pratique médicale. En matière de télésurveillance d’un patient diabétique, cela signifie, pour le professionnel de santé, savoir mettre en place une communication asynchrone avec le patient (souvent par messagerie), une gestion différente du temps médical, une forme d’exercice plus synthétique. Une formation des médecins et des futurs médecins à la télémédecine sera nécessaire. Le bouleversement introduit par la télémédecine porte notamment sur les transferts de compétences et les délégations de tâches entre médecins et paramédicaux. La loi HPST a permis la mise en place de protocoles de coopération professionnelle, actuellement mis en œuvre dans l’étude TeleSage.
Un modèle économique construit
Le modèle économique doit être pensé dès la conception du projet télémédical. Les dépenses d’investissement et de fonctionnement sont souvent lourdes, car les prestations informatiques sont onéreuses. L’évolution trop rapide des matériels et des technologies joue un rôle aggravant. Pour une pathologie chronique comme le diabète, il est difficile de concevoir le maintien d’une tarification à l’acte, et la mise en place d’un forfait annuel de prise en charge par télémédecine semble le modèle le mieux adapté à la diabétologie. Une telle réflexion se conduira entre les organismes payeurs et les représentants des professionnels de santé. Elle s’appuiera sur les données d’évaluation médico-économique, qui font encore défaut ; l’étude TeleSage est la première étude d’envergure conçue dans ce but. Par ailleurs, un cadre d’évaluation médico-économique de la télémédecine a été élaboré par la HAS. Il mettra en balance les dépenses engendrées par la télémédecine (coût des sociétés informatiques et de la télésurveillance) et les économies générées par la télémédecine (réduction des transports, de l’absen téisme professionnel, des consultations, hospitalisations et des complications chroniques du diabète). Les industriels ont identifié quatre maladies chroniques prioritaires : l’insuffisance cardiaque, le diabète insulinotraité, l’hypertension artérielle sévère et l’insuffisance rénale chronique. Ils viennent de se fixer l’objectif de 50 000 patients télésuivis en 2017 et de 1 million en 2020 (un quart de la population cible), là où les chiffres actuels sont de moins de 5 000. Ils signalent que le nombre de patients télésuivis par infirmier est de 50 à 100 sur les programmes français à faible déploiement, mais que le ratio passe à 150-200 patients sur des programmes internationaux (cardiologiques) ayant franchi un cap d’industrialisation.
Conclusion
Au total, la télémédecine en diabétologie constitue une réelle innovation, dans le sens où elle bouleverse certaines pratiques médicales (notamment par la mise en place de parcours de soins et de délégation de tâches), elle participe à la formation des professionnels de santé, elle joue un rôle dans l’éducation des patients, et enfin elle place le patient dans un rôle plus actif dans sa maladie, en le responsabilisant dans son processus de prise en charge.
La mise en œuvre d’un projet télémédical pérenne est un processus complexe, coûteux, et impliquant des partenaires multiples. Même si le projet répond aux différents facteurs clés de succès, deux obstacles principaux freinent le déploiement de la télémédecine en diabétologie :
- l’ergonomie et l’intégration des divers dossiers médicaux électroniques, le professionnel de santé étant désormais confronté à l’inflation de dossiers médicaux informatisés dont l’interopérabilité n’est pas encore au rendez-vous ;
- surtout la rétribution financière des soignants. Du point de vue des payeurs, les études de phase 3 rapportées jusqu’à présent n’ont pas encore eu la puissance suffisante pour convaincre du bénéfice médico-économique de l’approche télémédicale et, à l’exception du dépistage de la rétinopathie diabétique, ces études restent à conduire ou à finaliser. On souhaite que les expérimentations françaises en cours appuieront la reconnaissance institutionnelle de télémédecine en diabétologie.
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