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Thérapeutique

Publié le 30 nov 2014Lecture 10 min

Greffe d’îlots pancréatiques : les indications actuelles

L. KESSLER, T. BAHOUGNE, P. BALTZINGER, Service d’endocrinologie-diabète-nutrition, Hôpitaux universitaires de Strasbourg

L’épidémie mondiale de diabète concerne principalement le diabète de type 2, sans pour autant épargner le diabète de type 1 (DT1). En effet, l’incidence du DT1 est en augmentation dans tous les pays européens et non européens, touchant principalement les sujets de moins de 15 ans. Selon l’étude EuroDiab, le nombre de nouveaux cas de diabète en Europe est estimé à 15 000 en 2005 et 24 400 en 2020(1). Ces données épidémiologiques auront pour conséquence une ancienneté de diabète de plus en plus grande chez les adultes jeunes avec un risque augmenté de complications dégénératives en cas d’hyperglycémie non contrôlée. 

Les objectifs thérapeutiques en matière de traitement du diabète de type 1 visent à prévenir des complications aiguës et chroniques invalidantes de la maladie, tout en assurant au patient une qualité de vie optimale. Cet objectif passe par l’obtention d’une glycémie la plus normale possible, le plus tôt possible et le plus longtemps possible. À l’heure actuelle, seule la solution biologique qui consiste à remplacer les cellules défectueuses autorégulées, soit dans le cadre d’une transplantation pancréatique, soit dans le cadre d’une greffe d’îlots pancréatiques permet d’atteindre ces résultats. À côté de la transplantation pancréatique, la greffe d’îlots pancréatiques se positionne comme un traitement à part entière du diabète de type 1 du fait de sa faible morbidité et de la possibilité d’étendre la source de recueil d’îlots. Quinze ans après les premiers résultats du groupe d’Edmonton(2) rapportant une insulino-indépendance consécutive à 1 an chez des patients diabétiques de type 1 instables, quels sont les résultats actuels de la greffe d’îlots, sa place dans l’arsenal thérapeutique diabétologique et enfin quelles sont les perspectives d’avenir qu’ouvrent ces nouveaux traitements ?   La greffe d’îlots pancréatiques qui consiste à greffer l’unité fonctionnelle de sécrétion d’insuline directement asservie à la glycémie est en train d’entrer dans le soin courant. Elle comprend deux étapes, la première est réalisée au laboratoire où sont pratiqués l’isolement, la purification, puis la culture des îlots pancréatiques (figures 1 et 2). La seconde est une étape hospitalière où est réalisée la greffe chez le patient diabétique, le plus souvent sous anesthésie locale, par injection intraportale de la suspension d’îlots au moyen d’un cathétérisme transhépatique réalisé sous contrôle échographique (figure 3). Certaines équipes réalisent l’injection des îlots chirurgicalement par cathétérisation d’une veine épiploïque au cours d’une incision de Mac Burney. Il est maintenant admis que la greffe d’îlots pancréatiques pour être efficace nécessite l’injection d’une préparation d’îlots contenant au minimum 10 000 îlots/kg de receveur. Comme toute greffe, elle nécessite un traitement immunosuppresseur dont la caractéristique est de ne pas utiliser de corticoïde et qui comprend pour l’induction de la thymoglobuline et/ou des anticorps antirécepteurs de l’interleukine 2 suivie d’un traitement d’entretien associant du tacrolimus et du mycophénolate mofétil. Figure 1. Les principales étapes d’isolement d’îlots pancréatiques humains. Figure 2. Préparation d’îlots pancréatiques humains colorés par la dithizone en vue de greffe avant (A) et après (B) purification (les îlots apparaissent en rouge et le tissu exocrine en jaune). Figure 3. Injection dans le foie des îlots pancréatiques sous contrôle échographique (A) : portographie après injection intraportale des îlots (B). Depuis 2000, date de la première publication du groupe d’Edmonton, de nombreuses institutions nord-américaines et européennes ont développé des programmes de greffe d’îlots pancréatiques. En France, la greffe d’îlots pancréatiques s’articule autour de deux réseaux qui sont le groupe GRAGIL – groupe Rhin-Rhône-Alpes, Genève pour la greffe d’îlots pancréatiques associant les CHU de Nancy, Strasbourg, Besançon, Dijon, Lyon, Grenoble, Montpellier, Clermont-Ferrand et Nantes autour de deux laboratoires d’isolement d’îlots localisés à Genève et Grenoble et le groupe G4 qui associe les CHU de Lille, Caen, Rouen, Amiens avec isolement des îlots réalisé au CHU de Lille. Une efficacité métabolique démontrée au prix des effets secondaires de l’immunosuppression Le Registre international de transplantation d’îlots pancréatiques rapporte en 2012 chez le patient diabétique 3 ans après la greffe 90 % de greffons fonctionnels attestés par la positivité du C-peptide sanguin et 44 % d’insulino-indépendance positionnant la greffe d’îlots pancréatiques quasiment au même niveau métabolique que la transplantation pancréatique (figure 4)(3). Figure 4. Évolution de l’insulino-indépendance après greffe d’îlots pancréatiques chez le diabétique de type 1(3). La greffe d’îlots pancréatiques se caractérise par sa faible morbidité avec un risque hémorragique au point de ponction entre 6 et 10 % – le risque hémorragique diminuant avec l’expertise des centres, l’utilisation de protocoles d’héparinothérapie de mieux en mieux définis et enfin l’utilisation de colle biologique le long du trajet percutané. S’agissant de transplantation, le recours au traitement immunosuppresseur est associé à des effets secondaires. En effet, l’analyse sur une période de 10 ans des greffes d’îlots pancréatiques du Registre international de transplantation d’îlots pancréatiques rapporte 82 % d’effets indésirables résolus sans séquelle (troubles digestifs, anémie, leucopénie, infections, etc.), 21 cancers sur 412 diabétiques de type 1 ayant bénéficié d’une greffe d’îlots, dont 9 en relation potentielle avec le traitement immunosuppresseur. La question actuelle est celle de l’efficacité de la greffe d’îlots par rapport aux thérapeutiques d’insulinothérapie optimisée représentées par la pompe à insuline implantée, la pompe externe couplée à la mesure continue du glucose et enfin à la greffe de pancréas. Un traitement de plus en plus efficace avec les résultats d’essais comparatifs Une étude prospective en cross over comparant la greffe d’îlots pancréatiques à l’insulinothérapie intensive (multi-injections ou pompe à insuline) chez 42 diabétiques de type 1 instables montre dans le groupe greffe d’îlots, après 3 ans de suivi, une amélioration de l’HbA1c à 6,7 % contre 7,5 % dans le groupe insulinothérapie. Cette amélioration métabolique est associée à une diminution de la progression de la rétinopathie. À noter une infection à CMV ainsi qu’un cancer cutané dans le groupe greffe d’îlots(4). L’équipe de Lille montre également une supériorité en termes de contrôle métabolique de la greffe d’îlots par rapport au traitement par pompe à insuline implantée avec une amélioration de l’HbA1c , une disparition des hypoglycémies avec une diminution des besoins en insuline, là également encore au prix d’une augmentation des effets indésirables dans le groupe greffe d’îlots par rapport au groupe pompe implantée(5).   Le groupe de Shapiro, en utilisant un nouvel immunomodulateur lymphocytaire, l’alemtuzumab, rapporte à 5 ans 62 % d’insulino-indépendance après greffe d’îlots seule. Ces résultats sont en passe d’égaler la greffe de pancréas qui fait état de 75 % d’insulino-indépendance à 5 ans. Enfin, l’équipe de Zürich rapporte à 5 ans un profil métabolique comparable entre la greffe de rein-pancréas et la greffe simultanée de rein-îlots pancréatiques chez le diabétique de type 1 avec une HbA1c  < 6 %, alors que seulement 30 % des patients sont insulino-indépendants dans le groupe rein-îlots contre 90 % dans le groupe rein-pancréas. La morbidité de la transplantation pancréatique est particulièrement élevée puisque 40 % de réintervention chirurgicale ont été nécessaires dans le groupe rein-pancréas et 0 % dans le groupe rein-îlots(6). Actuellement, nous ne disposons pas de données comparant la greffe d’îlots à la pompe externe à insuline couplée à la mesure continue du glucose qui tend à devenir le standard du traitement diabétique de type 1 à grande variabilité glycémique. La greffe d’îlots pancréatiques : une solution pour des patients diabétiques en fonction de la balance bénéfice-risque   Le diabète secondaire post-pancréatectomie Si le bénéfice métabolique de la transplantation d’îlots pancréatiques s’avère supérieur à l’insulinothérapie optimisée et est en passe d’égaler la transplantation pancréatique avec une morbidité moindre, son bénéfice à long terme soulève la question des effets secondaires des traitements immunosuppresseurs. Dans ce contexte, la greffe d’îlots pancréatiques est une indication logique dans le diabète post-pancréatectomie pour lequel il est possible de proposer au patient une autogreffe d’îlots. Les principales indications de l’autogreffe d’îlots pancréatiques sont les tumeurs bénignes du pancréas et les pancréatites chroniques sévères ou idiopathiques. Trois ans après la greffe, 75 % des patients bénéficiant d’une autogreffe d’îlots pancréatiques sont insulino-indépendants. Il est à noter que le bénéfice métabolique observé dans l’autogreffe d’îlots est obtenu avec moitié moins d’îlots greffés du fait de l’absence de rejet allogénique des îlots et de la non-utilisation du traitement immunosuppresseur dans l’autogreffe d’îlots(7). Une indication logique chez le diabétique de type 1 greffé du rein L’amélioration des résultats métaboliques de la greffe d’îlots pancréatiques permet de placer la greffe d’îlots pancréatiques comme une indication logique chez le diabétique de type 1 greffé du rein ou pouvant bénéficier d’une greffe simultanée de rein-îlots dans la mesure où son âge > 45 ans, ses complications macrovasculaires contre-indiquent la transplantation pancréatique. Dans cette indication, le patient est déjà sous traitement immunosuppresseur pour sa greffe de rein. L’obtention d’un équilibre métabolique optimal, dans cette indication, permet une préservation du greffon rénal, la survie de celui-ci étant observée chez 73 % des patients bénéficiant d’une greffe simultanée de rein et d’îlots contre 42 % lorsqu’ils bénéficient d’une greffe de rein seule(8). Une indication légitime chez le diabétique de type 1 instable Enfin, la greffe d’îlots pancréatiques représente une indication légitime chez le diabétique de type 1 à grande instabilité glycémique. En effet, si la prévalence du diabète instable est faible (3 pour 1 000 cas de DT1), ces patients présentent une augmentation du risque de complications microvasculaires et de mortalité accru, et une détérioration majeure de leur qualité de vie avec de fréquentes hospitalisations(9). Dans l’étude française multicentrique TRIMECO en cours depuis 2010, dont le but est d’évaluer l’impact médico-économique de la transplantation d’îlots pancréatiques, 3 patients présentant un diabète instable sont décédés en liste d’attente de greffe d’îlots. Le bénéfice réel de la greffe d’îlots pancréatiques dans le diabète instable réside dans la restauration d’une insulinosécrétion endogène biologique avec 44 % d’insulino-indépendance à 3 ans et chez 55 % des patients restants une normalisation de l’HbA1c  en l’absence d’hypoglycémie malgré le recours à une insulinothérapie à faibles doses(10). Les données récentes de l’efficacité de la greffe d’îlots pancréatiques sur les complications dégénératives du diabète sont plus limitées du fait d’un recul insuffisant. Toutefois elles rapportent une régression de la neuropathie périphérique des membres inférieurs avec au plan macrovasculaire à 5 ans une diminution de l’épaisseur intima-média carotidienne(11). Une thérapeutique bientôt dans le soin courant en diabétologie En France, contrairement aux autres pays européens et à la Suisse, la greffe d’îlots pancréatiques n’est réalisée que dans le cadre de protocoles de recherche clinique. Sa reconnaissance par l’assurance maladie nécessite la démonstration de son efficacité au plan clinique mais aussi l’établissement de son coût. Le protocole TRIMECO (TRansplantation d’Ilots MEdico-ECOnomique), qui sera terminé en 2014, devrait apporter les informations financières pour que la greffe d’îlots entre dans le soin courant. Les possibilités de développement dans le futur Même si les améliorations des techniques d’isolement d’îlots et de purification du pancréas humain permettent d’espérer de meilleurs rendements avec une plus grande reproductibilité, le nombre de pancréas disponibles constituera une sévère limitation à l’extension des indications de la greffe d’îlots face à un nombre croissant de patients diabétiques. Le développement de nouvelles sources de tissu insulinosécréteur représente un avenir prometteur que ce soit les cellules souches embryonnaires ou les lignées cellulaires. De nombreuses équipes de recherche essaient de mettre en évidence au plan expérimental des conditions de culture et d’identifier l’ensemble des facteurs de différenciation des cellules souches en cellules à insuline. Récemment, un laboratoire nord-américain a pu transformer des cellules souches embryonnaires de souris en cellules à insuline autorégulées. L’application de ces données à l’homme soulève le problème éthique de l’utilisation des cellules souches embryonnaires. Cette difficulté peut être contournée par la mobilisation des cellules souches adultes dans le pancréas mais aussi par l’utilisation de cellules pluripotentes induites tels les fibroblastes, qu’il est possible dans certaines conditions de culture de dédifférencier en cellules souches. La deuxième grande source d’évolution de la greffe d’îlots pancréatiques est la possibilité de recourir à des traitements immunosuppresseurs plus ciblés, moins toxiques, permettant d’envisager leur application à un plus grand nombre de patients. C’est dans ce contexte que sont actuellement en voie de développement des systèmes de pancréas bioartificiel conduisant à encapsuler des îlots pancréatiques dans des membranes semi-perméables biocompatibles. Les données expérimentales chez le gros animal permettront d’entrevoir si de tels dispositifs pourront être évalués chez le patient diabétique.  Conclusion  La greffe d’îlots pancréatiques, une solution biologique au traitement du diabète de type 1, permet de répondre à des situations métaboliques difficiles aux enjeux majeurs. Chez le diabétique insulinoprive secondaire à une pancréatectomie avec grande instabilité glycémique, l’autogreffe d’îlots pancréatiques est indiquée, permettant, en l’absence de traitement immunosuppresseur, le retour à une insulino-indépendance chez la majorité des patients. Chez le diabétique de type 1 greffé du rein à l’état macrovasculaire altéré, la greffe d’îlots pancréatiques est indiquée car elle permet de protéger le greffon rénal par l’obtention d’un équilibre glycémique optimal sans morbidité ajoutée. Chez le diabétique de type 1 à grande instabilité glycémique, la greffe d’îlots pancréatiques est logique car elle restaure un contrôle glycémique optimal en l’absence d’hypoglycémie. L’extension de la greffe d’îlots pancréatiques à un plus grand nombre de patients diabétiques nécessitera le développement d’une immunosuppression moins toxique et l’obtention de nouvelles sources de cellules à insuline.  

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