Hypoglycémie
Publié le 14 fév 2013Lecture 8 min
Hypoglycémies : de la science à la réalité
La recherche d’un contrôle glycémique optimal pour prévenir les complications du diabète peut être limitée par la survenue d’hypoglycémies qui participent à l’inertie thérapeutique.
Les hypoglycémies sous traitement sont non seulement fréquentes, mais potentiellement graves, et en outre, elles retentissent sur le vécu quotidien des patients. Les hypoglycémies relatives au traitement chez les patients diabétiques ont été abordées lors d’une table ronde (e-Direct) modérée par le Pr Bernard Charbonnel (Nantes) avec la participation du Pr Dominique Huet (Paris) et du Pr Alfred Penfornis (Besançon).
Dans les études, la fréquence des hypoglycémies sévères et non sévères est estimée globalement 3 fois plus élevée chez les diabétiques de type 1 (DT1), comparativement aux diabétiques de type 2 (DT2), mais elle est probablement sous-estimée par rapport à la vraie vie (encadré). Le problème posé par les hypoglycémies chez les DT2 traités par insulinosécréteurs ou insuline ne doit pas pour autant être minimisé compte tenu de la prévalence 10 à 15 fois supérieure du DT2 à celle du DT1. En outre, grâce aux progrès thérapeutiques, la durée d’évolution des diabètes de type 2 s’allonge, le profil de ces patients se rapprochant de l’insulinopénie des DT1 (figure 1).
Une étude observationnelle réalisée en France sous l’égide de Novo Nordisk, DIALOG, chez plus de 4 000 diabétiques devrait prochainement apporter une contribution importante à l’épidémiologie des hypoglycémies dans la vraie vie.
Le seuil de glycémie retenu pour définir l’hypoglycémie est de 0,60 g/l pour l’EASD et 0,70 g/l pour l’ADA, correspondant au déclenchement de la réaction adrénergique dans les études expérimentales. La définition des hypoglycémies sévères repose davantage sur les symptômes neuroglucopéniques que sur un seuil glycémique – perte de connaissance, coma, impossibilité de resucrage par le patient –, estimé < 0,50 g/l.
Figure 1. Hypoglycémie : un problème également chez le DT2 insulinotraité (d’après Diabetologia 2007 ; 50 (6) : 1140-7). Proportion de patients rapportant au moins un épisode d’hypoglycémie modérée ou sévère, selon les modalités de traitement, le type et l’ancienneté du diabète chez les diabétiques de type 1 et de type 2.
Fréquence des hypoglycémies non perçues
Comme le révèlent les études réalisées sous Holter glycémique,une proportion très importante des hypoglycémies ne sont pas perçues par les malades, aussi bien chez les DT1 (63 %) que chez les DT2 (47 %) ; dans l’immense majorité des cas, ces hypoglycémies surviennent la nuit. Le risque d’hypoglycémie sévère est alors accru (x 7-9).
La non-perception des hypoglycémies s’explique non seulement par leur survenue durant le sommeil, mais aussi par leur répétition qui altère la réponse adrénergique.
La baisse de la glycémie entraîne chez un sujet normal le déclenchement des mécanismes de contre-régulation : baisse de la sécrétion d’insuline, augmentation de celle du glucagon, réponse adrénergique. Chez le diabétique, non seulement la réponse insulinique est absente, mais la sécrétion de glucagon est altérée ; la réponse adrénergique est moins bonne durant la nuit et se conjugue à la baisse physiologique de la glycémie entre 12 h et 4 h, d’où la fréquence des hypoglycémies nocturnes non ressenties. Ce mécanisme est bien documenté dans le DT1, un peu moins chez les DT2 : les hypoglycémies nocturnes entraînent une baisse du seuil de perception adrénergique de l’hypoglycémie si bien que les malades atteignent le seuil hypoglycémique sans ressentir le malaise.
Clairement, le profil de l’insuline entre en ligne de compte : le pic d’action d’une NPH coïncidant avec le nadir glycémique favorise la survenue des hypoglycémies, alors que les analogues lents de l’insuline, dotés d’un profil plus plat et d’une meilleure reproductibilité, comportent un moindre risque. Ces derniers ont diminué le risque d’hypoglycémie nocturne, sans toutefois résoudre totalement ce problème. En pratique, le Holter glycémique et le contrôle continu peuvent être utiles chez certains patients DT1, mais aussi DT2 à haut risque hypoglycémique, en permettant d’améliorer le traitement, mais ils ne sont pas utilisables en routine chez tous les diabétiques.
Un risque accru chez les diabétiques âgés
Les sujets âgés ont un risque d’hypoglycémie, en particulier sévère, accru pour de nombreuses raisons : baisse de la fonction rénale, diminution du seuil de perception des symptômes. Les signes adrénergiques survenant pour des glycémies beaucoup plus basses, la marge de temps restant avant l’apparition de la neuroglucopénie s’amenuise, ne permettant pas au sujet vieillissant de se resucrer. En outre, la perception même de l’état de neuroglucopénie par le cerveau vieillissant est altérée. Le risque des hypoglycémies étant d’autant plus grave que les sujets vieillissent, il importe d’en être informé.
Hormis l’âge, les autres facteurs de risque des hypoglycémies sont les antécédents d’hypoglycémie sévère dans les 6 mois précédents, l’ancienneté du diabète et le niveau d’HbA1c.
Classiquement chez le DT2, plus l’HbA1c est basse, plus le risque augmente, comme dans le DT1. Toutefois, dans l’étude ACCORD, ce sont les patients ayant les taux d’HbA1c les plus élevés qui étaient le plus à risque d’hypoglycémie. Ce paradoxe pourrait s’expliquer entre autres par une mauvaise adaptation du traitement.
Inversement, certains diabétiques mal équilibrés, ayant une grande variabilité glycémique, ressentent des symptômes adrénergiques d’hypoglycémie alors qu’ils sont au-dessus du seuil d’hypoglycémie ; chez eux, l’organisme élèverait le seuil de déclenchement des symptômes en s’adaptant à la moyenne glycémique et ce, d’autant plus que la glycémie chute rapidement.
Une gravité sous-estimée
Chez les sujets DT1, surtout jeunes, les hypoglycémies sont responsables de 5 à 10 % de la mortalité. Des effets cardiovasculaires ont été avancés pour expliquer le lien (allongement de l’espace QT, troubles du rythme ventriculaire). Chez les patients DT2, l’étude ACCORD a montré un surcroît de mortalité et d’hypoglycémies dans le groupe de traitement intensif. Bien que le pourcentage d’hypoglycémies sévères dans ce groupe ait été 3 fois plus élevé, les investigateurs de l’étude n’ont pas retenu de lien de causalité, en raison de l’absence de lien chronologique entre les hypoglycémies et les décès. Les hypoglycémies devraient plutôt être considérées comme un marqueur de risque cardiovasculaire, dont il faut tenir compte pour l’individualisation des traitements.
Le risque de troubles cognitifs et de démence serait également majoré par les hypoglycémies sévères, et inversement, les sujets ayant des troubles cognitifs ont un risque accru d’hypoglycémies. Quel que soit le lien de causalité, il faut tenir compte de ce risque pour fixer les objectifs glycémiques chez les sujets âgés.
Chez la femme enceinte tenue à des objectifs glycémiques stricts, certaines études rapportent une augmentation importante de la fréquence des hypoglycémies sévères, sans doute liée à la sensibilité accrue à l’insuline durant les premières semaines de la grossesse, à laquelle s’ajoutent les troubles digestifs. Il n’y a néanmoins pas de corrélation démontrée entre la fréquence des hypoglycémies et le risque de malformation fœtale.
Un impact majeur sur la vie des patients
On a longtemps considéré que les hypoglycémies étaient la rançon d’un bon équilibre glycémique. Mais pour les patients, la peur des hypoglycémies est tout aussi importante que celle des complications majeures du diabète (figure 2). Des études réalisées chez des patients traités par sulfonylurée montrent qu’un tiers environ d’entre eux font des hypoglycémies, la plupart bénignes ; toutefois près du tiers de ces hypoglycémies bénignes au regard de leur définition médicale ont un retentissement sur les activités, et donc sont considérées comme sévères par les patients. Elles retentissent sur de multiples activités de la vie quotidienne. Au-delà du vécu des hypoglycémies, le ressenti des hypoglycémies risque de perturber l’équilibre du diabète. Le resucrage intempestif, fréquent chez les sujets DT1, participe ainsi à la variabilité glycémique en induisant des rebonds hyperglycémiques. La peur des hypoglycémies entraîne des stratégies d’évitement chez les patients traités par sulfamides ou insuline, qui préfèrent conserver une hyperglycémie de sécurité en se sous-traitant plutôt que de risquer un malaise. Elle fait le lit de l’inertie thérapeutique, à la mise en route du traitement ou à son intensification, de la part des patients mais aussi des médecins.
Figure 2. Pour les patients, la peur d’une hypoglycémie sévère est aussi importante que la peur des complications chroniques graves basé sur les attitudes des patients (n = 411, DT1) à propos de l’hypoglycémie, utilisant une échelle visuelle analogique.(D’après Pramming S et al. Diabetes Med 1991 ; (8) : 217-22 et Wild D et al. Patient Educ Couns 2007 ; 68 : 10-5).
La prise de position ADA/EASD préconise de tenir compte du risque d’hypoglycémie dans le choix du traitement de 2e ligne, tout particulièrement chez les sujets âgés, déments ou à risque, en choisissant d’associer à la metformine un traitement tel qu’un inhibiteur de la DPP4 (de préférence chez les sujets âgés) ou un agoniste du GLP1. Malgré tout, nombre de diabétiques ne seront pas toujours à l’objectif d’où la nécessité d’intensifier le traitement en instituant une insulinothérapie. Chez les sujets âgés, la metformine est bien souvent arrêtée, à tort ; le traitement par sulfamide est instauré ou intensifié, ce qui majore le risque d’hypoglycémie. Si l’insulinothérapie doit être instaurée, la meilleure stratégie consiste à prescrire une seule injection d’insuline basale ; à cet égard, les analogues lents diminuent l’incidence des hypoglycémies nocturnes. Quand la basale ne suffit plus, peut-être faut-il réviser le seuil d’HbA1c à partir duquel intensifier le traitement, surtout chez un sujet âgé, fragile. En fixant un objectif à 7,5 % d’HbA1c, on peut éviter la mise en place d’une modalité en basal-bolus qui conduirait à augmenter le risque d’hypoglycémie. C’est tout le principe d’individualisation des objectifs et des modalités thérapeutiques prôné par l’ADA/EASD.
Au final, les hypoglycémies non sévères méritent tout autant d’attention que les hypoglycémies sévères, en raison de leur impact sur le vécu des patients et de leurs conséquences sur l’équilibre du diabète et la conduite du traitement. D’où la nécessité de rechercher individuellement avec le patient le moyen de les éviter.
D’après « Hypoglycémies de la science à la réalité », e-Direct organisé en collaboration de Novo Nordisk avec la participation des Prs Bernard Charbonnel (Nantes), Dominique Huet (Paris) et Alfred Penfornis (Besançon).
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