Publié le 30 nov 2012Lecture 8 min
Troubles des conduites alimentaires et diabète de type 1
S. GUILLAUMEa, G. GASTALDIb, J. BRINGERc a. Département d’Urgences et de posturgences psychiatriques, hôpital Lapeyronie, CHRU de Montpellier. b. Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme, CHUV, Lausanne, Suisse. c. Service des maladies endocr
Les troubles des conduites alimentaires (TCA) représentent un problème majeur de santé publique dans la plupart des pays occidentaux(1). Ces troubles débutant généralement à l’adolescence ou chez l’adulte jeune sont fréquemment retrouvés chez les patients souffrant de diabète de type 1. Cette association diabète de type 1/TCA a des implications pronostiques et thérapeutiques justifiant le dépistage et la prise en charge.
Qu’est-ce qu’un TCA ?
Il existe plusieurs types de TCA mais tous se caractérisent par une relation anormale, car excessive, à la nourriture, au poids et à l’image du corps à l’origine d’une perturbation du comportement social et affectif, avec souffrance psychologique, ou d’un retentissement somatique. Ces préoccupations alimentaires ou corporelles qui envahissent le champ psychique sont « au cœur » des troubles. Ils sont les symptômes centraux à rechercher pour porter le diagnostic de TCA.
Les TCA sont classés en trois entités : l’anorexie nerveuse (AN), la boulimie et les troubles du comportement alimentaire non spécifiés (EDNOS), d’après les critères diagnostiques du DSM-IV.
La plus classique est l’anorexie mentale (AN) caractérisée par une intense peur de devenir gros malgré une maigreur évidente et des comportements extrêmes destinés à perdre du poids qui aboutissent à une restriction alimentaire volontaire. Cela induit un amaigrissement (défini comme un IMC < 17,5 kg/m2) et donc une dénutrition (classiquement caractérisée par une aménorrhée secondaire).
La boulimie (BN) se définit par la récurrence d’épisodes de frénésies alimentaires suivis par des comportements compensatoires de manière à prévenir la prise de poids tels que des vomissements provoqués. Ici également, l’image et l’estime de soi sont fortement influencées par les formes corporelles et le poids.
À côté de ces troubles classiquement décrits, il existe des formes atypiques ou TCA non spécifiés, répertoriées dans le DSM-IV sous l’acronyme EDNOS (Eating Disorder Not Otherwise Specified). Ces troubles, comme les autres TCA, se caractérisent par une relation perturbée à la nourriture, au poids et à l’image du corps, à l’origine d’une perturbation du fonctionnement relationnel, d’une souffrance psychologique ou d’un retentissement somatique, mais ne répondent pas aux critères d’anorexie et de boulimie.
Les patients présentant un TCA dans le cadre d’un diabète de type 1 appartiennent le plus souvent à cette catégorie qui, contrairement aux idées reçues, est à l’origine d’une morbi-mortalité importante au même titre que l’anorexie/boulimie (Crow et al. 2009).
Quelle est la prévalence des TCA ?
La prévalence des TCA en population générale est non négligeable puisqu’elle atteint 1 % dans le cas de la BN et 0,3 % dans celui de l’AN(2) et d’un peu plus de 4 % pour les EDNOS(3). Les troubles débutent pendant l’adolescence et touchent la population féminine dans 90 % des cas(2). Au cours du XXe siècle, l’incidence stable de l’AN s’oppose à l’augmentation progressive de celle de la BN. Un des facteurs explicatifs serait l’influence de la mode et de la culture qui s’exercerait en partie par le biais des médias(4).
Dans le cadre du diabète de type 1, la grande majorité des études suggère chez ces patients une augmentation du risque de TCA (tableau). Cette co-occurrence concerne essentiellement les TCA EDNOS dont la prévalence est multipliée par trois chez les patients souffrant de diabète de type 1. Cette association est probablement favorisée par la prise en charge du diabète qui implique quotidiennement de surveiller et maîtriser sa prise alimentaire et de s’injecter de l’insuline, hormone favorisant la prise de poids.
Ainsi, l’une des particularités de l’association diabète type 1 et TCA est l’instrumentalisation avec omission d’insuline en tant que mécanisme de compensation du risque de prise pondérale. Ce comportement qualifié de « diabulimia » consiste en une manipulation à la baisse des doses d’insuline pour ne pas prendre du poids. La « diabulimia » serait selon les études retrouvée chez 10 à 30 % des jeunes femmes(5).
Quelles sont les conséquences de la coexistence d’un diabète de type 1 et de TCA ?
Les conséquences de cette association sont multiples.
À court terme, l’omission d’insuline favorise le déséquilibre glycémique et se traduit par un plus grand nombre d’hospitalisations pour décompensation cétosique avec plus de risque infectieux, et plus de passages aux urgences(6).
Sur le long terme, elle favorise la survenue et la sévérité des complications du diabète. Ainsi, l’impact délétère des TCA est souligné par les complications dégénératives du diabète : les patients ont le plus grand nombre de complications microangiopathiques(7).
Par ailleurs, la coexistence de ces deux pathologies diminue l’espérance de vie des patients. Ainsi, une étude prospective sur 11 ans retrouve un risque de mortalité multiplié par 3 et une espérance de vie diminuée de 13 ans chez des patients diabétiques avec un TCA en comparaison à des patients diabétiques sans TCA(8). Le groupe de patients souffrant de « diabulimia » est celui qui présente le plus de risque de complications du diabète(6).
Comment repérer un TCA chez des patients souffrant de diabète de type 1 ?
Ces pratiques sont plus fréquentes chez les jeunes femmes diabétiques mais n’épargnent pas leurs pairs masculins (37,9 % vs 15,9 %)9,10. Les TCA doivent particulièrement être évoqués chez un sujet jeune avec un diabète mal équilibré, des déséquilibres glycémiques inexpliqués (avec épisodes cétosiques voire cétoacidoses répétées, sources d’hospitalisation). Dans ce contexte, le repérage d’une omission répétée d’insuline est un signe d’alerte précieux.
Le diagnostic se fait essentiellement sur l’entretien clinique
Doivent être évalués :
• Les courbes de poids et de taille afin de repérer les variations pondérales rapides au cours du temps (« yoyos ») ou, chez les jeunes prépubères, un arrêt ou un infléchissement de la croissance pondérale et parfois de la vitesse de croissance. Cependant, le plus souvent chez les diabétiques de type 1 souffrant de TCA, le poids est conservé ou à la limite inférieure des normes.
• Une restriction alimentaire marquée, prolongée et inadaptée à la situation pondérale, une sélectivité alimentaire (par exemple éviction systématique des graisses), des préoccupations corporelles excessives ou une dysmorphophobie doivent faire évoquer un TCA.
• Les stratégies de contrôle du poids rigides et envahissantes : d’abord l’omission des prises d’insuline dans un but de contrôle du poids, ensuite les vomissements postprandiaux provoqués, ensuite plus rarement les prises de diurétiques ou de laxatifs à visée d’amaigrissement.
• Les rituels alimentaires et les croyances erronées autour de l’effet d’un aliment sont évocateurs. Ainsi, la présence de rituels, de comportement inadapté autour des repas, de pesées trop répétées oriente vers un TCA. De même, des croyances erronées autour de l’effet nutritionnel d’un aliment telles que « Si je mange un morceau de sucre je vais prendre 300 grammes » ou « Je m’autorise les protéines qui vont dans le muscle mais pas les graisses qui fabriquent de la matière grasse » sont à rechercher et à rediscuter.
Des échelles de dépistage simples
Elles aident au diagnostic et pourraient être proposées de façon systématique aux populations à risque que sont les diabétiques âgés de 15 à 35 ans et chez les patients avec un déséquilibre glycémique mal expliqué. Ainsi, à partir d’une simple échelle de 5 questions, le test de SCOFF (encadré) a été récemment validé en langue française(11) avec une sensibilité, tous TCA confondus, de 94,6 % et une valeur prédictive négative de l’ordre de 99 % lorsqu’au minimum 2 réponses sont positives. Il est proposé d’utiliser dans le diabète un test de SCOFF « diabète » qui introduit 2 questions supplémentaires spécifiques au diabète.
Les principes de prise en charge
Il convient en premier lieu de préciser qu’il y a peu de consensus et de preuves scientifiques sur les prises en charge des troubles des conduites alimentaires en général. Il y a encore moins de données sur les prises en charge des patients souffrant de TCA et de diabète.
Il existe néanmoins quelques grands principes qu’il convient de respecter :
• Le traitement fait appel à une prise en charge pluridisciplinaire et doit être envisagé sur le long terme avec l’intervention d’un diabétologue, d’un diététicien, d’un psychiatre ou d’un psychologue en lien avec le médecin traitant. Il est important que l’un des intervenants soit le coordonnateur des soins entre les différents acteurs de la prise en charge.
• Le traitement doit, bien sûr, porter de façon conjointe sur le diabète et sur le trouble du comportement alimentaire.
• La prise en charge psychothérapeutique du TCA peut, dans un premier temps, se concentrer sur une approche motivationnelle visant à susciter la prise de conscience des troubles. Les entretiens directifs, les injonctions et l’affrontement sont généralement contre-productifs et il vaut mieux faire émerger la motivation intrinsèque de la personne en faveur d’un changement en aidant le sujet à explorer lui-même son ambivalence et ses dilemmes. De même, de l’information non stigmatisante et une discussion avec confrontation autour des distorsions cognitives (peur de la reprise pondérale, pensées magiques autour de l’effet d’un aliment, banalisation de la maigreur, négociation permanente, incapacité à lâcher prise…) sont souvent utiles.
• Certains médicaments comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine à fortes doses ou la naltrexone ont pu montrer une efficacité ponctuelle et transitoire chez certains « répondeurs » sur les comportements boulimiques et les omissions d’insuline(12). Néanmoins, devant l’absence d’un niveau de preuves suffisant, ils ne doivent pas être systématiques et doivent être discutés et étroitement suivis au cas par cas, en particulier pour les formes sévères mettant manifestement en jeu le pronostic vital.
• Il faut maintenir un accompagnement rapproché du diabète avec soutien attentif, afin d’éviter les omissions intempestives d’insuline. Les objectifs en termes d’équilibre du diabète doivent néanmoins être plus souples (HbA1c : 8 à 9 % dans ce contexte n’est pas si mal !) et attentives au minimum vital (injection régulière de l’insulinothérapie basale) et à la réalisation d’autocontrôles glycémiques de sauvegarde en certaines situations à risque. L’insulinothérapie fonctionnelle n’est pas formellement contre-indiquée chez ces patients, même si une flexibilité des doses doit être bien assimilée. Dans le cas contraire (patient non instruit), elle ne ferait qu’accroître la tension préalable à toute prise alimentaire et se révélerait contre-productive.
• Il convient de repérer les complications du diabète, qu’elles soient rénales, cardiaques, ophtalmologiques, neuropathiques, et de savoir déceler les décompensations psychiatriques très fréquentes (dépression en particulier). En cas d’épisode dépressif, l’indication d’un traitement antidépresseur ne doit pas être retardée, dans la mesure où une dépression même modérée aggrave également le pronostic du diabète.
Conclusion
Diabète de type 1 et TCA sont fréquemment associés chez les jeunes diabétiques, pouvant être dramatiques. Il convient donc de rechercher cette association de façon systématique chez les diabétiques entre 13 et 25 ans.
En l’absence d’un niveau de preuve évident, les prises en charge sont essentiellement basées sur l’expérience des différentes équipes impliquées et nécessitent, du fait de leur complexité, la coordination d’interventions multidisciplinaires et pluriprofessionnelles autour du patient. Cette coordination incontournable constitue l’une des chances d’efficacité.
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