Thérapeutique
Publié le 30 sep 2012Lecture 9 min
Quoi de neuf sur les inhibiteurs SGLT-2
B. CHARBONNEL, Université de Nantes
Il existe de nombreuses classes thérapeutiques antidiabétiques disponibles, même si celle des glitazones n’est plus disponible en France. En pratique, on peut généralement bien contrôler la plupart des patients en combinant de manière appropriée à chaque situation individuelle les classes thérapeutiques à notre disposition et c’est sans doute ce qui explique que, dans l’ensemble, le contrôle glycémique des patients diabétiques français est satisfaisant, avec une moyenne globale de l’HbA1c autour de 7 %. Il n’en reste pas moins que le contrôle glycémique est difficile dans de nombreuses situations individuelles, par exemple les patients répondant mal aux inhibiteurs DPP-4 ou aux agonistes du GLP-1 ou encore les patients qui prennent du poids sous insuline, sans pour autant que le contrôle soit correct en raison de l’insulinorésistance…
Il y a donc besoin, pour maintes situations spécifiques, de nouvelles médications dont les mécanismes d’action seraient complémentaires des médications antidiabétiques actuellement disponibles, ce qui permettrait des combinaisons efficaces pour ces patients difficiles.
Tel est le cas de la classe des inhibiteurs SGLT-2, dont le premier, la dapagliflozine (AstraZeneca/BMS), va vraisemblablement être bientôt approuvé par les autorités de régulation européenne. D’autres molécules sont en développement, en particulier la canagliflozine (Janssen), dont les résultats des études de développement viennent d’être publiés au congrès de l’ADA. Viendront bientôt les résultats de l’empagliflozine (Boehringer Ingelheim/Lilly), mais de nombreux autres sont en développement.
Les inhibiteurs SGLT-2 : de quoi s’agit-il ?
Rappel rapide
Chez le sujet sain, plus de 99 % du glucose plasmatique filtré au niveau du glomérule est réabsorbé au niveau tubulaire, de telle sorte que moins de 1 % du glucose filtré est finalement excrété dans les urines. Cette réabsorption rénale du glucose est médiée par deux sodium-glucose co-transporteurs (SGLT) : SGLT-1, exprimé surtout dans le tube digestif et SGLT-2, exprimé seulement dans le rein au niveau du tubule proximal. On considère que 90 % de la réabsorption rénale du glucose est facilitée par SGLT-2, la réabsorption des 10 % restants s’effectuant par SGLT-1 dans une portion plus distale du tubule proximal.
La quantité de glucose filtré augmente avec la glycémie. Chez le sujet normal, lorsque la glycémie est < 1,80-2 g par litre, la totalité du glucose filtré est réabsorbée et il n’y a pas d’excrétion urinaire de glucose. À partir d’un seuil d’environ 2 g par litre, la capacité maximale de réabsorption tubulaire du glucose est atteinte, par saturation des mécanismes de transport ci-dessus, et le glucose non réabsorbé est excrété dans les urines, au prorata du niveau glycémique. En clinique, une glycosurie, comme chacun sait, témoigne d’un déséquilibre glycémique important.
On comprend le mécanisme d’action des inhibiteurs SGLT-2 : inhiber la réabsorption tubulaire du glucose, en bloquant sélectivement SGLT-2, ce qui va logiquement entraîner une glycosurie et contribuer de ce fait à faire baisser la glycémie, sans risque hypoglycémique et avec l’intérêt d’une perte calorique liée à la perte urinaire de glucose. On peut formuler ce mécanisme d’action autrement, en disant simplement que les inhibiteurs SGLT-2 viennent diminuer le seuil rénal du glucose, en moyenne de 2,4 g par litre (car le seuil rénal du glucose est augmenté, par rapport au chiffre de 1,80 du sujet normal, chez le diabétique) vers 0,8 g par litre.
Le mécanisme de cette approche thérapeutique est original car indépendant de l’insuline et donc indépendant des mécanismes physiopathologiques habituels de l’hyperglycémie du diabétique, déficit de l’insulinosécrétion et insulinorésistance, mécanismes auxquels s’adressent toutes les autres classes actuellement disponibles de médications hypoglycémiantes. Ce qui va signifier que cette approche pourra être adjuvante des autres médications hypoglycémiantes.
Ce mécanisme d’action original peut apparaître paradoxal puisqu’on induit par la médication ce qui est habituellement considéré comme une anomalie importante… mais, après ce premier réflexe de surprise, on en comprend bien la logique.
Le premier de la classe, la dapagliflozine, bientôt approuvé en Europe ?
Le comité ad hoc des autorités de régulation européennes vient de donner un avis favorable, qui devrait être suivi par les instances de l’EMEA. La dapagliflozine (AstraZeneca/BMS) devrait donc être commercialisée en Europe avant la fin de l’année, en France en 2013. Son autorisation de mise sur le marché aux États-Unis a été retardée par la FDA en raison de quelques cas de cancer, vessie et sein, dans les études de développement. Cette question a été discutée en détail par le comité ad hoc de l’EMEA qui a considéré qu’il s’agissait vraisemblablement d’un hasard et n’a donc pas retenu ce risque, sous réserve d’une vigilance spécifique après la commercialisation.
L’essentiel des résultats des études de développement vient d’être résumé au congrès de l’ADA à Philadelphie en juin 2012. Le programme des études cliniques de phase 3 a évalué la dapagliflozine 10 mg (un comprimé par jour), et comportait 5 études portant sur 1 379 patients : une étude de monothérapie, trois études de bithérapie, l’une en ajoutant la dapagliflozine à la metformine, l’autre en ajoutant la dapagliflozine à un sulfamide (glimépiride), la troisième en ajoutant la dapagliflozine à la pioglitazone. Enfin, une dernière étude était en add-on d’insuline.
Les résultats sont les mêmes dans toutes les études, montrant une grande consistance, et confirmant que les effets de la dapagliflozine sont les mêmes quelles que soient la combinaison utilisée et la durée d’évolution du diabète :
- La glycosurie provoquée par la dapagliflozine 10, mesurée par le rapport glycosurie/créatinine urinaires, était de l’ordre de 30 mg. Elle était d’autant plus importante que l’HbA1c était élevée. Il convient d’observer que cette glycosurie ne représente que la moitié de la charge du glucose filtré. Les raisons de cette limite dans l’inhibition de la réabsorption, du moins sous dapagliflozine 10, ne sont pas connues.
- La réduction d’HbA1c, ajustée à celle observée sous placebo, était de l’ordre de -0,6 %, en partant d’une HbA1c initiale comprise entre 8 et 8,5 % suivant les études. Comme d’habitude, on observe une diminution de l’HbA1c d’autant plus importante que l’HbA1c initiale est élevée.
- Une perte de poids est observée, de l’ordre de 3 kg en moyenne.
- Il n’y a pas de risque hypoglycémique, sauf en combinaison aux sulfamides ou à l’insuline.
- Une diminution de la pression artérielle systolique est observée, de l’ordre de 3 à 5 mmHg.
- Il existe une augmentation du risque d’infections génitales, notamment chez la femme, de l’ordre de 5 à 10 %, comparé à ce qui est observé sous placebo, sur 6 mois.
Une étude de comparaison directe « face-à-face » avec un sulfamide, le glipizide, pendant 1 an, a montré une « non-infériorité », avec une baisse identique de l’HbA1c, de -0,5 % à 1 an, dans les deux bras de traitement (figure 1). Il a été observé une grande différence pondérale, 5 kg à 1 an en faveur de la dapagliflozine et l’avantage attendu en faveur de la dapagliflozine sur le risque hypoglycémique, mais l’inconvénient des infections génitales chez la femme est confirmé.
Figure 1. Étude de comparaison « face-à-face » dapagliflozine 10 et glipizide, variations à 1 an de l’HbA1c et du poids (M. Nauck et al, Diabetes Care, 2011).
Les résultats des études cliniques de développement de la dapagliflozine confirment donc ce qui était attendu du concept mécanistique des inhibiteurs SGLT-2.
Ajoutons deux remarques importantes, a priori applicables à tous les agents de la classe :
• Dans la mesure où les inhibiteurs SGLT-2 agissent sur le glucose filtré par le rein, leur efficacité, à tout le moins celle de la dapagliflozine, diminue lorsque la filtration glomérulaire diminue et le comité ad hoc de l’EMEA n’a pas recommandé son utilisation chez les patients dont la clairance de la créatinine est < 60 ml (d’autant qu’il existe un doute sur la sécurité rénale pour les patients dont la clairance de la créatinine est < 45 ml). Bref, cette classe thérapeutique n’est pas à utiliser chez le diabétique insuffisant rénal, même avec une insuffisance rénale modérée.
• Il existe un petit risque de déshydratation, chez certains sujets, en raison de la polyurie osmotique induite par le médicament, et il faudra donc être vigilant dans l’utilisation de cette classe thérapeutique chez les patients âgés à risque de déshydratation.
Un nouvel arrivant : la canagliflozine
Les résultats des études cliniques de phase 3 de la canagliflozine (Janssen) ont été présentés au congrès de l’ADA en juin 2012. La canagliflozine est actuellement en processus d’enregistrement auprès des autorités à la fois américaines et européennes. Il n’existe pas dans le dossier de signal concernant les cancers.
La canagliflozine est un inhibiteur SGLT-2 sélectif, mais peut-être un peu moins sélectif que la dapagliflozine, vis-à-vis du SGLT-1. Le SGLT-1 est exprimé dans l’intestin et les concentrations locales de canagliflozine après la prise orale pourraient rendre compte, par le mécanisme d’une inhibition locale et non systémique du SGLT-1, d’une action sur l’absorption intestinale du glucose et donc d’une réduction supplémentaire de la glycémie postprandiale (un mécanisme acarbose-like).
Les études cliniques de phase 3 ont été menées avec 2 doses, 100 mg et 300 mg en un comprimé par jour. La diminution d’HbA1c ajustée sur le placebo est de l’ordre de -0,9 % pour 100 mg et de -1,10 % pour 300 mg (figure 2), avec une supériorité, dans une étude de comparaison face à face, pour la seule canagliflozine 300 mg comparée à la sitagliptine. Il s’agit donc de résultats préliminaires assez impressionnants en termes d’efficacité. La perte de poids est de l’ordre de 3 kg, un peu plus importante sous 300 mg que sous 100 mg.
On retrouve les mêmes effets secondaires qu’avec la dapagliflozine : augmentation du risque d’infections génitales et quelques cas de déshydratation.
En revanche, comparativement à la dapagliflozine (encore que, en revoyant les données, on s’aperçoit qu’il existait une tendance dans le même sens), sont observées des modifications lipidiques dont il va falloir explorer les mécanismes. Une baisse des triglycérides et une augmentation du HDL-cholestérol (+ 10 %) sont a priori favorables et peuvent s’expliquer par la perte de poids, mais, ce qui est inattendu et a priori ennuyeux, une augmentation du LDL-cholestérol, peu importante sous 100 mg (+ 3 %, à peu près ce qui est observé sous dapagliflozine 10), mais plus préoccupant sous 300 mg : + 7 %. Il est vraisemblable qu’il faudra attendre les études d’événements cardiovasculaires pour connaître les conséquences cliniques de ces modifications lipidiques, et au minimum avoir des données vraiment convaincantes de sécurité cardiovasculaire sur les métaanalyses des événements survenus pendant les études de phase 3, métaanalyses requises par la FDA.
Bref, un nouvel arrivant prometteur…
Figure 2. Étude de phase 3 de la canagliflozine, 100 mg et 300 mg par jour, comparée à un placebo en monothérapie, variations de l’HbA1cà 6 mois (K. Stenlöf et al, Oral presentation, ADA 2012).
Conclusion : quelle place dans la stratégie de traitement ?
Les mécanismes de régulation rénale de la glycémie, connus depuis de nombreuses années, retrouvent une actualité avec la possibilité d’inhiber sélectivement SGLT-2 qui est le principal transporteur de la réabsorption rénale du glucose. On crée ainsi pharmacologiquement une glycosurie, ce qui entraîne un certain degré de polyurie osmotique, une perte calorique, et va permettre de diminuer la glycémie par des mécanismes totalement indépendants de l’insuline, sans risque hypoglycémique, avec une baisse de la pression artérielle et une perte de poids. Compte tenu du mécanisme d’action, il ne devrait pas y avoir d’épuisement au fil du temps de l’efficacité de ces médications.
L’un des intérêts potentiels des inhibiteurs SGLT-2 est de pouvoir être associés, compte tenu de leur mécanisme d’action, à toutes les autres classes thérapeutiques hypoglycémiantes, y compris l’insuline, y compris chez les diabétiques de type 1.
Un mauvais contrôle glycémique sous insuline à fortes doses, avec souvent une prise de poids, semble être une bonne indication d’ajouter à l’insuline un inhibiteur SGLT-2. Il faudra le comparer aux autres options, ajouter un DPP-4 inhibiteur, ajouter un agoniste du GLP-1…
En théorie, la triple association orale, metformine/incrétine (DPP-4 inhibiteur ou GLP-1 agoniste)/SGLT-2 inhibiteur, semble optimale, du moins pour les patients chez qui on veut éviter les injections, pour quelque raison que ce soit. Cette triple thérapie orale apparaît avantageuse à la fois pour des raisons glycémiques, pour des raisons de pression artérielle et pour des raisons pondérales, comparativement aux associations anciennes comportant des sulfamides ou des glitazones, mais il est actuellement prématuré de dire quelle sera exactement sa place, d’autant que son coût ne sera pas négligeable.
Enfin, certaines indications spécifiques, en premier lieu l’insuffisance cardiaque ou le risque d’insuffisance cardiaque, mais aussi l’hypertendu diabétique difficile à contrôler sous bi- ou trithérapie antihypertensive, représenteront sans doute de bonnes indications pour une médication qui a une propriété de déplétion hydrosodée.
Bref, il est clair que le rein devient en 2012 un organe cible des médications hypoglycémiantes.
Conflits d’intérêt
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