Peau-Muqueuse-Plaie
Publié le 31 oct 2008Lecture 11 min
Les nouvelles recommandations sur la prise en charge du pied diabétique infecté
I. GOT, Service de Diabétologie, maladies métaboliques et de la nutrition, CHU de Nancy – Hôpital Jeanne d’Arc, Toul
Des recommandations concernant la prise en charge du pied diabétique infecté ont été publiées en janvier 20071 dans la revue de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF). La SPILF a eu l’initiative de faire rédiger ces recommandations, consciente de l’absence de texte français sur ce thème alors que la Société américaine d’infectiologie2 et le Groupe de travail international ur le pied diabétique venaient d’éditer de telles recommandations. Elle a formé un groupe de travail réunissant infectiologues, microbiologistes, diabétologues, médecins et chirurgiens vasculaires. Un texte court et un texte long (www.infectiologie.com/site/medias/_documents/consensus/pieddiabetique200...) sont disponibles sur internet.
Les plaies de pied sont fréquentes chez le patient diabétique, avec une prévalence de 4 à 10 %. Le risque de surinfection d’une plaie n’est pas négligeable dans ce contexte de diabète et est redouté des soignants. En l’absence de « codification » de la prise en charge et/ou d’expérience à gérer ce type de situation, de nombreuses pratiques étaient jusqu’alors rencontrées avec une utilisation souvent inadéquate des antibiotiques, favorisant l’évolution de l’infection et la sélection de bactéries multirésistantes. Il devenait urgent de disposer d’un document consensuel reprenant l’ensemble de la prise en charge d’une plaie infectée et guidant le choix des antibiotiques.
Pourquoi le patient diabétique s’infecte-t-il plus qu’un autre ?
Pourquoi une telle fréquence des infections, et notamment des infections du pied (plus d’une ulcération de pied diabétique sur 2 est infectée), chez les patients diabétiques ? Les infections sont plus fréquentes en cas d’hyperglycémie, car cette dernière entraîne :
– un déficit des mécanismes cellulaires de défense (fonctions leucocytaires altérées) ;
– des phénomènes d’apoptose cellulaire ;
– des perturbations hémorhéologiques.
Le développement d’une infection à partir de la plaie et son extension dans les tissus sont également favorisés par :
– la poursuite de la marche en l’absence de phénomènes douloureux (neuropathie) ;
– l’absence de mise en décharge de la plaie (persistance d’une hyperpression en regard) ;
– la durée d’évolution de la plaie ;
– l’hypoxie tissulaire en périphérie de la lésion ;
– l’artériopathie des membres inférieurs, qui réduit la perfusion sanguine vers le pied et la diffusion des antibiotiques en cas de traitement ;
– l’anatomie du pied, cloisonné en plusieurs loges.
Comment faire un diagnostic clinique d’infection du pied ?
Il n’y a pas d’infection du pied sans plaie initiale
Le diagnostic d’infection du pied est basé sur la clinique, la difficulté pouvant être de faire la distinction entre une infection et une colonisation bactérienne. Les signes d’infection du pied peuvent être minorés chez le patient diabétique, en raison de la neuropathie ou surtout de l’artériopathie qui réduit la perfusion du pied et par conséquent les signes inflammatoires (figure 1).
Figure 1. Réaction inflammatoire en fonction de la perfusion du pied. A : Absence d’artériopathie des membres inférieurs ; pied infecté bien perfusé avec réaction inflammatoire nette (œdème, rougeur, chaleur). B : Pied avec plaie infectée et artériopathie des membres inférieurs sévère (ischémie tissulaire) : le pied est froid, avec une nécrose dominante.
La présence d’au moins 2 des signes suivants est nécessaire pour porter un diagnostic d’infection :
– œdème,
– induration,
– érythème périlésionnel,
– sensibilité locale ou douleur,
– chaleur locale,
– présence de pus.
Certains signes, qui ne font pas partie des critères diagnostiques, évoquent aussi une infection : friabilité du tissu couvrant la plaie, décollement profond, odeur nauséabonde.
Évaluer l’extension de l’infection dans les tissus et dans l’os
L’extension de l’infection, superficielle ou profonde, doit être précisée. Différents tableaux cliniques peuvent être distingués :
– dermohypodermite bactérienne ;
– dermohypodermite bactérienne nécrosante, dont le cas de la fasciite nécrosante, gangrène humide ;
– collections purulentes : abcès ou phlegmon (figure 2) ;
– ostéite et ostéoarthrite.
Figure 2. Mal perforant plantaire infecté, avec extension de l’infection dans les parties molles vers le bord interne du pied (phlegmon du pied).
Des classifications cliniques des plaies infectées ont été proposées ; elles prennent en compte la sévérité de la plaie et donnent des indications, tant sur le pronostic que sur la prise en charge.
Pour toute plaie, il faut rechercher une extension de l’infection à l’os (ostéite) ou à l’os et à l’articulation (ostéoarthrite). L’infection osseuse se développe par contiguïté à partir d’une plaie. Elle est fréquente et doit être évoquée :
– si la plaie infectée ne répond pas au traitement ou en cas de récidive de l’infection ;
– si la plaie siège en regard d’une proéminence osseuse ;
– si le sondage de la plaie (figure 3) retrouve un contact osseux franc ;
– si l’os est exposé ;
– devant un orteil à la mobilité anormale ;
– devant un orteil rouge et œdématié comme une petite saucisse.
Le principal diagnostic différentiel à évoquer chez le diabétique est la poussée d’ostéoarthropathie nerveuse, aboutissant au pied de Charcot. À la phase aiguë, l’ostéoarthropathie nerveuse se manifeste par un pied d’aspect inflammatoire (avec rougeur, chaleur, œdème) mais peu ou pas douloureux. Les radiographies vont montrer l’atteinte d’une ou plusieurs articulations du pied, avec une évolution, en l’absence de décharge, vers des luxations articulaires, des fractures et des déformations du pied. Ces signes peuvent être absents à la phase précoce.
Figure 3. Sondage de la plaie à la recherche d’un contact osseux. A : face plantaire ; B : face dorsale.
Comment documenter l’infection ?
Faire des prélèvements bactériologiques est recommandé seulement en cas d’infection clinique. Il n’y a pas de consensus sur la technique à privilégier. Il est conseillé de préparer la plaie avant de prélever, c’est-à-dire de la débrider et de la nettoyer au chlorure de sodium. Le choix se fera entre écouvillonnage superficiel, curetage-écouvillonnage profond, biopsie tissulaire, aspiration à l’aiguille fine et hémocultures en cas de sepsis. La documentation microbiologique de l’ostéite repose sur la biopsie osseuse, méthode de référence.
L’interprétation des résultats bactériologiques doit tenir compte des conditions de prélèvement, du milieu de transport choisi, du délai d’acheminement au laboratoire, de la prise d’un traitement antibiotique antérieur. Le prélèvement peut isoler une seule bactérie pathogène ou plusieurs souches :
– bactéries aérobies à Gram positif (Staphylococcus aureus, streptocoques β-hémolytiques) ;
– bactéries aérobies à Gram négatif, de la famille des entérobactéries (Proteus mirabilis, Escherichia coli, Klebsiella) ou encore du Pseudomonas aeruginosa ;
– bactéries anaérobies strictes, à Gram positif dans les plaies peu profondes, à Gram négatif dans les atteintes profondes ou les nécroses ischémiques.
Place et limites des examens complémentaires : marqueurs biologiques de l’infection, imagerie
Une infection du pied peut évoluer chez le diabétique sans hyperleucocytose ni élévation de la protéine C réactive (PCR). Les marqueurs biologiques habituellement dosés devant une suspicion d’infection ne sont pas suffisamment sensibles ou spécifiques pour permettre le diagnostic d’infection à coup sûr devant une plaie de pied et ils peuvent faire défaut, même en cas d’atteinte sévère.
Les radiographies standard sont demandées en première intention, mais elles peuvent être normales à la phase précoce de l’infection. Les signes évoquant l’atteinte osseuse ne sont visibles qu’après une destruction de 30 à 50 % de l’os (figure 4). Il peut être utile de répéter les clichés au bout de 2 à 4 semaines. Dans certains cas, d’autres imageries pourront être envisagées comme l’IRM ou les explorations isotopiques.
Figure 4. Radiographie de pied montrant une ostéoarthrite du 5e rayon.
Un facteur aggravant à ne pas méconnaître : l’artériopathie des membres inférieurs (AMI)
Toute plaie du pied chez le diabétique justifie une évaluation de l’état vasculaire sous-jacent, cela reste vrai en cas de plaie infectée.
Une symptomatologie est recherchée par l’interrogatoire, telle que claudication intermittente, douleurs de décubitus ou de repos ; elle fait souvent défaut chez le diabétique en raison de la neuropathie. L’examen clinique comporte une inspection du pied, une palpation des pouls et une auscultation à la recherche de souffle vasculaire. La palpation des pouls est très opérateur-dépendante et elle peut être délicate sur un pied œdématié.
Certains examens complémentaires sont recommandés, notamment la mesure de l’index de pression systolique (IPS), qui doit être systématique chez tout diabétique et permet d’affirmer l’AMI s’il est < 0,9. La mesure de la pression systolique au gros orteil est indiquée en cas de médiacalcose. La mesure transcutanée de la pression en oxygène (TcPO2) indique une ischémie cutanée pour des valeurs < 30 mmHg. La réalisation d’un écho-Doppler artériel des membres inférieurs doit être systématique en cas d’infection du pied chez le diabétique. À l’issue de ce bilan vasculaire se discutera l’indication d’artériographie des membres inférieurs, en vue d’une revascularisation, ou comme alternative une angio-IRM ou un angioscanner.
La prise en charge d’un pied diabétique infecté : complexe !
L’infection d’une plaie du pied chez le diabétique est un élément de plus venant compromettre la cicatrisation, voire la conservation du pied, et elle impose une prise en charge multidisciplinaire. De nombreux soignants peuvent être impliqués pour gérer l’antibiothérapie, l’équilibre glycémique, le débridement de la plaie, pour organiser les soins locaux et la mise en décharge de la plaie, pour rétablir un flux vasculaire et donc une oxygénation correcte.
La prise en charge médicale
- En situation infectieuse, l’équilibre glycémique peut se détériorer et l’insulinothérapie est à privilégier afin de rétablir l’équilibre glycémique le plus favorable possible.
- Tout appui doit être supprimé en regard de la plaie du pied afin de réduire le délai de cicatrisation et le risque de surinfection. Différents moyens peuvent être proposés pour obtenir une mise en décharge totale et permanente : alitement, fauteuil roulant avec repose-jambe pour horizontaliser le membre inférieur, chaussures de décharge (de l’avant ou de l’arrière-pied), bottes en résine fermées ou fenêtrées, orthèses bivalves amovibles ou rendues inamovibles.
- La plaie doit être débridée pour ôter le maximum de tissu nécrosé, dévitalisé, infecté… et parvenir au tissu sain. La neuropathie facilite le débridement mécanique au bistouri, avec des ciseaux ou une curette, en raison de l’absence de douleurs du patient. Une artériopathie doit néanmoins être recherchée avant tout geste de débridement car son existence conduit à différer le parage de la plaie après la revascularisation.
- Les antiseptiques n’ont pas fait la preuve d’un intérêt dans le traitement local des plaies infectées du pied chez le diabétique, pas plus que les antiseptiques locaux.
- Les dispositifs médicaux ont été peu étudiés dans le cadre des plaies infectées du pied diabétique, d’où l’absence de consensus sur le choix du pansement. En cas de plaie infectée, le pansement ne doit pas être adhésif ou occlusif ; il doit être adapté au volume des exsudats et changé tous les jours.
- Un œdème local est fréquent et sa réduction favorise la cicatrisation.
- Le statut vaccinal antitétanique du patient sera contrôlé et la vaccination mise à jour si nécessaire.
- L’oxygénothérapie hyperbare n’est pas recommandée comme traitement du pied diabétique infecté.
- Pour l’antibiothérapie à instaurer, il faut distinguer les infections des tissus mous et les atteintes ostéoarticulaires.
- Pour une infection des parties molles, une fois le diagnostic clinique d’infection posé et les prélèvements bactériologiques réalisés, une antibiothérapie probabiliste peut être débutée pour éviter une évolution défavorable. Cette antibiothérapie vise à couvrir les bactéries habituellement retrouvées dans les plaies infectées. Les bactéries impliquées varient avec les types de plaie et leur ancienneté. Le pari antibiotique initial doit couvrir le Staphylococcus aureus, étant donné sa fréquente implication comme pathogène dans les plaies infectées du pied. La présence possible de bactéries multirésistantes doit être prise en compte. Le choix de l’antibiothérapie tiendra compte de la notion d’allergie, de néphropathie et aussi d’artériopathie. Pour une plaie superficielle récente, une antibiothérapie couvrant les cocci à Gram positif suffit habituellement. Des molécules à large spectre sont recommandées dès qu’il s’agit d’une plaie chronique ou déjà traitée par antibiotiques, d’une lésion macérée ou nécrosée, nauséabonde… en raison du polymicrobisme fréquent.
La situation infectieuse est à réévaluer au bout de 48 à 72 heures. La durée du traitement est fonction de la sévérité initiale de l’infection. Elle peut être de 8 à 15 jours pour une infection modérée de la peau et des parties molles, et aller jusqu’à 4 semaines pour une infection sévère. L’antibiothérapie n’a pas à être maintenue jusqu’à cicatrisation complète de la plaie.
- En cas d’atteinte osseuse, le traitement antibiotique est difficile car la réduction du flux sanguin dans l’os s’accompagne d’une diminution de la concentration en antibiotiques, surtout en cas d’AMI ou de séquestres osseux. Des schémas thérapeutiques sont proposés dans les recommandations, en fonction de la bactérie isolée au niveau du prélèvement osseux. Ils
privilégient des associations de molécules à forte diffusion intraosseuse. La durée de l’antibiothérapie est influencée par la réalisation d’un geste chirurgical plus ou moins complet et peut aller de 72 heures (résection complète de l’os infecté) à plus de 6 semaines en l’absence de chirurgie.
Quelle est la place de la chirurgie ?
Le pronostic de l’infection est aggravé en cas d’artériopathie des membres inférieurs. La possibilité de revasculariser et d’améliorer ainsi le flux sanguin doit être envisagée dans les plus brefs délais. Si différentes interventions (temps vasculaire et temps orthopédique) doivent se succéder, la priorité est donnée à la revascularisation, à l’exception des cas où l’infection met en jeu le pronostic vital du patient ou la conservation du membre (ex. abcès compliqué, fasciite nécrosante) et nécessite une mise à plat chirurgicale en urgence. Dans certains cas, seule une chirurgie d’amputation est licite car l’infection est profonde et sévère. Le niveau d’amputation prend en compte le statut vasculaire.
Quand hospitaliser ?
Un certain nombre de facteurs peut faire discuter une hospitalisation, tenant à :
– l’infection : infection jugée sévère, ou nécessité d’une antibiothérapie IV ;
– la plaie : plaie profonde, ou suspicion d’atteinte ostéo-articulaire, ou évolution rapidement défavorable, ou nécessité d’un geste chirurgical ;
– au terrain : ischémie sévère, gangrène, ou déséquilibre métabolique (décompensation cétosique du diabète possible) ;
– au patient : patient peu compliant, ou ne pouvant pas être suivi correctement.
La prévention
Pas d’infection sans plaie, donc réduire la survenue des ulcérations du pied chez le diabétique.
Il faut dépister les patients diabétiques à risque podologique, éduquer les patients et leur entourage sur les complications possibles du diabète au niveau des pieds et sur une bonne gestion des pieds (auto-examen, hygiène, éviction des comportements à risque) et améliorer les soins de prévention (pédicurie, chaussage, chirurgie correctrice).
Conclusion
Devant une infection du pied chez un patient diabétique, la prise en compte des différentes mesures préconisées dans les recommandations publiées en 2007 et le choix plus judicieux des antibiotiques doit limiter les risques d’évolution péjorative vers l’amputation.
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