Publié le 21 déc 2005Lecture 7 min
Le carnet de traitement
G.REACH, Hôtel-Dieu, paris
L’adaptation des doses d’insuline consiste, au vu des résultats, à modifier les doses d’insuline.
Pourquoi tenir un carnet de traitement quand on est diabétique ?
L’adaptation des doses d’insuline consiste, au vu des résultats, à modifier les doses d’insuline. Le carnet de traitement permet au patient de voir les résultats pour pouvoir les utiliser. Par ailleurs, si le diabète est difficile à équilibrer, le soignant ne pourra venir en aide à son patient que s’il peut, lui aussi, analyser la situation. C’est pourquoi il est indispensable que le patient apporte son carnet à chaque consultation.
Que doit contenir le carnet de traitement ?
Le moins de choses possibles, et seulement celles qui sont utiles :
1. les doses d’insuline et les résultats des mesures glycémiques ; le fait de les noter encourage à les utiliser, c’est-à-dire à adapter les doses d’insuline ;
2. les malaises hypoglycémiques cliniques qui n’auraient pas fait l’objet d’une mesure, ainsi que les éléments qui permettent d’expliquer une déviation de la glycémie (exercice physique, repas plantureux, maladies, éventuellement règles) ;
3. l’analyse d’urine, à faire en tous cas lors d’un fort déséquilibre glycémique ;
4. il peut être utile de noter des moyennes glycémiques, par exemple sur une semaine.
5. pour éviter le dérapage du poids, il peut être bon de le noter régulièrement.
Le carnet de traitement peut constituer un micro-dossier médical personnel : les résultats des mesures du taux d’hémoglobine glycosylée trimestriels, la date et les résultats de la mesure de la tension artérielle, du dernier bilan ophtalmologique, rénal, lipidique et les dates des prochains rendez-vous. Enfin, il peut être un support d’éducation, avec un ou deux feuillets consacrés aux principes de l’adaptation des doses d’insuline, à la conduite à tenir devant une hypoglycémie sévère ou une cétose.
Comment le carnet doit-il être organisé ?
En fonction de son utilisation : quatre colonnes pour les doses pour pouvoir être utilisé en cas de schémas à quatre injections d’insuline ; colonnes pour les glycémies que l’on juge nécessaires : glycémies avant chaque repas, glycémies postprandiales et au coucher. Les colonnes insuline et glycémie peuvent être de couleurs différentes, favorisant la lecture du carnet. Un exemple est donné sur la figure. On remarquera que la glycémie du réveil est donnée à droite de la journée précédente, car son résultat dépend en fait de la dose d’insuline intermédiaire administrée la veille au soir.
L’adaptation des doses d’insuline procède essentiellement de deux étapes, anticipatoire et compensatoire.
D’abord, décider la dose d’insuline en fonction des résultats antérieurs, pour éviter que des déviations de l’objectif glycémique ne se reproduisent, c’est-à-dire en regardant comment, les jours précédents, ont été les glycémies qui dépendent de la dose d’insuline que l’on s’apprête à injecter. Il y a donc d’abord une lecture « verticale », sur les quelques jours qui précèdent, des colonnes situées à droite de la dose d’insuline à décider.
Ensuite, moduler la décision en tenant compte de la glycémie au moment de l’injection, s’il s’agit d’une insuline rapide ou ultrarapide, et de ce qu’on prévoit en termes d’exercice physique ou même de repas : c’est ce que l’on peut appeler l’analyse « horizontale » du carnet.
Il s’agit d’une raison théorique majeure pour préférer les carnets qui ont des colonnes consacrées à l’insuline, séparant celles qui sont consacrées aux glycémies, car la lecture « verticale » des glycémies est possible, n’étant pas interrompue par les doses d’insuline, comme c’est le cas dans les carnets qui mettent les doses d’insuline en dessous de la glycémie correspondante, ce qui gêne la lecture verticale du carnet et empêche la pratique de l’adaptation anticipatoire des doses d’insuline.
Et les e-carnets ?
Certains lecteurs de glycémie peuvent être reliés à un ordinateur qui permet de donner des résultats statistiques (moyennes hebdomadaires, pourcentages de valeurs en dehors de l’objectif, graphiques, etc.). Cette possibilité n’est sans doute pas suffisamment utilisée. Peut-elle remplacer la tenue du carnet par le patient ? Cela éviterait au patient d’écrire lui-même les résultats de ses mesures. Mais cela l’empêcherait en fait de se « les approprier », ce qui représente une étape indispensable au raisonnement, de même qu’il est bon de construire soi-même la figure d’un problème géométrique pour le résoudre.
Comment analyser les données d’un carnet en consultation ?
L’analyse du carnet par le soignant est un geste psychologique essentiel de la consultation, montrant que l’on apprécie à sa juste valeur le « travail » accompli par le patient, afin de l’encourager à continuer.
Le soignant procède essentiellement à la lecture « verticale » des différentes colonnes, pour apprécier, comme on l’a dit, des tendances, et, éventuellement, aider le patient à rectifier le tir, en lui réexpliquant le raisonnement. On peut aussi discuter la signification des épisodes d’hypoglycémie sévère qui ont pu être notés, et en profiter pour lui rappeler la conduite à tenir, vérifier qu’il a du sucre dans ses poches, etc. L’analyse du carnet est donc le moment de la consultation le plus propice à l’éducation.
Par ailleurs, l’analyse du carnet, en évaluant le « taux de remplissage », permet aussi de se faire une idée de l’observance du traitement. Elle met en évidence les résultats qui manquent (les colonnes vides) pour permettre l’adaptation de chaque dose d’insuline (une mathématique élémentaire indique que s’il y a quatre doses d’insuline, il faut au moins quatre glycémies…). à nouveau, on peut montrer à quoi auraient servi les résultats qui manquent.
Que penser du refus, par certains patients, de tenir un carnet ?
Il peut d’abord être un des éléments d’un refus global du diabète et de la nécessité d’accomplir les gestes du traitement : il n’y a pas de carnet parce qu’il n’y a pas de glycémie ; cette absence d’observance du traitement doit être analysée afin de pouvoir être corrigée.
Ensuite, certains patients ne tiennent pas de carnet parce qu’ils n’en ont pas bien compris l’utilité. Et d’ailleurs, cette absence d’utilité se répercute sur l’absence d’utilité des glycémies elles-mêmes, qui ne sont plus faites. Si, en revanche, l’absence de tenue de carnet est observée lorsque le résultat du traitement est, au contraire, globalement bon (taux d’HbA1c satisfaisant, absence d’hypoglycémie et de complications), on peut accepter cette situation à la condition que ces critères de bon équilibre continuent à être remplis.
Il y a un autre cas de figure plus subtil : les glycémies sont faites, mais ne sont pas notées, par exemple parce que le carnet n’est pas situé au même endroit que le matériel pour mesurer la glycémie, et cela peut être arrangé simplement… Mais, il y a souvent une raison psychologique profonde, s’apparentant à un déni : « le carnet devient le signe, qu’on me demande de mettre par écrit moi-même et qui me rappelle (ou qui risque de montrer aux autres), de manière visible, que je suis diabétique ». Il peut être nécessaire de trouver un compromis : « disons que vous tiendrez le carnet lorsque vous sentirez que vous en avez vraiment besoin, si vous n’êtes plus satisfait du résultat (hypoglycémies fréquentes par exemple) ».
Et les carnets truqués ?
Il faut y songer, devant des résultats écrits avec un seul stylo, sans rature, de manière monotone, voire de même nature (par exemple seulement des chiffres impairs), dans un carnet qui a l’air trop neuf, surtout si les résultats, trop bons, semblent discordants d’avec le résultat de l’hémoglobine glycosylée (cette discordance peut aussi être due au fait que, souvent, seules les glycémies préprandiales sont notées, et qu’on passe à côté d’énormes pics glycémiques postprandiaux).
Il peut s’agir soit d’une tentative de cacher une absence d’observance concernant l’autosurveillance glycémique elle-même (le carnet étant « rempli » avant la consultation), soit à nouveau d’une réaction de déni face à la révélation d’un mauvais résultat, que la falsification a pour but, au sens propre, de corriger.
Ainsi, l’analyse du carnet, en plus de son côté éducatif décrit plus haut, peut permettre de révéler des conflits psychologiques profonds.
Il y a donc, en conclusion, une ambivalence vis-à-vis du carnet ?
Elle est inévitable. D’une part, sa tenue est utile, si ce n’est indispensable, pour aider le patient à gérer son traitement avec l’aide du soignant. D’autre part, il est l’emblème visible des différents pensums qui constituent le traitement du diabète, voire du diabète lui-même (dans certains carnets, le mot diabète n’est pas écrit sur la couverture).
Mais, d’un autre côté, le carnet de traitement peut aussi représenter la carte du voyage où sont prévus les points d’ancrage quotidiens qui conduisent le patient à observer une certaine régularité dans son traitement. Dans ce sens, le carnet de traitement, en permettant régulièrement la rencontre de deux réflexions, celle du soigné et celle du soignant, est non seulement un révélateur, mais aussi un levier de l’observance thérapeutique.
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