Thérapeutique
Publié le 30 nov 2009Lecture 11 min
Diabète et poids - Les nouvelles thérapeutiques antidiabétiques réduisent-elles la place de la nutrition chez le diabétique ?
C. COLETTE, L. MONNIER, Institut universitaire de recherche clinique, Université Montpellier I
Les régimes, bien qu’ils soient la pierre angulaire du diabète de type 2, se heurtent le plus souvent à un obstacle majeur : la nécessité d’une restriction calorique qui doit s’inscrire dans la durée1. C’est pour cette raison que médecins et patients comptent sur la mise au point de traitements médicamenteux pour favoriser la perte pondérale. Aux classiques biguanides et sulfonylurées qui constituent la colonne vertébrale du traitement par antidiabétiques oraux, sont venues s’ajouter de nouvelles classes thérapeutiques : les glitazones, les analogues du GLP1, les inhibiteurs de la DPP-IV ou gliptines. Le rimonabant qui avait fait naître quelques espoirs pour son action anti-obésité et antidiabétique a été retiré de la pharmacopée au mois d’octobre 2008. Certaines de ces médications entraînent une prise de poids tandis que d’autres favorisent la perte pondérale. Le cas de l’insuline sera traité de manière spécifique car la mise en place d’une insulinothérapie chez les diabétiques de type 2 s’accompagne le plus souvent d’une prise pondérale si des mesures diététiques d’accompagnement ne sont pas mises en œuvre. Les relations entre médicaments et diététique dans le diabète de type 2 sont donc complexes.
Le but de cet article est de discuter la place respective de la thérapeutique nutritionnelle et pharmacologique dans le diabète de type 2, avec une question clé qui est énoncée dans le titre de notre article : les nouvelles thérapeutiques antidiabétiques réduisent-elles la place de la nutrition dans le traitement du diabète sucré ?
Pourquoi la perte de poids réelle du diabétique de type 2 reste-t-elle en deçà de ce qui est normalement prévu par la théorie ?
La plupart des stratégies traditionnelles utilisées pour induire une perte de poids chez les diabétiques de type 2 obèses se soldent habituellement par des échecs à long terme2. Comme l’étude de l’UKPDS l’a démontré, la perte de poids chez le diabétique reste possible. Avant tout traitement médicamenteux et sous l’influence d’un simple régime de restriction calorique (1 361 kcal/j), une perte de poids moyenne de l’ordre de 5 kg a été observée sur une période de 3 mois avec une amélioration notable de l’HbA1c qui est passée de 9 à 7 %. Toutefois, les auteurs de l’UKPDS ont ultérieurement observé que la perte de poids ne persistait pas sur le long terme. Ce frein à la perte de poids relève à la fois de causes générales que l’on rencontre chez tous les obèses qu’ils soient ou non diabétiques et de causes qui sont spécifiques à l’état diabétique.
Les causes générales reposent sur deux constatations
En premier lieu, les obèses suivent mal les régimes qui leur sont proposés. La perte de poids dépend normalement de la différence entre deux quantités : les calories qui sont apportées par les aliments (Q) et celles qui sont dépensées par l’organisme (W). En vertu du premier principe de la thermodynamique, toute perte de poids est sous la dépendance d’une perte d’énergie ΔU = Q - W, ce qui implique que Q soit inférieur à W. étant donné qu’une perte de poids de 1 kg nécessite un déficit énergétique de 700 kcal, un régime qui réduirait l’apport calorique quotidien de 500 kcal par rapport aux dépenses (Q - W = 500 kcal) devrait conduire à un déficit calorique de 3 500 kcal par semaine, c’est-à-dire à une perte de poids de 0,5 kg/semaine (figure 1).
Malheureusement, ces calculs optimistes sont contredits par les faits observés. La perte de poids est toujours plus faible que celle qui est normalement prédite car les patients acceptent mal les contraintes diététiques et suivent les régimes de manière plus ou moins laxiste3 (figure 2).
En deuxième lieu, la perte pondérale des obèses est freinée par le phénomène d’adaptation des dépenses aux apports caloriques. En d’autres termes, toute diminution de l’apport énergétique alimentaire dans le cadre d’un régime amaigrissant se traduit au bout de quelques semaines par une réduction de la dépense énergétique. Ceci signifie que, même si le sujet suit scrupuleusement les consignes diététiques, il observera au bout de quelques semaines une inflexion dans sa courbe de poids avec une pente qui tendra de plus en plus vers l’horizontale. Au bout de quelques mois (en général 5 à 6 mois), le poids se stabilisera.
Figure 1. Explication d’une perte de poids par semaine pour une restriction calorique de - 500 kcal/j.
Figure 2. Perte de poids observée et prédite sous régime de restriction calorique3.
Les causes spécifiques de l’état diabétique
Toutes choses étant égales par ailleurs, les diabétiques obèses semblent plus résistants à la perte de poids que les obèses non diabétiques. Plusieurs causes peuvent être à l’origine de cette résistance.
La réduction ou la disparition de la glycosurie lorsque la glycémie s’améliore est certainement la cause principale. En effet, il ne faut pas oublier qu’une glycosurie de 50 g/j correspond à un gaspillage énergétique de 200 kcal. Si la glycosurie disparaît en totalité, c’est 200 kcal qui seront à nouveau utilisées et éventuellement stockées par l’organisme.
La deuxième cause, plus subtile, pourrait être liée à l’augmentation de masse maigre secondaire à la récupération de la capacité de stockage du glucose sous forme de glycogène musculaire, lorsque l’équilibre diabétique s’améliore.
Enfin, il convient de souligner que l’efficacité des régimes sur les désordres glycémiques du diabète s’épuise malheureusement au cours de l’histoire naturelle de la maladie diabétique. Après quelques années d’évolution, lorsque le patient est en multithérapie orale, le régime devient peu efficace (figure 3) et n’entraîne que des changements faibles au niveau de l’HbA1c. Cette observation est parfaitement explicable : au début de la maladie, c’est l’insulinorésistance, sensible aux mesures diététiques, qui prédomine. Au bout de quelques années c’est la carence insulinique sécrétoire, insensible aux mesures diététiques, qui prend le dessus sur l’insulinorésistance (figure 3).
Figure 3. Efficacité des régimes hypocaloriques en fonction de la durée d’évolution du diabète de type 2 à partir du diagnostic (temps 0).
Le choix d’un insulino-sensibilisateur (metformine ou glitazone) est-il sous la dépendance du poids corporel ?
Deux grandes classes d’insulinosensibilisateurs sont actuellement à notre disposition : la « vieille » metformine, redécouverte par les Américains il y a une dizaine d’années4 et la classe des glitazones dont les deux représentants commercialisés sont la pioglitazone et la rosiglitazone5. Contrairement aux sulfonylurées et à l’insuline, les traitements par metformine ne sont pas associés à une prise de poids chez les diabétiques de type 2.
Les différences d’effet de la metformine, des sulfonylurées et de l’insuline sur le poids corporel ont été mis particulièrement en exergue par l’étude de l’UKPDS6. Sur une période de suivi de 9 ans, les patients diabétiques de type 2 ont pris 5 kg dans le groupe sulfonylurée, 7 kg dans le groupe insuline et seulement 1 kg dans le groupe metformine. Ces résultats ont été confirmés par l’étude ADOPT7 qui a comparé l’effet de trois antidiabétiques oraux (la metformine, la rosiglitazone et le glyburide). Après un suivi de 5 ans chez des diabétiques de type 2 de découverte récente, les auteurs ont observé une perte de poids modérée dans le groupe metformine (- 2,9 kg), une prise de poids modérée (+ 1,6 kg) dans le groupe sulfonylurée (glyburide) et une prise de poids significative dans le groupe rosiglitazone (+ 4,8 kg).
La prise de poids sous glitazone est un phénomène qui est parfaitement connu5. Elle est liée au mode d’action de cette classe de médicaments : activation des PPARγ (peroxisome-proliferator activated-receptor γ) avec augmentation du nombre des petits adipocytes et accroissement de la masse du tissu adipeux sous-cutané. C’est cet effet délétère des glitazones et leur prix relativement élevé qui a conduit un certain nombre d’experts en diabétologie à préconiser la metformine comme traitement de première intention dans le diabète sucré de type 2 et à favoriser l’utilisation de la metformine par rapport aux glitazones lorsqu’on est confronté à la prescription d’un insulinosensibilisateur pour traiter les diabétiques de type 2. Les récentes recommandations publiées par un groupe d’experts de l’ADA/EASD8 et par la Haute Autorité de Santé (HAS)9 sont parfaitement en accord avec les résultats obtenus dans les grands essais cliniques. Une partie de l’argumentation est basée sur le fait que l’on observe une prise de poids sous glitazone alors que la metformine n’a pas ce type d’inconvénient.
Sur le plan pratique
• La prescription d’une glitazone, c’est-à-dire d’un médicament qui peut entraîner une prise de poids, est parfois mal comprise par des patients auxquels le médecin a pendant des années martelé le message de perdre du poids avec plus ou moins de succès.
• Il est également difficile de dire à un patient diabétique de type 2 pléthorique que le nouveau traitement va nécessiter le renforcement des mesures diététiques. C’est pour cette raison que la metformine reste la prescription de première intention lorsqu’il s’agit de choisir entre deux classes d’insulinosensibilisateurs : les biguanides ou les glitazones.
Y a-t-il des médications qui ont à la fois une action antidiabétique et anti-obésité ?
Ces médications auraient des avantages indiscutables car elles permettraient dans le même temps d’avoir un effet hypoglycémiant tout en réduisant l’excès de poids responsable de l’insulinorésistance rencontrée chez les diabétiques de type 2. Jusqu’à un passé récent aucun traitement ne semblait répondre à ce double impératif. L’apparition et la mise sur le marché des incrétino-mimétiques fournit une réponse partielle à ce problème. Les incrétines sont une famille d’hormones sécrétées au niveau du tube digestif10.
La plus intéressante en termes de thérapeutique est le GLP1 (glucagon-like-peptide-1)11
Cette hormone est sécrétée immédiatement après la prise du repas. Elle entraîne une stimulation glucodépendante de l’insulinosécrétion. Cette action lui confère une action hypoglycémiante qui s’exerce en grande partie sur les excursions glycémiques postprandiales.
Le GLP1 a également d’autres actions : inhibition de la sécrétion du glucagon, ralentissement de la vidange gastrique, freination de l’appétit et de la prise alimentaire. Ce dernier effet peut être mis à profit pour entraîner une perte pondérale. La demi-vie extrêmement courte du GLP1 a nécessité la mise au point d’analogues prolongés qui sont administrés par voie sous-cutanée. Les études conduites avec les analogues du GLP1 ont montré une baisse de l’HbA1c aux alentours de 1 % avec une perte de poids comprise entre 3 et 4 kg.
En dehors des analogues du GLP1, il existe une deuxième classe de médicaments qui agissent par la voie des incrétines : les gliptines
Ce groupe de médicaments qui sont administrés par voie orale, comprend plusieurs produits, dont certains sont commercialisés (sitagliptine) tandis que d’autres le seront dans un proche avenir. Ces substances sont des inhibiteurs de la dipeptidyl-peptidase-IV, c’est-à-dire de l’enzyme qui assure la dégradation du GLP1 actif en sa forme inactivée. L’inhibition de la DPP-IV prolonge et accroît l’activité du GLP1 endogène et, par ce biais, a un effet insulinotrope glucodépendant. À ce jour, les essais thérapeutiques réalisés avec les différentes gliptines ont prouvé leur action hypoglycémiante avec une baisse de l’HbA1c aux alentours de 1 %. En revanche, les gliptines, à l’inverse des analogues du GLP1, ont une action nulle ou très modeste sur le poids corporel.
Une nouvelle classe de substances, les antagonistes sélectifs des récepteurs aux endocannabinoïdes 1 (ECB1) semblait porteuse d’espoir dans le traitement des patients diabétiques de type 2 obèses
Le premier représentant de cette classe était le rimonabant qui a été retiré du marché en octobre 2008 en raison de ses effets secondaires.
Les études conduites chez les obèses et chez les diabétiques avec cette substance avaient montré une perte de poids supplémentaire de 5 kg comparativement au placebo. Chez les diabétiques, la chute de l’HbA1c était de l’ordre de 0,7 %12. De toute manière, il convient de souligner que les médications anti-obésité, quelles qu’elles soient, n’agissent qu’en facilitant le déséquilibre entre apports caloriques alimentaires (Q) et dépenses énergétiques (W). Le rimonabant réduisait l’appétit et augmentait les dépenses énergétiques. Par ce biais, il contribuait au déséquilibre énergétique et donc à la perte de poids à condition que le régime soit suivi.
Insulinothérapie et poids dans le diabète de type 2
Les nouvelles recommandations8,9 stipulent clairement que l’insulinothérapie devrait être débutée beaucoup plus précocement au cours de l’évolution du diabète de type 2 afin de répondre à un principe simple : tenter de normaliser la glycémie pour réduire le risque de survenue ou de progression des complications diabétiques. Cet impératif peut se résumer par la formule suivante: « The lower, the earlier, the better ». L’insulinothérapie chez le diabétique de type 2, qui paraît à première vue relativement simple à mettre en œuvre, peut se heurter à un certain nombre d’obstacles. À côté des problèmes liés à l’acceptation de l’insuline par le patient, il faut signaler que l’insulinothérapie chez le diabétique de type 2 s’accompagne éventuellement d’une prise de poids supplémentaire qui aggrave la surcharge pondérale ou l’obésité préexistante. En analysant et en compilant les résultats de la littérature13 (figure 4), nous avons pu vérifier l’équation énoncée par Yki Järvinen : « Toute baisse de 1 % de l’HbA1c sous traitement insulinique chez le diabétique de type 2 s’accompagne d’une prise de poids moyenne de 2 kg ».
Figure 4. Relation entre la diminution de l’HbA1c (Δ HbA1c) et l’augmentation du poids corporel (Δ poids) chez des diabétiques de type 2 traités par insuline. Chaque symbole correspond à une étude donnée : les symboles violets sont les études avec la glargine, les symboles bleus sont les études réalisées avec l’insuline NPH ou des analogues rapides de l’insuline13.
Cette constatation indique clairement que toute mise en route d’un traitement insulinique chez un diabétique de type 2 doit s’accompagner de mesures diététiques adéquates pour éviter une prise de poids. Renforcer le régime hypocalorique est donc un impératif chez les diabétiques de type 2 qui sont placés sous traitement insulinique.
Chez ces malades, il convient également de maintenir le traitement par metformine qui permet d’« économiser » les doses d’insuline en diminuant l’insulinorésistance. Cette économie dans les doses d’insuline permet de freiner partiellement la prise pondérale sous insulinothérapie mais cet effet ne peut s’exercer que si le sujet accepte un minimum de suivi diététique.
En revanche, notre position est qu’il est préférable d’arrêter les traitements par glitazones lorsqu’on envisage un traitement insulinique chez des diabétiques de type 2. En effet, l’association glitazone-insuline est délétère pour le poids car les deux médicaments favorisent la prise de poids.
Conclusion
Il apparaît que les mesures diététiques restent la pierre angulaire du traitement du diabète de type 2. À ce jour, les traitements pharmacologiques qui font perdre du poids n’ont qu’une action limitée : 3 à 4 kg pour les analogues du GLP1. Leur usage, en particulier sur le long terme, soulève plusieurs questions auxquelles seul l’avenir fournira des réponses. Les autres traitements pharmacologiques utilisés dans le diabète de type 2 ont sur le poids soit un effet neutre, soit un effet délétère.
La metformine, « vieux médicament », a l’avantage de ne pas induire de prise pondérale. Les autres médications orales (glitazones ou sulfonylurées) et l’insuline facilitent la prise de poids chez des sujets qui sont déjà obèses. Cela signifie que tout traitement pharmacologique chez le diabétique de type 2, en particulier lorsqu’il s’agit de glitazones, de sulfonylurées ou d’insuline, doit s’accompagner de mesures diététiques souvent renforcées.
Certains ont laissé croire aux diabétiques que la prise en charge pharmacologique pourrait leur permettre de s’affranchir de certaines contraintes diététiques. Notre opinion est que les mesures diététiques restent indispensables. Nous savons que la mise en pratique et le suivi du régime restent difficiles. L’important est de donner aux patients les outils nécessaires pour la mise en œuvre du régime14 et de leur expliquer l’intérêt du suivi des mesures diététiques.
La suite dépend évidemment du patient et de ses choix de vie : accepter quelques contraintes diététiques ou se reposer sur une prise en charge pharmacologique qui constitue une solution de facilité mais pas forcément d’efficacité.
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