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Obésité

Publié le 05 mar 2025Lecture 11 min

Redéfinir l’obésité - Quid novi ? Quo vadis ?

Louis MONNIER*, Jean-Louis SCHLIENGER**, *Université de Montpellier, Faculté de médecine, Montpellier, **Université de Strasbourg, Faculté de médecine, Strasbourg

Dans un texte de 42 pages, publié online le 14 janvier 2025 dans le Lancet Diabetes Endocrinology(1), 58 experts impliqués dans la prise en charge des personnes obèses se sont penchés sur la définition de l’obésité dans le but de résoudre le dilemme récurrent entre obésité simple état et facteur de risque et obésité considérée comme une véritable maladie. Conjointement, ils s’interrogent quant à la pertinence de l’indice de masse corporelle (IMC) qui est le marqueur d’obésité le plus utilisé sur l’ensemble de la planète et qui, souvent, est le seul paramètre sur lequel repose le diagnostic

Qu’attendre de l’IMC ?   Calculé par la formule poids (kg)/taille2 (m2), l’IMC traduit la pression qu’exerce le poids du sujet sur une surface carrée dont le côté est égal à la taille du sujet (figure 1). Plusieurs seuils de sévérité de l’obésité ont été définis : obésité de classe 1, 2 ou 3 selon que, respectivement, l’IMC (kg/m2 ) est compris entre 30 et 34,9 ; 35 et 39,9 ou > 40 tout en sachant que l’obésité commence quand l’IMC est ≥ 30 et que le simple surpoids est défini pour un IMC compris entre 25 et 29,9. Ces critères sont considérés comme s’appliquant uniquement aux Européens et aux Nord-Américains avec possibilité de révision à la baisse quand on l’applique à d’autres populations (asiatiques par exemple). L’IMC et les seuils qui lui sont affectés sont simples, en apparence. En fait, ils sont hautement contestables car ils ne prennent pas en considération la vraie définition de l’obésité qui est stricto sensu l’augmentation de la masse grasse (l’adiposité). À titre d’exemple, certains sujets (athlètes en particulier) peuvent avoir un IMC > 30 parce qu’ils ont une masse musculaire fortement développée alors que leur masse grasse reste normale. À l’inverse, certains sujets âgés dont la masse maigre est diminuée en raison du vieillissement peuvent avoir un IMC < 30 alors que leur masse grasse est augmentée (obésités sarcopéniques). Ainsi, et à juste titre, les experts soulignent que la mesure de l’IMC doit être complétée par d’autres marqueurs car non seulement elle n’évalue pas la masse grasse mais, de surcroît, son utilisation exclusive limiterait la définition de l’obésité à une entité unique en ignorant que les personnes obèses ont des profils très différents, qu’ils soient génétiques, psychologiques, comportementaux, familiaux, sociaux, environnementaux, métaboliques, physiopathologiques et surtout évolutifs vers/ou en association avec des complications ou des comorbidités. Pour la majorité des professionnels de santé dont la ou l’une des spécialités est la prise en charge des personnes obèses, évoquer ces limitations de l’IMC peut apparaître comme un véritable truisme. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les membres de la Lancet Commission, tous experts dans cette discipline, aient énoncé de manière quasi consensuelle, et en préalable, une série d’observations que personne ne s’aviserait de mettre en doute(1). À titre d’exemple, sur les 37 qui ont été formulées, nous citerons les 2 premières : 1) l’obésité est caractérisée par une adiposité excessive avec ou sans anomalie de la distribution ou de la fonction du tissu adipeux ; 2) les causes de l’obésité sont multifactorielles et restent encore appréhendées de manière incomplète. Figure 1. Définition de l’index de masse corporelle (IMC) et sa représentation sous la forme d’une pression exercée par le poids du sujet (exprimé en kg) sur une surface carrée (exprimée en m2) dont le côté est égal à la taille du sujet (exprimée en m).   Les réponses données par les membres de la Commission   Pour mesurer la masse grasse Afin de lever l’ambiguïté portant sur l’absence d’évaluation de la masse grasse quand on se limite à l’IMC, les experts proposent de quantifier l’obésité c’est-à-dire l’adiposité (excès de masse grasse) par des mesures directes comme l’impédancemétrie ou mieux la DEXA (absorptiométrie biphotonique à rayons X) quand ces techniques sont disponibles. À défaut, et dans tous les cas, ils proposent de compléter l’évaluation anthropométrique par une mesure du tour de taille et du rapport taille/hanche sauf lorsque l’IMC atteint le seuil de 40 kg/m2 au-delà duquel l’obésité est toujours une maladie. Ce dernier message est essentiel car il indique que tout professionnel de santé devrait pratiquer cette mesure, qui est possible à l’aide d’un ruban métrique et qui permet de faire la distinction entre « obésité viscérale » à risque élevé de progression vers des complications cardio-métaboliques et « obésité périphérique » où le risque est beaucoup plus faible.   Pour définir les obésités en fonction de leurs caractéristiques En préambule, une définition du terme « maladie » Les experts se sont « lancés » dans de longues digressions pour définir le terme « maladie » afin de savoir ultérieurement si, oui ou non, l’obésité en est une. Ainsi, la « maladie » au sens large du terme est définie comme un état physiopathologique caractérisé par des désordres touchant un ou plusieurs organes et pouvant entraîner des manifestations cliniques et/ou des perturbations biologiques. Cette définition, a priori consensuelle, devient plus difficile à saisir quand les experts distinguent deux situations désignées par les termes « disease » et « illness » dont la traduction française est dans les deux cas « maladie ». Pour justifier cette distinction, les auteurs donnent comme exemple le diabète auquel ils appliquent, à juste titre, le qualificatif de « disease » conduisant à un état d’« illness » avec sa symptomatologie classique (polyurie, polydipsie…) et ses troubles biologiques fondamentaux (hyperglycémie avec hyperinsulinisme dans le diabète de type 2 ou insulinopénie dans le diabète de type 1). Des esprits affûtés pourraient peut-être nous éclairer sur cette différence subtile, qui n’a guère d’intérêt nosologique, entre deux termes en apparence synonymes « disease » et « illness » dans la mesure où une maladie n’est rien d’autre qu’une maladie.   L’obésité : maladie ou facteur de risque, et si c’est une maladie, laquelle ? À partir des concepts énoncés précédemment, les experts ont été conduits à distinguer deux entités, selon que les sujets obèses 1) ont des désordres pathologiques en rapport avec l’obésité (maladie cardiovasculaire, insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire, atteinte rénale, atteinte hépatique à type de stéatose simple ou de stéatohépatite (décrite sous l’acronyme MASH pour « Metabolic Dysfunction-Associated Steato Hepatitis »), troubles ostéo-articulaires…) ou 2) sont exempts des désordres pathologiques précités. Dans le premier cas, les experts parlent « d’obésité clinique », dans le second « d’obésité préclinique ». Il convient de noter que pour les experts de la Commission les obésités cliniques et précliniques ne sont pas synonymes d’obésités « métaboliquement malsaines » et « métaboliquement saines ». En d’autres termes, une « obésité préclinique » peut être « métaboliquement malsaine ou saine » selon qu’elle est associée ou non à des désordres métaboliques (dyslipidémie par exemple) qui, le plus souvent, sont le reflet d’un état d’insulinorésistance. Dès lors, l’obésité préclinique peut apparaître non pas comme un facteur de risque comme semblent le considérer les membres de la Commission, mais plutôt comme une maladie. De toute manière, cette distinction nous paraît quelque peu artificielle si on prend comme exemple le diabète de type 2 et l’obésité. Le diabète de type 2 est une maladie, mais s’agit-il d’une pathologie associée à l’obésité ou causée par l’obésité ? Les deux pathologies ont des dénominateurs communs : l’insulinorésistance, un hyperinsulinisme, une inflammation de bas grade et des complications cardiovasculaires, rénales ou autres. En vérité, la discussion de savoir si les deux pathologies sont uniquement associées ou reliées par des relations de cause à effet n’a en pratique qu’une importance très relative dans la mesure où les deux devraient être traitées de manière concomitante, certaines prises en charge étant communes et d’autres spécifiques. À titre d’exemple la perte pondérale dans le type 2 avec obésité, à condition qu’elle soit suffisante (- 10 % de réduction par rapport au poids de départ) peut conduire à des rémissions du diabète ou à des améliorations significatives de l’homéostasie glucidique.   La distinction entre « obésités clinique et préclinique » : conséquences sur le plan thérapeutique Au terme d’un long argumentaire on aurait pu s’attendre à ce que les experts de la Commission proposent des stratégies thérapeutiques. Malheureusement, nous resterons sur notre faim car les membres de la Commission dirigée par Francesco Rubino déclarent que les indications thérapeutiques sont au-delà du cahier des charges initialement prévu par cette Commission. Dans ces conditions, le titre de la célèbre comédie de William Shakespeare « Much ado about nothing » pourrait être utilisé comme en-tête du travail de cette Commission dans la mesure où elle n’a pas abordé les vrais problèmes actuels de l’obésité, lesquels sont essentiellement d’ordre thérapeutique.   Les points positifs et les « maillons faibles »   Sur le plan diagnostique L’utilisation du ruban métrique pour mesurer le tour de taille et distinguer les obésités viscérales et périphériques est l’un des messages à retenir. Le rappel du caractère multifactoriel de l’obésité n’est pas inutile. Insister sur le concept « d’obésité préclinique » n’est pas une mauvaise chose car effectivement l’obésité peut être exempte de pathologies associées même si elle constitue un facteur de risque qui peut conduire vers d’autres pathologies en transformant l’obésité préclinique en obésité clinique. Cette approche n’est pas sans rappeler la démarche entreprise il y a longtemps par les diabétologues qui ont classé les désordres glycémiques en prédiabète et diabète patent(2) avec des seuils glycémiques qui ont évolué au cours du temps et avec l’idée que le prédiabète (facteur de risque) doit être pris en charge en raison de troubles associés (dyslipidémies, hypertension artérielle…) et compte tenu de son fort taux de conversion (25 à 50 % sur une période de 5 ans) en diabète patent (maladie)(3).   Sur le plan thérapeutique Dans ce domaine, la Commission est restée dans le plus grand flou. Aucune stratégie thérapeutique n’a été clairement définie en fonction de la classification proposée en « obésité préclinique et clinique ». C’est pourtant sur ce point qu’auraient pu ou dû porter les efforts de la Commission à l’heure où les traitements de l’obésité font l’objet d’une véritable révolution avec une approche thérapeutique sous trois grandes rubriques : (a) les mesures nutritionnelles avec les régimes de restriction calorique complétés par des recommandations plus générales sur le mode de vie ; (b) les incrétinomimétiques (agonistes des récepteurs du GLP-1 ou co-agonistes des récepteurs du GLP-1/GIP, et (c) la chirurgie bariatrique. Ces traitements peuvent être d’ailleurs complémentaires. À titre d’exemple, en dépit de leur caractère souvent décevant(4), les mesures nutritionnelles sont toujours indispensables même lorsqu’elles doivent être complétées par des traitements pharmacologiques ou chirurgicaux. Dans ces conditions, nous regrettons que les auteurs n’aient donné aucune information sur les méthodes permettant d’évaluer les dépenses et les apports énergétiques car c’est sur elles que repose la détermination du niveau de la restriction calorique. À cet égard, il aurait été utile d’individualiser les obésités à « dépenses caloriques faibles » et les obésités à « dépenses caloriques fortes ». Les premières sont en général des obésités où la masse maigre est diminuée tandis que les secondes correspondent à des personnes ayant une masse maigre bien développée. L’impédancemétrie peut être utilisée pour séparer ces deux types d’obésité et par voie de conséquence pour obtenir indirectement une évaluation de la dépense énergétique de base. Pour ceux qui ne disposent pas d’un impédancemètre, la mesure de l’excrétion urinaire de la créatinine sur 24 heures peut fournir des indications intéressantes en sachant que chez une personne dont la fonction rénale est normale une créatininurie de 1 gramme par jour correspond à 20 kg de masse musculaire. La méthode idéale pour séparer ces 2 types d’obésités en fonction de la dépense énergétique est la calorimétrie indirecte, mais elle reste l‘apanage de quelques centres spécialisés. Par-delà les distinctions entre obésité préclinique et clinique, entre obésité facteur de risque et obésité maladie, il est regrettable que les stratégies thérapeutiques n’aient pas davantage retenu l’attention des experts. L’irruption des incrétinomimétiques dans la panoplie des thérapeutiques de l’obésité ouvre une nouvelle ère. Les incrétinomimétiques tels que le sémaglutide et le tirzépatide ont prouvé leur efficacité sur la perte de poids (- 10 % à - 15 % pour le premier et - 20 % en moyenne pour le second)(5-9). En dehors des fréquents problèmes de tolérance digestive qui tendent à disparaître après quelques semaines, ces traitements posent le problème de leur efficacité sur le long terme avec la nécessité de les maintenir de manière chronique pour éviter les reprises pondérales, ce qui sous-entend, au vu de leur prix, des coûts élevés soit pour le patient soit pour les organismes payeurs. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que le système de santé nord-américain MEDICARE réservé aux personnes de plus de 65 ans ait sélectionné 15 médicaments pour lesquels il demande une renégociation des prix. Le sémaglutide en fait partie. Cette renégociation a été demandée par l’administration Biden mais il est probable que celle de Trump va enfoncer le clou. Ainsi, en dehors du « quoi qu’il en coûte », bien connu sous nos longitudes, on se préoccupe un peu plus des rapports efficacité/coût sous d’autres fuseaux horaires situés beaucoup plus à l’Ouest. Le 26 août 2024 l’analyse suivante a été faite pour le sémaglutide : si on prend aux États-Unis tous les sujets obèses de plus de 65 ans (environ 15 millions de personnes) le coût pour MEDICARE serait de 145 milliards de dollars US par an. Étendu à toute la population américaine quel que soit son âge, on peut avancer le chiffre de 600 milliards en dollars US annoncé par Mozaffarian de l’université de Harvard dans une lettre rédigée dans le JAMA(10). En France la population étant 5 fois plus faible, la prévalence de l’obésité étant 2 fois moindre et le prix du sémaglutide étant environ 3 fois plus faible on peut diviser ce chiffre par 30, soit environ 20 milliards d’euros par an en se basant sur une parité eurodollar US. Dans ces conditions, il conviendra peut-être de proposer comme l’a fait Mozaffarian(10) des traitements de durée limitée par exemple en initiation et éventuellement en relance thérapeutique (figure 2) avec de toute manière un maintien des mesures nutritionnelles pour essayer d’assurer la pérennité des résultats pondéraux. Figure 2. Suggestion de différents programmes d’utilisation des incrétinomimétiques (agonistes des récepteurs du GLP-1 ou co-agonistes des récepteurs GLP-1/GIP) dans le traitement des obésités. Le programme idéal pourrait être celui qui est indiqué en vert car il correspond probablement au meilleur rapport bénéfice/coût [adapté à partir de la référence 10].   En interprétant les sous-entendus des experts, « l’obésité préclinique » ne devrait bénéficier que d’une prise en charge nutritionnelle et éducative pour tenter d’influer sur les modes de vie alors que les traitements pharmacologiques et chirurgicaux devraient être limités à l’obésité clinique considérée per se comme une véritable maladie. Si telle est la pensée des experts, à ce moment-là, la séparation entre « obésité préclinique » et « clinique » pourrait être utile pour guider l’éligibilité des personnes obèses vers des stratégies thérapeutiques plus onéreuses. Pour clore ce commentaire il faut souligner que l’obésité est devenue un problème majeur de santé publique. En 2022, O’Hearn et Mozaffarian(11) ont indiqué qu’après avoir exclu de la totalité de la population américaine adulte les 75 % qui ont une obésité ou un surpoids et les 50 % qui souffrent d’un diabète ou d’un prédiabète, il ne reste plus que 7 % des adultes qui sont en bonne santé métabolique. Espérons que le temps démentira ces chiffres et conduira à de réels progrès. Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt avec le contenu de cet article.

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