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Glycémie

Publié le 25 juin 2024Lecture 11 min

La triade du glucose : la boucle fermée ouvre-t-elle de nouveaux horizons ?

Louis MONNIER(1), Claude COLETTE(1), Éric RENARD(2), Pierre-Yves BENHAMOU(3)*

Contrôler l’homéostasie glucidique chez une personne ayant un diabète, en particulier de type 1, revient à agir sur la « triade glucose » avec les objectifs suivants : (a) tenter d’éradiquer ou du moins de minimiser les risques d’hypoglycémie ; (b) ramener l’exposition chronique au glucose à un niveau aussi proche que possible de la normale ; et (c) réduire la variabilité glycémique, c’est-à-dire les fluctuations glycémiques entre pics et nadirs. Pour atteindre ces 3 objectifs, les sociétés scientifiques comme l’American Diabetes Association (ADA) ont défini à partir de conférences de consensus des index et des recommandations qui ont beaucoup évolué au cours des dernières années suite, en grande partie, au développement de la technologie de l’enregistrement glycémique continu en ambulatoire (CGM pour « Continuous Glucose Monitoring »)(1).

Pour les hypoglycémies il est recommandé de maintenir les pourcentages de temps passé respectivement en dessous de 70 mg/dL (3,9 mmol/L) et 54 mg/dL (3,0 mmol/L) (TBR 70 et 54 mg/dL) à des niveaux inférieurs à 4 % et 1 %. Pour l’exposition chronique au glucose, le CGM nous fournit 2 index : (a) la classique moyenne glycémique qui devrait rester en dessous de 8,6 mmol/L (c’est-à-dire l’équivalent de 7 % en termes d’HbA1c)(2) et (b) le TIR (« Time In Range »), c’est-à-dire le pourcentage de temps passé avec une glycémie entre 70 et 180 mg/dL (3,9 et 10,0 mmol/L), lequel devrait être maintenu au-dessus de 70 %. Enfin, la variabilité glycémique peut également être quantifiée à partir du CGM en calculant le coefficient de variation du glucose (%CV = [déviation standard/moyenne glycémique] × 100). Le %CV devrait rester < 36 % (limite entre les diabètes labiles et stables) et devrait descendre en dessous de 27 % si on souhaite éradiquer les hypoglycémies(3). Ce dernier objectif, rêve de tous les patients diabétiques, est malheureusement, comme nous le verrons ultérieurement, très loin d’être atteint, même avec les modalités les plus sophistiquées d’insulinothérapie comme les « boucles fermées », qui ont été développées au cours des dernières années avec l’aide du port en continu de systèmes d’enregistrement glycémique avec lecture en temps réel (rtCGM pour « realtime CGM »). Compte tenu de ces considérations, il paraissait opportun de faire le point sur l’impact des différentes modalités d’administration de l’insuline (les classiques et les plus sophistiquées) sur la « triade glucose ». Les lignes qui suivent sont consacrées à ce problème à partir de la compilation de données scientifiques publiées au cours des dernières années.   Méthodologie de la compilation   Les données ont été recueillies à partir d’études randomisées publiées dans les journaux suivants : New England Journal of Medicine(4,5), JAMA(6,7), Lancet (8,9), Lancet Diabetes Endocrinology(10), Lancet Digit Health(11), Diabetes Care(10-20), Diabetes Technology and Therapeutics(21-25). Ces études ont comparé différentes modalités d’administration de l’insuline dans le diabète de type 1 et quantifié leur impact sur les paramètres de la « triade glucose » évalués à partir d’un CGM. Pour simplifier l’analyse, nous avons regroupé les modalités d’administration de l’insuline sous 3 rubriques.   Première rubrique Dans cette rubrique ont été rangées « les modalités classiques d’insulinothérapie » telles qu’elles ont été pratiquées pendant de nombreuses années et qui continuent à être utilisées largement à travers le monde, y compris dans les pays considérés comme les plus développés. Dans cette catégorie, bien qu’elle soit un peu hétérogène, nous avons regroupé : a) les multi-injections quotidiennes associées à une autosurveillance glycémique discontinue (ASG pour autosurveillance glycémique classique à l’aide de bandelettes) ; (b) les multi-injections associées à une surveillance glycémique continue avec un CGM ; (c) les traitements par pompe associés à une surveillance glycémique discontinue (par ASG ou par isCGM pour « intermittently scanned CGM »). Cette catégorie de traitements étiquetés « modalités classiques » répond en fait au dénominateur commun suivant : aucun des patients inclus dans les 3 groupes précités n’était « en même temps » bénéficiaire des 2 modalités modernes de l’insulinothérapie et de l’adaptation de ses doses (la pompe et le rtCGM), même si de manière dissociée ces sujets pouvaient bénéficier de l’une des deux.   Deuxième rubrique Elle est représentée par les traitements qui combinent chez le même patient et « en même temps », une administration sous-cutanée et continue d’insuline grâce à une pompe à insuline (CSII pour « Continuous Subcutaneous Insulin Infusion ») et un suivi glycémique en continu et en temps réel (rtCGM) pour l’adaptation des débits d’insuline. Cette rubrique est désignée sous l’acronyme SAP (« SensorAugmented Pump »).   Troisième rubrique Elle correspond aux sujets qui bénéficient de la technologie a priori la plus avancée, c’est-à-dire l’administration d’insuline en boucle fermée désignée par l’acronyme AID pour « Automated Insulin Delivery ». Dans cette rubrique figurent à la fois les modalités d’insulinothérapie totalement automatisée (full closed-loop) dans laquelle l’adaptation du débit d’insuline ne dépend plus du patient et les modalités hybrides (hybrid closed-loop) où l’adaptation du débit de la pompe n’est plus dépendante du patient la plupart du temps (en principe durant les périodes nocturnes et interprandiales), mais le redevient pour de courtes périodes qui en général correspondent aux prises alimentaires. Avec ces 3 modalités d’insulinothérapie, les paramètres analysés ont été les suivants : les TBR < 70 mg/dL et 54 mg/dL (3,9 et 3,0 mmol/L), le TIR 70- 180 mg/dL (3,9- 10,0 mmol/L), les moyennes glycémiques et la variabilité glycémique (%CV). Tous ces index ont été recueillis à partir d’enregistrements glycémiques continus. Les groupes de patients sélectionnés dans les 3 rubriques intitulées « traitements classiques », « SAP » et « AID » ont été respectivement au nombre de 13 (869 sujets), 16 (513 sujets) et 19 (795 sujets). Le lecteur pourra s’étonner que les valeurs des nombres de groupes données pour le TBR < 54 mg/dL soient un peu plus faibles que pour les autres paramètres. Ceci est tout simplement lié au fait que le TBR < 54 mg/dL n’a pas été déterminé dans certains groupes où il a été remplacé par exemple par des TBR < 60 mg/dL ou 50 mg/dL, ce qui ne nous a pas autorisés à les inclure dans les grilles des résultats.   Résultats   Les résultats, consignés sur les figures 1, 2 et 3, sont exprimés en médianes pour chaque rubrique. Ces dernières sont calculées à partir des valeurs médianes ou moyennes observées dans chaque groupe. La distribution des médianes dans chaque rubrique est exprimée en donnant l’intervalle entre les valeurs médianes ou moyennes les plus élevées (limites supérieures) ou les plus faibles (limites inférieures). Figure 1. Effets des différentes modalités d’insulinothérapie sur les pourcentages de temps passé en hypoglycémie en dessous de 70 mg/dL (3,9 mmol/L) sur la partie gauche de la figure et en dessous de 54 mg/dL (3,0 mmol/L) sur la partie droite de la figure. Les zones ombrées correspondent aux zones recommandées.   La philosophie générale des résultats indique qu’ils obéissent à la hiérarchie suivante en termes d’efficacité : boucle fermée (AID) > SAP (Sensor-Augmented Pump, c’est-à-dire pompe + rtCGM) > traitements classiques. Cette philosophie générale est résumée sur le tableau où le score global attribué à la boucle fermée (score 11) est nettement plus fort que ceux observés avec les SAP (score = 7) ou les traitements classiques (score = 4). Le mode de calcul des scores est indiqué sur le tableau. La constatation la plus intéressante est probablement la suivante. L’effet bénéfique des boucles fermées (AID) se manifeste surtout au niveau des pourcentages de temps passé en hypoglycémie. Par rapport à un traitement classique, les AID réduisent les pourcentages de temps environ de moitié à la fois sur les TBR < 70 mg/dL et < 54 mg/dL. Cette observation est cruciale quand on sait que l’une des craintes majeures des patients ayant un diabète de type 1 est la survenue d’hypoglycémies qui altèrent leur vie sociale, professionnelle et familiale. En revanche, les bénéfices restent beaucoup plus discrets sur l’exposition chronique au glucose (TIR et moyenne glycémique) et sur la variabilité glycémique (figures 2 et 3). Les résultats des différentes thérapeutiques ont reçu un score allant de 0 à 3 (0 : échec ; 1: faible ; 2 : moyen ; 3 : bon) Score 0: La médiane et aucune des 2 limites (supérieure et inférieure) de la distribution se trouvent dans la zone recommandée. Score 1: La médiane n’est pas dans la zone recommandée, mais au moins l’une de ses 2 limites (supérieure ou inférieure) s’y trouve. Score 2: La médiane et une des 2 limites (supérieure ou inférieure) de la distribution se trouvent ensemble dans la zone recommandée . Score 3: La médiane et les 2 limites (inférieure et supérieure) se trouvent toutes dans la zone recommandée. Figure 2. Effets des différentes modalités d’insulinothérapie sur les pourcentages de temps passé entre une glycémie à 70 mg/dL (3,9 mmol/L) et à 180 mg/dL (10,0 mmol/L). La zone ombrée correspond à la zone recommandée. Figure 3. Effets des différentes modalités d’insulinothérapie sur la variabilité glycémique (coefficient de variation du glucose en %) et sur la glycémie moyenne (mmol/L). Les zones ombrées correspondent aux zones recommandées.   Au vu de ces résultats, on peut dire globalement que le fait de passer d’un traitement classique à une « SAP » entraîne une réduction de 0,7 mmol/L en termes de glycémie moyenne, baisse à laquelle se surajoute une nouvelle réduction de 0,5 à 0,6 mmol/L quand on passe des traitements par SAP aux traitements par AID, soit une baisse totale de 1,2 à 1,3 mmol/L sur la glycémie moyenne, c’est-à-dire de l’ordre de 0,7 % en termes d’HbA1c pour le passage des traitements classiques aux traitements par AID. Il est à noter par ailleurs qu’avec les traitements par AID, la médiane de la moyenne glycémique se situe à 8,6 mmol/L (7 % en équivalent d’HbA1c [2]). Les résultats sont dans l’ensemble plutôt décevants sur la variabilité glycémique calculée à partir des coefficients de variation (%CV). Sous AID, la médiane du %CV (35,2 %) se situe juste en dessous du seuil de 36 % qui définit la frontière entre les formes labiles et stables du diabète sucré et elle reste très au-dessus de la valeur de 27 % qui correspond normalement à l’éradication du risque d’hypoglycémie(3).   Discussion et conclusion   Cette analyse, bien qu’elle porte sur un nombre d’études assez conséquent, a pour inconvénient d’inclure des publications relativement hétérogènes en particulier au niveau de la sélection des patients, même si nous avons délibérément limité l’analyse aux essais contrôlés et randomisés. Certaines études ont inclus des patients relativement bien équilibrés à l’état de base alors que pour d’autres la sélection a porté sur des patients ayant des profils spécifiques pour tester, par exemple, l’efficacité de la boucle fermée sur des sujets ayant un diabète de type 1 à haut risque d’hypoglycémies. Ce cas est celui de l’étude publiée par l’un d’entre nous (Éric Renard) dans le numéro du mois de décembre 2023 de Diabetes Care(16). Dans ce travail, les patients avaient des TBR < 70 mg/dL et < 54 mg/dL respectivement égaux à 9,4 % et 3,1 %, c’est-à-dire très supérieurs aux valeurs recommandées : < 4 % pour le TBR 70 mg/dL et < 1 % pour le TBR 54 mg/dL(1). Après 12 semaines de traitement par AID, les 2 TBR ont significativement baissé pour devenir respectivement égaux à 2,8 et 0,6 %, c’est-à-dire pour entrer dans la zone recommandée. Cette chute spectaculaire des TBR a été accompagnée par une amélioration marquée de l’exposition chronique au glucose jugée sur l’augmentation du TIR 70-180 mg/dL qui est passé dans le groupe AID de 61,2 % à 74,4 %. Ces observations montrent que le gradient des améliorations est d’autant plus fort que les désordres de l’homéostasie glucidique sont plus importants. Deux études rétrospectives en vie réelle(26,27) ont confirmé sur de grandes populations les effets bénéfiques des boucles fermées sur la « triade glucose » avec un pourcentage de temps passé en dessous de 70 mg/dL qui reste toutefois consistant (~ 1 %) bien qu’il soit plus faible que celui observé dans notre analyse (~ 2 %) qui, il faut le rappeler, n’a porté que sur des études contrôlées et randomisées. Les différences dans la sélection pour l’implémentation de l’AID expliquent probablement ces résultats un peu discordants qui soulèvent la question de savoir à qui on doit proposer les traitements par boucle fermée. Les indications sont multiples(28), mais les patients prioritaires devraient logiquement être ceux qui ont des diabètes instables, caractérisés par des hypoglycémies fréquentes, prolongées, sévères, asymptomatiques au départ et conduisant sans préavis à des manifestations neurologiques sévères. Toutefois, il convient de souligner que la boucle fermée dans sa forme actuelle n’a pas pu complètement résoudre ce problème, car de manière curieuse la plupart des essais randomisés ont omis d’inclure dans le recrutement des participants ceux qui avaient des diabètes instables. Le « Graal » serait d’avoir des TBR quasi égaux à 0 % tout en se rapprochant le plus possible de la normoglycémie et d’une variabilité glycémique normale qui idéalement ne devrait pas dépasser 27 % en termes de %CV(3). De plus, l’idéal serait d’atteindre un maximum de temps passé dans un intervalle glycémique resserré entre 70 et 140 mg/dL (TTIR pour « Time in Tight Range »). Avec les boucles fermées actuelles, principalement de type hybride, cet objectif reste difficile à atteindre en raison des incertitudes et insuffisances en termes de quantification des prises alimentaires et de l’activité physique. L’intelligence artificielle de type « deep learning » quand elle sera « embarquée » sur les boucles fermées permettra-t-elle de combler partiellement ou totalement ces lacunes ? Il convient de l’espérer, mais en attendant le terme de « pancréas artificiel » a peut-être été attribué un peu généreusement aux boucles fermées(29,30). Il faut d’ailleurs remarquer que cette formulation est de moins en moins utilisée dans les publications qui préfèrent parler de « boucles fermées » plutôt que de « pancréas artificiel ». En effet, cette dernière terminologie sous-entendrait stricto sensu une maîtrise parfaite de la « triade glucose » et de tous les désordres qui s’y rattachent afin d’obtenir les résultats suivants : zéro hypoglycémie, exposition chronique au glucose et variabilité glycémique ramenées dans la zone de quasi-normalité. Ainsi, l’avenir reste largement ouvert, ce qui valide le terme de « non-stop revolution » utilisé de manière prémonitoire il y a plus de quarante ans par le professeur Jacques Mirouze(31) , dont 3 des auteurs du présent article eurent le privilège de faire partie de ses proches collaborateurs.   * 1. Université de Montpellier, faculté de médecine de Montpellier 2. Université de Montpellier, faculté de médecine de Montpellier, département d’Endocrinologie Diabétologie, hôpital Lapeyronie, Montpellier 3. Université Grenoble-Alpes, faculté de médecine de Grenoble, département d’Endocrinologie, CHU de Grenoble Conflits d’intérêts LM et CC ne déclarent aucun conflit d’intérêts. ER déclare des honoraires comme consultant ou conférencier pour A. Menarini Diagnostics, Abbott, Air Liquide SI, Astra-Zeneca, Becton-Dickinson, Boehinger-Ingelheim, Cellnovo, Dexcom Inc., Eli-Lilly, Hillo, Insulet Inc., Johnson & Johnson (Animas, LifeScan), Medtronic, Medirio, NovoNordisk, Roche, Sanofi-Aventis et des soutiens à la recherche par Abbott, Dexcom Inc., Insulet Inc., Roche et Tandem Diabetes Care. P-YB a perçu des honoraires en tant que conférencier pour Abbott, Eli-Lilly, Novo-Nordisk et il est ou a été consultant scientifique pour Abbott, Diabeloop, Insulet, Eli-Lilly et NovoNordisk.

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