Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg
On ne peut qu’applaudir cette avancée qui propose enfin une solution agissant à la fois sur le contrôle de la prise alimentaire et sur les métabolismes périphériques. Toutefois, quelques nuages viennent obscurcir l’optimisme ambiant. Non pas tant du fait d’effets indésirables principalement digestifs, fréquents mais de sévérité modérée, que du fait du coût élevé de ces molécules. Celui-ci empêche d’envisager sereinement leur utilisation tout au long des années qui restent à vivre sachant que l’interruption du traitement est quasi inéluctablement suivie de la reprise d’une bonne part du poids perdu. Il est peu probable que ce coût puisse être compensé par la prévention des complications et de l’incapacité imputables à l’obésité. Un autre écueil est celui de l’inégalité de l’accès aux soins qui risque de se creuser davantage encore alors que l’incidence de l’obésité s’accroît tout particulièrement dans les pays en voie de développement touchés de plein fouet par le phénomène de la transition alimentaire. Enfin se pose la question des indications : à défaut de pouvoir traiter tous les obèses, qui traiter, en fonction de quels critères ?
Ainsi, l’obésité partage avec les autres maladies chroniques le triste privilège de pouvoir être traitée sans espoir de guérison, contrairement aux maladies transmissibles. Traiter sans guérir renvoie de fait à la prévention dont la pertinence est démontrée mais la réalisation erratique. Elle suppose une bonne connaissance des multiples déterminants sociaux, environnementaux et comportementaux menant au surpoids et à l’obésité afin de mettre en œuvre une politique de santé publique bénéficiant de ressources importantes permettant d’adapter les soins. Ce qui revient à faire le grand écart entre les mesures centrées sur l’individu chères aux soignants et une stratégie plus globale utile à la population alors qu’en l’état les ressources allouées au traitement des maladies sont plus importantes que celles consenties à la prévention. De l’amont dépend l’aval. S’il existe une continuité et un chevauchement entre la santé publique et les soins, il faut veiller à éviter la confusion des genres, la première étant élaborée à partir d’influences politiques et économiques alors que les seconds ne sont que l’aboutissement de ces influences. En effet, les soignants ne sont ni outillés ni assez nombreux pour s’attaquer aux déterminants socio-économiques. Une lutte efficace contre l’obésité repose sur la bonne articulation entre l’infrastructure de santé publique et le système de soins traditionnel. Endiguer l’incidence de l’obésité, cette maladie des excès qui prospère paradoxalement chez les plus démunis, passe par de l’amélioration de la santé des populations. C’est dire que la médecine de soins traditionnelle a fait son temps. Tout en prodiguant à chacun des soins compatissants en accord avec l’état de la science, il lui faut évoluer en inspirant une politique de santé dotée de structures et de moyens humains à la hauteur d’enjeux qui ne relèvent pas des soins mais de l’efficience de l’action publique : aider aux bons choix alimentaires, créer une cité favorisant la « marchabilité », assurer une éducation citoyenne à la santé, etc. Prévenir, traiter et si possible guérir, tel est le mantra des soignants de ce temps, qu’il s’agisse d’obésité ou d’autres maladies chroniques dont le fardeau ne cesse de s’alourdir autant du fait du style de vie que de l’allongement de la durée de vie.