Épidémiologie
Publié le 30 aoû 2023Lecture 11 min
Les relations complexes entre diabète et infection à Covid-19
Bernard BAUDUCEAU, Lyse BORDIER, service d’endocrinologie, Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé
Qui aurait pu prédire que l’année 2020 verrait l’apparition d’une pandémie qui retentirait sur les activités humaines de la planète et entraînerait le décès de millions de personnes ? L’épidémie de grippe espagnole en 1917 qui fit plus de morts que la Grande Guerre, était oubliée et faisait partie des livres d’histoire.
La gravité de l’infection à Covid-19 constatée chez les personnes vivant avec un diabète dans les premières semaines de l’épidémie a légitimement inquiété ces malades et amené la Société francophone du diabète et la Fédération française des diabétiques à communiquer sur ce sujet afin de faire la part entre les craintes réelles et les fantasmes. Depuis 2 ans, les publications se sont multipliées et permettent aujourd’hui de préciser les relations complexes qui existent entre le diabète et l’infection à Covid-19 et de répondre à un certain nombre d’interrogations.
L’épidémie de Covid-19 dans le monde et le diabète Les statistiques officielles, qui sont sans aucun doute sous-estimées dans certains pays, font état de 621 millions de cas et de 6,5 millions de décès dans le monde entier. L’infection par le SARS-CoV-2 entraîne dans l’ensemble de la population 80 % de formes peu symptomatiques, 5 % de formes graves et 5 % de cas nécessitant un passage en réanimation avec une intubation prolongée. Dans cette circonstance, la proportion des décès peut alors atteindre 50 %.
La symptomatologie habituelle associe fièvre, toux, asthénie intense et dyspnée, mais d’autres signes évocateurs sont possibles comme une anosmie brutale avec agueusie ou des manifestations atypiques à type de diarrhée, en particulier chez les personnes âgées(1). Les formes graves se manifestent par une détresse respiratoire liée à la pneumopathie, une myocardite virale, une embolie pulmonaire ou un orage cytokinique qui entraîne une défaillance multiviscérale.
Les taux de mortalité sont très variables, faibles avant 40 ans (0,2 %), mais atteignant 14,8 % en Chine et 20,2 % en Italie chez les personnes de plus de 80 ans(2). Selon plusieurs études, les sujets âgés représenteraient un tiers des contaminés et les trois quarts des décès. Si les comorbidités interviennent de façon très importante (diabète, HTA, BPCO, affections cardiovasculaires et obésité), des formes sévères peuvent s’observer chez des sujets jeunes en bonne santé.
C’est ainsi que les personnes vivant avec un diabète surtout de type 2, qui représentent 5 à 10 % de la population mondiale, sont plus fréquemment atteintes de formes graves en raison de leur âge, du sexe masculin, de l’obésité, des comorbidités et des complications micro- et macroangiopathiques. Au total, les patients diabétiques semblent constituer 10 à 20 % des malades hospitalisés, 20 % des personnes admises en réanimation et 30 % des décès(3).
Le diabète favorise-t-il l’infection à Covid-19 ?
Le diabète a été rapidement identifié comme un facteur de gravité de la pandémie liée au Covid-19 ce qui, à juste titre, a fait craindre que le diabète prédispose également à l’infection. Ces questions ont incité à la mise en place de CORONADO (Coronavirus SARS-CoV-2 and Diabetes Outcomes), une étude observationnelle multicentrique menée chez 2 796 patients diabétiques, hospitalisés pour Covid-19 dans 53 centres français du 10 au 31 mars 2020. Le critère principal d’évaluation combinait l’intubation trachéale et/ou le décès dans les 7 jours et les 28 jours suivant l’hospitalisation. L’âge moyen des participants était 70 ans et la population était à prédominance masculine (64 %). Un nombre restreint de patients diabétiques de type 1 a été inclus (moins de 3 %) ; beaucoup des sujets étaient obèses (38 %) et près de la moitié des malades avaient une HbA1c > 8 %(4).
De multiples facteurs interviennent pour favoriser la survenue des infections chez les personnes diabétiques. Les uns sont liés aux propriétés de certains germes à se développer dans une ambiance fortement glucosée, d’autres sont les conséquences du diabète comme l’hyperglycémie elle-même ou les complications de la maladie. Le niveau d’immunodépression est d’ailleurs variable au cours du diabète selon son ancienneté, l’importance des complications et les traitements immunosuppresseurs prescrits notamment en cas de greffe(5). L’âge qui s’accompagne d’une immunosénescence intervient également de façon très importante.
C’est ainsi que les infections sont fréquentes au cours du diabète, mais l’augmentation de leur prévalence varie en fonction des sites. Si les sepsis des tissus mous, notamment en cas de plaies des pieds, ainsi que les infections urinaires, sont bien connus, ce sont en réalité les pneumopathies qui sont le plus souvent observées au cours du diabète(6).
Toutefois, la plupart des études ne montrent pas que le diabète favorise par lui-même la survenue de l’infection à Covid-19, mais constitue indiscutablement un facteur de gravité en raison notamment des comorbidités associées à la maladie.
Quelles sont les relations entre l’infection à Covid-19 et l’équilibre glycémique ?
Dans l’étude CORONADO, l’âge, le type de diabète, l’HbA1c (en moyenne 8,1 %), les complications et les différents traitements du diabète n’étaient pas prédictifs de la survenue du critère combiné (intubation trachéale et/ou décès dans les 7 jours et les 28 jours suivant l’hospitalisation). Cette constatation, qui confirme les données de la plupart des autres études, indique que la qualité de l’équilibre glycémique n’influe pas sur la fréquence et la gravité des infections à Covid-19. En revanche, la glycémie au moment de l’hospitalisation était annonciatrice de formes sévères, mais elle semblait être davantage la conséquence de la sévérité de l’infection que responsable de sa gravité. Au cours de l’hospitalisation, une hyperglycémie importante était observée dans 11,1 % des cas et une hypoglycémie en rapport avec l’anorexie a été notée chez 6,3 % des malades.
Ainsi, l’infection à Covid-19 chez les personnes diabétiques multiplie grossièrement par 2 à 3 la gravité de l’infection tandis qu’en retour, l’épisode infectieux déstabilise l’équilibre glycémique, surtout en cas de corticothérapie nécessitant fréquemment le recours à une insulinothérapie au moins transitoire.
Le diabète favorise-t-il les formes graves de Covid-19 ?
Dans l’étude CORONADO, les éléments prédicteurs du critère principal à J7 et à J28 et donc de la gravité de l’infection chez des personnes hospitalisées étaient représentés par l’âge, le sexe masculin, l’IMC, les complications micro- ou macrovasculaires, la présence d’une dyspnée ainsi que le taux des ASAT et de la CRP. Le pourcentage des décès était de 10,6 % à J7 et de 20 % à J28, tandis que 50 % des personnes hospitalisées étaient de retour à domicile après 4 semaines d’hospitalisation(7). Cette enquête a pu démontrer que les facteurs de risque principaux de la mortalité étaient constitués par l’âge et le surpoids. Les personnes âgées de plus de 75 ans avaient ainsi un risque de décès 15 fois supérieur aux patients de moins de 55 ans. L’équilibre glycémique antérieur à l’hospitalisation n’était pas prédicteur des formes graves et les différents traitements, notamment les bloqueurs du système rénine-angiotensine et les inhibiteurs de la DPP4 ne jouaient aucun rôle délétère. Les patients diabétiques de type 1 semblaient rarement concernés puisqu’ils ne représentaient que 3 % de la cohorte CORONADO.
Le rôle néfaste joué par le diabète dans la gravité de l’infection à Covid-19 a été confirmé par les résultats de l’étude CORONADO Initiative, issue de l’étude CORONADO, qui a comparé 2 210 paires de participants (diabétiques et non diabétiques) appariés selon l’âge et le genre. L’indice de Charlson évaluant l’importance des comorbidités était plus altéré chez les personnes atteintes de diabète comme cela était attendu. Après de multiples ajustements portant sur l’âge, l’IMC et l’indice de Charlson, le diabète restait associé à un risque plus élevé de survenue du critère principal composite dans les 7 jours (HR = 1,42 ; IC95% : 1,17-1,72 ; p < 0,001) et dans les 28 jours (HR = 1,30 ; IC95% : 1,09-1,55 ; p = 0,003) après la date de l’hospitalisation. En comparaison de la population générale, les personnes diabétiques sont généralement plus âgées et présentent des comorbidités ou des complications, ce qui explique que le pronostic de l’infection à Covid-19 s’avère encore plus défavorable au cours du diabète(8).
L’épidémie de Covid-19 a-t-elle altéré la qualité des soins du diabète ?
L’épidémie de Covid-19 a fortement retenti sur le fonctionnement des services de santé dans tous les pays. Dans cette circonstance, la prise en charge des maladies chroniques, notamment du diabète, a été largement dégradée pendant plusieurs mois. Une étude menée en Angleterre illustre les conséquences de la pandémie sur la qualité du suivi de plus de 600 000 personnes diabétiques en comparant les taux de réalisation des examens de santé et des prescriptions recommandées par le National Institute for Health and Care avant et après le premier pic de Covid-19 en mars 2020.
En avril 2020, dans les cabinets anglais, la réalisation des contrôles a été réduite de 76 % à 88 % par rapport aux tendances historiques évaluées sur 10 ans. Ce sont les personnes âgées des zones défavorisées qui ont subi les plus fortes réductions des soins. Entre mai et décembre 2020, ces écarts se sont progressivement réduits, mais sont globalement restés inférieurs aux taux antérieurs à la pandémie comme cela a pu être observé dans d’autres pays. Globalement, durant cette même période, le taux de prescription de nouveaux médicaments hypoglycémiants a diminué de 19 % et celui de nouveaux antihypertenseurs de 22 %(9).
Ces résultats confirment l’impression de tous les acteurs de santé prenant en charge les personnes diabétiques. En effet, au cours des premiers mois de l’épidémie, tous les efforts ont été consacrés à la prise en charge des malades atteints de Covid- 19 et beaucoup de services de diabétologie ont complètement modifié leurs activités. En dépit du développement de la télémédecine, la qualité de prise en charge des personnes diabétiques s’est fortement dégradée. Les acteurs de santé ont dû et doivent gérer ce retard dans le suivi des malades qui a constitué une perte de chance pour les personnes et a entraîné une majoration des urgences métaboliques.
Le Covid-19 favorise-t-il l’apparition du diabète ?
Quelques travaux se sont intéressés à l’incidence des nouveaux cas de diabète survenant après une infection à coronavirus et à l’évaluation des risques d’une épidémie de diabète après celle du Covid-19. Une analyse rétro spective de cohorte a été réalisée de mars 2020 à janvier 2021 sur un panel représentatif de 1 171 cabinets médicaux répartis dans toute l’Allemagne et gérant 8,8 millions de patients. Le groupe témoin de référence était constitué par les personnes atteintes d’infections aiguës des voies respiratoires supérieures qui sont fréquemment causées par des virus. Après appariement sur le score de propension, l’incidence des cas de diabète de type 2 était majorée de 28 %. En revanche, aucune relation n’a été notée avec les autres types de diabète. Ces résultats confirment ceux d’enquêtes antérieures et montrent que l’exposition au Covid- 19 confère un risque accru de survenue d’un diabète de type 2. La constatation de pancréatites aiguës au cours de cette infection atteste du retentissement possible sur le pancréas. L’expression de l’ACE2 au niveau des cellules bêta qui constituent le récepteur du virus pourrait expliquer leur contamination et leur apoptose. Ce fait semble en contradiction avec l’absence de cas de diabète de type 1 dans cette étude, mais d’autres travaux ont rapporté des cas d’acidocétose après un épisode infectieux lié au Covid- 19. Une majoration de l’insulinorésistance en rapport avec une inflammation persistante après l’infection expliquerait mieux l’augmentation des cas de diabète de type 2. Toutefois, la majoration de l’incidence reste modérée, du moins à court terme, et ne doit pas faire redouter une explosion des cas de diabète de type 2 après la pandémie. Il n’en reste pas moins qu’une surveillance glycémique semble nécessaire après la guérison des formes même bénignes d’infection par le coronavirus(10).
Le diabète favorise-t-il la survenue d’un Covid long ?
Les signes de l’infection à Covid-19 disparaissent habituellement en 2 à 3 semaines. Cependant certains malades, qu’ils aient été hospitalisés ou non, peuvent présenter des symptômes au-delà de 4 semaines après le début de l’infection. Les symptômes en cause sont extrêmement variés : certains sont en rapport avec la sévérité de l’infection et les conséquences de l’hospitalisation (asthénie, douleurs, manifestations oculaires et cutanées) ; d’autres rappellent les signes d’un syndrome subjectif post-traumatique (troubles du sommeil, anxiété, difficultés de concentration, etc.) ; d’autres enfin paraissent en lien direct avec l’infection virale (anosmie et agueusie, dyspnée, manifestations cardiaque et neurologique, etc.). Quoi qu’il en soit, si la persistance de cette symptomatologie peut être longue, la récupération progressive est habituelle.
Très peu de travaux se sont attachés à évaluer le rôle du diabète dans la survenue du Covid long. Il est toutefois vraisemblable qu’en raison de la sévérité de l’infection chez les personnes diabétiques, la survenue des symptômes d’un Covid long soit plus fréquente.
La prévention doit-elle être intensifiée chez les personnes diabétiques ?
La gravité de l’infection à Covid-19 a incité à intensifier les moyens de prévention chez les sujets à risque et tout particulièrement chez les personnes âgées, diabétiques de type 2 présentant des comorbidités. Les mesures de distanciation sociale ont démontré leur efficacité au regard de l’effondrement concomitant de l’incidence des cas de grippe et de gastro-entérite constaté au cours de l’hiver 2020-2021. Ainsi l’efficacité de ces recommandations, déjà observées lors de l’épidémie de grippe espagnole, est avérée, mais nécessite l’acceptation et la participation active de la population.
Fort heureusement, les vaccins ont été très rapidement mis à disposition en utilisant la voie antigénique classique ou un vecteur viral par adénovirus. En fait, la technologie utilisant les ARN messagers, déjà employée contre les infections Ebola et Zika, a rapidement démontré sa très grande efficacité avec des effets secondaires mineurs. Après la crainte initiale due à la nouveauté, ces vaccins ont été adoptés par la population en dehors des irréductibles opposants à la vaccination.
Les différents vaccins ont été évalués chez des dizaines de milliers de volontaires et complétés par les expériences en vie réelle. L’efficacité des vaccins utilisant un vecteur viral de type adénovirus atteint à 60-70 %. Le schéma de vaccination à deux doses avec les vaccins à ARN confère une protection de 88 % contre la souche d’origine du virus, de 86 % contre le variant alpha et de 77 % contre le variant bêta. En revanche, l’efficacité est moindre pour les derniers variants, notamment omicron. La vaccination est efficace en prévention des formes graves et des décès. Une efficacité de 50 à 85 % est attestée contre les infections asymptomatiques et sur la transmission, du fait de la diminution de la présence du virus dans les voies nasales(11). Enfin, la vaccination pourrait réduire les cas de Covid long.
Toutefois, la réponse immunitaire paraît moins bonne chez les personnes en situation d’obésité qui semblent avoir une moindre réponse immunitaire, ce qui les rend plus vulnérables aux infections bactériennes ou virales. Si la production d’anticorps est conservée, l’immunité cellulaire semble altérée(12). Enfin, le diabète paraît diminuer la réponse au vaccin chez les résidents institutionnalisés âgés(13).
Malgré son intérêt manifeste, les freins à la vaccination n’ont pas disparu, ce qui est regrettable dans le pays de Pasteur qui a adopté l’inoculation de la vaccine dès la fin du XVIIIe siècle. Convaincre les réticents de l’innocuité et de la place essentielle des vaccins, notamment contre l’infection à Covid-19, est une tâche difficile au regard de l’influence de l’imaginaire, des réseaux sociaux et des médias.
Liens d’intérêt : les auteurs déclarent avoir effectué des interventions ponctuelles à la demande des firmes pharmaceutiques suivantes : AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Eli Lilly, Janssen, Merck Sharp & Dohme, Novo Nordisk, Pfizer et Sanofi.
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