Études
Publié le 24 fév 2023Lecture 11 min
La SOS Study trente ans après - Validation à très long terme de la chirurgie bariatrique
Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, Université de Strasbourg
À partir des années 1980, l’obésité n’est plus considérée comme une disgrâce, mais comme une authentique maladie chronique responsable d’une sur morbi-mortalité que seule une perte de poids intentionnelle et durable parvient à empêcher. C’est à la faveur de ce changement de paradigme que la chirurgie de l’obésité, dite bariatrique, a connu un essor aussi extraordinaire qu’imprévisible après quelques faux pas commis par d’audacieux pionniers qui ont failli la discréditer du fait de complications qui étaient souvent pires que le mal. La SOS Study (Swedish Obese Subjects) est l’étude fondatrice qui a convaincu les plus réticents de la pertinence de l’option chirurgicale dans la stratégie de prise en charge de l’obésité. Poursuivie depuis plus de trente ans, cette étude prospective s’est imposée comme une source inépuisable de données prouvant de façon indiscutable l’efficience de la chirurgie bariatrique.
L’emblématique SOS Study
Avant la SOS Study, conçue en 1987, aucune étude d’intervention prospective ayant la mortalité et les complications liées à l’obésité pour critère de jugement principal n’avait été entreprise chez des sujets obèses. L’étude SOS, toujours en cours, est emblématique par sa méthode, par l’ampleur de l’échantillon et par sa durée, et parce qu’elle répond à l’essentiel des questions que peut légitimement poser le recours à un traitement invasif pour une affection médicale chronique. Elle résume à elle seule les résultats de nombreuses autres études ayant exploré les avantages et les inconvénients de la chirurgie bariatrique de façon moins globale et sur des populations plus restreintes.
Cette étude prospective et contrôlée a été menée chez 2 010 sujets obèses ayant choisi de subir une intervention de chirurgie bariatrique et chez 2 037 sujets obèses traités de façon conventionnelle, recrutés respectivement dans 25 services chirurgicaux et 480 centres de soins de santé primaires suédois entre septembre 1987 et janvier 2001(1). Les témoins ont été sélectionnés à l’aide d’un algorithme d’appariement, de telle sorte que les valeurs moyennes des variables correspondantes dans le groupe témoin étaient comparables à celles du groupe chirurgical selon une méthode d’assignation séquentielle du traitement (sexe, âge, IMC, tour de taille, pression artérielle systolique, cholestérolémie, triglycéridémie, diabète, statut ménopausique, consommation de tabac, variables psychosociales, risque de décès, traits de personnalité liés au choix du traitement chirurgical ou conventionnel, etc.). Les critères d’inclusion étaient identiques pour les deux groupes : âge de 37 à 60 ans et IMC > 34 kg/m2 chez les hommes et > 38 kg/m2 chez les femmes. Les critères d’exclusion étaient une chirurgie gastrique ou bariatrique antérieure, une néoplasie au cours des 5 années précédentes, des troubles du comportement alimentaire, des addictions et des problèmes psychiatriques. Plusieurs techniques de chirurgie bariatrique ont été utilisées : pose d’un anneau gastrique (n = 376), gastroplastie verticale bandée (n = 1 369), by-pass gastrique (n = 265). Un suivi clinique et biologique standardisé a été réalisé chez tous les sujets (6 mois, 1, 2, 3, 4, 6, 8, 10, 15 et 20 ans après l’appariement). La SOS Study avait la mortalité pour critère d’évaluation principal ; l’incidence des événements cardiovasculaires et l’évolution du diabète de type 2 étaient les critères d’évaluation secondaires.
Limites de la SOS Study
La principale limite de l’étude SOS tient au fait qu’il s’agit d’un essai apparié et non d’un essai randomisé. À l’inclusion les patients ayant accepté la chirurgie sont moins âgés (48,6 vs 50,5 ans), ont un IMC plus élevé (42,4 vs 40,1 kg/m2), une adiposité abdominale plus marquée, une insulinémie à jeun plus élevée et un niveau d’éducation moindre que dans le groupe témoin. La perte de poids moyen était de 27,5 kg à 2 ans et de 22,7 kg à 10 ans dans le groupe chirurgie vs respectivement 3,2 kg et 4,8 kg chez les patients du groupe prise en charge conventionnelle. L’hétérogénéité des procédures chirurgicales et le recours limité à la voie laparoscopique sont un autre point faible de cette étude.
2007 : premiers résultats en faveur de la chirurgie
Les premiers résultats à 10 ans sont globalement en faveur du traitement chirurgical de l’obésité(2). La perte de poids moyenne était de 27,5 kg à 2 ans et de 22,7 kg à 10 ans dans le groupe chirurgie vs respectivement 3,2 kg et 4,8 kg chez les patients du groupe traité conventionnellement. La perte de poids est stabilisée à 25 % du poids initial dans le groupe by-pass, à 16 % dans le groupe gastroplastie et à 14 % dans le groupe anneau gastrique avec une perte maximale observée après 1 à 2 ans alors que dans le groupe témoin elle est de l’ordre de ± 2 %. La réduction autodéclarée de l’apport énergétique aux dépens des lipides et au profit des glucides ou des protéines au cours des 6 premiers mois postopératoires était associée à une plus grande perte de poids sur 10 ans(3).
Objectif principal : la mortalité
La réduction de la mortalité globale ajustée selon le sexe, l’âge et les facteurs de risque était de 30,7 % (p = 0,010 2), les causes de décès les plus fréquentes étant l’infarctus du myocarde (témoins n = 25, chirurgie n = 13) et le cancer (47/29). Toutefois, les décès précoces recensés au cours des 90 jours postopératoires étaient plus élevés dans le groupe chirurgie (0,2 %) et 2,9 % des patients ont subi une ou plusieurs nouvelles interventions en raison de complications directement imputables au geste chirurgical(2) (figure 1).
Une étude de cohorte rétrospective publiée dans la même livraison que les résultats de la SOS Study qui comparait la mortalité de témoins obèses appariés à celle des patients ayant subi un by-pass confirme la réduction de la mortalité toutes causes de l’ordre de 40 % après chirurgie ainsi qu’une diminution de la prévalence/incidence du diabète de 92 %, des coronaropathies de 56 % et du cancer de 60 %(4). Ces résultats contredisent quelques-uns des arguments opposés aux partisans de la chirurgie bariatrique : 1) la chirurgie bariatrique n’est pas grevée d’une mortalité rédhibitoire ; 2) la perte de poids importante n’accroît pas la mortalité contrairement à ce qu’avaient suggéré quelques études épidémiologiques ; 3) la chirurgie bariatrique est une approche thérapeutique de l’obésité qui peut être envisagée avant d’attendre l’échec des traitements conventionnels.
La mortalité postopératoire précoce et les complications doivent être nuancées par le fait que 9 interventions sur 10 avaient été réalisées « ventre ouvert » puisque les techniques laparoscopiques étaient encore en phase de développement au début de l’étude. Les complications non mortelles (14,5 % au cours des 90 premiers jours) étaient dominées par des complications pulmonaires, des fuites anastomotiques, des hémorragies et des infections de paroi. Une réintervention précoce a été nécessaire chez 2,9 % des patients.
Bénéfice cardiovasculaire
La SOS Study est la première étude prospective à avoir montré que la chirurgie bariatrique est associée à une réduction du nombre de décès et d’évènements cardiovasculaires (infarctus du myocarde ou AVC). Tous les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels, exception faite de l’hypercholestérolémie, ont été améliorés. Le bénéfice était plus marqué chez les sujets présentant une hyperinsulinémie à jeun (p < 0,001). La réduction de l’incidence de l’IDM était particulièrement importante chez les sujets diabétiques de la cohorte(5,6).
Rémission du diabète
La rémission précoce du diabète de type 2 a été rapportée dans de nombreuses études à tel point que l’option chirurgicale a été envisagée par certains comme le traitement du DT2, mais peu d’études ont fourni des résultats à moyen ou à long terme. Lors de l’inclusion dans la SOS Study, 260 des sujets témoins et 343 des sujets opérés avaient un diabète de type 2. Le suivi médical et biologique et la consultation des registres nationaux suédois dont la qualité est légendaire ont permis de se faire une opinion objective sur l’impact de la chirurgie bariatrique sur l’évolution du diabète et l’incidence des complications micro- et macrovasculaires bien que le taux de participation se soit amenuisé au fil des années (90 et 81 % à 2 ans respectivement chez les opérés et chez les témoins, 76 et 58 % à 10 ans et 47 et 41 % à 15 ans), le taux de rémission du diabète était 72,3 % (66,9 %- 77,2 % ; n = 219/303) chez les sujets opérés contre 16,4 % (11,7 %-22,2 % ; n = 34/207) chez les sujets soit un odds ratio de 13,3 (8,5-20,7 ; p < 0,001). Après 15 ans, le taux de rémission a diminué à 30,4 % (35/115) chez les sujets opérés et à 6,5 % (4/62) chez les témoins avec un OR de 6,3 (2,1-18,9 ; p < 0,001). Durant la même période, l’incidence cumulée des complications microvasculaires était de 20,6 pour 1 000 personnes-années (17,0-24,9) chez les sujets opérés et de 41,8 pour 1 000 personnes-années (35,3-49,5) chez les témoins avec un risque relatif (RR) de 0,44 (0,34-0,56 ; p < 0,001). Il existe une interaction significative entre le statut glycémique initial et l’effet du traitement (p = 0,000 3)(2). La réduction du risque relatif était plus importante chez les sujets présentant un prédiabète initial que chez ceux dont le diabète a été diagnostiqué par un dépistage et enfin chez ceux dont le diabète était connu à l’inclusion, ce qui suggère que le prédiabète gagne à être traité de façon incisive(7). Ces résultats suggèrent que le prédiabète doit être traité de manière agressive pour prévenir de futurs événements microvasculaires (figure 2).
Des complications macro-vasculaires ont été observées chez 31,7 pour 1 000 personnes-années (27,0-37,2) chez les sujets opérés et chez 44,2 pour 1 000 personnes-années (37,5-52,1) chez les témoins soit un RR = 0,68 (0,54- 0,85 ; p = 0,001). Dans cette étude observationnelle à très long terme, comme dans d’autres de moindre ampleur et de moindre durée, la chirurgie bariatrique est associée à une rémission du diabète plus fréquente et à moins de complications spécifiques par rapport à une prise en charge conventionnelle de l’obésité sévère(8,9).
Prévention du diabète
La chirurgie bariatrique réduit l’incidence des nouveaux cas de diabète de 96 %, 84 % et 78 % après 2, 10 et 15 ans(10). Le nombre de sujets à traiter (NST) pour prévenir 1 cas de diabète sur 10 ans est de 1,3 chez les patients ayant une dysglycémie contre 7,0 chez les patients ayant une glycémie à jeun normale (p < 0,05). Ces résultats confirmés par d’autres études incitent à envisager la chirurgie bariatrique comme une option indiquée aussi bien chez les obèses ayant un diabète avéré que chez les sujets obèses à risque de diabète.
Autres effets de la chirurgie bariatrique
Diminution de l’incidence du cancer
Dans la cohorte de la SOS Study où le cancer était la cause la plus fréquente de décès, la perte de poids importante et durable obtenue par la chirurgie bariatrique est associée à une diminution de l’incidence des cancers. Le nombre de cancers observé après chirurgie est plus faible que dans le groupe témoin (RR = 0,67 ; 0,53-0,85 ; p = 0,000 9). La différence est marquée chez les femmes avec une interaction sexe-traitement = 0,05(11). Il n’y a pas d’association entre le pourcentage de perte de poids et le risque de survenue de cancer au sein du groupe chirurgie. Une analyse effectuée plus récemment chez les sujets obèses et diabétiques après une médiane de suivi de 21,3 ans confirme la réduction de l’incidence des nouveaux cas de cancer qui est de 9,1 vs 14,1 pour 1 000 patients-année soit un RR ajusté de 0,63 (0,44-0,89 ; p = 0,008). Il faut donc opérer 20 patients obèses diabétiques pour éviter un nouveau cas de cancer. Là encore, ce bénéfice est plus marqué chez les femmes (RR = 0,79), mais le test d’interaction n’est plus significatif. Par ailleurs, l’existence d’une rémission du DT2 à 10 ans est associée de façon significative à une diminution de l’incidence des cancers (HR 0,40 ; IC95% 0,22-0,74 ; p = 0,003) (figure 3)(12). Ces résultats suggèrent qu’une rémission durable du DT2 est associée de façon indépendante à une réduction notable du risque de survenue d’un cancer à long terme sans qu’il soit possible de cibler un type de cancer particulier, même si l’effet n’est significatif que chez les femmes. À noter que la chirurgie bariatrique était associée à une réduction du risque de cancer cutané (RR ajusté = 0,43 ; p = 0,02 ; suivi médian, 18,1 ans), indépendamment de l’IMC initial(13).
Amélioration de la qualité de vie (QdV)
La QdV a été évaluée avant l’inclusion puis à intervalles réguliers pendant 10 ans chez 655 obèses opérés et 621 obèses traités conventionnellement. L’amélioration spectaculaire observée au cours de la première année post-opératoire est suivie d’une altération progressive de la QdV contemporaine de la phase de reprise pondérale qui survient entre 1 et 6 années après l’intervention. Néanmoins, à 10 ans, il persiste un gain net de la plupart des items d’évaluation de la QdV par rapport à l’évaluation initiale et par rapport au groupe témoin : ressenti de la santé, dépression, interaction sociale, fonctionnement psychosocial. En revanche, il n’y a pas d’amélioration significative de l’humeur générale et de l’anxiété. Une perte de poids de 10 % paraît suffisante pour avoir des effets positifs à long terme sur la QdV(14). Cependant, les difficultés rencontrées par certains patients pour contrôler et maintenir la perte de poids dans le temps ne doivent pas être ignorées, car elles obèrent la QdV.
Miscellanées
Bien d’autres effets bénéfiques observés dans des sous-groupes d’obèses issus de la cohorte SOS semblent attribuables à la chirurgie bariatrique : diminution de la masse ventriculaire gauche et amélioration du volume systolique et de la fonction diastolique du ventricule gauche, amélioration de la dyspnée d’effort, diminution de la prévalence de l’apnée du sommeil (p < 0,001), diminution des douleurs articulaires des genoux, des chevilles et du rachis dorsolombaire, augmentation de l’activité physique… Le recours aux médicaments est également modifié par la chirurgie : la réduction du coût des médicaments antidiabétiques et à visée cardiovasculaire est compensée par l’augmentation du coût des médicaments ayant pour but de corriger l’anémie et les carences vitaminiques ou l’inconfort digestif à l’échéance de six ans(15).
Plus de 20 ans après
Les premiers résultats sont confirmés au très long cours. La chirurgie bariatrique est bel et bien associée à une réduction de la mortalité toutes causes dans l’obésité sévère ainsi qu’en attestent plusieurs études et une méta-analyse récente estimant la réduction à 41 % à long terme (≥ 2 ans)(16). Toutefois, une étude rétrospective récente soulignait que le risque relatif de décès demeure plus élevé chez les patients ayant subi une intervention bariatrique que dans la population générale(17). Le follow-up au-delà de 20 ans des patients de la SOS Study confirme ces données en comparant l’espérance de vie des sujets obèses opérés ou non à une cohorte de référence (n = 1 135) après une durée médiane de suivi de 24 ans. La réduction du taux de mortalité dans le groupe chirurgie persiste à très long terme (22,8 % vs 26,4 %) avec un risque relatif de 0,77 (IC à 95 % : 0,68-0,87 ; p < 0,001). L’espérance de vie médiane ajustée dans le groupe de chirurgie était supérieure de 3,0 ans (IC à 95 % 1,8-4,2) par rapport au groupe témoin, mais 5,5 ans inférieure à celle du groupe de référence(18) ! La réduction de la mortalité responsable de l’amélioration de l’espérance de vie après chirurgie était principalement imputable à la diminution des décès par cancer. Vingt et quelques années après, les résultats de la SOS Study confortent le fait qu’une perte de poids durable obtenue par un geste de chirurgie bariatrique augmente l’espérance de vie sans rattraper l’espérance de vie d’un groupe de référence non obèse, prouvant ainsi que l’obésité raccourcit l’espérance de vie. Manière de rappeler que la prévention de l’obésité l’emporte sur le traitement.
Désormais la cause est entendue, dans l’obésité sévère, la chirurgie bariatrique est associée à une perte de poids à long terme, à une amélioration des facteurs de risque et à une diminution de la mortalité globale par rapport aux sujets obèses traités de façon conventionnelle comme l’ont démontré plus tard d’autres études de cohorte. La surmortalité précoce rapportée dans la SOS Study est à présent maîtrisée avec la généralisation de procédures laparoscopiques moins invasives développées depuis le début de la SOS Study.
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