Nutrition
Publié le 25 oct 2020Lecture 10 min
Diététique du diabète de type 2 - Low carb ou high carb, pour esquiver la vraie question sur la durée du régime
Jean-Louis SCHLIENGER*, Louis MONNIER**, *Professeur émérite, Faculté de médecine de Strasbourg, **Institut universitaire de recherche clinique, université de Montpellier
Il ne fait de doute pour personne que les glucides alimentaires sont des déterminants importants de la glycémie et, plus particulièrement, de la glycémie postprandiale. Pourtant les modalités de la prescription diététique dans le DT2 restent débattues. Les raisons en sont nombreuses : multiplicité des objectifs parfois difficiles à hiérarchiser (contrôle glycémique, gestion pondérale, prévention cardiovasculaire), personnalisation des régimes, critères objectifs d’évaluation de l’efficience discutables, perplexité quant à l’efficacité à long terme des mesures diététiques quelles qu’elles soient… La quête du régime diabétique « idéal » n’est pas près d’aboutir puisque les résultats des études visant à préciser la part souhaitable des glucides et des lipides sont assez souvent contradictoires.
La définition d’un régime pauvre en glucides ou low carb est floue et source de confusion. Elle recouvre aussi bien les régimes cétogènes très hypocaloriques (apportant habituellement moins de 50 g/j de glucides) que les régimes apportant jusqu’à 40 % de la ration énergétique sous forme de glucides. Les références nutritionnelles pour la population situent l’apport souhaitable en glucides à 40-50 %, voire dans un intervalle plus large tout en veillant à limiter les glucides « simples » ou « rapides » à 10 % de la ration, soit environ 50 g/j.
Évolution des conceptions du régime diabétique
À une époque déjà lointaine où l’arsenal pharmacologique était rudimentaire et où le critère de jugement était la glycémie à jeun, voire la glycosurie, la restriction glucidique sévère (< 150 g/j de glucides) s’était imposée comme une mesure thérapeutique qua si universelle. À partir des années 1980, la meilleure connaissance des glucides et de leur cinétique d’absorption, dont rend compte l’index glycémique, associée à une montée en performance des moyens pharmacologiques, a abouti à une relative libéralisation et à une personnalisation des mesures diététiques. La tolérance était prônée afin d’améliorer le taux d’adhésion au régime, de ne pas stigmatiser socialement les sujets diabétiques et de maintenir un équilibre entre les nutriments souhaitables dans le cadre de la prévention cardiovasculaire. Bien qu’il n’existe pas de régime diabétique standard(1), les recommandations préconisent habituellement un apport en glucides complexes riches en fibres compris dans la fourchette de 40 à 50 % de la ration énergétique avec 30 à 40 % de lipides et 15 à 20 % de protéines(1,2). La limite inférieure de l’apport glucidique, s’il y en a une, pourrait être fixée à 130 g/j. Cette quantité correspond à la consommation quotidienne obligatoire de glucose par le système nerveux.
Le dogme du low carb
La restriction glucidique avait conservé quelques adeptes dans des situations d’exception. Il en était ainsi dans le diabète insulinorequérant nécessitant de très fortes doses d’insuline où un régime cétogène proche du jeûne glucido-lipidique de type VLCD (very low carb diet) rebaptisé pour la circonstance « protein sparing modifying fast ou PSMF » permettait d’obtenir une amélioration extraordinairement rapide de la glycémie nécessitant une diminution drastique des doses d’insuline, bien avant toute perte de poids significative(3,4). Ces prouesses réalisées chez des sujets diabétiques présentant une obésité sévère sont restées relativement confidentielles. Ce n’est que depuis quelques années que les régimes très restrictifs en glucides sont revenus au-devant de la scène à la faveur de quelques essais menés chez des sujets obèses et diabétiques dans le but de forcer les verrous métaboliques pour obtenir à la fois une perte de poids rapide et un meilleur contrôle métabolique par le biais de la perte pondérale.
Plusieurs études d’intervention récentes ont tenté de consolider le dogme du low carb chez les diabétiques de type 2 et de fixer la quantité optimale de glucides alimentaires. Ces études très hétérogènes, de courte durée et souvent peu satisfaisantes d’un point de vue méthodologique ont montré à court terme que par rapport aux régimes diabétiques conventionnels improprement qualifiés de high carb, les régimes pauvres en glucides sont associés à une baisse plus importante de l’HbA1c, à une perte de poids plus marquée, à une baisse de la triglycéridémie, à une amélioration du HDL-C et à une diminution du rapport cholestérol/HDL-C. Les bénéfices métaboliques sont portés au crédit de la perte de poids. D’ailleurs, l’objectif de la perte de poids prime souvent sur le contrôle glycémique qui lui est subordonné. Quelques publications récentes — métaanalyses, études systématiques ou études contrôlées randomisées — ont mis le régime low carb à l’épreuve afin de dépasser le dogme et de fédérer les professionnels de santé autour de pratiques communes dans le DT2.
Figure 1. Régime du DT2 : répartition des glucides et des graisses mono-insaturées selon le niveau d’insulinorésistance. Quelle que soit la position du curseur, la somme devrait représenter les 2/3 de l’apport énergétique total(12).
Low carb contre high carb
Une métaanalyse de 10 études d’intervention randomisées (1 376 participants) sélectionnées selon les critères de la Cochrane Library a comparé les effets métaboliques d’un régime restreint en glucides (< 45 % de la ration énergétique) à un régime conventionnel limitant les glucides d’absorption rapide. La restriction en glucides est associée à une diminution plus importante de l’HbA1c (-0,34 % par rapport aux régimes de référence), d’autant plus marquée que la restriction en glucides est plus sévère. Cet effet précoce, qui disparaît après 1 an, est corrélé avec le niveau de la restriction calorique. Les autres paramètres explorés — IMC, LDL-C, qualité de vie et taux d’attrition — ne sont pas influencés par le niveau de l’apport glucidique(5). La supériorité des régimes restrictifs en glucides est finalement modérée et transitoire. Par ailleurs, les résultats sont entachés d’incertitudes et de biais qui ne permettent pas de départager les modalités de régime. En effet, il est probable que le traitement antihyperglycémiant a été adapté dans le groupe low carb, ce qui peut expliquer l’absence de différence du taux d’HbA1c après 1 an. Il existe également un manque d’information quant à la nature des glucides (index glycémique) et des lipides (rapport saturés/insaturés). Le niveau d’adhésion à chacune des formules de régime est un autre biais possible. Au total, en dehors d’une diminution plus importante de l’HbA1c durant les premiers mois, cette métaanalyse ne montre pas de supériorité des régimes restreints en glucides en termes de perte de poids, de contrôle glycémique ou de diminution du LDL-C.
Dans la métaanalyse qui vient d’être décrite, les régimes restrictifs en glucides étaient très hétérogènes, la part des glucides allant de 14 à 45 % et celle des lipides de 30 à 54 % de la ration énergétique. Il restait à préciser le niveau de restriction glucidique le plus efficient d’un point de vue métabolique en catégorisant mieux les apports glucidiques. C’était l’objectif d’une autre métaanalyse et revue systématique comparant dans le DT2 les effets sur l’HbA1c de différents niveaux de restriction glucidique par rapport à un régime normoglucidique. L’analyse portait sur 25 études proposant soit un régime cétogène (< 50 g/j de glucides), soit un régime low carb (< 130 g/j), soit un régime modérément restreint en glucides ou même normoglucidique (allant de 130 à 225 g/j), soit un régime conventionnel, regroupant au total 2 412 sujets diabétiques. Les régimes apportant moins de 130 g/j de glucides entraînent une diminution de l’HbA1c significativement plus marquée que les autres à 3 mois (-0,47 %, IC95% : -0,71 à -0,23), et à 6 mois, mais cette différence disparaît après 1 an (-0,11 %, -0,38, +0,15) et 2 ans. Il n’existe pas de différence entre le régime modérément restreint en glucides et le régime standard considéré comme high carb(6). Cette étude démontre la réalité du bénéfice des régimes apportant moins de 26 % de glucides sur le contrôle du métabolisme glucidique durant les 6 premiers mois de l’intervention. Les régimes low carb déterminent une amélioration significative du HDL-C et des triglycérides, mais ont un effet comparable aux autres régimes glucidiques sur le cholestérol total, le LDLC et la pression artérielle. Les variations bénéfiques sont imputées à la perte de poids et, pour la diminution de la triglycéridémie, à la substitution des glucides par des graisses mono-insaturées(7). Toutefois à plus ou moins long terme, les régimes low carb et high carb ont des performances comparables tant sur le contrôle métabolique que sur la perte de poids.
Low carb contre low fat
Les deux métaanalyses qui viennent d’être rapportées n’ont guère pris en compte la réduction de l’apport énergétique global et les modifications des autres nutriments induites par les régimes étudiés. Pourtant, la réduction de la part des glucides entraîne une modification de l’apport calorique et une augmentation compensatrice ou relative des autres nutriments énergétiques, en l’occurrence les lipides puisqu’il est convenu de maintenir un apport protéique normal ou élevé (15-25 %) pour préserver la masse musculaire. Une revue méthodique des essais randomisés contrôlés et des essais cliniques contrôlés a comparé chez des sujets DT2 les effets métaboliques des régimes low carb (< 40 % de l’apport énergétique global) et low fat (< 30 %) administrés pendant au moins 4 semaines. À court terme, les régimes pauvres en glucides entraînent une diminution plus importante de l’HbA1c — qui s’atténue après 1 an et disparaît après 2 ans — ainsi qu’une amélioration modérée de la glycémie, des triglycérides et du HDL-C. En revanche, l’évolution des taux de LDL ou d’autres paramètres tels que l’IMC, le tour de taille, la pression artérielle et la qualité de vie sont comparables. L’avantage semble donc être au régime low carb plutôt qu’au régime low fat bien que le niveau de preuve soit faible(8).
La part des lipides
Ne considérer que la teneur glucidique d’une ration c’est méconnaître, d’une part, la teneur lipidique qui, à apport énergétique constant, varie inversement avec celle des glucides et, d’autre part, l’apport énergétique qui par son effet direct sur le poids constitue un facteur de confusion important. Une équipe australienne a tenté de mieux cerner l’impact d’un régime low carb riche en graisses insaturées et pauvre en graisses saturées sur le contrôle glycémique et les facteurs de risque cardiovasculaire chez des sujets obèses DT2 par une étude prospective randomisée d’une durée de 2 ans(9). Les participants qui bénéficiaient par ailleurs d’un programme d’activité physique standardisé suivaient un régime hypocalorique isoénergétique, soit low carb (14 % de glucides, 58 % de lipides, dont moins de 10 % de graisses saturées), soit high carb et low fat (53 % de glucides, 30 % de lipides, dont moins de 10 % de graisses saturées). Les taux d’HbA1c, la glycémie à jeun, la perte de poids et de masse grasse et la pression artérielle étaient comparables dans les 2 groupes au terme de l’étude atteint par 33/58 sujets sous low carb et par 28/57 sujets sous high carb. Il n’existait pas non plus de différence de variation du LDL-C, du flux artériel endothélial-dépendant brachial, de la filtration glomérulaire ou de l’albuminurie. En revanche, le groupe low carb se distinguait par une moindre variabilité glycémique, une diminution des triglycérides (p < 0,001), un taux de HDL-C plus stable (p < 0,004) et par une réduction du traitement antidiabétique.
À en croire cette étude qui a comparé de façon quelque peu caricaturale les effets d’un régime isocalorique très restreint en glucides à ceux d’un régime normoglucidique, mais pauvre en graisses, il existerait quelque avantage en faveur de la formule low carb qui se manifeste principalement par la diminution des besoins en médicaments antidiabétiques et la diminution de la triglycéridémie. Est-ce suffisant pour imposer un régime contraignant allant à rebours des conceptions actuelles du traitement diététique du DT2 dont le but est, certes, de réduire le surpoids habituel, mais sans frustrations grâce à un plan alimentaire proche des recommandations élaborées pour la population générale ?
Conclusion
Low carb contre high carb, le match paraît devoir être rejoué dans le cadre de la recherche de régimes alternatifs pour améliorer le contrôle glycémique. Les études disponibles ne permettent pas de lever l’incertitude quant à la formule idéale du régime diabétique. Les bénéfices du low carb apparaissent non durables et insuffisants en regard des contraintes qu’il impose. En dehors de situations d’exception, la diététique du DT2, qui n’est qu’une partie des mesures thérapeutiques portant sur le mode de vie, vise à réduire la variabilité glycémique en privilégiant les aliments glucidiques à index glycémique bas et riches en fibres et à prévenir les maladies cardiovasculaires en respectant les ratios graisses saturées/monoinsaturées/polyinsaturées préconisés dans le droit fil des études épidémiologiques fondatrices sous réserve d’adapter l’apport énergétique aux objectifs pondéraux.
En l’état il n’y a pas lieu de révolutionner la conception actuelle du régime du DT2 qui fixe les apports en glucides aux alentours de 45 %. Les régimes à faible teneur en glucides ne se justifient que pendant une durée brève, comme « starter », comme cela a été indiqué dans les dernières recommandations de l’ADA(2). De toute manière un régime doit s’inscrire dans un temps long. Seuls les résultats à distance méritent d’être pris en compte. Ainsi le fait d’arriver aux objectifs glycémiques ou métaboliques en quelques jours ou semaines n’a qu’un intérêt relatif, le plus important étant de les maintenir sur la durée. À ce jour nul ne possède de solution miracle, car les mesures nutritionnelles nécessitent « patience », persévérance et longueur de temps aussi bien pour les « patients » que pour les professionnels de santé. Il n’est pas sûr que ces impératifs puissent être couramment acceptés et remplis.
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