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Études

Publié le 15 fév 2017Lecture 7 min

Un nouveau mode de lecture des essais cliniques

Propos recueillis auprès de Ronan ROUSSEL, Hôpital Bichat, Paris et Inserm U1138

Dans les essais réalisés chez les patients diabétiques, les résultats sur les critères cardiovasculaires sont délicats à interpréter. Ils sont traditionnellement analysés selon une vision binaire qui conduit à choisir entre un contrôle intensif et un contrôle moins intensif, le choix étant principalement modulé par l’importance du déséquilibre glycémique, l’ancienneté du diabète, les comorbidités et l’espérance de vie. Ronan Roussel propose un autre mode de lecture des essais qui tient compte de leurs caractéristiques et de la réduction du risque des événements. 

L’étude UKPDS avait mis en évidence dès 1998 une réduction du risque d’infarctus du myocarde de 16 % (p = 0,052) chez les patients traités de manière intensive, comparativement au traitement standard(1). Le bénéfice d’une prise en charge intensive du diabète sur les événements cardiaques a ensuite été conforté par les résultats à 10 ans de l’étude UKPDS publiés en 2008(2). Toutefois, la même année, sont également parus les résultats des trois études d’intervention ADVANCE, VADT et ACCORD, cette dernière ayant même été interrompue en raison d’une surmortalité dans le bras intensif(3-5). Il en a donc été conclu schématiquement que le contrôle glycémique intensif ne serait pas aussi bénéfique qu’espéré en termes de risque cardiovasculaire, qu’il le serait chez les patients diabétiques pris en charge précocement après le diagnostic de la maladie et qu’il serait vain de traiter intensément après une longue durée d’évolution, en particulier chez les patients ayant déjà développé des complications cardiovasculaires. Parmi les médecins non directement impliqués dans la prise en charge du diabète, nombreux sont ceux qui en ont même tiré pour conclusion que le contrôle glycémique est inutile chez les patients diabétiques de type 2. Un nouveau critère d’évaluation : le différentiel d’exposition à l’hyperglycémie Ronan Roussel a voulu rompre avec cette conception binaire impliquant de devoir choisir entre un contrôle glycémique intensif et un contrôle standard, exemplifiée par les métaanalyses qui regroupent les études sans tenir compte de leurs caractéristiques. Si l’on s’accorde à penser que les complications macrovasculaires du diabète sont des complications chroniques et par là-même qu’elles s’installent progressivement, il est peu probable qu’un contrôle glycémique intensif soit efficace à court terme. Cela justifie de reconsidérer les études en tenant compte de la différence d’exposition glycémique dans le temps entre le groupe de traitement intensif et le groupe de traitement conventionnel pour l’interprétation des résultats. Dans certaines études, l’HbA1c était très élevée à l’entrée et l’est restée dans le groupe de traitement standard ; dans d’autres, l’HbA1c est basse dans les deux groupes. Le calcul d’un effet moyen, comme dans une métaanalyse, ne tient pas compte de ces différences. D’où l’idée développée par R. Roussel de considérer un nouveau paramètre, facile à approximer pour chacune des études : l’exposition différentielle à l’hyperglycémie, laquelle correspond à la différence d’aire sous la courbe d’HbA1c entre les deux bras de l’essai. L’unité de ce paramètre est le pourcentage d’HbA1c x années d’exposition (HbA1c-années), sur le modèle des paquets-années du fumeur (1 paquet/j pendant 10 ans = 10 PA ; 2 paquets/j pendant 5 ans = 10 PA). La réalisation de cette estimation pour chacune des études montre que le différentiel d’exposition à l’hyperglycémie exprimé en HbA1c-années est très variable. Elle permet d’analyser la corrélation entre l’exposition différentielle à l’HbA1c et différents critères d’évaluation cardiovasculaire. Une nouvelle lecture des études Un premier exemple est fourni par l’étude Kumamoto déjà ancienne, qui avait randomisé des patients diabétiques de type 2 insulinotraités entre traitement intensif et traitement conventionnel(6) ; sur un suivi de 8 ans, l’écart d’HbA1c observé entre les deux groupes était de 2,2 % (7,2 ± 1 % vs 9,4 ± 1,3 %). Le calcul de l’exposition différentielle, 2,2 % x 8 ans, indique 17,6 HbA1c-années. Dans cette petite étude (110 patients inclus), le nombre d’événements cardiovasculaires est peu élevé mais le risque a été réduit de moitié environ (0,6 vs 1,3/100 patients-années). Les mêmes calculs peuvent être réalisés pour les études UKPDS, VADT, ADVANCE et ACCORD, qui varient par le différentiel d’HbA1c entre les groupes, la durée de l’étude et les événements. Ce type d’analyse peut aussi être appliqué aux études de sécurité cardiovasculaire réalisées contre placebo où le différentiel d’HbA1c est minime et la durée relativement courte. La relation entre les variables – l’exposition différentielle à l’hyperglycémie, en abscisse, et le risque (hazard ratio) d’événements cardiovasculaires (critère composite des événements cardiovasculaires majeurs ou critères individuels), en ordonnée – suit une très belle corrélation linéaire, où l’on retrouve à droite l’étude Kumamoto (longue durée, important différentiel) et à gauche des études comme TECOS, ELIXA, SAVOR ou EXAMINE (très faible différentiel) (figure). La pente de cette droite de corrélation représente le retour sur investissement, en d’autres termes la réduction du risque cardiovasculaire selon l’effort soutenu pour agir sur la glycémie. Au final, une réduction intense et prolongée de la glycémie a un impact majeur sur l’exposition différentielle à l’hyperglycémie qui se traduit par une réduction du risque d’événements cardiovasculaires. Figure. Cette perspective diffère de la vision classique en ce qu’elle est non binaire, qu’elle tient compte du design de l’étude et de l’efficacité de la prise en charge en termes de réduction de l’exposition à l’hyperglycémie. Elle a surtout pour valeur de générer des hypothèses mais elle peut aussi contribuer à l’interprétation des essais, en particulier les nouveaux essais, et éventuellement à concevoir les futures études. Dans cette perspective il serait inutile de planifier une étude sur un effectif gigantesque mais de courte durée, 2 ans par exemple, car il faut donner le temps aux complications chroniques pour être réduites significativement, elles qui ont pris du temps à s’installer. Ainsi, en incluant 100 000 patients suivis pendant 2 ans, on parviendrait peut-être à mettre en évidence une réduction de risque de 5 à 7 %, qui ne serait pas pertinente. Cette vision conforte aussi les recommandations prônant une individualisation de la prise en charge des patients diabétiques, notamment en fonction de l’espérance de vie. Chez un patient ayant une espérance de vie limitée et une HbA1c élevée ou, au contraire, chez un patient ayant une longue espérance de vie et une HbA1c peu élevée, le bénéfice de la réduction glycémique sera quantitativement assez faible. Comment se positionnent les récentes études de sécurité cardiovasculaire ? L’analyse des études récentes, EMPA-REG, LEADER et SUSTAIN- 6(7-9), peut bénéficier de l’analyse réalisée selon l’exposition différentielle à l’hyperglycémie, en permettant de visualiser ce qui revient au contrôle glycémique et ce qui peut être imputé à un effet particulier du traitement. Dans les essais des agonistes du récepteur du GLP-1, dont l’effet sur la pression artérielle est reconnu, LEADER se positionne légèrement en dessous de la droite de corrélation, ce qui suggère que le bénéfice tiré par les patients du bras liraglutide est supérieur à celui attendu du contrôle glycémique ; cependant, la réduction du critère combiné des événements cardiovasculaires majeurs est tout juste significative et la borne supérieure de l’intervalle de confiance croise la droite de corrélation, ne permettant pas d’exclure un effet aléatoire. Dans l’étude SUSTAIN-6 qui évaluait un a-GLP-1 très puissant, le semaglutide, sur une courte durée (2 ans), la baisse de l’HbA1c a été considérable durant les premiers mois pour s’atténuer par la suite ; le différentiel d’exposition à l’hyperglycémie n’est pas très important en raison de la durée brève de l’étude, mais non négligeable grâce à la puissance du semaglutide. SUSTAIN-6 se positionne nettement en dessous de la droite de corrélation, qui traduit le rendement du contrôle glycémique. On peut donc en conclure que le semaglutide a apporté un bénéfice supplémentaire au-delà de son effet sur le contrôle glycémique en termes de risque cardiovasculaire, ce supplément pouvant être lié à la réduction de la pression artérielle. Il est possible d’appliquer ce système de lecture des essais en corrélant le différentiel d’exposition à l’hyperglycémie à d’autres critères d’évaluation que les événements cardiovasculaires majeurs, par exemple l’insuffisance cardiaque : en fait, il n’y a alors pas de corrélation significative. Dans cette analyse en fonction du critère hospitalisation pour insuffisance cardiaque, du nuage de points, se distinguent de manière péjorative vers le haut les études des glitazones, RECORD et PRO-Active(10-11), et vers le bas de manière bénéfique l’étude de l’empagliflozine EMPA-REG OUTCOME(9). Cette dernière étude se positionnait clairement sur la droite de corrélation avec le critère combiné des événements ischémiques, grâce à une réduction tout juste significative de 15 % de ce critère, essentiellement liée à son effet hypoglycémiant. De cette double analyse, on peut déduire qu’il n’y a pas de corrélation entre le bénéfice de contrôle glycémique et l’incidence des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et que l’empagliflozine apporte un bénéfice supplémentaire pour réduire cette complication au-delà de l’effet hypoglycémiant. M. DEKER

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