Publié le 08 nov 2018Lecture 8 min
VADT (Veterans Affairs Diabetes Trial) : quelles leçons après 15 ans de suivi ?
Bernard CHARBONNEL, Université de Nantes
Les résultats de la grande étude d’événements VADT, après 15 ans de suivi de la cohorte des patients inclus au départ, viennent d’être publiés au congrès de l’ADA en juin 2018 et ils sont d’un intérêt particulier.
Rappelons ce qu’est l’étude VADT
Il s’agit d’une des quatre grandes études d’événements qui posent la question « Est-ce qu’un contrôle glycémique strict prévient les complications cardiovasculaires, quelles que soient les médications antidiabétiques utilisées pour obtenir le contrôle glycémique ? ». Les trois autres études qui posent la même question sont la vieille UKPDS à la méthodologie incertaine, ACCORD et ADVANCE. Il convient de ne pas confondre les quatre études en question avec les nombreuses études récentes qui posent une question différente, celle de la sécurité cardiovasculaire d’un antidiabétique donné, sans grande différence glycémique entre le bras placebo et le bras actif, par exemple TECOS pour la sitagliptine ou LEADER pour le liraglutide. Comparativement à ACCORD et ADVANCE, VADT est une étude relativement petite puisque portant sur 1 791 patients à l’inclusion, ce qui en diminue la puissance statistique.
Les caractéristiques des patients inclus (tableau) montrent qu’il s’agit de patients très déséquilibrés au départ, ayant plus de 60 ans d’âge moyen et plus de 10 ans de maladie diabétique, plus de 40 % des patients présentant déjà une maladie cardiovasculaire constituée. Ce sont donc des patients assez comparables à ceux de ACCORD mais très différents de ceux de l’UKPDS (inclus au moment de la découverte du diabète).
Pendant la durée de l’étude proprement dite (médiane 5,6 années), ce que les auteurs appellent « le contraste glycémique », autrement dit la différence d’HbA1c entre le bras dit intensif et le bras dit contrôle, a été particulièrement important, 1,5 % (6,9 % versus 8,4 %), alors qu’il n’était que de 1,1 % dans ACCORD, 0,9 % dans l’UKPDS et, en moyenne cumulée (car la différence a été très longue à obtenir) autour de 0,5 % dans ADVANCE, contraste glycémique sans doute insuffisant dans ADVANCE pour conclure quoi que ce soit puisque la question posée par l’étude repose sur une différence suffisante d’HbA1c entre les deux bras.
Au terme de l’étude proprement dite(1), le critère composite cardiovasculaire primaire était réduit dans le bras intensif, avec un risque relatif de 0,88 (0,74-1,05) mais ce résultat était non significatif, comme il était non significatif dans les trois autres études posant la même question, UKPDS, ACCORD et ADVANCE (mais avec une tendance forte vers un bénéfice dans UKPDS et ACCORD ; seule ADVANCE montrait une neutralité, à vrai dire attendue vu le faible contraste glycémique observé dans cette étude). Une tendance non significative vers une surmortalité, corrélée aux hypoglycémies sévères, a été observée.
Résultats du suivi de l’étude VADT
Après la fin de l’étude proprement dite, de manière préspécifiée et avec une grande rigueur méthodologique, bien meilleure que celle du suivi de l’UKPDS, les patients ont été suivis avec un résultat intermédiaire publié(2) après 10 ans (médiane 9,8 années) et un résultat final à 15 ans (médiane 13,6 années) qui vient d’être rapporté à l’ADA.
Il est important de considérer le contraste glycémique pendant ce suivi (figure 1) : à la différence de ce qui a été observé dans l’UKPDS ou dans ACCORD, il a persisté une différence glycémique entre les patients initialement dans le bras intensif ou initialement dans le bras contrôle, différence relativement importante au départ et qui s’est atténuée progressivement au fil des années. Autrement dit, les patients initialement dans le bras intensif ont gardé pendant quelque temps des habitudes thérapeutiques efficaces et puis, au fil des années mais pas tout de suite, leur HbA1c a rejoint celle des patients initialement dans le bras contrôle. Pendant les 4,2 années médianes du suivi intermédiaire, le contraste glycémique cumulé sur les 4,2 années en question a été de 0,3 % mais ceci représente, en valeur cumulée depuis l’inclusion, un contraste qui demeure important à 1 %. En revanche, les deux courbes se rejoignent complètement vers la 10e année et, sur l’analyse finale à 15 ans, le contraste cumulé depuis l’inclusion n’est plus que de 0,7 %.
Figure 1. Le contraste glycémique pendant l’étude VADT.
L’analyse intermédiaire à 10 ans avait montré un bénéfice cardiovasculaire significatif pour les patients initialement inclus dans le bras intensif, risque relatif de 0,83 (0,70-0,99) pour un critère composite dur : infarctus du myocarde, AVC, insuffisance cardiaque, mort cardiovasculaire et amputation ischémique. Les courbes divergeaient tôt, bien avant la fin de l’étude proprement dite, mais il faut attendre plus de cinq ans pour qu’il y ait significativité (figure 1).
L’analyse finale à 15 ans ne montre plus de bénéfice cardiovasculaire (figure 2), la tendance reste positive, avec un risque relatif à 0,91 (0,78-1,06), mais elle n’est plus significative. Il n’y a pas de différence pour la mortalité, qu’elle soit cardiovasculaire ou toutes causes. Les mêmes tendances s’observent pour les complications oculaires ou rénales : bénéfice tant qu’il y a un contraste glycémique, disparition du bénéfice quand le contraste glycémique disparaît.
Figure 2. Résultats de l’étude VADT au moment de l’analyse intermédiaire à 10 ans puis au moment de l’analyse finale à 15 ans.
HbA1c merging : moment où il n’y a plus de contraste glycémique.
VADT : quelles leçons ?
Les principales leçons de l’étude VADT, qu’il s’agisse de l’étude proprement dite, du suivi intermédiaire à 10 ans ou du suivi final à 15 ans, cohérentes entre elles, sont les suivantes :
Contrairement à ce qui se dit parfois, un contrôle glycémique strict prévient les complications cardiovasculaires, mais il faut un certain temps, un peu plus de cinq ans, pour que ce bénéfice se manifeste. Ce bénéfice n’est pas restreint aux patients sans complications cardiovasculaires, il concerne tous les patients, y compris les patients qui ont plus de 10 ans de diabète et des complications cardiovasculaires constituées. Clairement, une HbA1c < 7 % est mieux qu’une HbA1c > 8 %.
Le concept de « contraste glycémique » est critique de ce point de vue. C’est à vrai dire logique étant donné que l’étude (comme UKPDS, ACCORD et ADVANCE) pose précisément la question : est-ce qu’une différence glycémique, « un contraste glycémique », entre un bras intensif et un bras contrôle prévient les complications ? Encore faut-il qu’il y ait dans l’étude une différence glycémique suffisante, ce qui est évidemment le cas de VADT, à un moindre degré celui de ACCORD et UKPDS (dans ces deux études, la tendance est positive et devient significative durant le suivi de l’UKPDS). Ce n’est pas le cas de ADVANCE où le contraste glycémique est de l’ordre de seulement 0,5 % sur l’ensemble de l’étude proprement dite, encore moins pour le suivi. Le résultat négatif de ADVANCE vient donc plutôt conforter le concept : pour qu’un contrôle glycémique strict prévienne les complications cardiovasculaires, il faut une réduction d’HbA1c relativement importante, qu’on peut appeler cliniquement significative. Dans VADT, le résultat significatif à 10 ans est obtenu pour un contraste glycémique cumulé de 1 %. C’est assez proche de ce qui a été observé dans l’UKPDS. Pour un contraste glycémique cumulé de 0,7 % à 15 ans, il n’y a plus de significativité.
« L’analyse par médiation » vient conforter ces conclusions. Il s’agit d’une analyse statistique multivariée qui permet de voir quelles sont les variables responsables du bénéfice clinique dans les études d’événements. Ainsi, à titre d’exemple, l’hématocrite et non l’HbA1c est sorti dans EMPAREG (bénéfice cardiovasculaire du SGLT2-inhibiteur, empagliflozine). Si on ajuste sur l’HbA1c les bras intensifs et contrôle de VADT, autrement dit si on « gomme » le contraste glycémique par le modèle statistique, le bénéfice clinique à 10 ans disparaît dans VADT, et c’est d’ailleurs également le cas dans ACCORD par le même type d’analyse.
VADT vient plus ou moins infirmer le concept très populaire, mais bien peu « evidence-based », de « mémoire » ou « legs » glycémique. Ce concept vient du suivi de l’UKPDS. Un bénéfice significatif pour le risque d’infarctus du myocarde et pour le risque de mortalité avait été observé après plus de 10 ans de suivi. Il avait alors été suggéré par les auteurs de l’UKPDS qu’un bon contrôle initial entraînait un bénéfice à distance, ce qu’ils ont appelé « le legs glycémique » et que d’autres appellent la mémoire glycémique. Ce concept a été utilisé tous azimuts et sans grand discernement par les cliniciens diabétologues : il a notamment été dit qu’un mauvais contrôle glycémique entraînait ce qu’on pouvait appeler « un mauvais legs », difficile à rattraper, d’où l’importance d’un contrôle glycémique strict dès le diagnostic du diabète, ce qui est une interprétation au minimum de bon sens. Mais il existe aussi une dérive de cette interprétation, bien hasardeuse dans ses conséquences cliniques, à savoir que le contrôle initial est important et que, ensuite, ce n’est pas bien important de contrôler le diabète…
VADT vient remettre de l’ordre dans tout cela : il existe (vraisemblablement car le tout est sous réserve de significativités qui n’ont pas toujours été préspécifiées) un bénéfice cardiovasculaire d’un strict contrôle glycémique, mais ce bénéfice s’observe dès lors que le strict contrôle glycémique est obtenu, pendant la période où il est obtenu et non pas à distance sous l’effet d’on ne sait quelle mystérieuse mémoire.
Conclusion
À la lumière des résultats de VADT et malgré la puissance statistique un peu faible de cette étude, il est permis en 2018 d’avoir une conclusion d’ensemble cohérente pour les quatre études posant la question du rôle d’un strict contrôle glycémique sur les complications cardiovasculaires :
- il existe très vraisemblablement une protection cardiovasculaire par un bon contrôle glycémique dès lors que la réduction glycémique est importante ;
- elle se voit chez tous les malades, au moment du diagnostic de diabète mais aussi chez les patients avec des complications cardiovasculaires constituées ;
- elle prend un certain temps pour se manifester mais sans qu’il soit besoin de faire appel à on ne sait quelle « mémoire glycémique ».
- Ce qui compte, c’est le bon contrôle au moment du bon contrôle et non pas à distance de celui-ci. Ceci conforte les cliniciens dans ce qu’ils ont toujours fait, à savoir bien contrôler les patients et ne pas relâcher l’effort.
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