Nutrition
Publié le 14 déc 2016Lecture 8 min
Consommation d’alcool et métabolisme glucosé : entre paradoxes et discordances
J.-L. SCHLIENGER, Professeur honoraire, université de Strasbourg
L’alcool a des effets systémiques paradoxaux. Toxique, assimilé à une drogue et facteur indiscutable de surmortalité lorsqu’il est consommé en excès, il est aussi reconnu à la suite de nombreuses études épidémiologiques aux résultats convergents comme un facteur susceptible de réduire la mortalité globale — tout particulièrement coronarienne — lorsqu’il est consommé régulièrement et avec modération (au maximum 20 g/jour d’alcool pour les femmes et 30 g/jour d’alcool pour les hommes soit 2 ou 3 verres standards d’une boisson alcoolique). En plus de ses effets tissulaires parfois caricaturaux si l’on en juge par les pathologies induites (cirrhose, neuropathies et atteintes cérébrales), l’alcool a également des effets métaboliques assez mal connus et encore discutés dans la mesure où sa consommation régulière a été associée à la prévention du diabète de type 2 mais aussi à la survenue d’hypoglycémies ou de désordres glycémiques chez le sujet sain et chez le sujet diabétique.
Les données expérimentales ne pouvant pas être extrapolées à l’homme et les facteurs de confusion étant trop nombreux, il n’est pas facile de tenir un discours quant à la relation entre alcool et métabolisme glucosé au regard des connaissances actuelles et dans un climat de santé publique quelque peu liberticide qui considère que l’alcool est une drogue parmi d’autres. En fait, comme l’affirmait Paracelse il y a cinq siècles, « tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison ».
Alcool et glycémie
La consommation d’alcool a des effets variables selon l’état nutritionnel. Elle ne modifie guère la glycémie lors du jeûne nocturne chez un sujet en bonne santé. En revanche, la consommation aiguë d’alcool peut déclencher une hypoglycémie sévère chez un buveur excessif dénutri ou ayant une insuffisance hépatocellulaire. Selon une métaanalyse récente, la consommation de 10 à 70 g d’alcool/jour (1 à 7 verres standards de vin ou de bière) n’entraîne pas de perturbation glycémique chez un sujet non diabétique(1). Par ailleurs, l’effet hyperglycémiant des boissons alcoolisées non sucrées relève davantage de la croyance populaire que de la réalité.
Hypoglycémie alcoolo-induite
La classique hypoglycémie alcooloinduite dans le contexte d’un jeûne prolongé ne survient pas dans le cadre d’une consommation régulière. Elle est la conséquence de l’inhibition de la néoglucogenèse et de l’augmentation de la consommation glucosée tissulaire. Expérimentalement, l’alcool augmente la libération des lactates musculaires et empêche l’utilisation hépatique des lactates, ce qui explique l’hyperlactacidémie observée chez les sujets à jeun ayant ingéré de grandes quantités d’alcool. L’alcool inhibe également la synthèse de glucose de novo à partir du glycérol et de l’alanine mais n’a pas d’effet sur la néoglucogenèse à partir du substrat pyruvate. L’inhibition de la néoglucogenèse est liée au métabolisme oxydatif de l’alcool par l’alcool déshydrogénase qui élève le rapport NADH/NAD et, de ce fait, le rapport pyruvate/lactate. L’alcool réduit de surcroît l’activité de la pyruvate carboxylase, enzyme limitante de la néoglucogenèse. Dans les modèles de consommation chronique, la capacité de néoglucogenèse n’est que modérément réduite.
Effet hyperglycémiant ?
Les résultats rapportés dans la littérature sont contradictoires. L’ingestion aiguë d’alcool ne semble pas véritablement hyperglycémiante, même si l’alcool en excès stimule la glycogénolyse et inhibe la mise en réserve du glycogène hépatique chez l’animal nourri.
Effet sur la consommation glucosée
Les études des effets de l’alcool sur le métabolisme glucosé musculaire et des autres tissus fournissent des résultats contradictoires et variables selon l’espèce et les modalités d’administration de l’alcool. Dans certaines études, l’alcool augmente la captation musculaire du glucose, dans d’autres il l’inhibe. Néanmoins on admet qu’une consommation chronique modérée n’a pas de conséquences significatives sur le métabolisme glucosé périphérique. De fait, la teneur en glycogène musculaire n’est diminuée que dans les modèles d’alcoolisation aiguë, bien que l’alcool soit un inhibiteur de la libération du glycogène musculaire. Par ailleurs, l’alcool ne modifie pas la captation glucosée du myocarde ou du tissu adipeux et n’a pas d’effets métaboliques sur les autres tissus périphériques. L’alcoolisation aiguë diminue la captation cérébrale du glucose et la consommation glucosée cérébrale ainsi qu’en atteste l’imagerie PET-scan.
Effets sur la tolérance glucosée
L’alcool diminue la vitesse de la vidange gastrique et donc de l’absorption glucosée et semble également avoir un impact sur la sécrétion des incrétines sans modifier la tolérance glucosée de façon notable. Une amélioration de la tolérance au glucose a même été rapportée par plusieurs auteurs. Cette discordance pourrait s’expliquer par un effet dose-réponse selon une courbe en U ou en J : un apport élevé n’aurait pas de répercussions mesurables alors qu’un apport modéré et régulier améliorerait la tolérance glucosée. Cette vision conciliatrice est corroborée par les études de population montrant une amélioration de la tolérance au glucose et de la sensibilité à l’insuline chez les consommateurs modérés par rapport aux abstinents(2). Les effets délétères sur la tolérance glucosée d’une consommation excessive chronique sans hépatopathie seraient dus à l’un des métabolites de l’alcool plutôt qu’à l’alcool lui-même.
Effets sur l’insulinémie et la sécrétion d’insuline
Expérimentalement, l’alcool inhibe la phase précoce et la phase tardive de l’insulinosécrétion, tout comme son métabolite, l’acétaldéhyde. Cet effet est médié par la voie de signalisation muscarinique et l’activation de la protéine kinase C (PKC) mais est indépendant des canaux calciques. En réalité, ni l’ingestion aiguë, ni la perfusion d’alcool, ni l’ingestion chronique d’alcool ne modifient l’insulinémie de façon univoque et tangible dans les différents modèles animaux. Chez l’homme, les modifications observées sont d’interprétation difficile. Des études par glucose-clamp ont suggéré que l’alcool potentialise la phase précoce et tardive de la sécrétion d’insuline et stimule la riposte d’insuline au stimulus glucosé mais inhibe la stimulation de l’insuline par les sulfamides. En l’occurrence les effets in vitro et in vivo sont très contradictoires et leur extrapolation à l’homme pour le moins hasardeuse, d’autant qu’elle dépend de la corpulence(3).
Impact de l’alcool sur l’action de l’insuline
L’intoxication alcoolique aiguë expérimentale est responsable d’une résistance à l’insuline dosedépendante. Cette insulino-résistance est à la fois hépatique et musculaire. Son mécanisme est encore discuté mais impliquerait une diminution de la translocation du transporteur GLUT4. Au niveau du tissu adipeux, elle se manifeste par une moindre suppression de la lipolyse par l’insuline. Chez l’homme, l’insulinorésistance globale et hépatique a été retrouvée lors de la réalisation d’un clamp euglycémique hyperinsulinique comme le suggère la réduction du débit glucosé nécessaire au maintien de la glycémie.
Acidocétose alcoolique L’acidocétose alcoolique est une complication rare imputable à une consommation massive. Elle est caractérisée par une forte élévation des corps cétoniques, une élévation de l’acide lactique, insuffisante pour expliquer l’acidose, et par une normoglycémie (figure). Elle est associée à une diminution de la sécrétion d’insuline et à une élévation des hormones de la contre-régulation.
Figure. Mécanisme de la production de corps cétoniques (bOH butyrate) à partir du métabolisme de l’alcool. ADH : alcool-déshydrogénase, ALDH : acétaldéhyde déshydrogénase.
Alcool et diabète
L’ensemble des données colligées dans des conditions expérimentales chez l’animal ou chez l’homme sain s’avère d’interprétation délicate. L’impression globale était qu’une consommation aiguë ou chronique pouvait contrarier l’utilisation optimale du glucose par l’organisme et qu’elle pouvait supprimer la production hépatique de glucose, exacerbant à la fois le risque d’intolérance au glucose ou de diabète et d’hypoglycémie selon les circonstances nutritionnelles. En réalité, les études épidémiologiques ont fourni de façon assez consensuelle des indications rassurantes. Si la consommation massive ou excessive d’alcool (> 60 g/j chez l’homme ou > 50 g/j chez la femme) a des effets systémiques et métaboliques délétères, la consommation modérée et régulière est associée à une réduction de l’incidence du diabète de type 2 de l’ordre de 30 %. Celle-ci est plus constante et plus marquée chez la femme que chez l’homme(4). On admet à présent qu’il existe une relation selon une courbe en U ou en J entre la consommation d’alcool et l’insulinémie ou la sensibilité à l’insuline.
En pratique, il n’y a guère à attendre d’une abstinence chez les sujets à risque de diabète, bien au contraire, et il n’y a pas lieu de sevrer les diabétiques qui ont une consommation modérée et régulière, d’autant que les boissons alcooliques non supplémentées en sucre n’ont pas d’impact sur la glycémie postprandiale.
Compte tenu des effets favorables sur la prévention du risque coronarien et sur la mortalité globale observés dans les populations de consommateurs réguliers par rapport aux abstinents, dont on ne sait pas s’ils sont liés à une modification du métabolisme glucosé ou de l’action de l’insuline, des recommandations précises sont difficiles à formuler chez les sujets diabétiques tout comme dans la population générale(5). La seule certitude, dans le diabète comme chez les sujets sains, est que la consommation excessive aiguë, compulsive ou chronique est à prohiber. Outre les conséquences accidentogènes, les méfaits neuro-psychiatriques et les lésions tissulaires auxquels elle expose, il convient de ne pas omettre le risque d’hypoglycémie grave, notamment chez les diabétiques dénutris ou en situation de jeûne, a fortiori lorsqu’ils sont sous traitement hypoglycémiant (sulfamides ou insuline).
Conclusion
La consommation modérée et régulière d’une boisson alcoolisée non sucrée chez un sujet en bon état nutritionnel n’a pas d’effets significatifs sur le métabolisme glucosé.
Un diabétique peut consommer des boissons alcoolisées non sucrées dans les mêmes conditions qu’un sujet indemne de diabète (< 30 g/jour chez les hommes et < 20 g/jour chez les femmes, exclusivement au cours d’un repas) et en tenant compte des mêmes contre-indications (grossesse, antécédents de dépendance, sevrage alcoolique, comorbidité influencée par la prise d’alcool…).
En revanche, les excès aigus ou chroniques exposent à un accroissement du risque d’hypoglycémie et, exceptionnellement, d’acidose lactique et d’acidocétose alcoolique à glycémie normale ou élevée.
L’auteur n’a pas de conflits d’intérêts avec la teneur de ce texte.
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