Thérapeutique
Publié le 31 jan 2015Lecture 9 min
Réalisation pratique de l’oxygénothérapie hyperbare
M. KAMOUN*, E. PARMENTIER**, P. FONTAINE*, D. MATHIEU**, *Service d’endocrinologie et diabétologie, Hôpital Claude Huriez, CHRU de Lille **Centre régional d’oxygénothérapie hyperbare, Hôpital Roger Salengro, CHRU de Lille
Sauf dans le cadre d’infections graves des parties molles, la prise en charge des patients en oxygénothérapie hyperbare s’effectue essentiellement dans le cadre d’une hospitalisation incomplète. Quelques cas rares bénéficient d’une prise en charge hospitalière complète (patients à l’état général très altéré, patients non observants, etc.). Dans tous les cas, la prise en charge est pluridisciplinaire, faisant intervenir chirurgiens, médecins (endocrinologues, angiologues, radiologues) et paramédicaux (infirmiers panseurs, kinésithérapeutes, podologues, pédicures).
L’indication du traitement par OHB sera posée lors d’une consultation médicale spécialisée initiale par un médecin hyperbariste. Celui-ci procède en plus à la mesure des pressions transcutanées en oxygène en normobarie, puis en hyperbarie et recherche d’éventuelles contre-indications à l’OHB.
Le protocole thérapeutique optimal de l’OHB dans le cadre des lésions du pied diabétique ne fait pas encore l’objet d’un consensus (pression et concentration d’O2, durée de la séance, nombre et timing des séances, etc.). Habituellement, dans le cadre du traitement adjuvant des plaies diabétiques, les séances d’OHB se déroulent à une pression de 2 à 2,5 ATA, la durée d’une séance étant de 90 à 120 min. La fréquence de ces séances est de 1 à 2/j, réparties sur 3 à 4 semaines pour atteindre généralement un nombre total de 20 à 40 séances.
Les séances d’OHB se déroulent dans une chambre hyperbare appelée aussi caisson. Il existe deux types de caissons : le monoplace et le multiplace. Le monoplace permet l’installation d’une seule personne. L’oxygène est augmenté en même temps que la pression. Le multiplace est un caisson plus large dans lequel plusieurs personnes peuvent entrer. L’air ambiant contient environ 21 % d’oxygène et les personnes en thérapie portent des masques permettant l’inhalation d’oxygène pur.
La mesure de la PTCO2 proche de la lésion, comparée à la fois au membre controlatéral et à une zone de référence, est utile pour la surveillance de l’efficacité de l’OHB. Cette mesure permet de s’assurer de la réalité de la délivrance de l’O2 au niveau de la lésion et de suivre l’effet du traitement. En pratique, des valeurs de PTCO2 autour de 400 mmHg à la 15e séance d’OHB suggèrent une évolution favorable. Pour des valeurs comprises entre 200 et 400 mmHg, le devenir est plus incertain et le traitement est poursuivi en fonction de l’évolution clinique. Entre 100 et 200 mmHg, l’utilité de l’OHB doit être réévaluée en l’absence d’amélioration après une quinzaine de séances tandis que des valeurs < 100 mmHg signent l’inefficacité de la technique et imposent l’arrêt des séances.
Principaux effets indésirables de l’oxygénothérapie hyperbare
Les effets indésirables de l’OHB sont liés à l’hyperbarie, à l’hyperoxie ou à l’environnement.
Effets indésirables liés à l’hyperbarie
Barotraumatisme avec risque de barotraumatisme auditif ou dentaire, de pneumothorax ou de pneumo-médiastin. Le barotraumatisme auditif est la complication la plus fréquente (allant de la simple douleur à la perforation tympanique).
Effets hémodynamiques : hypertension artérielle avec diminution de la fréquence cardiaque n’entraînant que rarement une conséquence clinique.
Il n’existe pas de risque d’accident de décompression en OHB car le patient respire de l’oxygène pur et pas de gaz inerte.
Effets indésirables liés à l’hyperoxie
Neurotoxicité (effet Paul Bert) : convulsions hyperoxiques (0,01 % sous 2-3 ATA).
Toxicité pulmonaire (effet Lorrain-Smith) avec œdème pulmonaire lésionnel qui ne se voit que pour des expositions prolongées.
Toxicité oculaire : myopie réversible (la classique fibroplasie rétrolentale induite par l’hyperoxie ne se voit que chez le prématuré).
Les modalités actuelles d’OHB ont quasiment éliminé ces risques.
Autres effets indésirables
- Claustrophobie ;
- risque d’incendie (d’où les mesures de sécurité prises avant chaque séance) ;
- hypoglycémie durant les séances d’OHB, prévenue par une surveillance renforcée de la glycémie capillaire des patients diabétiques lors de la séance.
Globalement, l’analyse de la littérature ne recense pas de complication sévère liée à l’OHB. Les deux complications les plus fréquentes sont la claustrophobie (incidence 6 à 12 % selon les chambres hyperbares utilisées) et le barotraumatisme de l’oreille moyenne (incidence de 0,5 à 3 % des patients).
Efficacité de l’OHB comme traitement adjuvant des plaies diabétiques
L’efficacité de l’OHB dans le traitement des lésions du pied diabétique a été jugée sur 4 paramètres : cicatrisation, taille de l’ulcère, risque d’amputation et qualité de vie. Globalement, les études prospectives et rétrospectives et les métaanalyses convergent vers un impact positif de l’OHB sur la cicatrisation, le taux des amputations majeures et la qualité de vie à court terme. Beaucoup plus rares sont les données inhérentes à l’effet de l’OHB à long terme, mais les résultats disponibles jusqu’à présent convergent vers le maintien de ces effets bénéfiques à long terme.
Cicatrisation des ulcères
Deux études randomisées, en double aveugle et contrôlées contre placebo ont montré que l’OHB améliore significativement les chances de cicatrisation des ulcères du pied diabétique à un an de suivi(1,2). D’autres études randomisées en simple insu, une métaanalyse Cochrane récente, plusieurs revues systématiques et plusieurs études non randomisées corroborent également ces constatations(3). Les effets bénéfiques de l’OHB sur le processus de cicatrisation persistaient même à 3 ans de suivi(4). Dans la plupart de ces études, les patients inclus avaient des ulcères chroniques ne cicatrisant pas sous traitement conventionnel.
Taille des ulcères
Les données d’études randomisées ou non randomisées montrent que l’OHB est associée à une réduction significative de la taille des ulcères (de 30 à 100 %) comparativement aux groupes témoins (traitement standard sans OHB)(2).
Taux d’amputation
Amputations majeures
Une métaanalyse récente a inclus les 11 études randomisées ou non ayant évalué l’impact de l’OHB sur le risque d’amputations majeures. Elle a démontré clairement que l’OHB réduit significativement ce risque (risque relatif groupé RR : 0,24 ; 0,12- 0,48 ; p < 0,01). Cet effet bénéfique semble être maintenu à long terme(3).
Amputations mineures
La métaanalyse suscitée a également inclus les 5 études (dont 4 randomisées) ayant évalué l’impact de l’OHB sur le risque d’amputations mineures. Le taux des amputations mineures ne différait pas de manière significative entre le groupe traité par OHB et celui ayant bénéficié d’un traitement conventionnel(3).
Qualité de vie
L’OHB améliore la qualité de vie des patients diabétiques ayant un ulcère chronique. L’étude randomisée, en double aveugle et contrôlée contre placebo menée par Abidia et coll. a montré une amélioration significative des deux domaines santé perçue et vitalité du questionnaire SF-36. L’amélioration de la qualité de vie chez ces patients est liée à une meilleure cicatrisation(2).
L’ensemble des études cliniques randomisées montre donc un effet bénéfique en termes de cicatrisation et de risque d’amputation. Notons cependant la divergence de certaines études, en particulier la récente étude observationnelle de cohorte longitudinale, portant sur un large échantillon (n = 6 259). Cette étude a montré paradoxalement que le traitement des ulcères du pied diabétique par OHB n’accélère pas la cicatrisation et ne réduit pas la fréquence du recours aux amputations ; elle aggraverait même les choses(5).
La divergence de résultats avec les études pourrait être liée à plusieurs facteurs :
- différences méthodologiques (étude rétrospective, taille de l’échantillon, procédure de sélection, etc.) ;
- hétérogénéité des critères d’inclusion : stade de Wagner, type des ulcères (neuropathique, ischémique, ou neuro-ischémique) ;
- absence de prise en compte des PTCO2 en normo- et hyperbarie ;
- variabilité des techniques d’OHB appliquées (nombre et durée des séances).
Centre d’oxygénothérapie hyperbare du CHRU de Lille.
A. Vue intérieure de la chambre hyperbare dévolue au traitement des patients ambulatoires.
B. Vue intérieure de la chambre hyperbare en condition de fonctionnement.
C. Vue extérieure du pupitre de commande.
Facteurs prédictifs de la réponse thérapeutique
Peu d’études se sont intéressées à préciser ces facteurs prédictifs(6). La PTCO2 semble être le facteur prédictif le plus fiable. Une PTCO2 périlésionnelle < 40-50 mmHg en normobarie (reflétant ainsi une ischémie tissulaire) augmentant jusqu’à plus de 200 mmHg en hyperbarie est fortement prédictive d’une bonne réponse thérapeutique. D’autres facteurs peuvent également influer sur l’évolution :
Dans le sens d’une bonne réponse thérapeutique :
- âge jeune : dans certaines études, les bons répondeurs au traitement par OHB étaient significativement plus jeunes que les non-répondeurs ;
- diabète de type 2 : comparés aux diabétiques de type 1, les types 2 ont une meilleure production de collagène, ce qui pourrait expliquer leur meilleure réponse au traitement par OHB ;
- hauts grades de gravité des lésions du pied diabétique (Wagner 4-5).
Dans le sens d’une mauvaise réponse thérapeutique :
- prise préalable de stéroïdes ;
- tabagisme ;
- traitement préalable par OHB, antécédents d’amputations mineures ;
- insuffisance rénale associée ;
- l’existence d’une artérite périphérique a émergé comme un facteur affectant négativement l’évolution 3 mois après la fin des séances d’OHB.
En revanche, l’existence d’une neuropathie diabétique ne semble pas influer significativement sur la réponse au traitement par OHB.
Aspect économique de l’OHB comme traitement adjuvant des plaies diabétiques
Les données sur cet aspect sont très limitées jusqu’à présent. Une économie significative peut être anticipée en utilisant l’OHB en plus de la prise en charge standard dans le traitement des ulcères du pied diabétique. L’OHB apparaît être non seulement efficace cliniquement, mais également pour réduire le coût général pour le budget santé national, les conséquences sociales des lésions du pied diabétique (hospitalisations, amputation, etc.) et offrir une meilleure qualité de vie.
Dans la conclusion de l’étude britannique réalisée par Abidia et coll., les auteurs mentionnent que la réduction du nombre de consultations nécessaires pour le changement du pansement sur l’ulcère pourrait être une source d’économies. Le nombre annuel moyen de consultations à cette fin a été de 33,75 dans le groupe de l’OHB comparativement à 136,5 dans le groupe témoin. Les coûts annuels qui y sont associés sont estimés à 4 972 £ dans le groupe de l’OHB et à 7 946 £ dans le groupe témoin(3). Selon les données d’autres études, l’OHB représenterait « approximativement de un quart à un dixième du coût d’une amputation »(7). D’autres études sont cependant nécessaires pour conclure formellement sur l’aspect économique de l’OHB.
Place de l’OHB dans la stratégie de prise en charge des plaies diabétiques
L’OHB est un traitement adjuvant devant être discuté en cas de non-cicatrisation (ou retard de cicatrisation) d’une plaie en dépit d’une prise en charge adéquate assurée par une équipe multidisciplinaire (médecin vasculaire, diabétologue, nutritionniste, pédicure podologue, chirurgien orthopédiste, orthésiste-prothésiste, infectiologue, infirmier(e) spécialisé(e), etc.).
Les facteurs qui peuvent causer l’absence ou le retard de cicatrisation incluent des altérations soit systémiques, soit locales de la délivrance d’oxygène au niveau de la plaie. Ainsi, avant de considérer un patient pour un traitement par OHB, une évaluation clinique complète est nécessaire avec correction des facteurs systémiques et locaux responsables du retard de cicatrisation (arrêt du tabac, contrôle glycémique, etc.). L’utilisation de thérapeutiques par voie générale (antiagrégants, vasodilatateurs, etc.) et la réalisation effective des mesures de décharges ainsi que de pansements de bonne qualité sont également impératives. La possibilité de revascularisation (chirurgie vasculaire et/ou angioplastie) doit être toujours considérée et réalisée si elle est possible. C’est dans les situations d’échec que l’on peut proposer l’OHB. Dans tous les cas, les patients doivent être explorés au préalable par débitmétrie Doppler, oxymétrie transcutanée et, en cas d’indication opératoire, par angiographie. Des clichés osseux du pied sont nécessaires à la recherche d’une atteinte osseuse. Nous proposons un algorithme décisionnel pour illustrer le rôle de l’OHB dans la stratégie thérapeutique des lésions du pied diabétique (figure).
Algorithme proposé pour illustrer le rôle de l’oxygénothérapie hyperbare dans la stratégie thérapeutique des lésions du pied diabétique.
Conclusion
Les études menées sur ce sujet ne sont pas dépourvues de faiblesses méthodologiques, l’hétérogénéité des critères d’inclusion ne permettant pas de conclure à une recommandation forte.
D’autres études continuent d’être nécessaires afin de mieux préciser la place actuelle de l’OHB chez le diabétique, de définir des critères robustes de sélection et enfin d’évaluer le rapport coût/efficacité d’un tel traitement.
Conflit d’intérêts :
M. Kamoun et P. Fontaine déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article. Participation à des boards scientifiques, essais cliniques et conférences pour les labo - ratoires Novo-Nordisk, Lilly, Sanofi-Aventis, GSK, MSD, Boehringer Ingelheim, Bater, Takeda, Roche, AstraZeneca, Novartis.
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