Publié le 31 mai 2014Lecture 7 min
Tabagisme et diabète : une association à très haut risque
D. THOMAS, Institut de Cardiologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière
Le tabagisme intervient de façon majeure dans les complications macro- et microvasculaires du diabète et a aussi un rôle démontré dans la survenue du diabète de type 2. Les bénéfices de l’arrêt du tabac sont déterminants dans le devenir cardiovasculaire du sujet diabétique, mais seront d’autant plus importants que cet arrêt aura été précoce. La prise en charge « médicalisée » du sevrage tabagique doit être systématiquement incluse dans les soins donnés aux sujets diabétiques.
Comme chez tout fumeur, c’est bien sûr un arrêt total et définitif du tabagisme qu’il faut obtenir chez un sujet diabétique. Mais cet objectif est ici encore plus impératif, car le tabagisme :
- augmente considérablement le risque de survenue des complications micro- et macrovasculaires du diabète ;
- a également une incidence sur l’évolution proprement dite de l’équilibre glycémique et est même un facteur pathogénique reconnu du diabète de type 2.
Un facteur de risque cardiovasculaire majeur pour tous
Le tabagisme est la première cause évitable de mortalité cardiovasculaire. En France, parmi les 73 000 décès attribués au tabagisme, 18 000, soit 25 % sont des décès cardiovasculaires. L’étude Interheart a confirmé le tabagisme comme étant le deuxième facteur de risque d’infarctus du myocarde (OR = 2,95 ; IC : 2,77-3,14, comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé), suivant de très près l’excès de cholestérol. Il est le responsable essentiel et souvent isolé de l’infarctus du sujet jeune. Environ 80 % des hommes et des femmes victimes d’infarctus avant 45 ans sont fumeurs et, lorsqu’il n’y a qu’un seul facteur de risque, c’est 8 fois sur 10 le tabagisme.
Il n’existe pas de seuil d’intensité ni de seuil de durée de consommation au-dessous desquels il n’y aurait pas de risque cardiovasculaire. La relation exposition/risque cardiovasculaire n’est pas linéaire (figure 1) : une exposition faible, y compris à un simple tabagisme passif, induit un risque de thrombose et de spasme artériel, ces deux mécanismes intervenant comme éléments « gâchette » de l’infarctus du myocarde.
Le risque lié au tabagisme est rapidement réversible et de façon d’autant plus rapide et importante que le sevrage est précoce. Même si un arrêt tardif peut apporter un bénéfice considérable, y compris en prévention secondaire, il est capital d’arrêter de fumer le plus tôt possible, comme l’ont parfaitement montré deux études britanniques, l’une réalisée chez des médecins avec un suivi de 50 ans, l’autre chez plus d’un million de femmes. Dans cette dernière étude, arrêter de fumer vers 40 ans et vers 30 ans permet d’éliminer respectivement 90 % et 100 % du sur-risque de décès par maladie coronaire (figure 2).
Figure 1. Des effets cardiovasculaires du tabagisme non proportionnels au niveau d’exposition. (D’après Law MR, Wald NJ. Prog Cardiovasc Dis 2003 ; 46 : 31-8.)
Figure 2. Bénéfice cardiovasculaire du sevrage : arrêter de fumer avant 40 ans élimine 90 % du risque de décès coronaire et avant 30 ans ≈ 100 % du risque de décès coronaire. (D’après Pirie K et al. Lancet 2013 ; 381 : 133-41.)
Enfin, l’arrêt du tabagisme bénéficie du meilleur rapport coût/efficacité parmi les mesures de prévention, que ce soit en prévention secondaire ou en prévention primaire.
Facteur de risque comportemental, doublé d’une forte dépendance, rendant sa prise en charge souvent difficile, le tabagisme représente donc un défi essentiel dans la prévention cardiovasculaire. Il en est de même chez le patient diabétique.
Un facteur de risque particulier pour le sujet diabétique
Le tabagisme, dont la prévalence reste importante parmi les sujets diabétiques, est un facteur de risque indépendant qui augmente de façon majeure le risque de décès (figure 3) ainsi que celui des complications macrovasculaires et microvasculaires. Si le diabète est déjà connu comme lié à un risque significatif de resténose intrastent, le tabagisme est un des facteurs indépendants aggravant ce risque chez les sujets diabétiques porteurs de stents actifs.
Figure 3. Risque de décès des fumeurs non diabétiques et diabétiques selon la consommation de cigarettes. Ce risque est multiplié par 3,5 à 4 chez les sujets diabétiques. (D’après Al-Delaimy WK et al. Diabetes Care 2001 ; 24 : 2 043-8.)
Moins connu est le fait que le tabagisme augmente de façon dose-dépendante le risque d’intolérance au glucose ainsi que l’incidence du diabète de type 2(1-3). Les mécanismes potentiellement en cause sont résumés dans la figure 4. Le tabagisme est à l’origine d’une insulinorésistance. L’incidence d’un syndrome métabolique est plus importante chez les fumeurs, avec un rapport taille/hanche supérieur à celui des non-fumeurs alors que l’indice de masse corporelle est inférieur à celui des non-fumeurs. Il existe une relation dose-dépendante entre le niveau d’HbA1c et l’importance et la durée du tabagisme.
Figure 4. Mécanismes par lesquels le tabagisme favorise l’insulinorésistance et le diabète de type 2.
Une métaanalyse de 2007 montre que le risque relatif de survenue d’un diabète de type 2 chez un fumeur est de 1,44 (IC : 1,31-1,58) comparativement à un non-fumeur et est dose-dépendant. Ceci vient d’être confirmé dans une nouvelle métaanalyse publiée dans le rapport du Surgeon General en février 2014(3).
Les conclusions de ce rapport sont que :
- il y a suffisamment de preuves pour affirmer que le tabagisme est une cause de diabète ;
- le risque de développer un diabète est augmenté de 30 à 40 % chez un fumeur actif comparativement à un non-fumeur (RR = 1,37 [1,31-1,44] dans cette métaanalyse).
- il existe une relation dose-réponse positive entre le nombre de cigarettes fumées et le risque de développer un diabète (figure 5).
Figure 5. Le risque relatif de survenue d’un diabète de type 2 est proportionnel à la consommation de tabac. (D’après The Health Consequences of Smoking. A report of the Surgeon General-Feb 2014(3).)
Un bénéfice majeur du sevrage qui doit être le plus précoce possible
L’arrêt le plus précoce possible du tabagisme est un objectif essentiel. En effet, d’une part, les ex-fumeurs ont un risque de devenir diabétique qui redevient après plusieurs années de sevrage semblable à celui des sujets n’ayant jamais fumé (figure 6), d’autre part, le bénéfice sur la mortalité cardiovasculaire des diabétiques est d’autant plus important que le sevrage tabagique est précoce. Il a été également constaté dans une étude prospective que le sevrage tabagique pouvait améliorer la microalbuminurie.
Figure 6. Diminution du risque de survenue d’un diabète de type 2 après sevrage tabagique. (D’après Al Delaimy et al. Arch Intern Med 2002 ; 162 : 273-9.)
En revanche, la prise de poids fréquemment induite par le sevrage pourrait en théorie minorer son bénéfice cardiovasculaire (figure 7). Cette prise de poids est reconnue comme étant à l’origine d’un contrôle plus difficile de l’HbA1c. De la même façon, il a été constaté dans l’étude ARIC que le sevrage tabagique chez des sujets non diabétiques pouvait transitoirement augmenter le risque de survenue d’un diabète dans les trois premières années suivant le sevrage, ceci étant très probablement à mettre sur le compte de la prise de poids. Cependant, malgré la prise de poids, l’étude japonaise HIPOPOHP a montré une réduction significative du risque de maladie coronaire dans les 4 ans suivant un sevrage de patients diabétiques. Deux autres études publiées en 2013 confirment que le gain de poids lors du sevrage tabagique n’est pas un élément limitant significatif concernant le bénéfice cardiovasculaire du sevrage chez les sujets non diabétiques(4,5). Chez les sujets diabétiques, seuls les patients ayant pris plus de 5 kg voient le bénéfice du sevrage limité par cette prise de poids(5). Ce point mérite d’être encore étudié de façon plus précise chez les sujets diabétiques et incite a priori à veiller de façon encore plus importante à leur diététique lors du sevrage tabagique.
Figure 7. Balance bénéfice-risque du sevrage tabagique en cas de prise de poids. (D’après Berlin I. Diabetes Metab 2008 ; 34 : 307-14(1).)
Le sevrage tabagique présente-t-il des spécificités chez le diabétique ?
La démarche générale est la même que chez les autres fumeurs, même si elle peut s’avérer plus difficile et les enjeux nécessitent encore plus de « médicaliser » la prise en charge du sevrage des sujets diabétiques.
Il faut :
- documenter l’existence d’un éventuel tabagisme chez tous les patients ;
- conseiller à tous les fumeurs d’arrêter de fumer de façon claire, ferme et personnalisée ;
- fournir une aide spécifique avec les outils du sevrage tabagique ayant fait la preuve de leur efficacité ;
- suivre, accompagner le sevrage et prévenir les rechutes ;
- faire largement intervenir dans cette prise en charge les équipes paramédicales, dont les études confirment qu’elles ont une meilleure efficacité que celle d’une action médicale isolée.
La crainte d’une prise pondérale préoccupant particulièrement les patients diabétiques, conditionnés à l’idée qu’ils ne doivent pas prendre de poids, une attention particulière devra être portée à ce sujet.
Il convient de profiter de leur grand nombre de contacts avec des acteurs de santé et de l’environnement privilégié d’éducation thérapeutique dont bénéficient les diabétiques pour optimiser les possibilités de sevrage. Des programmes de sevrage dédiés aux diabétiques ont fait la preuve de leur efficacité.
Conclusion
Chez le sujet diabétique, le risque déjà très important de complications cardiovasculaires est multiplié de façon majeure par le tabagisme.
Le tabagisme a par ailleurs un rôle démontré, dose-dépendant, dans le développement d’une insulinorésistance et augmente significativement l’incidence du diabète de type 2 (RR = 1,37 ; 1,31-1,44).
Les bénéfices de l’arrêt du tabac sont déterminants dans le devenir cardiovasculaire du sujet diabétique et ceux-ci seront d’autant plus importants que l’arrêt aura été précoce.
L’arrêt de la consommation de tabac doit donc être une priorité chez le sujet diabétique. Il a également un impact sur la prévention primaire du diabète de type 2.
Une prise en charge « médicalisée » active du sevrage tabagique doit être systématiquement incluse dans les soins donnés aux diabétiques.
Conflits d’intérêts : l’auteur déclare avoir été consultant pour les laboratoires Pfizer, Pierre Fabre Santé et Novartis, avoir participé à des conférences organisées par les laboratoires Pfizer, Pierre Fabre Santé, Mc Neill et Novartis, dans le domaine concernant la prise en charge du tabagisme. Références et bibliographie disponibles sur demande : biblio@diabetologie-pratique.com
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